Apporter des réponses conformes à nos valeurs

Henri Emmanuelli
Intervention d'Henri Emmanuelli, coanimateur du Nouveau monde, lors du Conseil national du Parti socialiste du 18 janvier 2003.


 
Mes Chers Amis,
Mes Chers Camarades,

nous rentrons effectivement dans cette période du Congrès, dans la période active.

Nous aurions souhaité, vous le savez, pour notre part que les choses se passent un peu plus rapidement et je crois que notre intuition n’était pas injustifiée, compte tenu des difficultés que nous avons parfois à mener notre travail d’opposants. Mais il en est ainsi, les calendriers ont été décidés et nous voici donc à pied d’œuvre, pied d’œuvre jusqu’à la fin du mois de mai, ce qui va encore ajouter quelques mois aux huit mois qui viennent de s’écouler, qui font qu’en définitive notre Congrès se tiendra pratiquement un an après l’échéance du 21 avril.

Puisque nous y voici, nous devons nous engager collectivement à mener nos travaux avec sérieux, avec le sens de nos responsabilités et je me permets d’insister sur le mot « dans la transparence des procédures » mais aussi peut-être tout simplement du débat.

J’insiste quand même et nous nous en sommes entretenus, il y a une commission ad hoc pour cela, avec Alain Claeys dans la transparence.

J’insiste sur cette transparence car il serait inacceptable ou étonnant que nous ayons si souvent ce mot à la bouche et que nous puissions laisser subsister quelques coins d’ombre, sur certaines de nos pratiques.

Pour ce qui nous concerne en tout cas nous veillerons à ce que ce ne soit pas le cas. Nous devons aussi, je crois et c’est l’essentiel, le plus important, nous souvenir à toute instant que notre réflexion, nos travaux n’ont d’intérêt que s’ils sont en adéquation, en correspondance, s’ils répondent aux inquiétudes, aux aspirations de nos concitoyens. Certes, nous sommes très intéressants par nous-mêmes, mais si l’intérêt s’arrêtait là, je ne vois pas où seraient les perspectives de reconquête. C’est donc d’abord aux Françaises et aux Français, à ceux de gauche en priorité bien sûr, mais aussi aux autres, qu’il nous faudra penser à tout moment, à tout instant jusqu’au terme de nos travaux.

C’est à eux qu’il faut proposer de nouveaux chemins et proposer de nouveaux chemins aujourd’hui n’est pas facile, parce que nous vivons un monde assez paradoxal, jamais dans l’histoire de l’humanité, il n’a eu à sa disposition autant de moyens technologiques, scientifiques, jamais il n’a eu une capacité aussi forte de produire des richesses, jamais il n’a eu les moyens de conduire sa propre histoire de maîtriser son propre destin, comme il le pourrait aujourd’hui et paradoxalement alors que cela devrait déboucher sur un monde relativement optimiste, sur une vague d’enthousiasme relative, c'est l’inverse qui se produit, la réalité que nous avons sous les yeux c'est un monde dominé par la crainte, un monde dominé par l’inquiétude, un monde dominé par la peur.

Ces peurs, ces craintes, ces inquiétudes ne sont pas injustifiées, nous en avons parlé ce matin, nous avons commencé par là. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une guerre imminente dont les dégâts, si elle a lieu, seront considérables.

Ce que nous avons sous les yeux, ce sont des crises économiques à répétition, une crise financière larvée qui a l'air de reprendre un peu d’activité depuis quelques jours ; il faut savoir quand même qu'en 2002 l'effondrement des valeurs boursières a été supérieur à ce qu'il était en 1929 en pourcentage, et se souvenir d'ailleurs au passage que si les effets politiques ne sont pas les mêmes, c'est parce qu'entre temps la gauche et la social-démocratie ont inventé bon nombre de stabilisateurs qui sont aujourd'hui remis en cause quand ils ne sont pas tout simplement caricaturés.

Ce que nous avons sous les yeux, c'est une série de catastrophes écologiques et la France, par les temps qui courent, n'est pas épargnée.

Ce que nous avons sous les yeux, c'est une régression sociale assez marquée, que ce soit dans les pays du sud où, malgré les promesses de la mondialisation heureuse, un homme ou une femme meurt de faim toutes les quatre secondes, où que ce soit dans les pays riches où nous avons plutôt le sentiment d'une désagrégation et d'une régression du tissu social que l'inverse, pays riches où nous ne sommes pas capables d’éradiquer le chômage ou la pauvreté.

Alors, d’où vient l'erreur ? Où est l'explication entre la potentialité de ces moyens et l'incertitude, pour ne pas dire plus, de cette réalité ?

J'espère qu’aux yeux de socialistes il ne fait de doute pour personne que la réponse, c'est la victoire politique du néo-libéralisme.

Depuis les années 80, s'appuyant sur la déficience de l'Etat, sur la crise de croissance, sur la montée du chômage, sur l'effondrement aussi du communisme, la droite a imposé au monde un système économique, mais aussi culturel, où le seul critère de gestion est celui du profit, de la profitabilité monétaire. Tous les autres considérants, plus ou moins rapidement, sont éliminés.

Dans ce processus de domination qui s’est étendu sur une quinzaine d'années, une vingtaine d'années (peu importe, les historiens feront le compte exact), je ne suis pas certain que la social-démocratie ait offert la résistance qui aurait été nécessaire. Non seulement elle n’a pas toujours résisté, mais parfois même elle a accompagné, parfois même elle a précédé. Je ne parle pas de la France, je parle de quelques-uns de nos pays européens et, puisqu’on parlait ce matin de la guerre, oui, il faut absolument qu'il se passe quelque chose au PSE, qu’on ne soit pas identifiés en tant que socialistes aux positions de M. Tony Blair, par exemple, parce que c'est insupportable.

Donc, pour nous, il n'y a pas de doute, c'est un système politique qui explique tout de même très largement la situation, même si nous savons, les uns et les autres, par expérience, qu'il n'y a jamais une explication totale qui serait à ce moment-là d'ordre théologique plus que politique.

Face à cette victoire politique du néo-libéralisme, ou plutôt dans le cadre de cette victoire, on nous avait promis une mondialisation heureuse ; certains d'entre nous ont d'ailleurs prononcé cette expression, l'ont même écrite dans des textes du Parti socialiste.

En réalité - je viens d’y faire allusion à l'instant, donc je ne serai pas long sur le sujet, vous l'avez tous en tête - nous sommes face des impasses :
     nous sommes face à une impasse économique ;
     nous sommes face à une impasse sociale ;
     nous sommes face à une impasse environnementale ;
     et nous sommes aussi face à une impasse politique si l’on regarde tout de même ce qu'est aujourd'hui la réalité non seulement de l'équilibre international totalement dominé par une puissance vis-à-vis de laquelle les signes de résistance sont faibles, mais je dirai même à l'intérieur des démocraties par les évolutions un petit peu surprenantes qui font que, sans employer des mots qui fâchent, on a tout de même le sentiment que le pouvoir est largement confisqué par - je ne sais pas le mot qu'il faut employer… les élites, cela fait populiste, la technostructure, cela a l'air de cibler une catégorie, - des gens qui cumulent à la fois le savoir et le pouvoir et qui ne s'en privent pas.
Cela se traduit très simplement, dans l'expression de nos concitoyens, par une phrase toute simple qui vaut à elle seule bien des développements, qu'on entend partout et qu'on entend souvent : « Oh ! De toute façon notre opinion ne compte pas ». C'est vrai dans les affaires de l’hexagone, c'est encore plus vrai dans les affaires européennes où, pour le coup alors, les opinions publiques, à juste titre là aussi, ont le sentiment que les choses se passent très au-dessus d'elles et sans leur consentement, le dernier avatar en l'espèce étant cet élargissement qui, à notre sens, devrait tout de même avoir reçu l’avis des opinions concernées, lesquelles ne seront pas consultées, lesquelles le seront ultérieurement éventuellement sur un texte constitutionnel et, je le crains, viendront faire part de leur mécontentement sur la Constitution à propos de l'élargissement, car aujourd'hui que l'élargissement est fait, on ne voit pas comment, ultérieurement, les institutions pourraient ne pas l'entériner.

Donc, il y a aussi beaucoup à dire éventuellement, et nous en parlons dans notre contribution, sur cette évolution des démocraties et sur la nécessité de faire évoluer les institutions à la fois pour des raisons de fond et puis aussi pour des raisons de conjoncture dans notre propre pays.

C'est à toutes ces questions que nous essayons de répondre dans notre contribution.

Mais au-delà de la réalité, que je ne décrirai pas – vous avez un texte, vous le lirez - quelque chose nous paraît aussi très important, quelque chose que nous n'avons peut-être pas perçu ou que nous avons mal apprécié et qu'il faut aujourd'hui redresser, c’est que s'agissant de ce besoin de sécurité qui a été évoqué tout à l'heure par François et qui, encore aujourd'hui, entre nous, parmi nous, crée quelques turbulences, voir encore hier dans un grand quotidien que certains parlementaires socialistes avaient fait quasiment une nouvelle fois l'apologie de l'action de M. Sarkozy commence à poser quelques problèmes dans les rangs du Parti socialiste ! C'est le titre même du quotidien ! Je vois que le Président du groupe me fait signe que je n'ai pas rêvé.

Je voudrais dire à nos camarades socialistes, y compris à ceux qui partagent cette inquiétude sur la sécurité, que je crois que nous sommes en train de commettre une grave erreur.

Oui, il y a un besoin de sécurité dans la rue, oui, il y a une aspiration à la restauration de l'autorité, mais la réponse de la gauche ne doit pas être celle de la droite ! La réponse de la droite à cette aspiration à la restauration de l'autorité et de la sécurité, c’est la police et l'armée. La réponse de la gauche doit être différente. Ce doit être la restauration de l'intérêt général, de l'intérêt collectif par rapport à l'intérêt particulier, de l'intérêt public par rapport à l'intérêt privé, car il y a aussi, je crois, chez nos concitoyens, ce besoin-là.

Il faut élargir notre vision et dire que la droite, ce n'est que la sécurité dans la rue, alors que la gauche, cela doit redevenir la sécurité dans la vie et cela implique beaucoup d'autres choses que le développement des moyens de la police, ou autre chose que les gesticulations de M. Sarkozy, qui semble en définitive tout de même fasciner un certain nombre de nos camarades.

Donc, à toutes ces impasses, à toutes ces réalités, nous devons apporter des réponses qui soient conformes à nos valeurs et qui, j'en suis persuadé, nous en sommes persuadés, sont aussi conformes aux attentes de la majorité de nos concitoyens.

Nous faisons donc des propositions qui vont dans ce sens-là.

Pour porter ce projet, pour ouvrir ce chemin, en tout cas pour lui donner des perspectives d'avenir, il faut une stratégie, il faut un rassemblement.

François parlait du rassemblement des socialistes et d'un grand parti… encore que personne n'ait jamais souhaité un petit parti, que je sache, et que l'invocation rituelle au grand parti fasse partie de nos traditions.

Mais il faut une stratégie, une stratégie de rassemblement. Et là aussi, malgré les proclamations, un certain nombre d'ambiguïtés demeurent entre tel ancien Premier ministre qui, ayant peut-être plus de franchise que d'autres, prône l'alliance avec l'UDF, certaines analyses sociologiques auxquelles nous avons droit, et puis ceux qui accusent une partie du Parti d'être suiviste du gauchisme. Je crois que ce type d'ambiguïté doit cesser.

Les rassemblements que doit opérer le Parti socialiste, ce sont ceux que nous avons connus par le passé, même si les formes sont différentes, c'est l'ensemble de la gauche institutionnelle à laquelle nous devons ajouter aujourd'hui cette gauche « mouvementiste » que nous avons la responsabilité de réinsérer (non pas de faire adhérer à notre Parti mais de réinsérer) dans le jeu démocratique, et puis aussi cette gauche « associatiste » à laquelle nous n'avons pas, à l'évidence, prêté l’attention qu'elle méritait pendant les années où nous étions au pouvoir. Je n'ai pas le temps, je ne veux pas développer, cela fera l'objet du débat, mais le nombre de sujets ,en apparence mineure portés par tel ou tel secteur associatif que nous avons négligé et dont la somme, à l'arrivée, représente tout de même des dizaines, des milliers, parfois même des centaines de milliers de voix, n'est pas négligeable et je crois que nous devrons veiller pour l'avenir à nous prémunir contre ce genre de déficience. Donc, l'ensemble des partis de gauche, des formations qui se réclament de la gauche, plus des efforts très particuliers - nous l’avions déjà dit au Congrès de Grenoble, sans succès, après l'élection de 2001 - vers cette gauche « mouvementiste » et cette gauche « associatiste ».

Pour rassembler cette gauche, nous l'avons dit, nous continuons à le penser, il faut une ligne politique claire qui ne doit pas, qui ne peut pas être une ligne de compromission avec le libéralisme économique, car s'il y a trace de compromission - et il y a quelque souvenirs tout de même et quelques hypothèques qui pourraient peser sur l'avenir - une partie de cette gauche-là n'acceptera pas le rassemblement autour du Parti socialiste et c'est la raison pour laquelle nous avons dénoncé, en les citant nommément et en les explicitant, un certain nombre de dérives social-libérales, et c'est la raison pour laquelle nous pensons que ce Congrès doit être l'occasion d’éradiquer une fois pour toutes (enfin… tout est relatif dans la vie, en tout cas pour ce Congrès) toute tentation de ce genre.

J'entends bien que les choses ont beaucoup bougé depuis quelques mois et j'ai vu des évolutions d'une rapidité surprenante. Tant mieux, tant mieux. Mais tout de même, je voudrais rappeler à cette occasion et le dire aujourd'hui que si notre devise à juste titre a été d'affirmer tout au long de ces cinq années que la morale et l'éthique en politique consistaient à dire ce que l’on fait et à faire ce que l’on dit, il nous faut aujourd'hui ajouter un codicille : l'éthique, c'est aussi de ne pas promettre, quand on est dans l'opposition, le contraire de ce que l'on disait hier ou, a fortiori, de ce que l'on faisait hier car ne vous y trompez pas, cela peut faire illusion (et encore !) dans quelques jeux truqués de sections, mais cela ne produit aucune illusion sur l'opinion publique, qui a tout de même un minimum de mémoire, en tout cas au moins à un an.

Je dis cela parce qu'il est toujours heureux de voir des positions bouger, évoluer. Tout le monde a le droit de s'être trompé et tout le monde a le droit de revenir de ses erreurs pour redécouvrir un certain nombre de choses, mais ce sont des évolutions qu'il faut faire, je dirai, dans le respect de l'opinion publique et dans le respect des militants et non pas comme s'il s'agissait d'un jeu gratuit.

Je termine par le Parti car j'ai déjà dépassé mon temps, je suppose, Madame la Présidente… et pourtant, je n'ai pas eu le temps, moi, d'énumérer l'ensemble des propositions, parce qu'alors, si je m'étais lancé là-dedans, j'en avais pour un grand moment !

De la même manière, je ne pourrai pas détailler les propositions, mais je voudrais adresser une supplique au Conseil national et à l'ensemble du Parti, en priorité évidemment à notre Premier secrétaire.

Toutes les modalités sont imaginables, toutes les propositions sont acceptables, à condition d’abord qu'on se souvienne que le principal ennemi de la gauche, c'est la dépolitisation.

Oui, parce qu'il y a une suite et il n’y aurait dans ces conditions rien de pire que d'avoir des modalités de fonctionnement qui déboucheraient sur la dépolitisation du parti. Cela dit, il faut d'abord élaborer une réflexion collective et proposer aux françaises et aux français un projet qui corresponde à leurs espérances et à leurs attentes. Comment pourrait-on dépolitiser le parti ? C'est tout simple : il suffit de dissocier la désignation des dirigeants de leur orientation politique. À partir de là on entre dans une sorte d'organisation qui a déjà existé, je m'en excuse, dans le passé, c'était la SFIO, où des hommes peuvent incarner paraît-il successivement des équipes, des orientations tout à fait différentes. Ce n'est pas sérieux.

Et si nous allions dans cette direction - je l’ai dit en privé à quelques responsables camarades de ce parti - je crains que nous mettions en danger, mais de manière très sérieuse, l'avenir de la gauche et sa capacité à renouer avec la victoire.

Que l'on s'efforce de mettre un terme ou en tous cas de faire reculer, de diminuer ces pratiques de cooptation qui sont mal aimées des militants, à juste titre oui, mais que l'on introduise ou que l’on induise ou que l’on instruise l'idée que l'on désignerait d'un côté des responsables, à tous les niveaux, indépendamment de leur choix ou de leur orientation politique, c'est une chose que nous combattrons de toutes nos forces et qui pourrait, si elle devait déboucher, créer un problème sérieux, je le répète, par rapport à l'avenir de la gauche. Voilà les quelques mots que je voulais dire en introduction et en présentant cette contribution. Bien entendu toutes celles et ceux qui partagent ces orientations sont les bienvenus. Notre camarade François Hollande, notre Premier secrétaire, disait : « J'appelle tout le monde à discuter sur mes propositions. » Je te renvoie l'invitation François, avec plaisir. Il est normal que le Premier secrétaire soit le premier à lancer cet appel en période de congrès. Je pense que tout le monde aura à cœur de le démultiplier même si le fléchage des discussions n'est pas tout à fait le même.

Mais je suis persuadé, en tout cas je le souhaite, qu'à la fin du mois de mai nous serons de nouveau en situation de combat parce que face à la droite qui est celle que nous affrontons, qui est en train de mettre en œuvre avec une certaine habileté, une régression sociale marquée, nous aurons besoin de toutes nos forces et surtout de beaucoup de clarté pour les années qui viendront derrière. Merci.

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