Le vote ne doit pas être faussé comme cela a pu être le cas par le passé



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidienLe Monde daté du 27 novembre 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot


 

A cinq jours du référendum du PS sur la Constitution européenne, mercredi 1er décembre, dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Si l'on reste sur la question posée, si les socialistes se sentent libres de voter en dehors de toute dramatisation, le " non " l'emportera car l'orientation libérale de l'Europe ne leur convient pas.

Mais je constate qu'à chaque fois que les militants sont consultés, on essaie de peser sur eux en déplaçant la question. Lors de notre dernier congrès à Dijon, c'était déjà le cas. Cette fois, c'est dans l'ensemble du pays qu'une pression énorme s'exerce. Certains ont même évoqué un hiver nucléaire pour l'Europe ! Restons sérieux...

Vous envoyez des " scrutateurs " dans les sections le soir du vote. Que craignez-vous ?
Nous souhaitons que le scrutin se passe dans les meilleures conditions. Et d'ailleurs, les partisans du " oui " envoient aussi des scrutateurs. Nous voulons que le vote ne soit pas faussé comme cela a pu être le cas dans le passé.

A quoi faites-vous allusion ?
Pour le congrès de Dijon, dans certains endroits, le taux de participation ne correspondait pas à la réalité. Il a été quelque peu amélioré d'après les informations que j'ai recueillies auprès de ceux qui étaient aux responsabilités au niveau national...

Pourquoi n'avoir jamais tenu une réunion publique avec Laurent Fabius au cours de la campagne puisque vous partagez les mêmes arguments ?
Je réponds très clairement : on essaie de fausser le scrutin en passant de la question européenne à la question présidentielle. Les partisans du " oui " n'ont qu'une idée en tête, celle de la collusion des minorités du PS et de Laurent Fabius pour faire une nouvelle majorité ou celle du choix d'un candidat. C'est un piège grossier. Je suis heureux que Laurent Fabius ait fait le choix du " non ", mais j'aurais préféré que l'ensemble de la direction fasse le même.

Si le " oui " l'emportait au PS, vous estimez qu'il y aura une deuxième manche au moment du référendum national ?
Appelez ça comme vous voudrez. Le pire pour le PS serait que le parti dise " oui " et que la France, quelques mois plus tard, réponde " non ". C'est un risque majeur.

Par ailleurs, comment adopterait-on en 2005 une Constitution libérale pour expliquer un an après, dans la perspective de 2007, qu'on a un projet différent ? Pierre Mauroy disait encore, il y a quinze jours, que cette Constitution baignait dans le libéralisme...

Qu'est-ce qu'il y a de libéral dans cette Constitution, selon vous ?
On n'a jamais vu une Constitution qui élève au niveau de ses principes fondateurs la " concurrence libre et non faussée " et qui fige une orientation économique et sociale pour longtemps. Il est faux, par exemple, de dire que le service public est garanti. Dans le seul domaine des transports, je constate qu'une directive européenne nous contraint aujourd'hui à équilibrer financièrement le fret ferroviaire. Je ne rêve quand même pas, des gares ferment. L'ensemble des compromis que nous avons acceptés se fait au détriment des objectifs et des valeurs socialistes.

Nous devons mettre un terme à cette fuite en avant. Pourquoi devrions-nous passer sous la table du compromis plutôt que de nous asseoir à celle des négociations ?

Les autres partis socialistes européens ne portent pas la même appréciation...
Est-ce que cela veut dire que les socialistes français doivent désormais pratiquer la théorie de l'alignement ? Il n'y a eu aucun débat dans les autres partis socialistes, à l'exception de la Belgique où, du coup, le parti est lui aussi divisé sur cette question. Une fois de plus, ce sont les technostructures qui décident.

Lionel Jospin voit dans le " non " une critique de l'action des socialistes depuis 1981.
Depuis le début, je dis que les socialistes, qui ont fait le choix d'une construction politique européenne, ont eu raison. Mais nous avons le droit de peser sur le contenu ! Ce n'est pas parce qu'on est pour l'Europe qu'on doit être libéral.

On peut être pour l'Europe et socialiste. Si Lionel Jospin n'est pas d'accord avec cela, qu'il le dise. Il nous a déjà expliqué une fois que son projet n'était pas socialiste, cela ne nous a pas particulièrement réussi.

Comment voyez-vous " le jour d'après " au PS ?
Ce sera un passage difficile à gérer quel que soit le résultat. Il faudra bien définir ensemble les moyens d'opposer un front commun lorsque M. Chirac posera sa question au pays.

Estimez-vous que le PS va se déporter vers le centre si le " oui " l'emporte ?
Je crains qu'objectivement l'électorat de gauche le ressente comme cela. Comment pourrait-il en être autrement quand on annonce déjà des initiatives communes entre les partisans du " oui " socialistes et ceux de la droite ?

Je vois bien comment on peut rassembler la gauche sur le " non ". Sur le " oui ", absolument pas.

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