Cette constitution fixe le jeu de manière irréversible

Henri Emmanuelli
Intervention de Henri Emmanuelli, député des Landes, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004.


 
Mes chers camarades,

Je voudrais d'abord, parce que j'ai sept minutes, en style télégraphique, aborder quatre points.

Le premier, c'est pour remercier le Premier secrétaire d'avoir donné acte à Lorient et de l'avoir refait ce matin de ce qu'il n'y avait pas dans ce parti des gens qui étaient pour l'Europe et d'autres qui étaient contre, mais d'avoir rappelé que, même s'ils n'étaient pas d'accord sur cette constitution, tous les socialistes étaient partisans de l'Europe, ce qui est le cas. Et je crois bien même, puisque cela a été rappelé à l'instant par Dominique, qu'une certaine minorité a porté longtemps le concept d'Europe fédérale sans obtenir la majorité dans ce parti. Je suis heureux de voir qu'aujourd'hui, tout le monde s'y réfère.

Le deuxième point, c'est à propos de l'identité socialiste. J'entends dire que l'Europe serait constitutive de l'identité socialiste en elle-même, par elle-même. Non, mes chers camarades, l'Europe sociale est constitutive de l'identité socialiste, mais l'Europe libérale est plutôt constitutive de l'identité de l'UMP ou de l'UDF.

Et en éliminant les qualificatifs, on opère une chose très simple et malheureusement répétitive qui est la confusion entre les moyens et les faits. L'Europe est au service d'un certain nombre de valeurs, lorsque ce sont les nôtres, lorsque l'Europe va dans le sens du service des valeurs qui sont les nôtres, elle est constitutive de notre identité, mais prétendre qu'elle le serait quand elle porte les valeurs libérales, ce serait dépolitiser l'Union et ce serait à la fois une erreur conceptuelle et aussi, j'attire votre attention là-dessus, qui ne serait pas sans conséquence sur les alliances stratégiques du futur, car on ne peut pas remplacer la gauche et la droite par ceux qui seraient pour l'Europe telle qu'elle est y compris libérale éventuellement et ceux qui seraient contre leur nom. Ça, M. Duhamel en rêve depuis quinze ans, mais ça ne peut pas être notre position.

Troisième point, nous sommes contre cette Europe, contre cette constitution pardon... Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle de dire que je suis contre l'Europe libérale, mais puisque vous cherchez des raisons de manifester, ne vous en privez pas ! En tout cas, moi, je trouve ça très bien.

Donc nous sommes contre cette constitution parce que, à la différence des constitutions normales qui fixent les règles du jeu, cette constitution-là prétend fixer le jeu, jouer la partie et, je m'en excuse, de manière irréversible, parce qu'à l'instant, Dominique nous a dit : " Mais non, ce sera modifiable. " Sauf que c'est une constitution paraît-il. Parce que là, on ne sait plus où elle en est. Maintenant, je n'ai entendu parler que de traité. Ce qu'on va quand même proposer au peuple français, c'est une constitution européenne. Alors effectivement, juridiquement, cela prend la forme d'un traité. Mais si ce n'est pas une constitution, pourquoi nous l'avoir expliqué, nous l'avoir dit et avoir fait une convention spéciale pour nous avoir déclaré de surcroît que c'était un moment historique pour l'Europe ?

Bref, je referme cette petite parenthèse sans grand intérêt pour dire que nous constituons, non pas, je ne sais pas, Dominique, si c'est fixé dans le marbre ou pas, mais en tout cas, il faudra réviser à l'unanimité ce traité et je ne sais pas comment puisque tu as dit qu'il fallait changer ce traité dans le sens qui nous convenait : on convoquera 25 pays, y compris ceux qui sont dirigés par la droite d'aller dans notre sens.

Donc tout ça me paraît relever un petit peu de la controverse plutôt que de la réalité (employons les mots qui ne fâchent pas), mais ce confusionnisme me paraît regrettable. Il s'agit bel et bien d'une constitution dont M. Giscard d'Estaing nous a dit qu'elle engageait l'Europe pour quarante ans, et dont M. Baroso, président de la Commission européenne et meilleur allié de Bush en Europe, nous a expliqué que non, ce ne serait pas pour quarante ans, mais pour cinquante ans. Il en a mis dix de plus, comme vous avez tous pu le constater.

Vous me direz, Baroso ne va pas durer 50 ans, lui, pas plus que Chirac d'ailleurs pour nous faire un referendum dans quinze ans. Mais j'y reviendrai dans un instant.

Donc, nous considérons que ce traité constitutionnel essaie d'enfermer les politiques économiques et sociales dans une vision libérale pour très longtemps, et c'est pour cela que nous la combattons, et c'est la démonstration que nous ferons pendant le débat qui va s'ouvrir et qui va avoir lieu dans le parti, et que je ne prétends pas faire ce matin.

Enfin, quatrième point, faire ce débat, c'est notre honneur. Et, pour répondre à Dominique qui, à l'instant, disait : pourquoi sommes-nous les seuls en Europe ? Eh bien, mon cher camarade, parce que nous sommes les seuls à en débattre. On ne peut pas dire que les autres aient été consultés. Et tu verras que même la confédération européenne des syndicats, nous, nous avions quand même amadoué les représentants des quatre plus grands syndicats britanniques, dont celui des transports, 800 000 adhérents, qui nous expliquait qu'il allait faire campagne pour le non. Donc, c'est quand même un peu plus compliqué.

Et M. Monk, qui est un Blairiste notoire, me paraît avoir anticipé la position des syndicats avant qu'ils n'aient vraiment eu l'occasion de s'exprimer.

Mais faire ce débat, c'est notre honneur parce que, comme l'a dit d'ailleurs François dans son propos introductif, notre Premier secrétaire, propos introductif vigoureux, charpenté, argumenté et enthousiaste pour un oui de combat, chers camarades, vous verrez qu'ailleurs, il n'y aura pas débat et qu'en plus, dans notre pays, malheureusement, on cherche à l'éliminer.

Et j'en viens au dernier point que j'évoquais, puisqu'on parle de démocratie, de notre façon nous de débattre, alors qu'aucun autre parti ne va le faire dans ce pays, ni dans aucun autre pays, ce qui est quand même assez extraordinaire, j'observe, moi, que sur un sujet qui fâche aujourd'hui et qui nous divise aussi, et je dirais là d'une façon encore différente que le oui et le non, qui est l'entrée de la Turquie, on est en train d'organiser dans ce pays... Je ne vais pas entrer dans il faut être pour ou contre, mais simplement constater que le chef de l'État, en nous promettant un referendum dans quinze ans, a inventé le referendum en viager et se moque du suffrage universel.

J'observe que le président de l'Assemblée nationale ne souhaite pas qu'il y ait un vote à la fin du débat, ce qui est contraire à notre constitution parce que je le mets au défi de trouver dans la constitution de la Ve République un article qui interdise à l'Assemblée nationale et au Sénat de débattre de la politique étrangère, et je souhaiterais qu'on s'en indigne. Et comme ça ne suffisait pas, M. Raffarin nous promet, lui, le débat après que la décision ait été prise.

Bref, tout ça pour dire, et je vous demande de prendre la mesure des ravages que ça peut créer dans la conscience de nos concitoyens, qu'une fois de plus, on va essayer de créer le fait accompli par-dessus les opinions publiques en les méprisant, en les écartant, et non seulement en écartant l'opinion publique, mais en plus en écartant le parlement, c'est-à-dire les élus au suffrage universel.

Voilà où nous en sommes arrivés en matière européenne. Je ne fais pas porter au Parti socialiste les malversations de la droite et du pouvoir actuel, mais je souhaiterais, François, que, sur ces deux points, la critique du parti soit forte et vive, et non pas, comme j'aie pu l'entendre, qu'on prenait acte, par exemple du referendum dans quinze ans. Non ! Moi, je ne peux pas prendre acte d'un referendum qu'il y aura dans quinze ans, je demande à ce que nous dénoncions avec vigueur ces manquements aux règles élémentaires de la démocratie et que nous ne donnions pas, sur ce sujet, le sentiment de ne pas être d'accord.
Merci.

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