Mes idées sont majoritaires



Pour Henri Emmanuelli, cofondateur de Nouveau Monde, la critique de la mondialisation libérale est désormais partagée par la plupart des socialistes. La preuve, dit-il : Hollande s'y rallie…

Entretien paru dans Le Nouvel Observateur daté du 19 octobre 2002
Propos recueillis par François Bazin


 

Les militants socialistes sont en colère. Ils dénoncent l'autisme de leurs dirigeants d'hier et d'aujourd'hui. Vous sentez-vous visé ?
Peut-être moins que d'autres… Mais là n'est pas l'essentiel. Pendant cinq ans, les militants ont été les spectateurs de l'action gouvernementale. Ils ont été les témoins du désastre du 21 avril. Ils veulent redevenir les acteurs de la reconstruction de la gauche. C'est à la fois logique et légitime. Cela dit, les militants ne demandent pas seulement une rénovation de nos structures, une plus grande transparence de nos débats ou un simple renouvellement des cadres. Ils entendent peser sur l'orientation stratégique du PS. Ils parlent des retraites, de la fiscalité, des services publics. Bref, ils ont soif de politique.

Qui pourrait contester cela ?
Officiellement, personne. Dans les faits, c'est une tout autre histoire. A la fin de l'été dernier, j'ai eu la conviction que l'actuelle direction du PS nous préparait un congrès dépolitisé où tous les chats sont gris. Or, pour moi, un congrès ce n'est pas un mauvais moment à passer en attendant de revenir aux choses sérieuses entre gens bien élevés et responsables. Avec mes amis de Nouveau Monde, nous avons mis les pieds dans le plat. Sur le coup, on nous a traités de tous les noms. Ringards ! Archaïques ! Crypto-gauchistes ! J'en passe et des meilleures. Il n'empêche qu'aujourd'hui le congrès est remis sur les rails. Personne ne conteste plus que son principal objet soit de fixer la ligne stratégique du PS face à la mondialisation libérale.

Vous parlez de ruptures nécessaires. Mais sur quoi, comment et pour quoi faire ?
François Hollande a dit l'autre jour qu'en parlant de rupture je faisais de la rhétorique de précongrès. Essayons quand même d'élever le débat ! Sans vouloir être trop compliqué et pour éviter les mots qui fâchent, je vais poser la même question mais à l'envers. Qui, à gauche, accepte cette logique libérale qui, au niveau mondial, tente d'imposer la mise à bas des biens publics, la marchandisation du savoir ou la brevetabilité du vivant ? Qui, à gauche, estime que le capitalisme financier est devenu notre horizon indépassable ? Je ne suis pas un fou furieux. J'accepte le compromis et je l'ai déjà prouvé. Mais si, au départ, on ne dit pas clairement ce que l'on croit et donc ce que l'on refuse, alors, on signe d'avance la capitulation.

Votre ligne n'est-elle pas davantage une ligne de résistance que de reconquête ?
Je n'ai pas le sentiment d'être isolé. Souvent, d'ailleurs, je m'étonne que la social-démocratie, en France et en Europe, paraisse se résigner alors même que se développe, sous des formes variées, un puissant mouvement de contestation du libéralisme et du capitalisme financier.

Si vos intuitions sont justes, comment pourriez-vous ne pas être majoritaire au sein de votre parti ?
Je crois en effet que les idées que je défends sont aujourd'hui majoritaires au PS et même à gauche. Pour dire mieux, je crois aussi qu'elles répondent aux aspirations de notre électorat. Ceux qui m'attaquaient il y a encore quelques semaines l'ont visiblement compris. Ils reprennent progressivement nos arguments et nos propositions sur le secteur public, sur les retraites, sur l'Europe et même sur la guerre en Irak. Excusez du peu ! Au final, vous verrez d'ailleurs que les différentes motions pour le congrès PS de Dijon se ressembleront étrangement.

Vous le regrettez ?
A la fois, ça me satisfait et ça me laisse rêveur. Quelques-uns de mes camarades, et non des moindres, vont signer demain des textes qui diront l'inverse de ce qu'ils proposaient hier. Qui sont les champions du parler vrai ? Ou sont les véritables molletistes ?

Au bout du compte, le congrès de Dijon ne risque-t-il pas d'être un congrès de fausse unanimité, comme vous le craigniez à l'origine ?
C'est un risque, en effet. Cette opération de brouillage suppose toutefois que les militants n'aient pas de mémoire. Ce que je ne crois pas.

Vos adversaires au PS ne font pas la même analyse que vous puisqu'ils évoquent le risque de nouveaux déchirements, voire d'un « Rennes bis » !
eux qui distillent de pareilles bêtises cherchent à faire peur. Ils veulent bien céder sur les mots mais pas sur leur bien le plus précieux, c'est-à-dire le pouvoir. Au fond, ils aimeraient se débarrasser des gêneurs, des empêcheurs de tourner en rond, des malpolis qui posent les questions qui fâchent et osent apporter des réponses qui séduisent. Un jour, on dira donc qu'ils sont sous la coupe de l'extrême-gauche; le lendemain, on prétendra qu'ils sont ses complices; et puis, bientôt, on les sommera de partir.

Pourquoi ?
Derrière tout cela, il y a le vieux rêve d'un PS ancré au centre-gauche et abandonnant du même coup ses ambitions de rassemblement. Mais pour pouvoir se tourner vers Bayrou, il faut auparavant faire croire que certains voudraient s'allier à Besancenot ou Laguiller. Moi, je n'ai pas changé. Je veux un PS au cœur de toute la gauche. Avec cette ambition-là, sans laquelle il n'y a pas de victoire possible, je n'ai pas l'intention de rompre.

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