L'UE ne sait plus où elle va


Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Libération daté du 25 septembre 2004
Propos recueillis par Paul Quinio


 

Le oui de Lionel Jospin va-t-il peser sur le choix des militants ?
En politique, et à gauche en particulier, il n'y a jamais eu d'infaillibilité pontificale. Son texte n'apporte aucun argument nouveau. Plutôt que ce théâtre d'ombres, je préférerais débattre avec lui devant les militants. Mais je réfute l'affirmation selon laquelle l'Europe serait constitutive de l'identité socialiste. Les socialistes sont pour l'Europe. Mais pas pour n'importe quelle Europe. Ce qui compte, ce sont les valeurs que l'on porte. Et ce traité tourne le dos à nos valeurs.

Vous, vous accusez l'Europe de faire le lit du libéralisme ?
Et je redoute que la Constitution enferme le modèle social européen pour très longtemps dans une conception encore plus libérale. On nous rétorque que la charte des droits fondamentaux est intégrée au traité. En vérité, elle est vidée de son contenu par les 85 pages interprétatives qui figurent en annexe. En clair, on écrit une charte pour expliquer ensuite qu'elle n'aura aucune conséquence. Tony Blair l'a très bien compris, puisqu'il se félicite que la Constitution facilite la flexibilité.

Pourquoi le PS est-il le seul des partis socialistes européens à se diviser sur cette question ?
La spécificité des socialistes français, c'est d'abord d'être les seuls à être consultés. Et nous sommes peut-être isolés par rapport à certains gouvernements, mais ces gouvernements sont eux-mêmes isolés de leur peuple. Je préfère être proche des opinions publiques plutôt que des technostructures de partis.

Les partisans du oui vous reprochent de prôner la crise sans avoir de solution de sortie...
Ce catastrophisme n'est pas crédible. Si le non l'emporte, les dirigeants européens ne resteront pas assis sur leurs chaises pendant cinq ans en disant : « Mon Dieu, mon Dieu, la France a dit non ! » Je ne parle d'ailleurs pas de crise, mais de sursaut. La question fondamentale, c'est celle de la résistance ou de la soumission, du sursaut ou de la passivité. L'Europe est devenue ingérable. Elle ne sait plus où elle va. Les Français le comprennent et sont lassés de l'inertie des gouvernements. Il faut donc savoir si nous continuons comme si de rien n'était ou si nous provoquons une prise de conscience. La France, l'Allemagne, le Benelux, l'Espagne et l'Italie doivent reprendre l'initiative pour bâtir un vrai traité qui ne concerne que les institutions et permette d'avancer sur le plan de l'intégration politique. Ce scénario n'a rien d'irréaliste.

En quoi le traité favorise-t-il les délocalisations ?
Le libre-échange sans précautions, dans un monde où les rapports salariaux vont de 1 à 20, condamne à terme l'industrie européenne et son économie. Au lieu de parer ce danger, la Constitution fait l'apologie d'un libre-échange dogmatique qu'elle se propose d'approfondir. Il serait inconvenant de faire passer les partisans du non pour des xénophobes antipolonais, antitchèques ou antilituaniens. Les responsables des délocalisations ne sont pas les ouvriers polonais, mais les dirigeants politiques qui ont fait l'élargissement en dépit du bon sens. Quand nous avons intégré l'Espagne et le Portugal, nous avons investi des sommes considérables. Là, nous avons élargi sans un sou, en faisant entrer trop de monde en même temps, sans transition suffisante.

La prise de position de Laurent Fabius en faveur du non ne brouille-t-elle pas votre message ?
Nous gérons l'hétérogénéité du non comme François Hollande celle du oui. Je ne peux tout de même pas regretter que des gens lucides adoptent nos positions. Pourquoi faudrait-il être davantage gêné par la proximité de Laurent Fabius sur le non que par celle de Sarkozy pour les partisans du oui ? Ce serait un comble !

Si le non l'emporte, c'est la crise assurée au PS ?
C'est un vote. Ce n'est ni un plébiscite ni un congrès. La direction du PS n'a jamais été en cause. Elle ne le sera pas. Je fais remarquer avec force qu'il n'y a pas de risque d'explosion, puisque tout le monde est favorable à l'Europe. Je ne comprends pas cette dramatisation, sauf à considérer qu'elle constitue un chantage pour faire pression sur le vote.

© Copyright Le  Nouvel Observateur

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]