Rassembler à gauche

Laurent Fabius
Intervention de Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, lors du Conseil national du Parti socialiste du 17 septembre 2005.


 
Chers camarades, ce Congrès présente au moins deux particularités : dans tous les Congrès, on trace une direction politique et l’on choisit les dirigeants au niveau national et au niveau local.

Cette fois-ci, il y a deux particularités supplémentaires : d’abord, c’est que nous avons face à nous, pour aujourd’hui et pour demain, une droite qui est probablement la plus organisée, la plus réactionnaire, la plus libérale, on choisira le mot qu’on veut, depuis cinquante ans. Ce n’est plus la même droite que celle un peu fluctuante qu’on a connue dans le passé. C'est une droite qui systématiquement démolit ce que sont les piliers sociaux, et même républicains, qui ont forgé la France depuis 1945, année après année. La première année d’exercice du pouvoir, ce fut la retraite, la deuxième année la santé, la Sécurité sociale, cette année le Code du travail. On nous annonce la remise en cause de l’impôt progressif sur le revenu et il y a beaucoup de promesses terribles sur l’école. Donc nous avons en face de nous une droite de démolition, ce qui n’a pas toujours été le cas d’une façon aussi forte à d’autres moments de notre histoire.

Deuxième caractéristique de notre Congrès, c’est qu’il a pour objet de définir notre projet. Nous avons connu dans le passé beaucoup de Congrès qui avaient simplement pour objet de confirmer ou d’inverser une ligne politique, une direction. Cette fois-ci, le projet. Et les militants n’auront pas d’autre occasion de le faire.

Et je mets en rapport la dureté de la droite et la saisine par les militants de notre projet. C’est à partir de cela que toute une série de camarades, jusqu’à présent situés sur des contributions différentes, ont décidé, j’en suis le porte-parole, de présenter une motion commune dont le titre est « Rassembler à gauche ». Et je voudrais commenter chacun des mots de ce titre parce que, sans entrer dans les détails, cela dit bien ce que cela veut dire.

À gauche, d’abord, dans l’opposition que nous voulons à cette droite dure, opposition frontale. Ce n’est pas mettre en cause telle ou telle personnalité, mais de nous interroger sur notre comportement collectif, que de dire que, dans le passé, parfois même dans le présent, et il faut l’éviter dans le futur, cette opposition a été, semble-t-il, un peu incertaine, tout au moins ressentie comme telle. Pas besoin d’être plus long sur ce point, la critique de la droite par nous, le mode d’opposition que nous proposons doit être vraiment frontal, ce qui ne veut pas dire irresponsable, mais on comprend bien que cela ne permet pas tel ou tel écart de commentaire sur tel ministre qui serait moins ceci que tel autre, opposition frontale.

À gauche aussi dans la proposition. J’ai lu, comme nous tous, toutes les contributions, je vais m’empresser de lire les motions. Nous avons entendu déjà un certain nombre de motions présentées. Il y a certainement entre nous tous des points d’accord. J’en vois en particulier deux qui sont très importants : d’abord l’intégration, qui n’était pas évidente dans le passé, de la dimension écologique et environnementale dans la réflexion socialiste. Les choses ont changé, nous nous en réjouissons pour avoir été, parmi d’autres, de ceux qui l’ont souhaité depuis longtemps.

Il reste des problèmes cependant à trancher, sur le nucléaire, sur les OGM, sur d’autres encore. Mais je pense que, sur ce point, l’inclusion vraiment fondamentale de la réflexion écologique dans le projet socialiste, nous pourrons sans difficulté nous mettre d’accord.

L’autre aspect qui nous oppose à la droite, c’est de dénoncer cette caricature absurde qui présenterait les socialistes, quelle que soit notre sensibilité, comme des gens incapables de comprendre la production, l’entreprise, la création de richesses et qui ne s’occuperaient que de répartir quelque chose qui n’a pas été créé. C’est absurde. Il nous appartient à tous, les uns mettrons plus l’accent que d’autres sur démocratie sociale et démocratie économique, mais il nous appartient à tous de contester cette présentation mensongère de ce qu’est notre projet commun.

Il y a certainement d’autres thèmes qui nous rassemblent mais, en écoutant ce qui se dit, en lisant ce qui s’écrit, en prenant connaissance des contributions, demain des motions, il me semble qu’il y a un certain nombre de points sur lesquels il y a différence, voire même divergence, et le Congrès du projet a pour objectif de trancher ces points.

Nous avons fait le choix de mettre l’accent sur quatre problèmes principaux qui correspondent aux quatre préoccupations, nous semble-t-il, concrètes des Français : emploi et pouvoir d’achat, en particulier sur le pouvoir d’achat, la question du logement si tragiquement à l’actualité ces jours derniers, la question du bloc éducation, formation, recherche et puis tout ce que nous appelons les protections parce que les Français veulent être protégés, qu’il s’agisse de la santé, qu’il s’agisse du social en général, qu’il s’agisse de la sécurité publique, c’est un droit, qu’il s’agisse de l’environnement.

Et à chaque fois avec une approche transversale, je n’ai pas le temps de développer, où nous mettons en avant l'Europe sociale, où nous mettons en avant une République nouvelle et le développement humain.

Et sur chacun de ces points nous nous sommes efforcés, après ce sera aux militants de choisir, de faire une ou deux propositions phares et de dire ce que nous refusons. Je ne veux pas être exhaustif, mais je prends un ou deux exemple : en matière de logement - peut-être serons-nous tous d’accord là-dessus - il y a des choses à faire, et notamment arriver à faire respecter la loi que nous avions fait voter sur les 20 % minimum de logements sociaux.

Alors, il y a jusqu’à aujourd’hui des pénalités, etc., mais enfin il y a un tiers des communes qui ne font rien du tout. Nous pensons qu’une disposition simple consisterait, pour les communes qui se refusent à s’engager avec un calendrier précis dans ces constructions de 20 % au moins, d’interdire toute subvention publique, quel que soit le projet concerné.

En matière d’éducation et de formation, nous sommes tous d’accord pour redonner un rôle fondamental à l'Éducation nationale, à la recherche, ce qui doit rompre avec un certain nombre de périodes que nous avons connues, mais nous pensons qu’il y a à aller au-delà en matière de loi de programme, qu’il s’agisse de la recherche ou qu’il s’agisse de tout ce qui est formation professionnelle, si nous voulons être compris et entendus.

Je ne vais pas être plus long mais, chacun pourra prendre connaissance de cette motion commune, vous verrez que, à chaque fois, nous avons dit : « Voilà ce que nous proposons, voilà ce que nous refusons. » Après, c’est aux militants de trancher.

À gauche, donc, dans la proposition comme dans la critique.

Rassembler. Rassembler d’abord dans notre parti. Ce qui signifie, j’ai entendu des discours, nous connaissons tous la réalité, qu’il faut bien sûr ne pas s’arrêter à des clivages anciens, et nous savons les dépasser, mais qu’il faut en même temps comprendre ce qui se passe dans le pays et comprendre en particulier ce qui s’est passé au moment du 29 mai. Cela ne veut pas dire qu’il faille reconstituer exactement les mêmes clivages, en particulier dans notre parti, mais de toutes les manières les Français ont tranché. Mais au moins qu’on comprenne ce qui s’est passé et qu’on ne fasse pas comme si les Français ne s’étaient pas prononcés.

J’ajoute, ce qui est fort important, que si nous avons opéré un premier rassemblement entre des hommes et des femmes qui n’étaient pas habitués à travailler ensemble, nous souhaitons opérer un deuxième rassemblement, en particulier avec nos camarades NPS, parce que, même si nous avons quelques différences qui justifient que nous ne figurerions pas sur une motion unique, nous trouvons entre nous suffisamment de points de convergence pour préparer ensemble ce que devra être l’avenir du Parti socialiste.

Rassembler la gauche : il n’y a pas de mystère, si l’on veut changer la politique, il faut battre la droite. Si on veut battre la droite, il faut rassembler la gauche. Si on veut rassembler la gauche, il faut choisir une ligne de gauche.

Et ceci n’a pas changé depuis beaucoup d’années.

Alors, on dit : c’est qui, rassembler la gauche ? Et on entend, ici ou là une imputation selon laquelle certains, peut-être s’agirait-il de nous, ne sont pas maîtres de leur propre décision et voudraient faire dépendre l’orientation politique du Parti socialiste, d’autres, et en particulier on parle de l’extrême gauche. C’est absurde.

C’est aux militants socialistes, c’est au Parti socialiste de définir sa propre ligne, c’est évident ! En même temps, il faut, si nous voulons gouverner, que nous ayons discussion, après notre projet, avec les autres formations politiques qui disent expressément : « Nous avons vocation à gouverner. » Avec les autres, mais avec celles-là.

Quant à l’extrême-gauche, mes camarades, voyons les réalités électorales. Cela ne veut pas dire du tout que nous confondions les points de vue, mais il nous semble, et s’ils n’entendent pas, comme c’est le cas, prendre des responsabilités, on ne peut pas les forcer, personne ne le suggère. Mais en même temps il paraît légitime de demander le même respect que nous devons avoir à leur endroit.

Ces positions, je pense qu’elles nous rassemblent tous, et donc ne créons pas d’imputation imaginaire. C’est au Parti socialiste de fixer sa ligne et il doit la fixer dans des conditions telles que cela permette le rassemblement de la gauche et que celui-ci soit victorieux au moment des élections.

Je m’achemine vers ma conclusion puisque, comme les autres camarades, je voudrais être bref.

Rassembler à gauche, dans la critique, dans la proposition, en ce qui concerne le Parti socialiste lui-même et en ce qui concerne l’ensemble de la gauche. Il y a, bien sûr, beaucoup de choses incertaines dans le Congrès et il faut que nous rappelions les uns et les autres, je pense que c’est un point d’accord, que ce sont les militants qui prennent les décisions et que ces décisions, à ma connaissance, n’ont jamais posé aucun problème lorsqu’elles sont en accord avec l’électorat socialiste.

Mais cela étant dit, le point sur lequel nous sommes tous d’accord, et là-dessus je voyais Daniel opiner du chef, les militants vont dire ce qu’ils pensent de nos propositions aux uns et aux autres.

Nous aurons donc un débat très court, mais je souhaiterais, c’est là-dessus que je voudrais terminer, que dans ce débat nous ayons à l’esprit au moins deux choses : d’abord, c’est un débat sur les positions qui sont proposées. Je sais bien que les positions proposées sont défendues par des femmes et par des hommes, on n’a jamais vu une idée traverser toute seule une salle, fut-elle la salle de la Mutualité.

Mais je pense que, entre la prise en considération des idées, le fait qu’évidemment les personnes existent, et la concentration uniquement sur telle ou telle donnée personnelle, il y a peut-être une frontière à ne pas franchir. Il n’est pas dans la tradition des mouvements de gauche en général, et du Parti socialiste en particulier, de passer d’un débat sur le fond à un débat personnel.

Le deuxième point sur lequel je veux insister, qui fait écho au caractère particulier, je le disais en commençant, nous avons en face de nous une droite dure et nous devons élaborer notre projet. Le deuxième point est celui-ci : personne ici, en tout cas pas moi, ne souhaiterait que pendant le mois et demi, les deux mois, que va durer notre Congrès, la politique soit mise entre parenthèses.

Je comprends très bien l’observation de François Rebsamen en commençant, nous avons un débat statutaire aujourd’hui, mais il n’y a rien de plus politique que le débat sur le projet. Et je pense que ce serait une grave erreur, en tout cas essayons ensemble de ne pas la commettre, de dire que d’une côté il y a les réalités que vivent les Français, d’un côté il y a Hewlett Packard, d’un côté il y a démantèlement l’école, d’un côté il y a ce qu’on nous dit sur la laïcité, sur l’enseignement privé, et de l’autre il y a les débats du Parti socialiste. C’est parce que la droite est en train de faire son travail de démolition et qu’elle entend le poursuivre et l’approfondir à cours des années qui viennent qu’il faut plus que jamais que notre Parti socialiste ait un projet rassemblé à gauche.

C’est la distinction, qui sera contestée sans doute, mais que nous essayons d’introduire entre la transformation et l’accompagnement. Si nous mettons à profit ces deux mois pour faire écho, et notamment le 4 octobre, à ce qui se passe dans le pays, à ce moment-là le débat du Congrès ne sera pas un débat qui fera déshonneur, mais un débat de fond que les Français comprendront, d’abord les militants socialistes, ensuite l’ensemble des socialistes, ensuite les Français.

Et le Parti socialiste a compris qu’il faut écouter, qu’il faut décider, qu’il faut respecter et qu’il faut se rassembler pour gagner.

Merci.

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