Les trois piliers de l'espérance
Congrès du Mans - 19 novembre 2005

Discours de Laurent Fabius, député de Seine-Maritime
Tribune du Congrès du Mans


 
Chers Camarades,

Sombre période pour la France. Notre pays va mal. En ce mois de novembre 2005, les Français sont inquiets, ils nous observent, nous socialistes, avec scepticisme et ils s'interrogent : le gouvernement est en train d'échouer, mais est-ce que la gauche peut réussir ? Je suis convaincu que la réponse est oui, je suis convaincu que notre succès est indispensable pour redonner à la France ce qui lui manque le plus, une espérance. A condition de nous appuyer sur trois piliers, les trois piliers de l'espérance. C'est de cela dont je veux vous parler.

La volonté

Le premier pilier, c'est la volonté. On me dira : « mais tout sympathisant, tout responsable de gauche veut gagner en 2007. ». Bien sûr ! Et pourtant, j'entends comme vous certaines hésitations : « La situation du pays est si mauvaise, est-il encore possible d'espérer ? » « L'explosion des quartiers populaires ne va t'elle pas se reproduire puisque rien n'est réglé sur le fond ? Ne risque t'elle pas de tirer massivement la France à droite ? ». Et même, prononcée à voix basse, parfois cette question : « serait-ce un drame que la gauche passe son tour ? » Eh bien oui, mes camarades, ce serait un drame et une trahison. La droite a engagé depuis 3 ans et demi un véritable travail de démolition. Sa reconduction entraînerait une démolition plus grave encore des fondamentaux de la République et un risque de dégrader la paix civile. La gauche constitue le seul vrai espoir d'un autre futur. La gauche ne peut pas « passer son tour », parce que les Français et la France ne peuvent pas passer leur tour.

Le rassemblement

Pour gagner et redonner l'espoir, il faut non seulement une volonté inébranlable, il faut aussi - c'est la leçon de tous nos succès - le rassemblement à gauche. Diviser, on ne peut rien. Rassembler, on peut tout. C'est le deuxième pilier.

 Voilà pourquoi, le débat ayant eu lieu dans les sections, je souhaite comme beaucoup d'autres une synthèse générale. Mais synthèse, générale ou non, je demande qu'on montre concrètement, y compris dans cette enceinte, ce qu'est le rassemblement. Le socialisme, ce n'est pas seulement l'égalité et la liberté, mais aussi la fraternité.

 Rassemblement des socialistes et de la gauche : C'est une autre clé pour faire redémarrer l'espoir. Avec quelles forces ? Avec toutes celles qui sont désireuses de gouverner, pour construire une plate-forme commune sur une ligne de gauche.

Les propositions essentielles devront être discutées avec les partenaires sociaux et les associations, pour être pleinement en phase avec les demandes populaires, le monde du travail et la jeunesse.

On attend aussi de nous une pratique différente du pouvoir. Nous avons, avec Lionel Jospin, connu des succès et des échecs. Les militants, les électeurs, veulent avoir, le moment venu, leur mot à dire sur l'action gouvernementale. Les Français attendent de nous une autre pratique du pouvoir. Ce serait une révolution tranquille qu'à plusieurs étapes de la législature, les militants puissent évaluer vraiment la politique conduite. Certaines erreurs pourront ainsi être évitées, le lien avec notre base sociale confirmé, et nos succès consolidés.

Un projet socialiste de vrai changement

Mais le principal pilier de l'espoir, c'est un projet socialiste de vrai changement. Un projet d'alternative politique et pas seulement d'alternance. Lors des échéances majeures, il y aura probablement d'un côté le faux changement porté par Sarkozy, et de l'autre le vrai changement porté par nous, puisque la situation (mondiale, européenne, nationale) a elle-même changé et qu'elle devra dans le futur - c'est le sens de notre combat - changer fortement à nouveau, cette fois-ci vers le progrès.

Les dégâts de la mondialisation libérale

Car quinze ans après la destruction du mur de Berlin, l'état du monde est bouleversé. Il y a eu des améliorations, certes, mais constatons : l'hyper-terrorisme a remplacé l'équilibre de la terreur ; l'hyper-capitalisme financier a pris la place de l'économie d'après guerre ; l'hyper-concurrence entre tous les salariés mine les équilibres sociaux.

Conséquence : des inégalités aggravées entre les continents et en leur sein. Plusieurs pays d'Afrique sont moribonds, poussant des dizaines de milliers de femmes et d'hommes à nos portes sans que nous sachions les accueillir. Nous avons tous à l'esprit les images de ces hommes agrippés aux frontières de l'Europe. A l'échelle de la planète, 800 millions de personnes qui ont faim. Et a l'autre extrémité, 5 %, la plupart aux Etats-Unis, contrôlant la quasi-totalité de la fortune boursière mondiale.

L'autre déséquilibre majeur, c'est le péril écologique. Si nous continuons de discourir sans vraiment agir sur le réchauffement climatique, les cyclones du type Katrina se multiplieront, les pénuries d'eau assècheront le Moyen-Orient, certaines régions françaises deviendront elle-mêmes des terres mortes. Dans les vingt ans qui viennent, l'humanité joue sa survie : nous devons changer cette réalité historique, sinon comment parler d'espoir ?

Il faudra enfin apporter des changements de fond à notre système économico-financier. Tout simplement parce qu'il marche sur la tête. Familial et territorial, le capitalisme est devenu financier et mondial. La norme est d'exiger désormais d'un investissement 15 % de rentabilité par an, 2 à 8 fois la progression réelle de l'économie. Ce n'est pas possible sans ponctionner les salaires et fragiliser les systèmes sociaux. Créer des richesses, développer les entreprises, renforcer la formation, l'innovation et la recherche : là est l'avenir, là est l'espoir ; or, partout la rente financière l'emporte sur la préparation du futur. Cette situation n'est pas tenable.

L'Europe en panne

Face à ces déséquilibres, nous avons toujours considéré qu'une des principales réponses s'appelait l'Europe. Son élargissement était nécessaire ; mais faute d'approfondissement préalable, dans une Union aux Etats toujours plus nombreux, la capacité d'initiative européenne s'est réduite et le risque de dilution grandit. La concurrence devient le sésame suprême, la solidarité reste insuffisante à l'intérieur et à l'extérieur. « Renoncez à vos acquis, entend-on, sinon nous délocaliserons, nous renoncerons à votre pays, à votre continent, à vos métiers, à vos usines. La mondialisation libérale n'attend pas ! ». Pour nos enfants nous ne voulons pas de cet avenir en marche arrière.

La France en crise.

Le dernier changement concerne encore plus directement la France, en métropole et outre-mer. En 2007, la droite laissera comme bilan une croissance molle, un chômage élevé, des dettes massives, une solidarité minimale, une sécurité défaillante et une société déchirée. La longue présidence Chirac apparaîtra pour ce qu'elle est : privilèges et temps perdu. Le défi à relever par nous sera celui d'un pays en panne, qui ne croit plus assez en lui-même, et auquel il faut rendre espoir.

Les quartiers déchirés

Dans ce contexte, la crise des quartiers est bien la rencontre entre « une poudrière et une étincelle ». La poudrière, c'est à la fois le mal emploi, le mal logement, le mal savoir dans notre société coupée en deux France. C'est une crise du manque d'espoir.

Nordine et Mohamed, Samia et Dounia sont des prénoms français et ceux qui les portent, aussi. Ils aiment la France, ils demandent qu'elle les aime en retour et qu'elle leur permette un futur ! Rien n'excuse les incendies d'écoles ou de voitures ; la République, ce sont des droits et des devoirs ; et la loi doit être respectée par tous. Mais quelle humiliation de devoir truquer son CV, mentir sur son prénom et son adresse, pour essayer d'arracher un stage ! Quel échec, dans lequel nous avons une part, que 20 ou 40 ans après la venue en France de leur famille, on continue de parler de jeunes « issus de l'immigration », alors qu'ils sont tout simplement issus de la Nation. Rien n'est possible sans sécurité, mais rien n'est possible sans justice.

L'étincelle, ce sont les régressions décidées par le Gouvernement : emplois jeunes, police de proximité, crédits aux associations, supprimés parce que portant la marque de la gauche.

A quoi s'ajoutent les provocations du Ministre de l'Intérieur, ce singulier ministre de l'ordre qui porte avec lui le désordre. Sa devise tient en 2 mots : le karcher et le charter. Est-ce ainsi qu'on reconstruira l'espoir ? Et il voudrait diriger le pays sur ces bases, oubliant que, pour présider la République, il faut d'abord se présider soi-même ! La France a besoin d'unité et d'espérance, pas de division. Nous ne laisserons pas le libéralisme et le communautarisme l'emporter sur la République.

Le grand choix : libéral communautarisme contre socialisme républicain.

Car là est le grand débat, le grand combat et le grand choix. La droite prétend que l'Etat est le problème, le libéralisme la solution, et les communautés l'ultime refuge. Elle démantèle l'Etat social et l'aménagement du territoire, elle supprime la notion même de « plan », elle fragilise les protections publiques et les collectivités locales, elle cultive les solidarités ethniques ou religieuses tout en dénonçant les immigrés - alors que leurs aînés ont donné leur vie pour la France et qu'eux-mêmes donnent à notre pays toute leur force de travail. C'est cela le libéral-communautarisme. Il n'est pas question de le laisser triompher en France. Nous devons réaffirmer le rôle et l'autorité de l'Etat, un Etat qui ne craint pas la réforme, un Etat qui dispose des moyens financiers lui permettant vraiment d'agir, un Etat efficace et juste, laïque et républicain.

A la tribune du dernier Congrès de Dijon, j'avais appelé notre Parti et François Hollande, à choisir clairement la laïcité et à soutenir les enseignants dans leur combat quotidien pour l'esprit critique. Pour nous qui voulons l'égalité en actes, la loi sur les signes religieux à l'école, c'était un premier pas. Car la laïcité, ce n'est pas un combat du passé : c'est une des grandes clés du futur. De retour aux responsabilités, il nous faudra adopter une charte réaffirmant les principes laïcs dans la totalité des services publics ; pour les jeunes, garçons et filles, il nous faudra organiser un service civil, non pas gadget, mais obligatoire de six mois où l'on réapprendra la République, l'intérêt général et l'ouverture à l'autre. Lutter beaucoup plus efficacement qu'aujoud'hui contre les discriminations et le racisme qui démolissent le vivre ensemble, agir pour la mixité et pour la parité, nous mobiliser pour tous les jeunes, quels que soient leur quartier, la couleur de leur peau ou la religion de leurs parents. La solution, ce ne peut pas être un retour en arrière vers l'apprentissage à 14 ans - et pourquoi pas à 12 ? - mais la promotion sociale, la formation durable, un vrai emploi. Et nous-mêmes, quand viendra le moment des candidatures politiques, nous devrons donner l'exemple : il est grand temps que l'hémicycle de l'Assemblée nationale exprime enfin la diversité actuelle et future de la France. Nous devons faire de la laïcité et de l'égalité en actes une des valeurs fondamentales de notre socialisme.

Des priorités et des propositions pour un vrai changement.

Au plan intérieur, nos priorités d'action sont claires et de nature à redonner l'espoir : l'emploi ; l'éducation ; le logement ; les protections. Nos propositions précises pour demain s'appellent : revalorisation des bas et moyens salaires, conférence salariale et sociale, sécurisation des parcours professionnels, moyens accrus dans les ZEP, nouveau plan pour les Universités, soutien massif à la recherche, défense des services publics et pleine propriété publique d'EDF, réforme de la fiscalité, développement social-écologique, authentique démocratie institutionnelle, sociale et culturelle. Nous en sommes encore très loin. Quant au logement, c'est l'élu d'une ville comptant 72 % de logements sociaux qui vous parle, il nous faudra construire plus de 100 000 logements sociaux par an et prendre des sanctions réelles contre les villes qui continueront de refuser la mixité sociale. C'est tout cela, notre projet socialiste de vrai changement.

Il faut, chers camarades, que les Français sachent qu'avec les socialistes et la gauche aux responsabilités, ça changera. Les maires qui se gargarisent de ne pas accueillir de logements sociaux, ça changera ! Les entreprises qui recourent sans limites aux contrats précaires, ça changera ! Les services publics qui ferment par dizaines dans les quartiers populaires ou dans les campagnes, ça changera ! Avec les socialistes, oui ça changera. Depuis Le Mans, ce doit être un de nos messages à la France.

Au plan européen, nous devons nous mobiliser pour une Europe qui, de nouveau, avance. C'est l'appel que des millions de femmes et d'hommes de gauche ont lancé le 29 mai 2005 dans la diversité de leur vote : oui à une Europe différente, non à sa dérive libérale ! Plutôt que de nous diviser sur le chemin, ce qui compte, ce sont les objectifs, et ceux-là peuvent nous rassembler : pas de directives anti-sociales mais une directive services publics ; préparation d'une constitution courte, lisible, centrée sur les institutions et les valeurs ; réorientation économique, sociale et monétaire de la zone euro vers la croissance et vers l'emploi ; traité social ; nouvelle politique commerciale de l'Union avec notamment un tarif extérieur commun pour que l'essor de la Chine, de l'Inde et d'autres ne signifie pas la précarisation du Nord ; initiatives fortes avec nos partenaires proches, dans les domaines de la recherche, de la technologie, de l'énergie, de la défense. L'Europe que nous voulons ne rime pas avec la mondialisation libérale, elle préfigure un autre monde.

A l'échelle mondiale précisément, parce que nous sommes internationalistes, nous voulons façonner le futur sur cette base. Interdiction du travail forcé, promotion des normes sociales et environnementales, augmentation réelle de l'aide au développement, démocratisation des instances onusiennes face à l'unilatéralisme américain. Sur tel ou tel point, nous aurons des débats. Une chose est certaine : nous ne dissiperons le scepticisme que si nous proposons un projet porteur d'espoirs concrets pour les Français et pour la France. Oui, l'Etat peut beaucoup. Non, le marché ne peut pas tout. Notre pays a des atouts formidables. Nous ne nous appelons pas le parti fataliste, nous sommes le parti socialiste.

Chers camarades,

Rassembler pour gagner, et gagner pour changer : voilà la feuille de route de notre espérance. Nous sommes le Parti socialiste, pas le parti fataliste. Le socialisme, c'est la force de celles et ceux qui ne se résignent pas. Condorcet, Schoelcher, Jean Moulin ne se sont jamais résignés. Jaurès, Mendès, Mitterrand ne se sont jamais résignés. Et Blum le juste disait : « Quand l'espoir hésite, il faut penser à l'humanité ». Alors, retrouvons-nous ! Rassemblons la gauche ! Ecoutons notre société qui veut à nouveau espérer ! Développons notre projet ! Pensons à l'humanité ! Et préparons-nous : car demain nous aurons à changer la France.


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