Faire l'Europe du premier cercle

Jean Glavany
Point de vue signé par Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, paru dans le quotidien Libération daté du 28 septembre 2004


 
Le débat sur le traité constitutionnel européen qui anime depuis quelques semaines le Parti socialiste est-il « crucial» , comme l'indique Lionel Jospin. Je n'en suis pas autant convaincu que lui, mais au moins nous retrouverons-nous pour en vanter les mérites et l'exemplarité : Ah ! ils ont belle allure, Raffarin et Sarkozy, de railler notre débat et nos prétendues divisions ! Quel autre grand parti démocratique organise en son sein un tel débat, public et transparent, dans un exercice de démocratie interne qui vaut engagement collectif à respecter et même incarner la pluralité de la société française ? A l'heure où le refrain à la mode relève de la rhétorique antiparti primaire, je suis fier de voir mon parti se comporter de la sorte et se différencier aussi dans la forme de l'UMP virtuelle...

Pour autant, pour réussir cet exercice, je voudrais en relativiser la portée : après tout, quand tant de commentateurs accentuent à foison la pseudo-division des socialistes, serait-ce un sacrilège que de rappeler que tout ce qui nous réunit sur l'Europe est infiniment plus conséquent que ce qui nous sépare ? Résumons :

D'abord nous sommes tous des proeuropéens convaincus. Il n'y a pas de souverainiste au Parti socialiste. C'est même chez les partisans du non depuis le début que j'ai trouvé la signature du livre le plus fédéraliste de ces vingt dernières années (Plaidoyer pour l'Europe, Henri Emmanuelli, Flammarion, 1992). L'engagement proeuropéen fait partie de nos gênes politiques, de Jaurès à Mitterrand en passant par Léon Blum, comme le rappelle utilement Lionel Jospin. Dire cela, c'est faire litière de la théorie selon laquelle le débat actuel opposerait, au PS, pro- et antieuropéens : ça n'a pas de sens et, répondant à un autre ancien Premier ministre, je dirais que tous les positionnements d'aujourd'hui sont éminemment respectables. Tous.

Au-delà de cet engagement collectif, nous sommes aussi réunis pour définir collectivement l'Europe que nous voulons : aurait-on oublié cette « Europe sociale » adoptée unanimement et proposée aux Français il y a quelques mois et qui nous valut un de nos plus beaux succès électoraux ? Europe cohésion, pour reprendre la belle formule de Zapatero, Europe sociale et, surtout, Europe de l'harmonisation fiscale pour lutter, notamment, contre les délocalisations : réunis par notre histoire, nous le sommes aussi dans l'Europe que nous voulons construire.

Nous le sommes tout autant dans le jugement que nous portons sur l'Europe que traduit ce traité et qui est encore loin de l'idéal que nous recherchons. Ce compromis, malgré quelques avancées, est globalement décevant.

Nous le sommes, enfin, dans le jugement sévère que nous portons sur le rôle ­ passif ­ et l'efficacité ­ mineure ­ de l'exécutif français dans cette négociation : mais, comme toujours avec Chirac, il est difficile de savoir si cette partie perdue devant les adversaires de l'Europe cohésion est due à une absence de conviction véritable ou à une incapacité majeure à mettre ses actes en accord avec ses paroles...

Tant de choses unissent les socialistes sur l'Europe que, dans un premier temps, on pourrait résumer la question qui nous divise comme suit : pour combler, demain, le fossé qui sépare le traité qui nous est proposé de l'Europe que nous voulons, faut-il commencer par refuser ou accepter ledit traité avant de se remettre au travail de conviction ? Avouons alors que ce serait une appréciation purement tactique qui devrait nous décider, et ne mérite pas qu'on se déchire en se jetant de grands principes à la figure.

Pourtant l'énoncé même de cette question poserait encore problème : qu'on ratifie le traité ou pas, sommes-nous capables de dire, nous, socialistes français, « faisons-le... pour améliorer le traité » ? Dire cela serait tromper les Français, car je pense, profondément, que, traité ratifié ou pas, de toute façon, on ne l'améliorera pas ! On ne comblera pas le fossé entre l'idéal, l'Europe cohésion, et le réel. En tout cas, pas à 25 ou à 30.

Ma conviction, en effet, partagée je le pense par ceux qui, tout en se passionnant pour la construction européenne, gardent la distance et l'objectivité nécessaires au jugement lucide, est que cette Europe à 25 est désormais figée dans son contenu et ses politiques pour longtemps.

La faute à qui ? A ces responsables politiques européens ­ encore un « succès » de M. Chirac ­ qui n'ont pas voulu voir que l'approfondissement devait précéder l'élargissement ; la faute à ces libéraux qui ne veulent pas de l'Europe cohésion, et qui, après avoir refusé de faire l'euro ou Schengen, ont refusé que le traité s'engage plus loin ; la faute à cette satanée règle de l'unanimité qui, désormais, apparaît comme un verrou. La faute, si je voulais être provocateur, à ceux qui ont laissé le Royaume-Uni entrer dans l'Europe il y a trente-deux ans...

Et si l'on partage ce jugement, ce que, je le pense sincèrement, tous les socialistes peuvent faire, qu'ils s'apprêtent à voter oui ou non, alors la question qui se pose à nous s'énonce en des termes nouveaux : comment, concrètement, avec qui et quand allons-nous, au sein de cette Europe à 25 figée durablement, construire le «premier cercle» de l'Europe cohésion ?

C'est la seule question qui compte aujourd'hui.

Auquel cas, la question qui nous est posée peut s'énoncer en des termes encore plus précis : pour construire, demain, l'Europe cohésion à 8, 10 ou 12, faut-il commencer par accepter ou refuser le traité à 25 qui, de toute façon, ne permettra pas d'avancer plus avant ?

Nos partenaires décidés à construire l'Europe cohésion avec nous se mettront-ils plus vite et plus ardemment au travail avec nous pour construire ce premier cercle selon que l'on aura accepté ou refusé le traité à 25 ?

Reconnaissons encore une fois que cela relativise la portée du oui ou du non...

Le « comment » est assez simple à définir : c'est le contenu de l'Europe cohésion que j'évoquais plus haut.

Le « avec qui » est plus difficile à aborder. D'abord parce qu'il faut bien convaincre nos militants et nos concitoyens que l'Europe concrète ne se fait pas entre Français... et encore moins entre socialistes français ! L'Europe est toujours le fruit de compromis. Ne trichons pas avec cette culture-là. Ensuite parce qu'au sein du Parti socialiste européen tout le monde n'est pas acquis à la cause de l'Europe cohésion. Enfin parce que des forces conservatrices, paradoxalement, peuvent nous rejoindre. N'insultons donc pas l'avenir.

L'important, me semble-t-il, est de dépasser la division des socialistes sur l'appréciation à porter sur ce traité, et de nous réunir sur l'étape suivante, celle qui nous permettra, dans le réel, de nous rapprocher de notre idéal.
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