La formation professionnelle comme droit de tirage social pour tous les actifs, garanti par un régime d'assurance formation

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000
présentée par Jean-François Noël, Gwenegan Bui, Gaétan Gorce, Anne Hidalgo, Régis Juanico, Jangui Lecarpentier, Gérard Lindeperg, Marie-Laure Meyer, Jean-François Nallet.


 

" la formation aujourd'hui, c'est la Sécu de 1945 "
Cette formule, qui résume au fond notre propos,
est empruntée à un syndicaliste, auditionné par Gérard Lindeperg
dans le cadre de son rapport au Premier ministre
Les acteurs de la formation professionnelle : pour une nouvelle donne
(septembre 1999)


Cette contribution s’inscrit dans le dans le prolongement direct de l’orientation arrêtée par le Parti lors de la Convention Nationale sur l’entreprise en novembre 1998 : refonder le système de la formation professionnelle continue sur le principe de l’assurance formation. Elle décrit les contours et jette les bases d’un projet politique, pour une réforme de gauche de la formation professionnelle.

L’enjeu : couvrir le risque social que représente l’absence ou la perte d’une qualification.

Le " livre blanc " de Nicole Péry (mars 1998) comme le rapport d’André Gauron pour le Conseil d’Analyse Économique (janvier 2000) sur la formation professionnelle, démontrent que l'objectif du retour au plein emploi ne pourra être atteint que si :

 l'élévation du niveau général de qualification des actifs est une priorité nationale, soutenue par les moyens correspondants,

 chaque actif dispose d'une qualification professionnelle correspondant à un besoin sur le marché du travail - et que l’on attaque le noyau du chômage d’exclusion.

Il en va à la fois de la performance de notre économie - laquelle repose et reposera de plus en plus sur la compétence des femmes et des hommes - et de la cohésion sociale :

Dans un marché du travail soumis à des mutations qualitatives très rapides des emplois et de leur localisation (en termes géographiques mais surtout de secteurs d'activités), le fait de ne pas - ou ne plus - être titulaire d'une qualification ayant une valeur d'usage et une valeur d'échange sur le marché du travail est un risque social majeur.

Il est temps que les socialistes se donnent l’ambition politique de couvrir ce risque en faisant de la formation professionnelle une (des) garantie(s) sociale(s) offerte(s) à tous les actifs.


De Boissonnat à Supiot, les analyses ne manquent pas qui montrent que la couverture de ce risque serait la pierre angulaire d'un statut professionnel renouvelé des actifs.

Cette garantie sociale nouvelle est à inscrire au titre des conditions concrètes d’un plein emploi qui, non seulement, ne soit pas synonyme de précarité mais qui, au contraire, repose sur un droit à la mobilité professionnelle. Mieux encore, elle peut être l’un des outils majeurs de la remise en marche de l’ascenseur social.

Le droit à la qualification professionnelle :
du formel au réel

Depuis la loi du 4 juillet 1990, le code du travail reconnaît à chacun/ne le droit d'acquérir, par la voie de la formation, une qualification professionnelle reconnue :
 "Tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s'y engage a droit à la qualification professionnelle et doit pouvoir suivre, à son initiative, une formation lui permettant, quel que soit son statut, d'acquérir une qualification correspondant aux besoins de l'économie prévisibles à court ou moyen terme :
 soit entrant dans le champ d'application de l'article 8 de la loi n071-577 du 16 juillet 1971 d'orientation sur l'enseignement technique,
 soit reconnue dans les classifications d'une convention collective nationale de branche,
 soit figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l'emploi d'une branche professionnelle. "
(article L 900-3 du code du travail)
10 ans après cette avancée du droit positif, qui accompagna la mise en place du " crédit formation individualisé ", les socialistes prennent la mesure de la distance entre cette reconnaissance formelle et la réalité du fonctionnement du système de formation professionnelle des adultes :

Plus de 5 millions de jeunes (sortis du système scolaire) d'adultes, dont près de 4 millions de salariés ayant un emploi, accèdent chaque année à la formation professionnelle continue. Mais, parmi eux, seuls 65 à 70.000 bénéficient d'une formation à visée qualifiante, par les deux bouts du système : d’un côté, on compte 25.000 bénéficiaires du " congé individuel de formation " ; de l’autre, 40.000 à 45.000 demandeurs d'emploi accèdent à une qualification via l'Afpa. Avec une durée moyenne de l'ordre de 50 heures par an, la formation continue des salariés reste d'abord un moyen d'adaptation courte des compétences des salariés.

C'est la résorption de cette distance qui doit être l'objectif central d'une réforme de la formation professionnelle conduite par la gauche.

Il s'agit pour cela :
 de faire qu’un droit formel devienne réellement accessible à tous les actifs,
 et de réorienter le dispositif pour donner la priorité à l'objectif de qualification.


La formation :
un droit de tirage social

Les adaptations successives dont a fait l'objet le dispositif issu de l'accord interprofessionnel de 1970 et de la loi de juillet 1971 n'ont pas permis de concrétiser le droit reconnu par l'article L 900-3. Ces réformes ont cherché à prendre en compte, souvent avec retard et toujours de façon partielle, les évolutions du travail et de l'emploi. Elles ont porté des intentions positives (ex : dépasser la coupure " plan/congé " par le Capital Temps de Formation). Elles n'ont pas été sans effets concrets (ex : le CIF-CDD). Mais elles ont abouti à une fragmentation du dispositif en une multiplicité de sous-systèmes construits chacun autour d'une finalité, d'un public, de financements et de conditions d'accès spécifiques.

Et elles n'ont permis ni de réduire les anciennes inégalités (en fonction du sexe et du niveau de qualification) au sein du salariat ni de faire face au développement de la précarité et au déplacement de l'emploi vers le tertiaire et les PME. Le résultat est connu, mais il est toujours nécessaire de le rappeler : la formation bénéficie le moins à ceux qui ont le plus besoin d’une sécurité sur le marché du travail.

Pour remettre les choses dans le bon sens, il faut mettre en place une " couverture formation universelle " des actifs, chacun disposant d’un droit de tirage social sur des prestations
   d'information
   d'orientation professionnelle,
   de formation,
   de certification et de validation des acquis.

Afin que ne reproduisent ou ne creusent les inégalités sociales, le volume de base des droits de tirage est majoré
 de façon structurelle de façon inversement proportionnelle au niveau de qualification,
 en cas de perte d’emploi s’accompagnant d’une nécessité de reconversion professionnelle.

C’est à ce droit de tirage social qu’il convient de permettre l’accès par un régime d’assurance formation.

Un régime d'assurance formation

L’unification dans un seul dispositif de droits multiples et éclatés (capital temps de formation, CIF et CIF-CDD, conventions de conversion, AFR et régime public de formation des demandeurs d’emploi), permettrait aux actifs de réaliser un parcours de (re)qualification, sans que ce parcours ne suppose - comme c’est le cas aujourd’hui - d’avoir préalablement acquis une situation stable ou d’être renégocié à chaque changement de situation professionnelle.

Les principes d'un régime d'assurance formation sont ceux qui ont été formulés par Nicole Péry dans la piste qu'elle a ouverte à l'issue de son " Livre blanc " en terme de " droit individuel nouveau, transférable et garanti collectivement "

 un droit individuel : il est attaché à la personne et non à une situation donnée dans une vie professionnelle. C'est la personne qui fait valoir son droit.

 un droit transférable dans le cadre d’une mobilité professionnelle - quelle soit entièrement subie ou plus ou moins choisie - d'une entreprise à une autre, d'une branche à une autre, mais aussi de l'emploi au chômage et du chômage à l'emploi.

 un droit garanti collectivement : l' assurance formation repose sur la mutualisation et la répartition, non sur la capitalisation (même si l'on peut envisager un " étage complémentaire " faisant appel à la capitalisation).

Ce dernier point est capital pour les socialistes face aux propositions libérales sur le sujet :nous devons proposer un système fondé sur la mutualisation car c’est le seul qui puisse être porteur d’une réduction des inégalités.

Le financement et la gestion
de l'assurance formation

Le financement de l'assurance formation

Le financement de l'assurance formation est réalisé par :
 l'affectation d'une part de l'obligation légale de financement de la formation des entreprises (en premier lieu le 0,2 % de la masse salariale affecté au CIF et au capital temps de formation, et une part au moins équivalente du 0,9 % " plan de formation ")

Question subsidiaire : Il conviendra de décider si cette obligation conserve son statut actuel (défiscalisation) ou devient une cotisation sociale.

 des abondements par l’UNEDIC, I'État et les Régions.

L'abondement de I'État pourrait être financé par un redéploiement des crédits consacrés aux préretraites, et éventuellement aux aides à l'emploi (l'ampleur des allègements de cotisation sur les bas salaires posant le problème de l'efficacité des dispositifs de types CIE par exemple).

Ce financement prend en charge :
 le coût des prestations,
 tout ou partie des salaires lorsque le bénéficiaire est salarié.

(Lorsque le bénéficiaire est demandeur d'emploi sa rémunération est assurée dans le régime de droit dans lequel il s'inscrit).

Financements complémentaires

Ce financement peut être complété par
 des financements supplémentaires décidés dans le cadre de la négociation collective (de branche, d'entreprise ou de territoire),
 des apports personnels, par exemple du temps épargné dans un Compte Epargne Temps.

De plus, lorsque le bénéficiaire est salarié, le recours au co-investissement est possible.

La gestion de l'assurance formation

De par les finalités qui lui sont assignées, un régime d’assurance formation ne peut être fondé que sur une base interprofessionnelle.

Pour la gestion du dispositif, deux options se présentent :

 Soit cette gestion est déléguée par la Loi aux partenaires sociaux dans le cadre d’un conventionnement avec l’État.

 Soit elle est assurée conjointement par l’État, les partenaires sociaux et les régions dans le cadre d’une structure de type GIP.

 

L’obligation générale d’adaptation

L’ouverture aux individus d’un droit de tirage social dans le domaine de la formation ne doit pas s’accompagner d’une régression sociale et économique par une remise en cause des acquis fondamentaux de la loi de 1971 :
 la reconnaissance d’un lien juridique entre la formation et le contrat de travail,
 l’implication des entreprises dans la formation des salariés.

C’est pourquoi, un régime d’assurance formation ne peut se concevoir sans que, parallèlement, l’obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi ne soit formalisée.

Cette obligation a d’abord fait l’objet d’une construction jurisprudentielle par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation. Nous lui avons donné un statut légal à travers la 2ème loi RTT. Si nous en restons là, cette nouvelle disposition de principe risque de rester au seul stade du droit purement formel. A contrario, le fait d’en préciser le contenu et les conditions de mise en œuvre permettrait de dépasser le débat sur l’obligation légale de participer au financement de la formation, et donnerait un contour et un contenu minimal à la notion de " plan de formation " - qui n’est formalisée dans aucun texte depuis 1970 alors qu’elle occupe une place centrale dans le dispositif.

Cette obligation légale devrait prendre corps à deux niveaux :

 comme clause du contrat de travail, (ce que préconisait déjà le rapport de la commission Boissonnat et que reprend André Gauron dans son rapport pour le Conseil d’Analyse Économique),

 comme objet de négociation collective (ce que prévoit, au niveau des branches, le projet de loi de modernisation sociale).

– Signataires –
Jean-François NOEL, délégué national à la formation professionnelle
Gwenegan BUI, président du MJS
Gaétan GORCE, député de la Nièvre, responsable national
Anne HIDALGO, Paris
Régis JUANICO, conseil national
Jangui LECARPENTIER, Calvados
Gérard LINDEPERG, député de la Loire
Marie-Laure MEYER, Hauts-de-Seine
Jean-François NALLET, Gironde, bureau de la commission nationale Entreprises


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