Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Sorbonne- 26 octobre 2002



Les signataires de l'appel " Pour un nouveau Parti Socialiste " organisaient la première journée de débat et d'échanges.

Discours de Benoît Hamon, ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS)
 
Chers camarades,

Pour ma part j'ai rejoint cette initiative dans les jours qui ont suivi la publication de la tribune. Je l'ai rejoint naturellement, accompagné de l'ensemble d'un groupe politique et militant dans le parti, Nouvelle Gauche.

Nous l'avons rejoint sans doute un peu comme vous, pas par évidence, mais comme par besoin, besoin de dialogue, besoin de se débarrasser de ces certitudes encombrantes qui nous empêchent de penser, besoin aussi de débattre au fond pour sortir des postures et rechercher des réponses collectivement.

Alors autour de nous, certains chuchotent déjà ou s'interrogent à haute voix sur cette initiative un peu hérétique partie de gens si différents qui voudraient aujourd'hui construire un nouveau parti socialiste.

Qu'est ce qui peut bien donc réunir des militants comme nous, aux trajectoires, aux cultures politiques, aux histoires, aux fidélités à certains égards si différentes ? Qu'est ce qui réunit des militants de la majorité comme de la minorité de notre dernier congrès à Grenoble ?

Ce qui nous rassemble d'abord, c'est la portée que nous donnons au séisme du 1er tour des élections présidentielles.

La conscience d'un séisme

Le 21 avril ne clôt pas un chapitre comme un autre de l'histoire du mouvement socialiste en France. Il anéantit toutes nos certitudes. Il y a deux manières de réagir après une telle punition.

La première attitude, c'est de se regarder tous en chiens de faïence, de commencer une petite relecture personnelle de l'histoire qui a conduit à ce séisme. Une relecture qui absout et rejette la responsabilité sur les autres, l'autre, l'électeur ingrat, l'autre le salarié obtus, l'autre, le jeune inconséquent, l'autre le communicant déconnecté des réalités.

L'avantage de ce scénario c'est qu'en excluant le principe même de notre responsabilité collective et surtout politique, on peut continuer comme avant, reprendre petits arrangements et calculs, continuer à faire de la politique entre soi, confortablement, et se dire que tôt ou tard la roue tourne et le destin sera plus souriant.

La seconde attitude est celle que nous avons choisie. Elle est moins pratique, moins facile, plus exigeante mais nous pensons qu'elle est la seule voie possible pour renouer avec l'espérance.

Le 21 avril nous a brisés. Il nous laisse engourdis, meurtris, malmenés par une multitude de questions qui interrogent souvent le sens même de notre engagement militant.

Plutôt que de refouler, de dissimuler nos doutes nous avons choisi de nous parler. Nous avons choisi au sein de notre parti la voie d'un dialogue sans exclusive, sans épouvantails et sans a priori :

 se parler pour comprendre d'abord,
 se parler pour rechercher des réponses ensuite,
 se parler enfin pour réagir et reconstruire.

Et ce qui nous a rassemblés immédiatement, ce qui nous a semblé tellement évident, au-delà de la gravité de la situation dont nous héritons, c'est ce sentiment partagé d'une immense responsabilité vis à vis de l'avenir, celle d'éviter qu'après la droite dure, le balancier, plutôt que de revenir vers la gauche, prolonge sa route encore davantage vers l'extrême droite.

Le paradoxe, c'est qu'à côté de la conscience de cette menace, demeure de la campagne présidentielle et législative un malaise tenace, un sentiment désagréable d'impuissance devant la situation.

La conscience
d'une libéralisation profonde
de la société

Le pire état que puisse connaître un militant de gauche, c'est le sentiment d'impuissance.

Que l'on soit parfois accablé par la réalité de la société telle que nous la vivons, par la reproduction des inégalités, c'est assez habituel mais ce qui l'est moins c'est que nous ayons pensé à un moment qu'il était peut être, finalement vain, de pouvoir la changer.

Reconnaissons que lors des derniers mois, singulièrement durant la campagne, la confrontation avec nos concitoyens a été de ce point de vue douloureuse.

Douloureuse, pas tant parce que intuitivement, on sentait que le fossé entre la gauche et son électorat naturel, notamment les classes populaires, s'était creusé. Nous étions rarement rejetés, mais le mal était pire, nous n'intéressions pas. Notre discours suscitait davantage d'indifférence que de rejet.

Dans cette donnée de la campagne se noue une réalité bien plus menaçante pour nous, la gauche, mais aussi pour la société toute entière : l'individualisation très nette des comportements.

Que l'on parle de la CMU, des 35h ou des emplois jeunes, chacun ne jugeait notre bilan qu'à l'aune de ce qu'il y avait gagné ou perdu lui-même.

Et chacun ici a compris cette chose : parmi les plus modestes, parmi les plus pauvres, rares sont ceux qui pensent encore pouvoir s'en sortir grâce à l'action collective. Au contraire, ils ont accepté cette règle selon laquelle c'est la compétition au sein de leur propre milieu qui est la voie la plus efficace pour s'extraire d'une condition insupportable. Ils ont accepté le jeu de la concurrence avec celui qui dans l'immeuble, dans l'école, dans l'entreprise partage la même peine qu'eux.

Objectif : passer devant, éliminer pour grimper dans l'échelle sociale. Cette réalité là, est la plus tragique et la plus alarmante à la fois pour l'avenir de notre société. Elle signifie qu'à ce jour…. nous avons perdu la bataille des valeurs.

Elle signifie qu'à ce stade ce sont les valeurs libérales et donc celles de la droite qui pénètrent et vertèbrent le tissu social.

Ce constat nous donne la mesure exacte de la libéralisation en profondeur de la société française. Malgré, un niveau sans équivalent de service public et de protection sociale, malgré un attachement des citoyens à l'intervention publique qui reste fort, malgré 5 ans de réformes sociales sous l'impulsion de Lionel Jospin, jamais nous n'avions atteint ce niveau d'individualisme et de consumérisme.

Des paroles de combat face à la droite

Quelle attitude cela doit-il nous inspirer ?

Évidemment pas celle de ceux qui constatant cette réalité, disent : la France est ainsi !, prenons là telle qu'elle, les couches populaires ne votent plus, recentrons notre projet sur les classes moyennes et supérieures, après tout,c'est auprès d'eux que se jouent nos prochaines victoires électorales.

Davantage que de la résignation, cette option stratégique relèguerait les couches populaires au rang de population éternellement assistée et les confinerait dans une sorte de citoyenneté de seconde zone inacceptable.

Nous n'aimons pas davantage la position qui consiste à dresser artificiellement les couches populaires contre les classes moyennes, les détournant de ce qui doit être la mobilisation nécessaire de tout le salariat au service d'un objectif politique majeur et prioritaire : le rééquilibrage de la répartition des richesses entre le capital et le travail.

Nous, nous croyons que cette situation appelle une réponse globale et culturelle. C'est à dire une modification, une inversion de la hiérarchie des valeurs qui irrigue la société française pour cesser de nous positionner selon une norme sociale et culturelle inspirée par la droite et sa vision du monde.

De ce point de vue la stratégie du gouvernement Raffarin est claire : dépolitiser partout le débat public pour accélérer la libéralisation de la société française. Il n'y a plus d'idéologie il n'y a que de problèmes en face desquels le bon sens doit permettre de trouver des solutions.

Il n'y a plus de dominants et de dominés, il n'y que des méritants et des assistés.

La religion reine, c'est désormais le court terme et la proximité, cette proximité tarte à la crème qui encourage le consumérisme politique le féodalisme et derrière laquelle se dissimule tous les clientélismes.

Voilà la réalité culturelle et sociale dans notre pays. Voilà la stratégie de la droite.

Et bien cher(s) camardes, l'impératif maintenant, ça n'est pas de distribuer des bons points à Sarkozy, et au passage, moi je dis que ça me fait mal, en tant qu'élu de banlieue, d'entendre Sarkozy faire la leçon à tout le monde, nous servir son numéro sur la France des oubliés, lui le maire de Neuilly sur Seine qui s'amende chaque année de la pénalité légale pour ne pas dépasser les 2 % de logements sociaux de sa ville.

L'impératif, c'est de se différencier, c'est, sans ignorer les problèmes réels qui se posent, mener bataille sur nos valeurs et pas celles de la droite.

Et peu importe que l'opinion soit sensible à ces sirènes. La responsabilité du politique c'est aussi d'éduquer les consciences. Moi je n'ai pas envie d'abandonner à la droite, à la télévision et aux médias en général, cette mission essentielle.

Je ne peux pas m'empêcher de m'arrêter une seconde sur ce sujet. Pour prévenir immédiatement les mauvais procès : je ne crois pas que ce soit la télévision qui soit responsable de notre défaite.

Sa contribution ponctuelle à la dramatisation de questions d'insécurités pendant la campagne électorale (il y a eu 3 fois plus de sujets d'actualité liés à l'insécurité traités dans les journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3 entre septembre 2001 et septembre 2002) est une réalité démontrée.

Quoi qu'en disent les dirigeants de ces chaînes, Puisqu'ils ne jurent que par les outils qui mesurent l'audience d'une émission on peut penser que ces mêmes outils ne se trompent pas quand ils décryptent les partis pris rédactionnels des principaux journaux télévisés.

Il n'existe nul autre pays en Europe ou une chaîne détient 40% de parts de marché. Dans ce cas la concurrence, plutôt que de contribuer à garantir la pluralité des programmes, la diversité du traitement de l'information, cette concurrence là a tout uniformisé et tiré vers le bas le service public lui-même.

Le problème aujourd'hui, c'est que la télévision, devant laquelle la moyenne des français passe entre 2 et 3 heures quotidiennes, cette télévision véhicule tant dans son traitement de l'information que dans la nature des divertissements qu'elle propose, des valeurs des images, des représentations de la société qui valorise la compétition, vante la loi du plus fort, montre du doigt certaines populations et au bout du compte contribue chaque jour, à leur place, à la perte des repères et à l'individualisation des comportements.

Sur un sujet aussi éminemment politique, nous devrons demain, remettre en cause les seuils de participation au capital des chaînes privées. Il faudra briser ces situations de quasi-monopole, pas pour reprendre le contrôle de l'information, mais au contraire pour lui rendre sa liberté.

Pour nous différencier, il faut aussi nous battre contre l'entreprise de démantèlement de nos réformes sociales engagée par la droite. Car cette droite qui prétend lutter contre l'insécurité, défend une politique d'agression sociale. Il est insupportable d'entendre ce gouvernement se gargariser de lutter contre la violence quand il est lui-même l'inspirateur de violences légales dans l'entreprise, en supprimant les dispositions de la loi de modernisation sociale sur les licenciements boursiers ou en rétablissant les contingents d'heures supplémentaires pour annuler tous les effets positifs de la réduction du temps de travail.

Nous ne pouvons pas avoir de complaisance à l'égard de ce gouvernement là. Au premier chef sur les 35h.

Je ne veux pas accabler les députés socialistes. Mais on nous avait promis une mêlée homérique à l'Assemblée nationale pour défendre les 35h. L'œuvre d'Homère ne parle que d'épopées, de batailles épiques, d'engagements héroïques. Je sais pas où a soufflé le vent puissant qui devait ébranler la droite mais en tout cas pas assez fort pour empêcher Fillon de déclarer, content de sa bonne fortune, qu'il avait conclu les débats avec une journée d'avance sur le calendrier prévu et qu'il allait pouvoir s'accorder une journée de RTT…

Que devons nous revendiquer sur les 35h ?

On a pris appui sur un certain nombre de critiques qui existaient sur la mise en oeuvre des 35 heures et qui nous disaient que, bon an, mal an pour un certain nombre des salariés, cela ne s'était pas appliqué de la meilleure manière qui soit. Lesquels ? Les travailleurs modestes, les travailleurs les plus pauvres pour qui il fallait faire des heures supplémentaires et des heures supplémentaires pour avoir un revenu décent à la fin du mois.

Est-ce que la réponse à cela c'est assouplir les 35 heures pour rétablir les contingents d'heures supplémentaires tels qu'ils existaient auparavant ? Ce qui n'est pas normal, c'est qu'il faille réunir autant d'heures supplémentaires dans un mois pour avoir un revenu comme celui-là et un revenu décent. Ce sont donc les salaires et la politique salariale qu'il faut relancer et c'est bien une conférence des salaires que nous devons instituer de telle manière que demain, la rémunération du travail soit juste et corresponde réellement à l'effort fourni.

Les salaires, voilà le terrain sur lequel les couches populaires et moyennes nous attendent. Sur l'augmentation de la feuille de paie, sur la garantie d'une retraite digne, c'est à dire la juste rétribution de l'effort fourni. Et c'est comme ça en redonnant aux classes populaires la conviction que quand nous gouvernons ce sont eux que nous représentons d'abord. C'est une des vocations historiques de la gauche dont je revendique qu'elle reste un des combats les plus modernes qui soit.

Alors peut être plus tard, pourront-ils partager avec nous de nouvelles espérances.

Qu'est ce que c'est la gauche sans l'espérance ? Rien. Attrapons au passage un épisode furtif des débats du bureau national de notre parti sur l'élargissement de l'Union Européenne.

Le plus consternant dans cette affaire, c'est d'entendre certains responsables de notre parti confesser que l'élargissement dans les conditions actuelles c'est la promesse du chaos sur le vieux continent mais qu'il faut y aller quand même parce que le rapport de force ne nous est pas favorable et qu'il y a dans cette étape de la construction européenne le prolongement naturel d'une voie ouverte depuis plus de 40 ans.

Cela fait maintenant quinze ans que j'ai adhéré au parti, convaincu que l'Europe était le seul espace susceptible de proposer un modèle de développement alternatif au modèle anglo-saxon et libéral. Je n'ai pas changé d'avis. Mais je demande, nous devons exiger lors de ce congrès que le parti socialiste cesse de se comporter comme le valet docile d'un processus qui fait l'impasse sur toute forme de rapport de force au motif que les choses finiront par s'arranger un jour.

Où a t'on vu qu'une seule conquête démocratique ou sociale, je parle des vraies, de celles qui inversent la logique de l'ordre en place et pas de celles qui se contentent d'acheter provisoirement la paix sociale ou civile pour laisser quelques-uns uns prospérer en paix ?

Où a t'on vu qu'une seule de ces conquêtes qui rapprochent les citoyens de la maîtrise réelle et collective de leur destin, tombait du ciel, se réalisait sans rapport de force, sans que ça frotte, que ça grince, sans que ça fasse mal à certains ? Dans des songes de technos peut être pas, dans la réalité sociale.

Faut-il avoir oublié que l'espérance qui motive notre engagement à tous, cette espérance là, a besoin de la mise en mouvement de la société, a besoin de la mobilisation populaire, parce que le courant contre lequel nous marchons est puissant, sûr de sa force et de son dessein. L'Europe est une affaire trop vitale pour que les peuples la laissent aux apôtres du consensus à tout prix, aux promoteurs d'une vision uniformisée du monde, alignée sur les canons de la réussite sociale et économique, vantés outre atlantique.

Au moment où l'Europe est à la croisée des chemins, à quelques encablures d'un élargissement qui sonne comme une réconciliation historique, nous affirmons :

 pas par frilosité mais par volontarisme,
 pas par alignement sur l'opinion mais par conviction socialiste,

Qu'il ne saurait y avoir d'élargissement sans ratification préalable d'une constitution européenne ! Récusons ce procès inacceptable, insultant presque, qui nous accuse de refuser aux peuples de l'Est la solidarité.

Parce que le modèle de développement que nous voulons partager avec eux ne se limite pas à leur ouvrir nos marchés et à acheter demain dans la même monnaie, il faut franchir une nouvelle étape dans la conquête de nouveaux droits sociaux et démocratiques en Europe. C'est tout simplement ce que nous demandons.

Nous sommes donc tous ici, parce que le 21 avril a pour nous tout changé. Il nous impose de dépasser les mauvaises querelles. Il nous impose de trouver des solutions nouvelles, ensemble au-delà de nos histoires et trajectoires respectives.

Il nous impose de prendre toute la mesure de la bataille incertaine qui s'annonce et tout mettre en oeuvre pour éviter que demain, à la droite succède l'extrême droite parce que nous aurions abandonné le combat des valeurs.

Je conclurai sur cette métaphore bien connu de Sisyphe. Mais elle colle bien à notre aventure. Nous devons être des Sisyphe heureux.

L'aventure s'annonce belle, parce qu'elle juste. Alors bonne fortune et bonne aventure à tous.


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