L'échec du référendum ne serait pas un échec du pouvoir mais de la France

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 23 février 2005
Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin
 

L'Espagne a ratifié, dimanche 20 février, à une large majorité, le traité constitutionnel... mais 42 % des espagnols se sont abstenus...
77 % de " oui ", c'est d'abord un succès. Qu'est-ce qu'on aurait dit si le résultat avait été l'inverse ! Quant à l'abstention, on peut la juger trop forte. Elle peut avoir de multiples raisons. Défaut d'information sur la Constitution elle-même, ou désintérêt pour un scrutin gagné d'avance ? Si on y réfléchit bien, la majorité des " oui " par rapport aux inscrits obtenue en Europe est plus forte que celle obtenue par George Bush aux Etats-Unis. Conteste-t-on pour autant la nature de son élection ?

Quelle est pour vous la meilleure date pour le référendum ?
Je veux de la clarté, de la transparence et des règles. J'ai demandé à Jacques Chirac à être reçu après le Congrès pour lui demander de fixer enfin la date du référendum, afin de sortir des confidences des uns, des démentis des autres, des précipitations supposées, des calculs obscurs qui pourraient entacher l'enjeu même des élections. Je lui demanderai aussi que le financement de la campagne soit public, qu'un accès équitable aux médias soit respecté.

En 1992, lors du traité de Maastricht, on avait vu se dessiner une France du " oui " et une France du " non ", très différentes sociologiquement. Est-on dans la même situation aujourd'hui ?
Non. Le traité constitutionnel est différent de celui de Maastricht. En 1992, on créait l'euro et le franc disparaissait. Rétrospectivement, on peut comprendre les peurs et le résultat serré du référendum, mais on voit l'avantage qu'a représenté la monnaie unique. Le traité constitutionnel lui, ne présente que des avancées : il renforce la démocratie des institutions européennes, il donne un cadre juridique à la Charte des droits fondamentaux, et instaure une reconnaissance du service public dans le droit européen. C'est un texte qui correspond à un progrès pour les Européens, les mieux formés comme les moins qualifiés.

Vous n'êtes donc pas d'accord avec Michel Rocard, qui explique qu'il y a " une coupure entre une France moderne, jeune et dynamique, celle du " oui ", et une France en difficulté, celle du " non "" ?
Non. Laisser penser qu'il y aurait des catégories qui pourraient se détourner de l'Europe sous prétexte qu'elles sont victimes de la mondialisation, c'est induire que les plus modestes n'ont pas conscience que leur avenir passe par une Europe plus forte. C'est le calcul des démagogues et c'est le défi que doivent relever les Européens : convaincre la France en difficulté qu'elle n'a rien à gagner d'une Europe en crise.

Comment expliquez-vous que la gauche des pays voisins est plus euro-enthousiaste que la gauche française ?
Mais la gauche française est favorable au traité constitutionnel !

Le PS est divisé...
Ce n'est pas nouveau. On a oublié que Jean-Pierre Chevènement et ses amis avaient quitté le PS en juillet 1992 pour faire campagne pour le " non " à Maastricht. Par ailleurs, jamais les militants n'avaient été consultés, alors qu'aujourd'hui ils ont tranché à une large majorité pour le " oui ".

Une partie de la gauche reste cependant hostile au traité.
La gauche gouvernementale est pour, à l'exception du Parti communiste, et, jusqu'à nouvel ordre, c'est cette gauche-là qui aspire à l'alternance. Il y a même un progrès par rapport à Maastricht, puisqu'à l'époque, les Verts n'avaient pas donné de consigne de vote. Quant à la CGT, je rappelle qu'en 1992 elle avait appelé au rejet du traité, alors que cette fois elle s'est publiquement interrogée, ce qui marque une rupture par rapport à ses réflexes précédents. Il y a toujours une partie de la gauche française sous l'influence de l'extrême gauche qui est tentée par la rupture, comme pour se protéger des risques de l'exercice du pouvoir. Soyons francs : si le PS était encore au pouvoir, la question de son adhésion au traité n'aurait même pas été posée de la part de ceux qui la contestent aujourd'hui alors qu'ils ont exercé d'éminentes responsabilités.

Quand Laurent Fabius explique au Parisien, le jour du lancement de la campagne des socialistes, qu'il votera " non " ?
Sa position n'était pas une surprise. Mais son appel, ce jour-là, ne correspondait pas à l'obligation de discrétion à laquelle chacun s'était engagé lors du débat interne.

Vous dites à vos militants : attention, pour " sortir Chirac ", c'est dans deux ans. N'empêche que si le " non " l'emportait, alors que le président de la République, le premier ministre, les responsables de l'UMP et du PS sont pour le " oui ", la France serait confrontée à une crise politique.
Et au bénéfice de qui ? Des extrêmes, des anti-tout, dans une alliance des contraires. Et pour quelle issue ? Au mieux, le retour au traité de Nice. Au pire, le blocage et la paralysie de la construction européenne. Et avec qui renégocier ? Les mêmes qu'aujourd'hui, Jacques Chirac en tête. L'échec du référendum ne serait pas un échec du pouvoir, mais de la France. Il faut donc distinguer les enjeux. Croyez-vous que pour la gauche italienne la présence de Berlusconi au gouvernement ait été une raison de refuser le nouveau traité ?

Vous avez décidé de ne pas sanctionner les socialistes qui vont mener campagne pour le " non ".
Faux. Simplement, il y a des procédures. C'est aux fédérations de demander des comptes à ceux qui enfreignent la règle. Ce n'est pas moi, premier secrétaire, qui dit : celui-là, il est puni. Je l'affirme : il n'y aura qu'une campagne socialiste, celle du " oui ".

La présidentielle de 2007 devrait être l'occasion d'un tournant générationnel. Mais à gauche continue à planer l'ombre de Lionel Jospin, 67 ans, et à droite les proches de Jacques Chirac, 72 ans, n'écartent plus l'hypothèse d'un troisième mandat...
Les situations ne sont pas comparables. Jacques Chirac est président de la République depuis dix ans alors que Lionel Jospin est aujourd'hui un citoyen engagé qui a pris la décision que l'on sait. Ce n'est pas un changement de génération qui est attendu, mais un changement d'institutions et de comportements.

Vos adversaires au PS vous reprochent d'être déjà candidat. Vous n'êtes pas allé trop vite ?
Comme premier secrétaire, je me suis fixé comme obligation de ne pas évoquer l'élection présidentielle avant le moment où le PS aura à désigner son candidat. Je choisirai alors celui ou celle qui pourra nous faire gagner, sur la base de notre projet.

Mais vous l'avez déjà fait !
Non ! Jamais ! En revanche, je n'interdis à personne au Parti socialiste d'y songer dès à présent et même à s'y préparer, à condition de ne pas altérer le travail collectif et l'unité du parti. Les militants ne l'accepteraient pas. C'est d'ailleurs la meilleure des dissuasions.

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