Convention nationale " Nation-Europe "
 le 28 mars 1999


intervention de
  François Hollande



C


her(e)s Camarades,
Je vous suis d'abord très reconnaissant d'être venus nombreux pour ces deux jours de travaux de notre Convention, et d'avoir voté comme vous l'avez fait à l'instant, c'est-à-dire unanimement, pour le texte qui vous est présenté même s'il y a eu quelques abstentions, et j'en tiens compte.

Je sais que vous étiez également intéressés, certains passionnés, par la constitution de notre liste, et que cela a donné, à nos travaux d'hier, un peu de piment.

Je rends hommage à Alain BERGOUNIOUX, à Pervenche BERÈS, et à Pierre GUIDONI pour le travail excellent qu'ils ont mené en notre nom pour la préparation de la Convention et qui permet son succès d'aujourd'hui.

Je salue Lionel JOSPIN qui , comme d'habitude, est présent à nos travaux et qui, exceptionnellement, m'a laissé sa place, au moins pour ce débat.

Quelle Europe voulons-nous ?
Cette question nous est forcément posée au moment où nous entrons dans la campagne des élections européennes, mais elle prend une acuité particulière dans le contexte actuel, marqué par trois événements d'importance, dont je voudrais ici tirer les premiers enseignements.

Le premier c'est le conflit au Kosovo bien sûr. Pour la première fois depuis longtemps, l'Europe a pris ses responsabilités, politiques, en recherchant, à son initiative, une issue diplomatique à la crise, à travers les négociations de Rambouillet - dont Hubert VEDRINE a été l'un des acteurs principaux - qui auraient normalement dû aboutir à un accord permettant de rétablir la paix dans cette région.

Responsabilité politique encore, par la démonstration de sa capacité à dégager une solution d'équilibre, c'est-à-dire un statut d'autonomie pour le Kosovo, respectueux de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie.

L'Europe a également affirmé son unité en marquant sa détermination, y compris par le recours à la force, afin de faire prévaloir le retour à la diplomatie et d'empêcher une déflagration générale dans les Balkans.

Responsabilité politique enfin, qui consiste à dire aujourd'hui, comme l'a fait Romano PRODI, qu'il faut organiser au plus vite une conférence de la paix dans les Balkans une fois que la solution de force aura permis de le rendre possible.

Mais l'Europe a également, dans cette période, rencontré ses propres limites. En ne disposant pas des forces intégrées nécessaires, l'Union européenne a de nouveau confié une part de son destin militaire à l'OTAN, c'est-à-dire, pour l'essentiel, aux États-Unis.

Ainsi, au moment où l'Europe politique émerge et même s'affirme - et c'est un progrès ! -, elle est encore privée de son bras armé, d'une " Europe de la défense ". C'est l'Amérique qui fournit l'essentiel des forces même si la France joue son rôle, c'est donc l'Amérique qui occupe la scène, au risque de la saturer, au point d'obscurcir certains jugements par rapport à l'intervention au Kosovo.

Telle est la première leçon que l'on peut tirer des événements actuels à ce stade. L'Union Européenne devient indéniablement un acteur politique ; mais sans une identité en matière de défense, elle dépendra encore, pour faire respecter son autorité nouvelle, du bon vouloir d'un partenaire qui lui est extérieur.

Dès lors le défi qui nous est lancé collectivement, pour les prochaines années, est simple : voulons-nous constituer un ensemble européen doté d'une politique étrangère et de sécurité commune, capable de disposer d'une autonomie stratégique, lui conférant une véritable liberté d'action ou laissons-nous, par facilité, par impuissance, l'OTAN, pour ne pas dire les États-Unis, agir comme gendarmes de la paix sur le continent et au-delà ?

Notre réponse à cette question ne fait aucun doutes, mais il nous faudra, si l'on veut aboutir, la faire partager à nos amis Européens qui sont encore réticents, y compris ceux qui préfèrent regarder de l'autre côté de l'Atlantique plutôt que de l'autre côté de la Manche.

Il nous faudra aussi, si nous voulons cette Europe de la défense, convaincre nos propres concitoyens et notamment ceux qui, au nom d'une conception étroite de l'indépendance nationale, hésitent à assumer pleinement l'identité européenne de défense sans laquelle l'Europe politique se résume à des communiqués incantatoires et sans lendemains.

L'Europe politique, l'Europe de la défense : voilà des thèmes majeurs de la campagne que nous allons conduire pour les élections européennes.

Le deuxième événement, c'est bien sûr la démission de la Commission européenne.
Certes, on peut y voir un échec collectif de l'institution la plus originale mais aussi la plus contestée de l'Union européenne. La faute en revient aux chefs d'Etat et de gouvernement qui ont, en 1994 et contre l'avis de François MITTERRAND, nommé à la tête de la Commission, un président faible après la période dynamique et flamboyante de Jacques DELORS. Cette nomination s'est faite au moment même où la Commission héritait de nouvelles compétences - qu'elle parvenait mal à maîtriser, faute de disposer des moyens nécessaires. Mais la démission de la commission européenne peut aussi - et c'est notre vision des choses - être interprétée comme une étape significative de la démocratie européenne. Le Parlement européen, en menaçant clairement d'un vote de censure, a non seulement joué son rôle mais il a aussi affirmé son pouvoir et sa légitimité. Conjuguée avec les avancées, timides, du Traité d'Amsterdam, cette responsabilité nouvelle, confère au Parlement européen un rôle institutionnel qui enrichit encore le sens de l'élection du 13 juin prochain.

En effet, il ne s'agira pas, à cette date, de désigner des parlementaires de second rang mais des députés capables non seulement de voter des lois européennes mais aussi de fixer le sort de l'exécutif européen.

A Berlin, les chefs de gouvernement à majorité socialiste ont désigné Romano PRODI pour être le futur Président de la Commission européenne. Il s'agit d'un homme dont l'identité politique se confond avec la coalition de l'Olivier - l'ancêtre italienne de la gauche plurielle - et qui a fait beaucoup pour que l'Italie rentre, comme nous le souhaitions - c'était même une des conditions que nous avions posées pour la création de la monnaie unique -, dans le premier groupe de l'euro.

Il est vrai
que la droite,
lorsqu'elle perd
la responsabilité
du pays,
le supporte déjà mal,
alors quand elle perd
la responsabilité
de l'Europe,
imaginez
son désarroi !

Nous devons par conséquent assumer le choix de Romano PRODI, et dire clairement la chose suivante au moment des élections : il y aura ceux qui soutiendront la candidature de Romano PRODI et les autres, qui s'ils sont logiques avec eux-mêmes, la combattront pour ne pas donner, comme ils le disent " tous les pouvoirs aux socialistes ". Il est vrai que la droite, lorsqu'elle perd la responsabilité du pays, le supporte déjà mal, alors quand elle perd la responsabilité de l'Europe, imaginez son désarroi !

Alors oui, pour la première fois, le clivage droite-gauche peut apparaître comme une réalité à l'échelle de toute l'Europe, marquant ainsi le passage à l'âge adulte de la démocratie européenne, en en finissant une bonne fois avec le consensus anesthésiant qui a souvent nuit à l'image du Parlement européen.

Le troisième événement, c'est l'accord de Berlin.
Dans le contexte que l'on vient de décrire, l'Europe avait besoin d'un succès pour clore une période et en ouvrir une autre : celle de " l'Agenda 2000 ". Encore fallait-il déboucher non pas sur un accord obligé, mais sur un compromis utile !

Comme l'a rappelé Lionel JOSPIN, c'est globalement le cas. La politique agricole est préservée. Cela n'allait pas de soi, alors que ses principes mêmes étaient menacés par un grand nombre de nos partenaires. Les fonds structurels sont redéfinis sans être bouleversés et un certain nombre de dépenses d'avenir sont fixées.

Il reste que nous ne pouvons pas, en tant que socialistes, nous satisfaire d'avoir sauvé l'essentiel.
L'Europe agricole n'a pas été réformée comme nous l'avions imaginé, notamment dans le sens de la redistribution des aides, même si le plafonnement était une idée que nous défendions. Il n'y a pas eu non plus de réorientation suffisante en faveur du développement rural. Il appartient maintenant au gouvernement, et au Parti socialiste, de prévoir une modulation des aides afin de financer des contrats territoriaux d'exploitation et de donner un contenu à la loi d'orientation agricole. C'est l'engagement de Jean GLAVANY et nous l'aiderons à mener cette politique.

Quant aux dépenses d'avenir, elles sont souvent réduites à des variables d'ajustement qui confinent, au nom de programmes compliqués, à un saupoudrage dont ne profitent que quelques spécialistes des arcanes communautaires.

D'où cette leçon indispensable : s'il fallait, et c'était normal dans un premier temps, maîtriser la dépense budgétaire européenne pour préparer l'élargissement, et pour asseoir les dépenses d'avenir, le dépassement du plafond de 1,27 % du Produit National Brut est inéluctable à terme si l'on veut faire de l'Europe un outil efficace et puissant pour préparer convenablement l'avenir.

J'en viens aux débats de notre Convention.
D'abord sur la méthode. Avouons que nous avons fait quelques progrès. Lors de la précédente Convention " Entreprises ", il nous avait été reproché, peut-être un peu à moi, d'avoir voulu des amendements contradictoires, alternatifs qui, en définitive, rendaient le débat confus et empêchaient les militants de s'exprimer. Pour cette nouvelle Convention, Alain BERGOUNIOUX, Pervenche BERES et Pierre GUIDONI ont souhaité associer en amont les militants, et vous avez répondu à cet appel. De nombreux textes ont été adressés et cela a donné la charpente de ce document qui est devenu la base de notre Convention.

Ensuite, j'ai admis que les amendements devaient être complémentaires. J'ai dit qu'il ne fallait pas nécessairement les considérer comme tous votés d'avance, même s'ils étaient tous " votables ", nous en avons aussi tenu compte lors de la commission des résolutions. Il y a eu, également, un texte alternatif, nous avions donc la panoplie complète : des amendements, les propositions alternatives, les contributions des fédérations et les militants ont tranché.
Tout cela s'est fait dans un bon esprit et je salue toutes celles et tous ceux qui y ont contribué à la recherche d'un compromis qui n'allait pas de soi, car chacun connaissait le parcours des uns et des autres, les orientations qui avaient été les leurs, ceux qui avaient été plus réticents que d'autres sur la monnaie unique notamment. Je voudrais saluer tous les militants et militantes qui ont fait que ce texte soit aujourd'hui globalement le nôtre.

Quelle forme voulons-nous donner à l'Europe ?
C'était la première question de notre Convention.

Nous avons su éviter les querelles de mots. Qui peut contester, en effet, la part fédérale de l'Union Européenne ? Comment penser que nous ne serions pas dans une fédération au moment même où nous réalisons une monnaie unique et que nous avons l'idée d'élargir les compétences européennes, notamment dans des domaines comme la justice, la sécurité et la défense ?

Comment nier ce caractère fédéral au moment où le Parlement européen, à travers les Traités, acquiert une autorité indépendante des États et joue de sa légitimité nouvelle ?

Comment douter de cette évolution fédérale inéluctable, dès lors que se multiplient les domaines où le Conseil européen intervient à la majorité qualifiée, obligeant ainsi à un dépassement des intérêts nationaux ?

Les socialistes, et nous l'avons rappelé dans le texte de notre Convention, veulent aller encore plus loin dans cette direction. C'est le sens de nos propositions en faveur d'un véritable gouvernement économique. C'est aussi le sens que nous voulons donner au renforcement du rôle du Parlement européen et de l'extension de la règle du vote à la majorité qualifiée plutôt qu'à celle du vote à l'unanimité dans tous les domaines où c'est souhaitable.

Mais nous savons aussi que l'Union Européenne, et vous l'avez dit également au cours de cette Convention, doit être respectueuse des nations. L'union n'efface pas les identités, elle ne contredit pas plus la diversité, l'union enrichit les nations et permet le respect de leur originalité.

Le cadre national demeurera toujours le lieu principal de l'exercice de la démocratie mais pas le lieu unique. Le cadre national sera toujours celui de la solidarité et des régimes de protection sociale par exemple. Ce sera toujours aussi, pendant un certain temps en tout cas, le lieu de la cohésion sociale.

Voilà pourquoi l'Union européenne est une construction profondément originale qui ne s'apparente à aucune formule classique ou théorique mais qui emprunte à tous les systèmes : fédération, confédération, union d'Etats... pour devenir un modèle en soi qui n'appartient qu'à l'Europe.

Nous avons voulu résumer cette situation spécifique, cette singularité, par la formule " fédération d'Etats-nations " puisque nous affirmons à la fois le caractère fédéral de la construction européenne et le fait que les nations demeurent.

Cela suppose néanmoins, pour que cette expression ne soit pas un vain mot, que nous clarifions les compétences politiques de chacun des niveaux de pouvoir à travers une véritable " Constitution de l'Union européenne ". Celle-ci permettrait de définir les responsabilités respectives de l'Europe et de la Nation et de mettre en œuvre une double citoyenneté : une citoyenneté nationale et une citoyenneté européenne.

Nous n'inventons rien. C'est François MITTERRAND qui disait " qu'en servant l'Europe, nous servons la France " ; et c'est vrai qu'en nous mettant au service de l'Europe, nous faisons en sorte que les politiques de l'emploi, de la croissance ou les politiques sociales deviennent plus efficaces. Et c'est en menant en France un combat comme celui que nous engageons depuis deux ans que nous servons l'Europe.

Encore faut-il préciser le contenu de cette Europe que nous voulons.

Nous avons fixé trois priorités qui marqueront la campagne.
La première, c'est bien sûr l'Europe de la croissance. L'euro donne de la stabilité, mais pas nécessairement de la croissance. Il nous appartient donc de nous servir de la monnaie unique pour mettre en œuvre une véritable politique économique à l'échelle de l'Europe. C'est la grande différence qui nous oppose aux libéraux, aux yeux desquels le marché se suffit à lui-même et la monnaie n'est qu'un voile. La plate-forme RPR/Démocratie Libérale n'évoque même pas la coordination des politiques économiques et le Conseil de l'euro, tant cette institution leur paraît contradictoire avec la logique du marché que défend la droite.

Pour nous, c'est précisément le rôle du " gouvernement économique ", dont le Conseil de l'euro n'est que la première étape, de veiller au soutien de la croissance par un réglage de la demande et par l'affirmation d'objectifs en faveur du plein emploi que la Banque centrale européenne elle-même doit intégrer dans ses décisions. C'est pourquoi nous avons accepté l'amendement qui précise que dans les objectifs de la Banque centrale, ne figurent pas simplement la stabilité de l'euro et la lutte contre l'inflation, mais que figure aussi la recherche du plein emploi et de la croissance ; car qui peut encore croire que l'inflation est un fléau de même nature, et plus diabolique, que le chômage lui-même ?

Dès lors, la baisse des taux d'intérêt dans cette période où les prix sont durablement stables reste une nécessité pour la croissance. Pour cela, il faut donner au Conseil de l'euro la capacité de se doter des arguments nécessaires en face de la Banque centrale.

Mais il n'y a pas que la politique monétaire. L'Union européenne peut également soutenir la conjoncture en préparant l'avenir. C'est le sens de la politique de grands travaux présentée dans le " Livre blanc " de Jacques DELORS à la fin de l'année 1993, et qui est à l'ordre du jour des programmes socialistes à l'échelle de l'Europe.

Oui, nous voulons des investissements en matière d'infrastructures de communication. Oui, nous voulons qu'il y ait en Europe un grand programme pour les nouvelles technologies de communication, à l'image de ce que l'on fait en France à l'initiative du gouvernement de Lionel JOSPIN. Oui, il faut aussi des grands travaux en matière d'environnement et de préservation du cadre de vie. Oui, il faut que l'Europe s'engage en faveur de la réhabilitation des quartiers et du logement social.

Le financement de ces investissements ne peut être assuré que par l'emprunt, c'est pourquoi nous posons une question simple : pourquoi l'Union européenne serait-elle la seule collectivité publique au monde à ne pouvoir s'endetter au moment où les liquidités sont abondantes, les taux d'intérêt relativement bas et sa signature excellente ?

Nul n'est choqué, et les libéraux encore moins, que les Etats-Unis absorbent l'essentiel de l'épargne mondiale et de l'épargne européenne par l'intermédiaire de leur marché financier. Pourquoi l'Europe accepterait-elle de faire moins d'investissements que les Etats-Unis, alors que son épargne est beaucoup plus abondante que celle des Américains ? Nous devons utiliser nos ressources propres pour financer nos investissements publics comme privés.

Enfin, l'harmonisation fiscale doit compléter la panoplie. Il s'agit d'éviter les distorsions, les disparités et les effets de dumping. Mais nous pouvons faire mieux, comme de baisser, par exemple, à l'échelle de l'Europe, la TVA sur les activités de main d'œuvre ou relever le niveau moyen du prélèvement sur les revenus des capitaux pour détaxer le travail, afin de lutter contre le chômage et de mieux appréhender les produits de la spéculation. C'est pourquoi nous ajoutons que nous ne sommes pas défavorables à l'idée de la " taxe TOBIN " sur les flux financiers. Taxe que l'on a tort, d'ailleurs, d'identifier uniquement à TOBIN car le premier à en avoir parlé, au moins sur le plan politique, c'est Lionel JOSPIN au moment de la campagne présidentielle ! Alors pourquoi ce que l'on disait dès 1995 ne serait pas vrai aujourd'hui, en 1999 ?

La deuxième priorité dans cette campagne, c'est l'Europe de l'emploi. C'est, avec la paix, le principal défi qui nous est lancé.

Nous ne maintiendrons, dans notre pays, l'idéal européen - qui est puissant - qu'à la condition que l'Union apporte, concrètement, les réponses en matière de chômage que les États-nations sont impropres à mettre en œuvre isolément. C'est l'objet du " Pacte européen pour l'emploi " qui sera débattu au Conseil européen de juin prochain. Il doit être aussi volontariste et contraignant que le " Pacte de stabilité " l'a été pour l'Union économique et monétaire. Comment arriverions-nous à justifier que ce qui était possible et nécessaire pour faire l'euro ne le soit pas pour lutter contre le chômage ?

Nous présentons un programme général de formation et d'éducation sur toute la vie, un programme de lutte contre le chômage des jeunes et contre le chômage de longue durée, contre la précarité. Nous devons aussi obtenir les premiers engagements de réduction du temps de travail.

Il faudra, et c'est un amendement qui a été accepté dans notre convention, associer les partenaires sociaux à l'élaboration de ce Pacte. C'est le sens de la Conférence économique et sociale annuelle qui devrait se tenir avant le Conseil Européen de juin.

Il faudra aussi que nous mettions en œuvre ce " Traité social " que nous appelons de nos vœux. Un Traité social qui pourrait intégrer la recherche d'un salaire minimum à l'échelle de l'Europe, qui pourrait contenir l'idée d'une convergence des standards sociaux sur les salaires et d'une protection sociale aux critères équivalents. Il faudra aussi favoriser les négociations collectives à l'échelle de l'Europe et permettre ainsi les progrès de la démocratie sociale.

C'est la logique même du grand marché et de la monnaie unique : il n'y aurait plus de distorsion en ce qui concerne les marchandises, les mouvements de capitaux et les taux de change, la concurrence serait parfaite, mais des écarts et des disparités en matière sociale subsisteraient, au risque d'une égalisation par le bas ?

L'Europe, si elle veut conserver un modèle social original, doit se doter de critères de convergence qui permettent d'assurer des standards sociaux élevés sur le continent et qui permettent de faire de l'Europe non une simple zone de libre échange, mais une zone de développement économique assurant la prospérité et le progrès social. Sinon, l'Europe se confondra avec la mondialisation.

Ainsi le clivage gauche-droite traverse-t-il l'Union européenne, à l'image de ce qu'il est dans chacune des nations. Il y a le choix, là encore, entre une Europe libérale ou une Europe sociale, une Europe du laisser-faire et de la résignation ou une Europe volontariste et déterminée.


La dernière priorité, c'est l'Europe des citoyens.
Elle suppose, et Pierre MOSCOVICI se bat depuis plusieurs mois sur ce thème, qu'une " Charte des droits civiques et sociaux " soit élaborée en Europe en même temps que nous ferons le travail constitutionnel nécessaire pour regrouper non seulement les droits d'ores et déjà existants, reconnus par les Traités, mais aussi pour affirmer des droits nouveaux à l'éducation, à la santé, au logement et pourquoi pas à un revenu minimum social pour tous les Européens, c'est-à-dire pour tous ceux qui vivent sur ce continent.

Cela suppose aussi une " Europe de la culture et de l'éducation " : c'est-à-dire la reconnaissance des diplômes et un programme ambitieux pour la culture. Pourquoi ne pas fixer comme objectif d'atteindre le " 1 % " budgétaire pour la culture à l'échelle européenne, permettant d'accroître la diversité culturelle et la création artistique ?

Et puis, il faudra là aussi affirmer clairement qu'en matière d'éducation et de formation, il y a des principes - et il nous tiennent à cœur -, ceux de la laïcité et du service public.

L'Europe des citoyens, c'est encore - Élisabeth GUIGOU y travaille - la création d'un espace judiciaire commun, la lutte contre l'argent sale, contre la criminalité organisée, contre les trafics de drogues ; une lutte qui ne peut aujourd'hui se définir qu'à l'échelle du continent voire au-delà. Dans tous ces domaines, les services de police des pays membres doivent toujours davantage coordonner leurs efforts.

L'Union européenne doit aussi trouver des réponses aux problèmes concrets de la vie quotidienne, à la fois concernant ces situations inextricables en matière de droit de la famille, comme pour les libertés de circulation, comme pour le droit d'asile, où il faut se doter là encore de normes communes, sinon personne ne s'y retrouvera pas, et surtout pas les plus faibles.

Il faut enfin assurer le contrôle démocratique des institutions européennes, Laurent FABIUS y insistait à juste titre hier : contrôle des parlements nationaux, contrôle du Parlement européen et puis contrôle de la justice européenne - celui-ci permettant à chaque citoyen de saisir des institutions pour se défendre éventuellement contre son propre État.

Notre Convention nous fournit les axes de notre campagne européenne et les éléments de notre programme, en cohérence avec la plate-forme du Parti socialiste européen.
Cet effort de réflexion et de débat, est à l'honneur de notre Parti : souci de rigueur intellectuelle, respect des militants, information de l'opinion, travail collectif dans la transparence, voilà notre démarche. Nous supportons aisément la comparaison avec nos adversaires et nos concurrents.

Qui, parmi eux, suit le même processus d'élaboration des textes, de discussion des orientations, de vote des militants ? Qui ensuite accepte, au nom d'un parti européen comme le Parti socialiste européen, de traduire ses engagements dans une plate-forme et de les soumettre aux Français et aux Françaises ?

Je suis fier aujourd'hui d'être à la tête d'un parti et, si les militants le veulent, d'une liste aux élections européennes, qui a adopté cette méthode d'élaboration de son programme, car je pense que cela nous différencie de bien d'autres.

Cette même méthode, nous l'avons adoptée en ce qui concerne notre stratégie électorale.

Nous voulions d'abord nous rassembler avec les socialistes européens, puisque nous voulions faire une campagne authentiquement européenne. Nous serons les seuls à nous inscrire dans une campagne dépassant le cadre national, qui fera qu'en Europe, tous les socialistes respecteront les mêmes engagements. Nous le devons à Henri NALLET, qui a été un des deux rédacteurs du Manifeste adopté lors du Congrès du Parti socialiste européen de Milan. Un Manifeste qui comporte 21 engagements que nous reprendrons durant toute la campagne à travers notamment les grands meetings que nous organiserons avec des représentants des principales forces de gauche en Europe.

Et puis, nous voulions un rassemblement avec la gauche française.
Avec le Parti radical, cela allait de soi tant il partage nos conceptions européennes depuis longtemps, même s'il ne s'en était pas convaincu la dernière fois, je ne sais pour quelle raison !

Le Mouvement des Citoyens voulait regarder vers l'avenir plutôt que vers le passé. Vers un passé qui nous avait, c'est vrai, opposés, notamment au moment de la monnaie unique. Libre à chacun de savoir qui avait raison ou tort dans ces années-là, même si, à titre personnel, j'ai mon idée ; ce n'est plus le sujet. Ce qui compte, c'est ce que nous voulons faire ensemble, et ce que nous avons voulu, avec le Mouvement des Citoyens, c'est justement faire avancer l'Europe de la croissance, l'Europe de l'emploi, l'Europe de la citoyenneté et l'Europe politique.

Nous nous sommes tous retrouvés, radicaux, socialistes, membres du Mouvement des Citoyens, sur les mêmes propositions, celles du Parti socialiste européen, y compris sur la question de l'extension du vote à la majorité qualifiée là où cela est souhaitable.

Cette formule de l'extension du vote à la majorité qualifiée " là où elle est souhaitable " se retrouve dans le texte du Parti socialiste européen, elle se retrouve aussi dans le texte issu de notre Convention, elle se retrouve même dans le texte que nous avons signé avec le Mouvement des Citoyens. Et si je voulais vous livrer - mais est-ce possible ? - une information, je vous dirais que cette formule est de Tony BLAIR ! Et voir Tony BLAIR rejoindre Jean-Pierre CHEVÈNEMENT me donne toute garantie pour l'avenir !

Nous aurons cette fois, à gauche, trois listes au lieu de cinq. C'est déjà un progrès, et c'est surtout un progrès par rapport à une droite divisée en 7 familles, dont le chef - que je ne nommerai pas - se méfie, à juste raison, du dirigeant principal de son propre parti !

Pour ce qui nous concerne, je constate que la dynamique qui s'engage autour du Parti socialiste s'enrichit des candidats du Parti radical et du Mouvement des Citoyens - je pense notamment à Sami NAÏR et à Catherine LALUMIÈRE - que nous allons présenter. Nous avons justement fait preuve pour élaborer cette liste d'un esprit de très grande responsabilité et je tenais à vous en remercier.

On m'a dit que dans une campagne européenne, il y a plusieurs moments difficiles et que celui de la constitution de la liste en est un. Il conditionne d'ailleurs peut-être la suite des opérations. Donc, l'exercice paraissait délicat, il s'annonçait même comme impossible puisqu'il impliquait le rassemblement avec nos partenaires - que chacun souhaitait même si cela amputait le nombre de places éligibles - et que s'ajoutaient d'autres critères aujourd'hui partie intégrante de notre comportement : la parité entre hommes et femmes, l'équilibre entre les sortants et les nouveaux candidats, le respect de ce que l'on pourrait appeler les sensibilités, puisque vous savez que dans notre parti les courants n'existent plus ; il fallait tenir compte de tout cela.

Pour faire face à ces exigences, nous avons adopté un mécanisme simple qui consistait à partir des réalités régionales, dans l'esprit de la réforme du mode de scrutin que nous avions voulu faire voter l'année dernière mais que nos partenaires de la gauche plurielle, comme la droite, n'avaient pas souhaité voir adoptée. Il s'agissait donc de représenter sur notre liste les grandes régions métropolitaines et l'outremer, pour rapprocher l'Europe des citoyens et mieux identifier les députés européens à un territoire donné. C'est à la fois un principe démocratique de bonne gestion territoriale, de représentation fidèle de ce qu'est un député, c'est-à-dire en définitive un lien entre un territoire et une assemblée, et c'est aussi le meilleur service que l'on puisse rendre à l'Europe : la rapprocher autant que possible des électeurs.

C'est grâce à cette méthode, grâce à cet objectif, grâce à ce critère que nous avons surmonté l'ensemble des obstacles.

Je tiens à ce propos à saluer la responsabilité de tous ceux et de toutes celles qui ont fait partie des différentes instances du Parti, pour aboutir à ce résultat et à cette méthode d'élaboration collective. Jean-Pierre BEL et Philippe BASSINET ont joué un rôle majeur. Tout cela n'évite pas, je le sais, la cruauté de certains choix ou la déception de certains militants, notamment de celles et ceux qui ont renoncé à être sur la liste ou encore qui ne s'y trouvent pas à la place espérée.

Mais il y a eu, en définitive, au-delà de ces déceptions, et j'en suis très heureux, un consensus général pour l'adoption de cette liste au Conseil national.

Nous avons réussi à bâtir une équipe dont l'originalité tient précisément au caractère régional de sa représentation et au souci de choisir des élus et des militants de terrain sans avoir besoin de recourir à des personnalités extérieures ou à des coups médiatiques qui ne relèvent pas de notre tradition.

La richesse du Parti - et je le vis depuis maintenant deux ans -, c'est notre réseau de militants répartis sur tout le territoire, de ces camarades militants associatifs et élus locaux qui permettent, aujourd'hui, de constituer une équipe solide et sérieuse pour les élections européennes ; une équipe qui travaillera efficacement au Parlement européen, et c'est là l'essentiel.

Je soulignerai que nous sommes les seuls à procéder ainsi, car dans certains partis c'est encore le chef qui choisit. Ici, ce serait impossible ! Dans d'autres partis, à droite, ils nous présentent une " liste " dont on connaît les deux premiers, mais pas les suivants, et ils nous disent qu'elle est pour le mois d'avril, voire pour le mois de mai. Je tiens à les prévenir : pour le mois de juin, après le 13, ce n'est plus envisageable !


Plus sérieusement, nous disposons désormais d'une liste, d'un programme et aussi d'une volonté, celle de mener campagne à partir de nos idées, de notre plate-forme et conformément aux choix du gouvernement.

Nous commençons officiellement la campagne le 10 avril. Je vous invite à venir nombreux à son lancement. Elle s'annonce pour l'instant, comment dire... plutôt favorablement, mais nous connaissons, comme Laurent FABIUS l'a souligné, les risques qui nous attendent. Celui du mode de scrutin d'abord : dispersion entre plusieurs listes, éclatement de l'offre politique qui décourage quelquefois la demande civique et se traduit par l'abstention. Il y a aussi les concurrences naturelles au sein de chacun des camps politiques, et puis il y a les mouvements d'humeur dont il nous appartient de calmer l'ampleur, ce qui nécessite de notre part une présentation claire, devant nos concitoyens, des enjeux de cette campagne.

L'enjeu est européen : il s'agit d'une nouvelle étape politique de l'Europe et d'un nouveau cours social à lui imprimer, ce qui suppose de constituer une majorité de gauche au sein du Parlement européen. Mais l'enjeu est aussi national. Il s'agit cette fois, par notre résultat, de soutenir l'action réformatrice de Lionel JOSPIN. Nous devrons également d'insister sur les clivages - je l'ai fait tout au long de cette matinée - gauche-droite. L'idée est simple : ce que la gauche fait en France depuis 1997, c'est ce que nous voulons faire pour l'Europe.

En face de nous, la droite est certes divisée, mais elle est unie sur au moins un point, l'essentiel : la contestation de notre action. Quant à ses acteurs, on voit aujourd'hui Philippe SEGUIN prétendre qu'il a changé, ce qui est exact : il est toujours antieuropéen, mais il est devenu libéral, ce qui est nouveau ! Charles PASQUA, lui, veut nous faire croire qu'il n'est plus de droite alors qu'il va finir, comme chacun sait, avec Philippe de VILLIERS. Quant à François BAYROU, il veut nous faire croire qu'il est indépendant alors qu'il prend au moins un repas sur deux avec Jacques CHIRAC, même si ce sont des repas allégés !


Bref, une campagne n'est jamais jouée d'avance, et voilà pourquoi tout dépendra de notre mobilisation.

Alain CLAEYS sera le directeur de notre campagne, et c'est tout le Parti qui se mobilisera pour que tous, militants et sympathisants, participent aux actions que nous mènerons, et notamment aux réunions publiques que nous organiserons.
Jean-Christophe CAMBADELIS mobilisera de son côté les fédérations, et puis chaque secrétaire national se sentira, comme dans toute campagne nationale, engagé.

A nous de dire aux Européens qu'ils peuvent prendre enfin leur destin en main sur le plan politique.

A nous de convaincre les Français que le 13 juin se joue une part importante de leur propre avenir, y compris sur ce qui leur tient le plus à cœur, c'est-à-dire l'emploi.

A nous de persuader les hommes et les femmes de gauche que nos idées sont désormais motrices en Europe.

Nous sommes, Cher(e)s Camarades, à un moment important de notre histoire, un moment où les socialistes sont aux responsabilités dans la plupart des gouvernements européens. Ce n'est pas un hasard, c'est une chance, mais c'est aussi un défi. Si nous le relevons victorieusement, alors le siècle prochain sera celui de la volonté des hommes et non celui de l'ordre des choses.

Je suis convaincu que le socialisme n'avancera pas sans l'Europe et, en même temps, que l'Europe n'avancera pas sans les socialistes !

Je vous remercie.



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