Discours
de François Hollande
lors des Journées
parlementaires
du groupe socialiste,
le 29 septembre 1998

 

Il me revient la lourde tâche d'ouvrir un débat qui sera enrichi par beaucoup de vos interventions et conclu par Lionel Jospin.

Au préalable, je voudrais rassurer Jean Germain ; notre journée parlementaire dans ta ville n'interdit pas de réunir un jour un nouveau congrès à Tours; je n'y mettrai qu'une condition : c'est qu'on n'y fasse pas la même chose qu'en 1920.

Cette remarque me conduit à tirer quelques enseignements des élections de dimanche avant d'insister d'avantage sur nos objectifs pour les prochains mois.

Je ne dirai que peu de chose sur les élections sénatoriales, sauf pour féliciter nos élus et pour vous dire que la seule conclusion que l'on a tirée de Dimanche : c'est qu'il faut au plus vite changer le mode de scrutin. En revanche, il y a des leçons à tirer des élections législatives partielles.

I - Les leçons des élections législatives partielles

TROIS LECONS

1°/ - Là où la Gauche plurielle est unie, parfois dès le premier tour, elle se met en situation de l'emporter.

Toulon comme Aubagne

Là où elle se disperse, là où elle se livre à une compétition avec elle-même, en laissant certaines de ses composantes vouloir progresser au détriment des autres, elle crée les conditions de sa défaite, en démobilisant les électeurs et en altérant la qualité des reports.

Nous tenons à la Gauche plurielle et nous ne recherchons aucune autre alliance que celle qui a déjà été constituée. C'est ensemble que nous préparerons les échéances et c'est ensemble que nous les gagnerons.

2°/ - Depuis seize mois, d'élections partielles en élections locales, la majorité et le Parti socialiste ont globalement maintenu le rapport des forces de juin 1997 ;

ce qui est remarquable lorsque l'on sait que traditionnellement ces scrutins sont plutôt défavorables aux partis de Gouvernement et servent de défouloir à des mécontentements catégoriels. La confiance portée dans le Gouvernement et les bonnes popularités se retrouvent donc dans nos résultats électoraux. Et la fatalité des coups de semonce a été jusque là conjurée.

Et en même temps, la décomposition des partis de Droite, les divisions de leurs chefs, leurs hésitations stratégiques, la complaisance avouée ou inavouée d'une fraction de l'opposition à l'égard de l'Extrême-droite... tout cela n'a pas sérieusement entamé le socle de la Droite au plan électoral, d'autant qu'elle reçoit de plus en plus le renfort de ses extrêmes.

3°/ - C'est la troisième leçon.

La Droite cherche de plus en plus cyniquement le concours du Front national. Ainsi s'expliquent le refus de toute consigne de vote à Toulon et le rejet de toute solution permettant d'en finir avec les alliances avec l'Extrême-droite dans quatre de nos régions.
Voilà pourquoi nous devons les uns les autres redoubler d'efforts pour, non seulement garder nos positions mais en conquérir d'autres, en attirant à nous de nouveaux électeurs, en faisant sortir de l'abstention des Français qui doutent encore de la politique. C'est le sens de notre action au Gouvernement, mais aussi partout où nous sommes en capacité d'intervenir. C'est parce que nous mettrons à tous les niveaux la société en mouvement que nous réussirons à mener à bien les réformes que nous avons engagées.

II - Appliquer les textes que nous avons votés



Une bonne loi, ce n'est pas seulement une loi bien votée mais une loi bien appliquée.

1°/ - Les emplois-jeunes

C'est la responsabilité des élus, des associations, des dirigeants d'organismes publics de les créer... Engageons-nous à vaincre toutes les réticences qui n'ont pas lieu d'être.

C'est la tâche de l'Administration que de les faciliter... Il y a encore trop d'exemples de prudence tatillonne, de frilosité et, en fait, de suspicion.

Or, prenons garde à ne pas tarir le flux si nous voulons atteindre nos objectifs quantitatifs (250 000 emplois-jeunes fin 1999). Ne négligeons pas non plus le qualitatif : les emplois devraient d'abord répondre aux demandes des jeunes les moins qualifiés, les moins intégrés, les moins aptes à s'insérer naturellement dans le marché du travail.

N'oublions pas non plus le deuxième volet de ce projet qui est l'insertion des jeunes dans l'entreprise. A cet égard, il faudra favoriser l'aboutissement à la fin de l'année des négociations pour que ceux qui ont cotisé pendant 40 ans puissent partir en retraite et laisser la place à un jeune.

2°/ - La Loi sur l'exclusion

Des avancées importantes ont été prévues par ce texte : le programme Trace la possibilité de cumuler une rémunération d'activité avec une prestation sociale; des droits renforcés pour l'accès au logement. Mais, malgré tous les efforts du Gouvernement, tous les décrets d'application ne sont pas publiés et ces dispositifs tardent à se mettre en place, au risque de faire douter de leur efficacité et, si cela se prolongeait, parfois de notre crédibilité.
L'annonce du texte sur la couverture maladie universelle a suscité de grands espoirs. Et le rapport de Jean-Claude Boulard offre à présent le cadre et les modalités d'une réforme maîtrisée financièrement et indispensable socialement. Nous tenons à ce que ce texte soit déposé d'ici la fin de l'année.

3°/ - Les 35 heures

Cette loi sera sans doute un des acquis majeurs de notre législature. Elle ouvre un processus qui, conjugué à la croissance, peut permettre une diminution du chômage. A la condition, néanmoins, que le patronat n'en détourne pas le sens et l'esprit.
Or, si de nombreux chefs d'entreprise se sont lancés loyalement dans la négociation, permettant la conclusion de 260 accords, en quelques mois - ce qui est remarquable - le CNPF s'efforce, à travers les discussions dans certaines branches, de limiter les effets sur l'emploi de la réduction du temps de travail.

Plutôt que de tirer parti des aides et des incitations, qu'il réclame par ailleurs à hauts cris, il reporte au-delà de l'An 2000 toute modification de l'organisation du travail. Qu'il sache bien dès à présent, et ces journées parlementaires nous en fournissent l'occasion, que le législateur ne restera pas inerte et, puisqu'une deuxième loi est prévue, affirmons nettement qu'elle encadrera strictement le recours aux heures supplémentaires. Chacun est désormais prévenu.

III - Poursuivre notre ambition réformatrice

TROIS SUJETS



1°/ - Le projet de loi de finances

Le budget pour 1998 a eu le mérite essentiel de favoriser la reprise, en améliorant le pouvoir d'achat des ménages tout en ramenant les déficits publics à moins de 3%. Conjugué à la loi de financement de la Sécurité sociale, il a permis d'engager le nécessaire rééquilibrage entre les prélèvements sur les revenus d'activité et ceux sur les revenus du capital.
Pour 1999, la loi de finances est fondée sur les mêmes principes.

Le Gouvernement a eu raison de répartir les 50 milliards de surplus de la croissance en trois parties à peu près égales, dont 16 milliards pour les dépenses nouvelles : autant pour la baisse des impôts et une vingtaine de milliards pour réduire encore les déficits de l'endettement public.

L'opposition nous reproche une estimation trop optimiste de la conjoncture économique. Elle formulait la même critique l'année dernière et s'est vue infliger un démenti cinglant par les faits. Elle conteste ce qui est d'ailleurs contradictoire avec son hypothèse de départ une augmentation - d'ailleurs modérée - des dépenses publiques, alors qu'en assurant le financement des priorités comme le logement, l'emploi, la formation la loi de finances, le budget contribuera à soutenir le processus de croissance.

Comment comprendrait-on qu'au moment où la conjoncture internationale donne des signes de faiblesse, le Gouvernement n'encourage pas la demande intérieure, c'est-à-dire la consommation et l'investissement ?
La baisse des impôts va également dans ce sens. Nul ne conteste la disparition progressive de l'assiette salaires de la taxe professionnelle... c'était un de nos engagements lors de la campagne pour favoriser l'emploi.
De même, l'actualisation des bases de la taxe d'habitation permettra la diminution d'un impôt particulièrement injuste pour les revenus moyens et modestes. Mais elle n'aura d'effet qu'à partir de l'An 2000.

Voilà pourquoi je reste favorable à ce qu'il y ait, pour soutenir la consommation, un geste supplémentaire dans ce budget pour les ménages sous forme de baisse d'impôt.

Je ne sous-estime pas la baisse de la T.V.A sur les abonnements E.D.F comme la réduction des droits de mutation; mais dans le cadre de marges de manoeuvre forcément réduites, un effort peut être fait dans cette direction; il doit passer par la T.V.A parce que c'est l'impôt payé par tous, y compris par les plus modestes des Français.

La croissance, en 1999, pour être vigoureuse et surtout durable devra être tirée par l'investissement des entreprises et rien n'est fait dans ce budget pour l'affaiblir, mais aussi par la consommation qui tient essentiellement au pouvoir d'achat des ménages et à la confiance des Français dans l'action conduite.

Voilà pourquoi, dans nos arbitrages, devrons-nous constamment veiller à ce que l'économie française marche sur ses deux pieds : investissement et consommation. Si nous voulons à un bon rythme, l'un ne va pas sans l'autre.

J'ajoute un mot sur la réforme de notre système de cotisations patronales. Nous en rappellerons l'objectif dans la loi de financement de la Sécurité sociale.

Il s'agit d'éviter que les prélèvements ne découragent l'emploi en ne faisant reposer que sur les seuls salaires l'assiette de la cotisation. Il nous appartiendra, dans les mois qui viennent, d'en fixer les modalités.
Mais nous savons d'ores et déjà ce que nous ne voulons pas : des allégements de charges financés par les ménages. Cette politique, c'était celle de Balladur et Juppé. Elle a coûté cher et n'a pas marché.

Enfin, les socialistes ne peuvent que rappeler sur le sujet des retraites leur attachement au système de répartition et saluent la création par le Gouvernement d'un fonds permettant de garantir sa pérennité.

2°/ - Le Pacte Civil de Solidarité

Adapter la loi aux moeurs et aux modes de vie, c'est la première tâche du législateur. Il n'a pas à édicter des codes moraux ou des principes de vertu. Il a, en fonction des règles de la République et du respect des libertés, à donner à chacun les droits auxquels il peut prétendre dans une société organisée et laïque.

C'est le sens du Pacte Civil de Solidarité qui n'enlève rien au mariage et au droit de la famille, mais qui offre un cadre à ceux qui ont décidé de vivre en couple sans vouloir, ou sans pouvoir, le consacrer sous la forme d'un mariage. Les précautions nécessaires ont été prises et les limites ont été posées.
Mais cette loi qui concerne près de 5 millions de personnes sera jugée comme une étape supplémentaire de la modernisation de notre société et, en ce sens, c'est un texte éminemment progressiste.

Que fera la Droite dans ce débat ? Certains, très peu, courageusement approuveront.

D'autres, comme souvent, fermeront les yeux, critiqueront le projet en tant que tel pour en admettre les conséquences notamment fiscales. Les plus nombreux voudront en faire un enjeu de confrontation idéologique. Le R. P. vient de demander un vote solennel sur le PACS. C'est leur responsabilité. S'ils veulent que la Droite s'identifie une nouvelle fois au conservatisme et à l'archaïsme, c'est leur affaire. Mais évitons que cette Droite rétrograde ne caricature ou ne défigure un texte qui offre des droits nouveaux sans en ôter à personne.

A nous d'expliquer, d'informer, de faire comprendre, de mettre l'opinion non pas en accord avec nous mais en harmonie avec elle-même.

3°/ - L'aménagement du territoire

Plusieurs textes importants vont intéresser le territoire et l'avenir de la décentralisation:

    - le projet de loi d'orientation agricole avec les contrats territoriaux d'exploitation
    - la réforme de la fiscalité locale et les péréquations dans le cadre de la loi de finances elle-même
    - le projet sur l'intercommunalité
    - le projet de loi sur l'aménagement du territoire lui-même.

Quelques principes me paraissent devoir être rappelés :
    a) - Rien ne serait pire que d'exhumer à l' occasion de ces débats l'inepte opposition entre les villes et les campagnes, les banlieues et les zones rurales. Comme si l'on pouvait régler les questions urbaines au détriment des campagnes et lutter contre le désert français en pénalisant les agglomérations. Tout se tient. Et cela s'appelle l'intérêt général. Celui qui nous conduit à vouloir appréhender l'insertion des jeunes des banlieues comme la situation des retraités agricoles. A penser la politique comme un tout et non comme une addition de particularismes.

    b) L'objectif que nous devons poursuivre, c'est l'égalité de tous les français devant le service public sur tous les points du territoire. C'est le droit, où que l'on se situe géographiquement à bénéficier des mêmes prestations. Cela vaut pour l'école comme pour la sécurité.

    c) Cela ne veut pas dire que des redéploiements soient impossibles et des adaptations soient inopportunes au nom du statu quo. Mais cela signifie que cela doit se faire sur la base de critères objectivement établis et débattus avec les élus en fonction des besoins clairement identifiés.


C'est cette méthode là que nous préconisons mais elle ne doit pas nous servir de prétexte pour abandonner l'objectif.

IV - BATIR L'EUROPE DE DEMAIN



Je ne peux conclure mon propos sans évoquer les conséquences de la victoire de nos amis sociaux démocrates en Allemagne dimanche dernier et saluer la visite de Gerhard Schröder demain, en France, qui confirme l'attachement qu'il porte à la relation franco-allemand.

Cette victoire du SPD, en coalition avec les verts, est une bonne nouvelle pour nous, car quoi qu'en disent certains ici ou là ils partagent avec nous la même conception de l'Europe : une Europe plus sociale, une Europe plus dynamique en matière de croissance et plus solidaire.

Et si cette victoire qui marque la volonté des peuples européens de tourner la page du libéralisme nous crée une légitime fierté, elle nous confère surtout de nouvelles responsabilités. Les socialistes sont à la tête de 11 gouvernements sur 15 et notre objectif est donc de fixer un nouvel horizon politique à la construction européenne. C'est une configuration inédite depuis les origines de l'Union européenne qui nous permet de solder le passé et de dépasser les insuffisances d'Amsterdam. L'Europe sera socialiste ou ne sera pas, disait-on à la fin des années 70... Et bien nous sommes au pied du mur. Il nous faut créer une dynamique nouvelle pour bâtir l'Europe de demain, à un moment où l'Euro devient une réalité.

Par son action nationale comme lors des sommets d'Amsterdam, de Luxembourg et de Bruxelles, Lionel Jospin a ouvert la voie dans ce sens.

Pour les prochaines élections européennes, et avant même d'ouvrir le débat captivant sur la composition de la liste, nous devons élaborer un programme commun des socialistes et des sociaux-démocrates européens. C'est une démarche novatrice et c'est le sens que nous devons donner au Manifeste des Partis socialistes européens sous la conduite de Robin Cook et d'Henri Nallet.

Nous devons avancer des propositions concrètes sur lesquelles chacun de nos partis s'engagera et respectera pour une Europe plus sociale, pour une harmonisation fiscale, pour une Europe plus démocratique - par la réforme des institutions - et pour une Europe politique par le renforcement de la coopération inter-gouvernementale.

Pour conclure, j'émettrai un vœu : que l'année prochaine, en France, nous puissions organiser la rentrée parlementaire du PSE, une fois que nous serons devenus majoritaires au Parlement européen.

Jamais la responsabilité des socialistes n'a été aussi grande en France et surtout en Europe. Elle ne doit pas nous impressionner. Si nous croyons en nos idées, si nous sommes déterminés à les traduire en textes de loi, si nous gardons le souci du dialogue, du débat, de la confrontation, alors je ne doute pas de notre succès, c'est-à-dire du succès de la France.