Discours
de François Hollande
lors de la Journée
parlementaire
du groupe socialiste,
le 28 septembre 1999


Il me revient de conclure cette matinée, et non pas nos travaux puisqu'ils se poursuivent cet après-midi. Je tiens à féliciter Jean-Marc Ayrault pour l'organisation de ces journées et à saluer tous les parlementaires et les ministres présents qui ont pris part à nos travaux.

Lionel Jospin a confirmé hier le lancement de la deuxième étape. Elle n'est possible que parce que la première a été franchie avec succès : reprise de la croissance, régression du chômage, amélioration du pouvoir d'achat. Nos résultats électoraux ont témoigné de la confiance des Français dans ce que nous représentons. Nul doute que si nous avions échoué la durée ne nous aurait pas été accordée pour poursuivre.

Mais cette garantie de temps n'est pas un objectif en soi pour préparer une échéance qui viendra le moment venu. Et nous ne pouvons méconnaître l'ampleur des attentes et oublier que le chômage et la précarité demeurent encore trop élevés. A la différence d'autres, dont la seule fonction, pourtant prestigieuse, se limite aux commentaires lénifiants et la seule préoccupation se réduit à la reconduction d'un mandat pourtant marqué par une suite d'échecs passés, nous serons jugés, à la fin de la législature, sur nos actes et notre bilan.

La dernière annonce de Michelin sonne comme un rappel que le combat contre un certain cynisme patronal ne s'évanouira pas avec l'amélioration de la conjoncture et qu'il justifie, comme à chaque fois qu'une injustice insupportable est commise, une intervention de l'Etat.

Dans cette nouvelle étape qui s'engage, je voudrais préciser le rôle que doivent jouer les socialistes et les priorités qui doivent être les leurs dans les prochains mois.

I - LE ROLE DES SOCIALISTES

Depuis deux ans, la tâche principale des socialistes et de leurs groupes parlementaires a consisté à mettre en œuvre une grande part de nos engagements de campagne : emplois jeunes, 35 heures, lutte contre les exclusions, PACS, réforme de la Justice sans oublier nos lois de finances. Nous avons contribué, par notre travail législatif, à donner une traduction à de nombreux éléments figurant dans la déclaration d'investiture du Premier ministre.

Aujourd'hui, il nous faut faire encore davantage : prendre l'initiative de plusieurs grandes réformes, participer à l'élaboration de la politique elle-même, proposer l'ouverture de nouveaux chantiers. Cette démarche suppose un Parti mobilisé et prêt au débat et un Gouvernement attentif et prêt à nous entendre. C'est la condition du succès. Cette deuxième étape doit être une œuvre collective, partagée et donc délibérée. Rien ne serait pire qu'un Gouvernement affrontant seul les nouveaux défis et une majorité - et notamment sa première composante- réduite à la solidarité de circonstance ou à la critique distanciée.

Je veillerai, pour ma part, à ce que le Parti soit à la hauteur de cette responsabilité. C'est ce qui nous distingue de nos partenaires de la majorité. Notre cohérence fait la stabilité générale, et notre capacité de propositions donne la dynamique d'ensemble.

Nous l'avons montré ces dernières semaines sur le terrain fiscal, en insistant sur la pertinence des baisses ciblées de TVA et sur le terrain social, en mettant en avant la pénalisation financière de la précarité et des licenciements injustifiés. Lionel Jospin a su nous entendre. Et, en affirmant nos préférences, nos choix, nous avons pu servir la cause du Gouvernement et donc de l'ensemble de la Gauche plurielle.

Ainsi, notre premier objectif est-il de débattre et d'agir avant de manifester. Et si manifestation il doit y avoir, elle doit choisir précisément sa cible. Or, aujourd'hui, celui qui justifie les suppressions des emplois des entreprises faisant des profits florissants, celui qui mobilise contre les 35 heures, celui qui remet en cause l'ARPE et menace de quitter les organismes de Sécurité Sociale, c'est le MEDEF et personne d'autre.

Le Bureau national du Parti socialiste examinera la semaine prochaine l'initiative du Parti communiste, mais je n'envisage pas que des socialistes puissent - surtout après les annonces qu'a faites Lionel Jospin hier défiler avec des slogans mettant en cause le sens même de l'action gouvernementale. Libre à d'autres de le faire et d'en assumer les contradictions. Mais, ce qui compte pour nous, socialistes, c'est d'être à la fois clairs et utiles.

Clair en identifiant les responsabilités des suppressions d'emplois là où elles se situent, c'est-à-dire du côté d'un certain patronat.

Utile en prenant des dispositions susceptibles d'en contrarier les effets.

C'est le mandat que nous avons reçu de nos électeurs qui attendent de nous, et avant toute chose, des réponses à leurs problèmes et non des positionnements de parti.

II - NOS PRIORITES

1. L'emploi

Les annonces contenues dans le discours de Lionel Jospin correspondent largement à nos préoccupations sur la limitation de la précarité, la pénalisation financière des licenciements injustifiés et le lancement d'une grande réforme de la formation professionnelle.

Mais, plusieurs sujets mobiliseront notre attention au cours des prochains mois :
  1. La deuxième loi sur les 35 heures

    C'est le texte majeur de cette session et sans doute de la législature. Il marquera pour longtemps notre passage car, la réduction du temps de travail constitue un processus irréversible qu'aucune alternance, j'en suis sûr, ne viendra remettre en cause. Et les 35 heures s'inscrivent dans le mouvement séculaire que la Gauche a engagé pour donner à chacun plus de temps pour vivre.

    Mais de la qualité de notre intervention dépendra l'efficacité d'un dispositif qui est fait pour lutter contre le chômage. Nul ici ne veut atteindre l'équilibre nécessaire à sa réussite : ce doit être une loi pour les emplois, sans être un texte contre les entreprises.

    Mais nous devons veiller à ce que figurent des garanties essentielles :
    • L'objectif de création d'emplois à travers l'encadrement des heures supplémentaires et la baisse des maximas horaires
    • La priorité donnée au contrat à durée indéterminée et au temps partiel choisi ;
    • La garantie de rémunération pour toutes les catégories de salariés


    Ce sera souvent délicat. Il faudra de la volonté et de l'imagination, car les problèmes sont d'une infinie complexité. Mais il y va de notre crédibilité qui est autant économique que sociale.

  2. La procédure de licenciement

    Le Parti socialiste avait proposé, en 1997, le retour de l'autorisation administrative de licenciement. Je constate aujourd'hui que cette mesure est repoussée par l'ensemble des organisations syndicales qui gardent le souvenir plus que mitigé de ce dispositif de 1975 à 1986, qui n'empêchait rien et viciait la négociation. Nos partenaires de la majorité plurielle n'y sont eux-mêmes pas favorables. C'est pourquoi la formule de la pénalisation financière (modulation des cotisations Unedic) des suppressions d'emplois, effectuées par les entreprises financièrement prospères, présente bien des avantages : récompenser les bons comportements à travers des baisses de charges (c'est l'esprit des 35 heures) pour sanctionner les mauvais.

    Mais, à terme, c'est la procédure de licenciement elle-même qu'il faudrait modifier en permettant aux représentants des salariés de demander, avant qu'il ne soit trop tard, au juge de vérifier la cause même du licenciement économique. Sinon, les décisions judiciaires arrivent trop tard pour qu'elles aient le moindre effet.

  3. Les droits des salariés

    L'amélioration de l'information et de la consultation des salariés est prévue dans le cadre du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. Il s'agit pour nous de saisir cette occasion pour actualiser les lois Auroux et de donner aux salariés les mêmes droits que ceux dont disposent les actionnaires.

    Je pense même qu'il serait logique que, dans certaines conditions, ils puissent siéger dans les organes de décision de l'entreprise.

  4. Les emplois-jeunes

    Nos engagements dans le secteur public et associatif seront tenus. Dans le secteur privé, se met en place le programme Trace en même temps que reprennent des embauches.

    Néanmoins, il reste des jeunes, le plus souvent sans qualification, qui ne disposent d'aucun revenu ni d'aucune indemnisation. Nous proposons qu'une allocation d'insertion leur soit versée, en contrepartie d'un parcours qualifiant. C'est une réponse bien préférable au slogan du RMI pour les moins de 25 ans qui ne peut constituer pour nos jeunes un projet de société.

2. Les impôts

Chacun s'accorde ici pour reconnaître qu'en période de croissance, il est non seulement possible mais nécessaire de baisser les impôts, même si cela ne peut résumer notre projet politique (Jean-Marc Ayrault).

Dès lors faut-il se mettre d'accord sur les prélèvements qu'il convient de diminuer :
  • La baisse ciblée de TVA :
    C'est un mécanisme efficace sur le plan économique, juste socialement et moins coûteux qu'il y paraît pour le budget de l'Etat (des recettes supplémentaires liées à la croissance de l'activité concernée) viennent partiellement compenser les effets de la baisse des taux.

    Faut-il que le dispositif reste lisible, simple et automatique. Faisons en sorte que l'Administration, par scrupule, ne vienne en altérer la pureté. A cette condition, je suis sûr du succès. Et donc partisan de poursuivre lors des prochaines lois de finances ce processus en fonction des possibilités offertes par les règles communautaires (que Dominique Strauss-Kahn a bien négociées) ;

  • Les impôts directs
    C'est l'étape suivante prévue pour les prochaines lois de finances. Nous devons privilégier les réformes qui auront un impact sur l'ensemble des contribuables et pas seulement sur quelques uns.

    La taxe d'habitation : deux formules sont possible : La poursuite des prélèvements et des exonérations - l'avantage est de cibler ; mais c'est souvent peu compréhensible, même pour les bénéficiaires ;

    La suppression de la part régionale qui, par son aspect général, a les caractéristiques inverses de la précédente. C'est simple mais pas sélectif.

    La CSG : l'abattement à la base pour l'ensemble des revenus conjuguée à la déductibilité intégrale peut redonner à ce dispositif une progressivité qui lui fait aujourd'hui défaut et la lier à la réforme de l'impôt sur le revenu.

    Enfin, compte tenu des révélations plus ou moins étayées sur les stocks options dont ont bénéficié certains dirigeants d'entreprises, je suggère d'expurger de la loi de finances toutes les dispositions précises, qui ont leur logique, mais qui s'apparentent à de tels avantages, le temps que nous puissions examiner un texte sur l'épargne salariale qui remettra à plat l'ensemble de ces mécanismes. Car, sinon, à l'inégalité dans les rémunérations s'ajoutera l'injustice dans les prélèvements.

3. La solidarité territoriale

C'est aujourd'hui avec la lutte contre le chômage l'enjeu majeur. Car le retour, aujourd'hui possible, vers le plein emploi peut aller de pair avec le vide territorial. Chacun sait que les emplois qui naissent dans les services et les nouvelles technologies ne correspondent pas géographiquement aux activités qui disparaissent ou aux lieux où le taux de chômage est le plus élevé. Si rien n'est fait, la croissance économique si elle perdure, ce qui est hautement souhaitable, aggravera encore les inégalités entre territoires et les exaspérations, y compris électorales, qui viennent avec.

Pour les quartiers difficiles, comme pour l'espace rural, la revitalisation économique est la question majeure.

C'est par rapport à elle qu'il faut regarder la préparation des contrats de plan et le zonage lié aux fonds structurels.
  • Contrats de plan :
    j'ai noté que les enveloppes définitives n'étaient pas encore déterminées. C'est encourageant. Je souhaite que la sélectivité dans l'évaluation des projets fasse une large place aux critères fondés sur le développement économique et la localisation d'activités ; et que, pour appuyer cet effort une part, des recettes exceptionnelles liées à la croissance en 1999 soient affectées à cette préparation de l'avenir, à travers des équipements structurants.

  • Fonds structurels :
    Des choix difficiles sont à faire puisque, suite aux décisions de Berlin, la France a vu sa dotation en nombre d'habitants diminuer d'un quart. Et qu'il faut mieux prendre en compte les zones urbaines sensibles. Il convient d'imaginer - d'ores et déjà - des compensations nationales en direction des parties du territoire qui seront mises hors du champ des interventions européennes.


Quant à la nouvelle étape de la décentralisation que nous appelons de nos vœux, elle suppose au préalable une réforme des dotations de l'Etat pour réduire les disparités de richesse entre les collectivités.

Le Parti socialiste va prendre pleinement sa part dans ce débat en lançant sa Convention nationale sur les territoires.

CONCLUSION

Cette rentrée politique s'est faite sans la Droite. Ce qui a expliqué, peut-être, les légères turbulences observées ces dernières semaines au sein de la Gauche plurielle. Rarement l'opposition sera-t-elle apparue aussi divisée et dépourvue de projet. Certes, son véritable chef - en l'occurrence Jacques Chirac qui sera réélu quoiqu'il arrive à la présidence du RPR - s'efforce de combler le vide, mais plus il intervient dans sa famille politique plus celle-ci, à tous les sens du terme, perd la tête, comme si l'infortune de son camp pouvait faire son bonheur politique.

Pour autant, même si la Droite aura du mal à se recomposer au niveau national autour d'une dynamique programmatique, elle fera son rassemblement - et souvent sur une base très large (Charles Pasqua est là pour cela) - à l'occasion des municipales.

C'est pourquoi, la direction du Parti socialiste souhaite la constitution de listes d'union de la Gauche plurielle dès le premier tour. Après avoir rencontré l'ensemble de nos partenaires, cette hypothèse est réaliste, même si les Verts n'ont pas encore fait leur choix. A nous de savoir partager pour mieux gagner.

Lionel Jospin l'a confirmé. Il n'y a ni tournant, ni virage pas plus que de pause ou de parenthèse. Nous gardons le cap à Gauche ; celui que nous suivons depuis 1997. A nous aussi de fixer le rythme pour y parvenir. Car ce cap là c'est le bon. Pour nous mais surtout pour le pays.