Université d'été 2003
31 août 2003

Intervention de François Hollande, premier secrétaire.
 


 

Il y a un an, nous portions les uns et les autres le deuil et certains se pressaient pour observer la procession. Aujourd’hui, nous sommes au travail. Et même éxhortés à le produire vite tant le gouvernement paraît sec, et même à sec, comme touché lui aussi par la rigueur du climat. Nôtre rôle, dans ce contexte, c’est de porter, dans l’intérêt même du pays, la contradiction à la droite et de préparer selon les rythmes prévus par la démocratie un projet.

L’été a été marqué par deux événements majeurs de nature différente, sans doute, mais qui agissent l’un comme l’autre comme des révélateurs.

D’abord l’attentat contre les représentants des Nations Unies en Irak qui a frappé au cœur la seule autorité légitime du maintien de la paix, et qui confirme que l’intervention militaire des Etats-Unis en Irak n’aura hélas ni stabilisé la région, ni fait cesser le terrorisme. Au contraire. La guerre continue sous d’autres formes tout aussi meurtrières.

L’armée américaine est devenue une force d’occupation, le fondamentalisme progresse et le conflit israélo-palestinien, loin de se réduire, paraît comme sans solution.

Bref, un immense gâchis qui renvoie à notre responsabilité : il faut renforcer l’ONU, la doter d’une véritable capacité d’intervention (pas de paix sans l’ONU), faire de l’Europe le levier d’une politique étrangère susceptible de faire pièce à la vision américaine (pas d’ONU sans Europe politique). Et, en attendant, substituer le plus vite possible la force internationale sous mandat de l’ONU à la coalition anglo-américaine en Irak.

Nous nous étions tous mobilisés - et d’autres avec nous - pour que la France s’oppose à la guerre. Nous devons faire le même effort aujourd’hui pour organiser la paix. Ce n’est pas parce que les autorités françaises sont devenues silencieuses que les socialistes ne doivent pas continuer à défendre leurs principes de paix, de justice, de monde organisé, d’une Europe forte et des Nations Unies reconnues.

L’autre événement majeur de l’été, c’est la catastrophe sanitaire produite par la canicule. Nous connaissons désormais enfin le nombre de victimes (11 000). C’est considérable et c’est une douleur immense pour de nombreuses familles. Un tel drame mérite que toutes les leçons en soient tirées. La canicule confirme d’abord tant de climatologues constatent depuis plusieurs années, sans vaincre le scepticisme : le réchauffement de la planète est en cours, et l’effet de serre en l’explication principale.

Et, si nous ne réagissons pas fortement, au-delà même de l’application du protocole de Kyoto, par des mesures courageuses sur les modes de transports, sur la diversification énergétique, sur nos modes de vie, nous préparons la répétition d’autres catastrophes. Et que, plutôt que de prévoir leurs conséquences, mieux vaudrait - d’ores et déjà - prévenir leurs causes.

Ce drame a révélé aussi combien, dans une société qui vieillit, l’attention aux personnes âgées reste encore trop timide. Il ne s’agit pas de culpabiliser les familles, comme certains au plus haut niveau de l’Etat l’ont induit dans leurs commentaires tardifs et décalés, mais de constater que l’accompagnement de la dépendance et de la fin de vie reste encore trop limité et que la solitude et l’abandon des plus fragiles demeurent trop répandus. C’est dire l’effort qu’il faudra consentir pour répondre aux besoins d’encadrement ou d’accueil des personnes les plus dépendantes, mais à partir de financements durables et pérennes.

Il nous est suggéré ce projet de supprimer un jour férié qui peut valoir réponse. L’idée a l’apparence de la générosité : Donner un jour de l’année pour une grande cause. Quel cœur simple pourrait s’y refuser ? À y regarder de plus près, la mesure ressort davantage comme un cadeau au patronat que comme un soutien aux personnes âgées. Le Medef ne s’y est pas trompé en la trouvant « formidable ». Etait-ce un mouvement du cœur ou un sens du profit ? Nous ne le saurons pas. Elle est surtout un prélèvement sur les seuls salariés, au moment où des baisses d’impôts sont consenties aux plus favorisés. À ce compte-là, on cherche vainement la solidarité. Mais on voit bien le truc de communication. Et, si sur chaque ardoise laissée par le gouvernement Raffarin, il faut désormais sacrifier un jour férié, à la cadence où il les accumule, il ne restera bientôt plus que le 14 juillet, sans doute pour préserver l’intervention du Président de la République.

La vraie réponse, c’est la couverture du risque dépendance par une allocation personnalisée autonomie et par un effort contributif spécifique. De manière plus globale, c’est l’organisation de notre système de santé qui doit évoluer avec l’affirmation du rôle de l’hôpital public, mais aussi avec la constitution d’un véritable service public des urgences, associant les médecins de ville et les professions de santé dans le cadre de réseaux de soins.

Mais, la gestion de la canicule a aussi mis en évidence les faiblesses du gouvernement. Il a été pris en défaut sur les prétentions qu’il affichait bien immodestement : gouvernance, proximité, art de la communication. Où est la bonne gouvernance quand, en pleine canicule, aucune cellule de crise n’est mise en place ? Où est la proximité quand le sommet de l’Etat reste « immobile », impassible, impavide sur ses hauteurs ? Où est la communication quand elle se réduit à une compassion tardive, demandant - par la voix du Chef de l’Etat - des mesure nouvelles, alors que son gouvernement a réduit de moitié les crédits prévus par le plan de médicalisation des maisons de retraite et rogné sur les moyens accordés aux bénéficiaires de l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie.

Cette distance entre les mots et les actes n’a jamais paru aussi grande. À force de parler de la France d’en bas, il l’avait tout simplement oubliée.

L’opposition a joué son rôle. Elle a alerté les pouvoirs publics dès les premiers signaux donnés par les médecins ; elle a relevé les retards, réclamé le déclenchement du plan blanc dans les hôpitaux, demandé la transparence, refusé les personnalisations commodes. « Polémique ! » répondait mécaniquement le gouvernement à chacune de nos initiatives, finissant piteusement par décider le lendemain ce qu’elle nous refusait la veille. Il sous-estimait le nombre des victimes avant d’en révéler l’ampleur. Il niait les dysfonctionnements avant de laisser démissionner un directeur général de la Santé pour solde de tout compte. Il écartait la Commission d’enquête parlementaire avant de s’y rallier tout en reportant sa mise en place dans l’espoir d’en réduire la portée.

Aujourd’hui, nous formulons à l’adresse du gouvernement et du Chef de l’Etat deux exigences :
     Une exigence de vérité. Savoir ce qui s’est réellement passé pour ne plus jamais revivre un tel drame ; les familles des victimes y ont droit.
     Une exigence de solidarité à ouvrir à toutes les personnes dépendantes un droit à un accompagnement digne et valoriser le travail des salariés travaillant auprès d’elle.
Cette affaire a servi de révélateur politique. L’équipe au pouvoir est apparue pour ce qu’elle est : aussi maladroite que bien à droite.

Nul besoin de forcer le trait pour être sévère. Il suffit de mettre en cohérence les choix faits dans tous les domaines depuis mai 2002. 15 mois après sa constitution et après avoir longtemps avancé masqué, le gouvernement connaît son épreuve de vérité. En cette fin d’été, il paraît en faiblesse sur le plan social, en échec sur le plan économique et en difficulté sur le plan politique.

Rien ne paraît apaisé car rien n’est réglé :

     Le conflit des retraites a laissé des rancœurs tenaces. Le texte est certes voté, mais chacun sent bien que les sacrifices demandés aux seuls salariés ne suffiront pas à couvrir les besoins de financement à venir. La négociation sur la pénibilité n’est toujours pas ouverte quand le patronat exprime déjà ses réticences sur son aboutissement. Et que dire de la possibilité de faire travailler au-delà de 60 ans les salariés quand, de l’aveu même des responsables de l’ANPE, le retour à l’emploi après 50 ans est aujourd’hui quasiment impossible. Le réveil sera difficile pour ceux qui vont découvrir progressivement l’état réel de leurs droits.

     Les personnels de l’Education sont en état de défiance. Il y a matière ; il manquera à la rentrée entre 20 et 25 000 jeunes adultes encadrants par rapport à septembre 2002. Le budget prévoit la suppression de 1 500 postes d’enseignants dans les collèges et lycées, une première depuis 50 ans. Et aucun moyen nouveau n’est dégagé pour l’école, malgré les proclamations de l’été. Je ne sais comment réagiront les personnels. Les prélèvements opérés sur leurs traitements suite aux grèves ont, en effet, valeur dissuasive. Mais le malaise est là, prêt à ressurgir à tout moment. Et le gouvernement aurait voulu mettre le feu aux poudres avec la restriction de l’allocation logement étudiant et le relèvement des frais d’inscription qu’il ne s’y serait pas pris autrement.

     D’autres conflits demeurent, comme les intermittents du spectacle, ou se préparent notamment dans les services publics avec la privatisation d’EDF.

     Enfin, les licenciements se multiplient ; pas un jour sans l’annonce d’une faillite ou d’un plan social. Et le gouvernement apparaît comme dépourvu de tout moyen d’intervention, dès lors qu’il s’est lui-même désarmé, et que dire de la limitation du plafonnement des indemnités de licenciement imposée aux uns au moment où d’autres s’accordent des parachutes dorés ajoute encore à la rancune devant ces inégalités d’ancien Régime. Quand les uns sont traités comme des salariés sans droit et quand d’autres se comportent comme des rentiers sans risque.
Le Premier ministre, sous la pression, joue les démineurs des engins qu’il a lui-même posés. Il reçoit frénétiquement, consulte tous azimut, visite, promet, ou tout au moins compatit, sous l’œil des caméras. C’est la télé virtualité. Rien n’est vrai.
Bref, il s’échine à gagner du temps pour laisser passer les échéances électorales du printemps prochain et pour prier pour que l’éventuelle reprise viendra à sa rescousse.

L’échec économique

Le gouvernement a perdu tous ses paris :
     Les baisses d’impôts ont stimulé l’épargne et n’ont en aucune façon encouragé la consommation. Le taux d’épargne des ménages est au plus haut et le pouvoir d’achat au plus bas ;

     Les allègements de cotisations sociales n’ont eu aucun effet sur l’emploi, alors que la France connaîtra même des destructions nettes d’emploi en 2003 ; le chômage, malgré les manipulations statistiques, atteindra 10 % de la population active à la fin de l’année ;

     Les appels à l’initiative sont restés sans écho, la croissance a reculé au 2ème trimestre, l’investissement ne repart pas et les déficits se creusent, plus 50 milliards d’euros pour l’année 2003, 16 milliards pour la Sécurité sociale, 4 % du PIB, soit largement au-dessus de nos engagements européens.
Jean-Pierre Raffarin en est à implorer auprès de Bruxelles, en tenue de bure, des dérogations au pacte de stabilité, promettant un retour imminent à la croissance auquel personne ne croit. Les annulations de crédits s’accumulent sans rien colmater. C’est un constat d’échec. C’est surtout un aveu d’impuissance. Alors qu’il faudrait proposer à nos partenaires européens un plan de relance fondé sur des investissements publics.

Alors qu’il faudrait réactiver les dispositifs d’emploi, il les prive de toutes ressources nouvelles. Alors qu’il faudrait soutenir la consommation, il la bride par la hausse des tarifs publics et des déremboursements multiples. Il se permet même d’exhorter la valeur du travail au moment où de plus en plus de nos concitoyens sont privés de leur emploi.

Le gouvernement, par une espèce de fuite en avant, est entré dans une logique d’endettement. Les déficits sans la croissance. C’est-à-dire qu’il sacrifie l’avenir pour ne même pas sauver le présent.
Je ne suis pas sûr que tous nos concitoyens soient conscients d’une telle dérive. Il nous revient de les éclairer. Eux-mêmes commencent, il est vrai, à affiner leur jugement.

L'échec politique

     Un Premier ministre qui découvre l’impopularité. Il a appris à ses dépens que le Stade de France ne distribue pas que des médailles d’or, mais aussi des sifflets (ce qui ne doit pas nous empêcher de féliciter nos champions, notamment nos championnes).

     Des ministres que l’on cache de peur qu’ils provoquent, que l’on musèle de peur qu’ils dérapent ou que l’on oublie de peur qu’ils se fassent connaître.

     Des difficultés qui s’accumulent, y compris sur le terrain de l’autorité de l’Etat : comment peut-on expliquer que l’on ait connu les chiffres si tard sur la catastrophe sanitaire, évasions spectaculaires des prisons, attentats en Corse sans réaction des pouvoirs publics outre le déplacement de Dominique. Perben. Mais, où est donc Nicolas Sarkozy ? Jamais la violence n’avait pris cette dimension. Que dirait la droite si elle était dans l’opposition ? Que déclarerait le Président de la République si nous étions en cohabitation ?

     Un Président qui se protège ; c’est d’ailleurs tout le sens de son quinquennat.
Et le pouvoir en est même à recourir aux méthodes du passé :
     Manipulation des statistiques : chômage (radiations), sécurité (les Préfets et les fonctionnaires étant jugés sur leurs résultats, un tel critère ne favorise pas l’inflation) ;

     Interventions sur la Justice : nomination, mais aussi interventions sur les Parquets ;

     Pressions sur la presse ; malheur aux journalistes qui pourraient reprendre les mots de l’opposition ou les images non autorisées du Premier ministre. Chirac, Raffarin, c’est en fait la part d’ombre du gaullisme et du Giscardisme réunis.
Cette perte rapide de crédit de la droite crée une exigence, à défaut d’une attente, à l’égard de la gauche et des socialistes en particulier. Cette interpellation est légitime, indispensable en démocratie.

Surtout si l’on veut sortir de ce cycle infernal où une majorité ne se reconstitue que sur l’échec de la précédente et où les alternances se succèdent comme par défaut, au risque - qui n’est plus virtuel - de voir le populisme contrôler la partie. Je ne me plains pas de cette impatience à notre endroit. Hier, on nous annonçait moribonds, aujourd’hui on nous sommes de présenter nos propositions. Je savoure, discrètement, secrètement le progrès.

LE PARTI SOCIALISTE

Il s’est reconstitué après la terrible défaite du 21 avril, a largement débattu à l’occasion de son Congrès dès la fin des votes, comme peu de partis politiques en sont capables. Il a défini son identité, fixé sa ligne. Mais, je le disais à Dijon, le plus dur reste à faire : proposer une alternative effective : donner confiance dans la politique.

1/ Formuler une opposition utile

    C’est-à-dire informer les citoyens sur les conséquences des choix effectués, marquer les différences d’approche entre la gauche et la droite, montrer les autres voies possibles, démonter les artifices de communication, exiger la vérité. Convenons que, pendant une période, nous prêchions dans le désert que nous traversions d’ailleurs stoïquement. Et, ceux qui cherchaient l’opposition n’avaient pas forcément envie de la trouver. D’autant qu’il était commode de rappeler que nous étions en situation d’agir, il y a peu. Ce temps-là est révolu.

    Aujourd’hui, les Français veulent nous entendre, même s’ils doutent encore de nous. Ils veulent connaître nos positions, savoir ce que nous aurions fait si nous étions encore aux responsabilités et ce que nous ferions si nous y revenions. Bref, comparer et former leur jugement pour espérer encore dans un autre possible. Ils n’ont rien oublié de notre propre bilan –de ses insuffisances comme de ses acquis. Et nous aurions tort de ne pas nous-mêmes nous y référer. Ils ne veulent pas se laisser abuser par des solutions faciles ou commodes et nous n’aurions aucun avantage à abandonner notre culture de gouvernement, surtout qu’elle peut rendre d’autant plus fondées nos critiques.

    Mais, la crédibilité suppose pour nous de parler d’une seule voix.
    C’est une condition essentielle. La diversité de notre parti est une chance. Nous savons la qualité des nombreuses personnalités en notre sein. C’est un atout. Nous sommes fier du débat que nous savons mener entre nous. Tout cela est légitime. Mais, une fois que la discussion a été menée librement, que les délibérations ont été prises par les instances responsables et que les votes de Congrès sont intervenus, que l’on se soit compté et - a fortiori si on ne s’est pas compté - la position retenue est la seule qui nous engage tous et l’unité de notre expression est notre règle commune. La polyphonie finit toujours par tourner à la cacophonie. Il y a des sensibilités, des talents ; il n’y a qu’un seul Parti socialiste. Il nous rassemble tous. Notre unité est notre force.

    Enfin, puisque j’en suis aux règles de comportement, je demande à tous de la considération pour notre Parti. Pauvre Parti socialiste à qui l’on reproche tout, sauf son investiture électorale le moment venu ! C’est notre bien collectif. Il nous appartient en indivision. Soyons exigeants avec lui et ses dirigeants, mais aimons-le. Car, c’est l’instrument peut-être de l’espoir pour notre pays.

2/ Avancer des propositions fortes

    S’opposer, c’est aussi proposer. Il ne s’agit pas, dès à présent, c’est-à-dire quatre ans avant l’échéance majeure de 2007, de présenter clé en main un programme de gouvernement qui serait décidé à la hâte sous la pression des événements, délibéré sans prise en compte des acteurs sociaux et déconnecté du contexte même de la confrontation.

    En revanche, nous avons - à notre rythme - à déterminer nos orientations et nos priorités essentielles pour les Français et qui fondent notre projet...
    Construire notre propre agenda avec méthode, même s’il n’est pas sans lien avec l’actualité, celle du gouvernement ou celle des événements et des échéances électorales. Ce fut l’objet du séminaire qui a précédé l’ouverture de notre université d’été.

    Nous avons d’ores et déjà arrêté quatre échéances :

       Nous fixerons dans le Conseil national du 11 octobre nos grandes orientations en matière de santé et de protection sociale.
       Nous lancerons, dès la fin du mois d’octobre, les assises de l’Education qui associeront tous les partenaires de l’école pour élaborer notre projet éducatif qui est le fondement même de notre projet de société.
       En janvier 2004, nous organiserons un Conseil national thématique sur la question de l’immigration et le traditionnel rassemblement des secrétaires de section, sous la forme d’une première conférence militante, sera consacré à la démocratie locale.
       Enfin, sur le sujet essentiel de la Constitution européenne, nous formulerons dès l’automne, en Conseil national, après débats des conseils fédéraux, les exigences que doivent porter les socialistes auprès des autorités de notre pays dans la conférence intergouvernementale qui doit mettre la dernière main au texte constitutionnel. Et les militants socialistes seront consultés - le moment venu - directement pour déterminer la position du parti sur cette Constitution à la fin du processus. C’est un engagement de Congrès. Il sera tenu.

    Ce travail doit contribuer à l’affirmation de notre identité.

3/ Affirmer notre identité

    À notre Congrès, nous avons fait le choix du réformisme de gauche. C’est une voie originale quand certains bons esprits n’imaginent l’avenir pour le socialisme que coincé entre l’alignement sur l’accompagnement social du libéralisme et la rupture incantatoire avec le capitalisme. Nous n’aurions le choix qu’entre la fin de l’alternative ou la fin de l’alternance.

    Nous refusons ce faux dilemme posé comme une fatalité qui n’est qu’une facilité de pensée. Face au libéralisme, nous voulons une société solidaire, celle qui offre à chaque individu l’occasion de s’accomplir grâce à la mobilisation la plus efficace des ressources collectives.

    La société solidaire, c’est faire le choix du long terme : Donner priorité à l’Education, la Recherche, la Culture, l’Ecologie. Ce qui suppose des décisions fortes sur les priorités budgétaires, mais aussi sur nos propres modes de vie : transports, énergie, ville. Et de vaincre - et là, il faudra de l’audace - souvent les réticences et les frilosités. L’audace n’est pas l’incantation.

    La société solidaire, c’est de lutter contre toutes les inégalités, leurs origines comme leurs conséquences. Ce qui suppose des mécanismes de redistribution adaptés, d’affirmer la légitimité de l’impôt et des services publics présents et efficaces.

    La société solidaire, c’est celle qui refuse la formation de ghettos, celle qui ne se résigne pas à un partage insidieux entre territoires riches et quartiers abandonnés à toutes les violences. La société solidaire revendique la République, promeut la laïcité et refuse le communautarisme, qui est le produit de ces abandons.

    Le réformisme de gauche, c’est d’agir au niveau approprié. C’est en terminer avec la croyance d’une action dans un cadre purement national ou s’en remettre à une gouvernance mondiale sans activité. L’Europe est désormais la puissance publique indispensable et le renforcement de la démocratisation des Institutions internationales, une absolue nécessité.

    Le réformisme de gauche, c’est d’admettre que l’Etat est indispensable pour la transformation et la réforme, mais qu’il ne peut désormais y parvenir que par la reconnaissance des acteurs sociaux et la mobilisation de toute la société.

    Le réformisme de gauche, c’est une exigence démocratique, c’est la conviction que le renforcement de la citoyenneté est une condition pour la réussite individuelle et collective.

    Sans doute, ce chemin-là est plus difficile que celui bien balisé du conformisme ou du suivisme. C’est le projet original sur lequel nous devons travailler. Et nous ne le construirons pas seuls.

4/ Dialoguer avec la société

    Pendant les mois qui viennent, nous devons confronter nos propositions et notre démarche avec toutes les forces vives de notre pays : syndicats, associations, intellectuels, dans le respect du rôle de chacun. Nous l’avons fait lors de cette université d’été.

    Il en est de même pour les mouvements sociaux. D’abord, je ne vois pas pourquoi nous aurions à nous plaindre dans notre situation d’une contestation grandissante de bon nombre de catégories sociales à l’égard du gouvernement Raffarin. Les mouvements du printemps dernier, les grèves, sur les retraites, sur l’école comme sur la Culture expriment une volonté qui n’est pas simplement celle de défendre des acquis, mais de préserver une conception de la société, un modèle social.

    C’est mieux que la résignation, l’apathie ou le fatalisme.

    Nous n’avons ni à les stimuler ni à les réfréner - c’est le rôle des organisations syndicales - mais à démontrer que nous pouvons présenter une autre réforme, une autre réponse qui ne se réduit pas à l’agrégation des revendications. Un mouvement social peut empêcher, on l’a vu dans un passé récent, il ne peut à lui seul transformer. C’est le rôle de la démocratie politique.

    La droite, par son souci constant de diviser les Français, de créer l’épreuve de force, pousse à la radicalisation de mouvements dans une double perspective : couper les mouvements du reste de l’opinion pour les déconsidérer et donc les vaincre, les couper de nous aussi pour rendre illisible les clivages et donc impossible le changement politique. C’est pourquoi, nous devons avancer nos propositions pour offrir - en toute hypothèse - un débouché politique crédible à ces mouvements.

    À l’égard de l’alter mondialisme, notre démarche n’est pas différente. Je ne vois pas pourquoi le succès incontestable du rassemblement du Larzac serait une gêne pour les socialistes, au prétexte que quelques énergumènes ont démonté le stand de notre fédération, ce qui a emporté la condamnation de tous les organisateurs. Ce serait identifier bien légèrement la masse des participants à cette forme d’intolérance.

    Je l’ai dit dès cet été : que 250 000 personnes se mobilisent pour une autre organisation de la planète, un partage des richesses entre le Sud et le Nord, une meilleure sécurité alimentaire et une condamnation de la marchandisation du monde, dont le gouvernement Raffarin est l’instrument en France, est une bonne nouvelle pour l’engagement et la démocratie. Nous avons à y prendre notre place, les socialistes sont, depuis longtemps, des internationalistes et donc des alter mondialistes. Et nous serons présents au Forum Social Européen. Nos militants et nos élus y prendront toute leur place. Mais, nous devons le faire avec des principes clairs et des positions justes :

       Nous partageons le questionnement et parfois les pistes de réflexion, mais nous apportons nos propres réponses. Cela vaut pour l’OMC –qui est le cadre indispensable, même s’il doit être démocratisé, de la régulation commerciale, sinon c’est le pouvoir sans limite des Etats-Unis. Cela vaut pour l’Europe politique et sociale. Cela vaut aussi pour les règles financières, les taxes internationales, qu’il faut exiger pour lutter contre les désordres de la planète. Nous avons à capter des idées nouvelles mais aussi à avancer nos solutions ; ce sera l’objet du Congrès de l’Internationale Socialiste au Brésil, chez notre ami Lula.

       Nous écoutons, dialoguons, mais nous exigeons le même respect : nous ne sommes pas dans la culture de l’excuse et moins encore dans le rôle du suspect, au prétexte que nous faisons de la politique et que nous aspirons à gouverner.

       Nous devons réaffirmer devant ces mouvements la nécessité des partis politiques, l’utilité des élections, et la place de la démocratie, même si elle ne se confond pas avec la démocratie sociale. Certes, nous reconnaissons qu’il y a d’autres formes d’engagements que la mobilisation partisane, d’autres façons d’agir politiquement que de simplement voter. Mais, nous devons rappeler que le plus beau des rassemblements ne remplace jamais une élection victorieuse. Le plus illustre des symboles est le Larzac lui-même. Dans les années 70, de nombreuses mobilisations s’y sont déroulées pour empêcher l’installation du camp militaire. Mais, au bout du compte, il a fallu attendre 1981 et la victoire de François Mitterrand pour que le Larzac demeure ce qu’il est aujourd’hui.

5/ Rassembler la gauche

    Le rassemblement de la gauche est notre stratégie. Il ne doit pas être conçu - comme par le passé- comme une addition de partis sans projet commun, au risque de devenir une division dès les premières difficultés. D’où la nécessité d’élaborer ensemble un contrat global. Cela vaut au plan territorial dans chaque région et, au-delà de 2004, au plan national. Nous n’y parviendrons que si le Parti socialiste lui-même se montre ouvert et disponible et que s’il crée, par son projet et son lien avec le pays, une dynamique rendant inévitable le rassemblement.

    C’est à nous à la fois de structurer la gauche, de créer le mouvement, d’avancer à notre rythme pour entraîner l’ensemble. C’est en couvrant nous-mêmes l’ensemble du champ politique : l’écologie, le social, la République que, loin de contrarier la convergence nous la faciliterons.

    Bref, la force du Parti socialiste, n’est pas une hégémonie, elle est la condition même de l’union. Notre faiblesse serait la certitude de l’émiettement.

    Nous avions proposé de lancer les forums de la gauche. Dès maintenant, je propose d’organiser dans tous nos départements, en les ouvrant à nos partenaires qui le voudront pour préparer le projet territorial qui doit nous fédérer dans la perspective des élections régionales.

    J’ai entendu tout au long de ces derniers jours une question lancinante revenir. Quels rapports le Parti socialiste devrait-il établir avec les partis d’extrême gauche ? Terrible question. Il est d’autant plus simple de répondre à cette interrogation, et d’ailleurs pas nouvelle car l’extrême gauche ne date pas d’hier peut-être même d’avant-hier, que les intéressés l’ont fait avant nous.

    Ils nous considèrent comme à peine différents de la droite qui serait, selon eux, la gauche en pire. Ils refusent toute alliance avec nous et même écartent l’hypothèse d’un désistement en notre faveur. Ils refusent l’idée même de l’exercice du pouvoir. La messe est dite si je puis dire.

    Ce qui ne veut pas signifier qu’il faudrait se dispenser du travail de conviction auprès de tous ceux qui peuvent être sensibles aux thématiques de l’extrême gauche ou au combat radical contre le libéralisme. Mais, il convient de montrer l’impasse à laquelle elle les conduit. C’est-à-dire à l’impuissance et au statu quo.

    Nous, nous revendiquons la responsabilité. Nous prenons le risque de réformer, de transformer. Et nous savons que s’il faut parfois des mouvements, des grèves, de la contestation pour porter des aspirations, tous les grands progrès ont été accomplis - dans notre histoire récente - par des majorités de gauche. C’est notre honneur de socialistes. Et c’est toujours notre devoir (de Léon Blum à Lionel Jospin en passant par François Mitterrand). C’est toujours ainsi que nous avons fait avancer notre pays.

    Car, à vrai dire, ce que je redoute le plus ce n’est pas tant une concurrence à notre flanc que la présence de l’extrême droite et la persistance d’une indifférence à l’égard de la politique. L’extrême droite n’a pas besoin d’un programme pour prospérer. Au contraire même, elle sait charrier toutes les peurs, toutes les inquiétudes d’où qu’elles viennent. Elle n’a pas besoin de prendre position sur les retraites ou sur les effets de la canicule. Car elle sait capter tous les mécontentements. Son effacement, son silence même, n’est pas un problème, c’est sa solution ; elle consiste à rester dans l’ombre, à se faire oublier, pour sortir au dernier moment. Les faits divers les plus dramatiques sont sa pitance quotidienne. Elle s’en nourrit. Elle s’en engraisse.

    Quant à l’indifférence civique, elle prend sa source dans l’indifférenciation politique. Le « ni droite ni gauche », le mépris des partis, le rejet de toute représentation... Tout cela était contenu dans le 21 avril et n’a pas disparu. Et c’est là-dessus que nous devons être vigilants.

    Ce serait tout de même un paradoxe, au moment où la droite connaît une contestation grandissante, que le rejet de la politique finisse par lui laisser la possibilité de poursuivre la sienne. C’est pourquoi elle entretient la confusion et la dépolitisation. C’est sa meilleure arme. Elle l’exercera à l’occasion des échéances qui viennent. Il n’y aura d’avenir possible pour la démocratie que s’il n’y a une droite et une gauche diverse mais rassemblée.

    LA PRÉPARATION
    DES ÉCHEANCES DE 2004


    2004 est une année électorale marquée par 4 scrutins les régionales, cantonales, européennes et sénatoriales.

    C’est une étape importante, car ce sont les premières élections intermédiaires depuis le séisme du 21 avril et qu’il n’y aura pas d’autres rendez-vous avant les échéances majeures de 2007. Ce qui n’aura pas été dit en 2004 ne pourra plus être prononcé avant 3 ans, pendant lesquels la droite aura - autant qu’il est possible de le prévoir - quartier libre.

    Les élections territoriales de l’année prochaine auront nécessairement une portée nationale. Cette caractéristique sera d’autant plus évidente selon que les ministres s’engageront eux-mêmes ou pas dans la bataille. On me dit que le premier d’entre eux y réfléchit pour cette Région Poitou-Charentes. Je ne sais s’il faut l’encourager ou le dissuader.
    Je comprends sa perplexité. Je sais autour de moi qu’il est attendu de pied ferme. Mais, l’implication du gouvernement donnerait aux résultats une interprétation qui irait au-delà du simple avenir des exécutifs régionaux.

    Mais, il faut dépasser le simple enjeu national. Nous devons faire apparaître que les élections régionales et cantonales sont un moyen pour les citoyens de développer des politiques qui peuvent leur être utiles à l’échelle des territoires : les transports, l’environnement, la formation, la culture, de démocratie.

    Nous sommes dans l’opposition au niveau national, mais nous sommes en capacité d’agir en animant les grandes collectivités de notre pays, non pas simplement pour faire contrepoids mais pour innover, inventer, imaginer de nouvelles formes de démocratie et développer des politiques qui ont vocation à être généralisées le moment venu. Il faut donc appeler à un vote positif pour construire et pour agir.

    Nous sommes là pour changer notre pays. Nous n’attendons pas uniquement les erreurs de la droite.

    C’est pourquoi nous porterons un projet territorial qui redonne une lisibilité et une clarté à l’action locale, au moment où le gouvernement Raffarin a sinistré le concept de décentralisation en en faisant l’instrument d’une défausse de l’Etat de ses responsabilités sur les collectivités locales.

    Notre calendrier de désignation est arrêté. Les militants choisiront à toutes les étapes leur chef de file et leur candidat avec le souci du renouvellement et avec le respect de notre diversité. Fin décembre, notre dispositif sera connu. Et ce sera le moment pour nos partenaires de donner leur réponse. Nous souhaitons des listes d’union partout. Nous respecterons leur influence. Mais, nous ne laisserons pas les négociations s’enliser. Car il faut créer le plus vite possible la dynamique autour de nous. Nous sommes ouverts, rassemblés. Chacun est libre de nous rejoindre.

    CONCLUSION


    La politique, c’est une vision, une ambition, un projet ; mais c’est aussi la gestion du temps, c’est-à-dire du calendrier.

    Nous avons à agir dans l’urgence - l’actualité commande, dans la riposte - le gouvernement nous en fournit chaque jour les raisons, dans la confrontation électorale - elle arrive, mais nous avons aussi à préparer patiemment notre projet, à le construire avec sérieux, méthode, dialogue. À en faire davantage que l’instrument de la reconquête, le levier de la réhabilitation de la politique.

    Donner du temps, mais ne pas le perdre. Incarner dès à présent la relève mais respecter les échéances. S’opposer mais être utile. Dénoncer sans relâche les injustices, mais incarner l’espoir.

    Nous y parviendrons par l’unité, le travail, le dialogue, le rassemblement, la confrontation démocratique par la mobilisation des citoyens.

    Ce que nous avons à construire pour le temps qui vient, c’est d’être en capacité de faire resurgir l’espoir et l’espoir n’est possible que s’il y a un projet et un parti pour le porter.

    Ce parti, c’est le nôtre.