Un pacte
pour l'emploi

par Lionel Jospin 
Premier secrétaire du Parti socialiste 

  Tribune parue dans les pages " Débats " de Libération daté du 17 mai 1997
 

Interrompu depuis quinze ans, le mouvement historique de réduction du temps de travail doit être repris. La machine permet aujourd'hui des gains de productivité considérables, dont l'homme doit profiter. Comment ? Les Pays-Bas nous indiquent la route à suivre. Ce petit pays, très ouvert à la concurrence internationale et très dépendant, a néanmoins divisé son chômage par deux en quinze ans, qui passe de 12 % de la population active en 1982 à 6 % en 1997, alors que, sur la même période, le nôtre s'envolait de 8 % à 13 %. Nul miracle dans ce résultat. Seulement la volonté partagée par tous les acteurs économiques et sociaux de donner la priorité à l'emploi, de le faire en réduisant vigoureusement la durée du temps de travail et d'en répartir de manière équitable le coût. Voilà la direction que nous nous engageons à suivre si, demain, nous accédons à nouveau aux responsabilités. Seul un engagement de toutes les forces vives du pays permettra de réussir cette mutation: un pacte national est donc nécessaire.

La conférence de l'emploi, des salaires et de la réduction du temps de travail que nous proposons et qui se réunirait aussitôt après l'indispensable audit des finances publiques, au mois de juillet, scellerait ce pacte. L'Etat désignerait le cap à tenir, celui du passage progressif aux 35 heures à la fin du siècle, sans diminution de salaire, grâce au vote d'une loi-cadre. Aux partenaires sociaux de négocier, dans le courant du second semestre 1997, branche par branche, entreprise par entreprise, le rythme et les modalités de cet accord. Nous ne proposons bien sûr pas «l'économie administrée» ni la «spoliation des entreprises», comme le prétend la droite. La réduction du temps de travail exige de la souplesse: à la négociation de le permettre. Et l'effort sera équitablement réparti. Les gains de productivité permettront de financer une part importante de ce mouvement. Les entreprises dont la situation financière le permet participeront, elles aussi, au financement du dispositif. L'Etat, dont c'est là le devoir, incitera les entreprises à s'engager résolument dans cette voie de la réduction négociée du temps de travail en allégeant leurs charges sociales. Quant aux salariés, ils conserveraient leur rémunération mensuelle pour un temps de travail allégé et accepteraient, en contrepartie, une modération salariale. D'un côté, les anciens salariés gagneraient autant tout en travaillant moins; de l'autre, les nouveaux salariés gagneraient enfin leur vie en travaillant plus nombreux. Il y aura bien, au total, hausse de la masse salariale: elle proviendra des nouvelles embauches. Des centaines de milliers d'emplois pourraient ainsi être créés.

Créer les conditions d'une nouvelle croissance, plus riche en emplois, et faire émerger les emplois nouveaux dont notre société a besoin : voilà le second temps de notre démarche.

Dans cette perspective, l'une de nos propositions les plus fortes, les plus symboliques, est la création de 700 000 emplois pour les jeunes. Cette mesure suscite le scepticisme chez les uns et l'espoir chez les autres. Je veux revenir ici sur ses modalités. Nous voulons faire émerger, à côté des services publics que les Français connaissent et apprécient, les nouveaux services de proximité aux personnes dans notre société a tant besoin. Prise en charge des personnes âgées ­ notamment dans le cadre du maintien à domicile ­, accompagnement et soutien scolaires, sécurité de proximité, protection de l'environnement, encadrement sportif, etc.: des besoins considérables existent, que le marché ne sait pas encore prendre en considération, auxquels il n'apporte pas encore de réponse. Créer 350 000 emplois dans ce secteur des services en pleine éclosion n'est donc pas un gadget, ni le stigmate d'un étatisme dépassé, moins encore un artifice électoral: c'est simplement répondre à une demande sociale qui existe en donnant une possibilité d'insertion professionnelle à des jeunes pour l'heure ballottés de stage en stage. Les emplois ainsi créés ne seront en aucun cas des postes de fonctionnaires supplémentaires. Il s'agira, en revanche, de vrais contrats, d'une durée de cinq ans, offerts par les associations et les collectivités locales, assortis d'un vrai salaire. Ce dispositif n'augmentera pas la dépense publique puisque son financement, clair, sera gagé sur des économies. Compte tenu de la nécessaire montée en charge de cette mesure, son coût sera de 5 milliards de francs pour le second semestre de 1997 et n'excédera pas 13 milliards de francs en 1998. Ce n'est qu'à compter de la fin de l'année 1999, en régime de croisière, que 35 milliards de francs seront nécessaires pour financer ces 350 000 emplois. C'est le prix à payer pour tendre la main à notre jeunesse et lui donner la place qu'elle mérite. C'est bien peu si l'on sait que, chaque année, l'Etat dépense 130 milliards de francs pour des aides à l'emploi trop souvent inefficaces - je pense, en particulier, au CIE. En simplifiant et en mettant fin à certaines de ces aides, nous dégagerons les sommes nécessaires au financement du dispositif. Ce n'est rien si l'on songe, un instant, au coût humain, social et économique du désastre actuel.

Quant aux 350 000 emplois que nous nous fixons comme objectif dans le secteur marchand, nous inciterons les entreprises à les créer par des exonérations de charges sociales qui seront accordées si les embauches de jeunes sont avérées. Je connais les difficultés, les contraintes qui sont celles de beaucoup de chefs d'entreprise; je sais leur souci d'efficacité et de compétitivité; mais je ne veux pas douter de leur sens des responsabilités ni de leur volonté d'offrir un avenir à la jeunesse. Cet engagement passera, là encore, par la négociation. Il sera aussi le leur.

Ce programme national pour les jeunes illustre ma conception du rôle de l'Etat. La droite dit vouloir réduire la dépense publique; en fait, elle menace le service public. Nous ne souhaitons pas dépenser plus mais dépenser mieux. Le budget de l'Etat doit être réorienté vers l'emploi, vers des dépenses d'avenir ­ éducation, recherche, culture ­, vers la solidarité ­ d'abord vers le logement social, vers la restructuration des banlieues, vers la sécurité. C'est dans cet esprit que nous préparons un premier collectif budgétaire pour 1997 et le projet de loi de finances pour 1998.

Il nous faut également renouer avec une croissance plus riche en emplois. C'est possible. Aujourd'hui et plus encore demain, les emplois créés le seront dans de petites entreprises, pour des services nouveaux. Le sens de l'innovation, la créativité, la souplesse des entrepreneurs constitueront le gage de la création de nombre des emplois à venir. Par une fiscalité favorable à l'investissement à risques, par la mobilisation de l'épargne pour le renforcement des fonds propres des PME, par la simplification des procédures administratives, par une politique active de « capital-risque », nous créerons un environnement favorable au développement des PME. C'est là, je le sais bien, que se situe le principal gisement d'emplois du XXe siècle. Mais, bien entendu, tout cela serait incomplet si je ne parlais pas de l'Europe économique.

Aujourd'hui, c'est la vision monétariste et libérale de l'Europe qui prévaut. Aucun pays n'a intérêt à rechercher une croissance plus soutenue, car cela s'effectuerait à ses dépens. Il faut dépasser cette logique à courte vue, qui est celle du chacun pour soi, et construire résolument une Europe de la coopération et de la coordination des politiques économiques. Ce sera là l'une des tâches essentielles du gouvernement économique européen que nous voulons mettre en place en regard de la Banque centrale. Une Europe coopérative aurait pu éviter la dépression de 1993. Elle pourra demain en effacer les séquelles. Dans toute l'Europe, les besoins en éducation, en formation des hommes, en infrastructures de transport, en réseaux de télécommunications, en rénovation des villes sont considérables. L'Europe ne retrouvera tout son potentiel de croissance que si ces investissements d'avenir, non rentables à court terme et pourtant indispensables à la prospérité des générations futures, sont engagés dès aujourd'hui. Nous avons déjà pris du retard par rapport aux grands blocs politiques et économiques que sont les Etats-Unis d'Amérique et l'Asie orientale.

Chaque année, les pays émergents d'Asie vont, ensemble, consacrer environ 100 millions de dollars pour leurs infrastructures collectives. Tournons-nous résolument vers l'avenir et sachons pour cela réaliser les investissements d'aujourd'hui qui feront les emplois de demain. C'est pourquoi je souhaite que s'exprime, dès le sommet d'Amsterdam, une volonté commune de sortir par le haut de la langueur européenne, et que soit enfin lancé le pacte européen de croissance que j'appelle de mes vœux.

« Regarder l'avenir le change », a écrit René Char. Oui, regardons l'avenir, ensemble, lucidement, mais sans crainte, pour mieux le changer. Un autre chemin est possible. Difficile, mais il existe. Une autre politique est possible.

Si les Français le décident, nous sommes prêts à gouverner.

Le premier volet de la tribune :
" Parce qu'une autre politique est possible "

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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