Discours du Premier ministre
devant le Bureau du groupe parlementaire
du Parti des socialistes européens,
présentant la Présidence française de l’Union européenne
le 29 juin 2000

 


 

Cher(e)s Camarades,

A quelques jours, deux exactement, du début de la Présidence française de l’Union européenne, je suis heureux de l’occasion qui m’est offerte de dialoguer avec vous. Je souhaite remercier les initiateurs de cette rencontre, au premier rang desquels mon ami Enrique Baron Crespo, président du groupe parlementaire du Parti des socialistes européens, ainsi que ses artisans, en particulier Pervenche Béres, vice-présidente du groupe, et Christine Verger, secrétaire générale du PSE. Je les félicite d’avoir su organiser cet échange au sein de la famille socialiste européenne.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des priorités retenues pour la Présidence française. J’ai eu l’occasion de les présenter le 9 mai dernier à l’Assemblée nationale. Votre groupe en a déjà eu un aperçu avec Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes, lors de la rencontre du 10 mai dernier. Ces priorités vous seront détaillées par le Président de la République le 4 juillet prochain à Strasbourg. Vous allez d’ailleurs en examiner plusieurs cet après midi et demain matin avec les différents membres du Gouvernement qui participeront à vos travaux.

Je souhaite plutôt mettre à profit cette rencontre pour souligner le cap politique qui sera celui de la Présidence française. Pendant ce semestre, par fidélité aux valeurs de gauche et dans la continuité des travaux entrepris par nos amis Portugais, l’objectif du Gouvernement sera de contribuer à construire une Europe plus proche des citoyens - une Europe au service de leurs préoccupations. Cela exige une Europe plus efficace et plus forte - une Europe politique, effectivement gouvernée.

Nous devons rapprocher l’Europe des citoyens.

Nos concitoyens ont une conception mêlée de l’Europe. Ils adhèrent au projet européen, fondé sur l’idée qu’une Europe unie est une Europe plus forte, en paix et prospère, une Europe tirant le meilleur parti de la mondialisation. Mais ils sont plus ambivalents ou circonspects à l’égard du processus même de construction, ayant le sentiment d’une Europe lointaine, opaque et technocratique.

Rapprocher l’Europe des citoyens, c'est d’abord bâtir une Europe dans laquelle ceux-ci se reconnaissent.

Nous le ferons en affirmant un ensemble de valeurs et de libertés qui fondent l’identité européenne. Dans cette perspective, le projet d’une charte des droits fondamentaux de l’Union européenne revêt une grande signification politique. Le contenu de ce texte doit être ambitieux. En particulier, les droits économiques et sociaux doivent y occuper une place importante, puisque l’Europe est un modèle de développement où la performance économique et le progrès social sont indissociables. Tout ce qui contribue au renforcement de ce modèle social européen est donc essentiel. Le projet d’un agenda social européen a vocation à conforter cette ambition. Il devrait permettre de donner une nouvelle impulsion au dialogue social européen.

De même, une réflexion sur une meilleure prise en compte, dans les processus réglementaires européens, des missions de service public apparaît comme une nécessité. Il sera utile de connaître votre analyse et vos propositions sur ce sujet.

Au-delà des valeurs, pour rapprocher l’Europe des citoyens, il faut que l’Union réponde mieux aux attentes des Européens.

L’emploi et la croissance comptent aux premiers rangs de leurs préoccupations. La réorientation de la construction européenne autour de cette priorité est un acquis qu’il faut sans cesse développer. La reconnaissance par les Quinze, au Sommet de Lisbonne, de l’objectif de plein emploi à l’horizon de la décennie est une étape importante. Nous sommes décidés à poursuivre dans cette voie, en renforçant la coordination des politiques économiques des Etats membres et en se fixant de nouveaux objectifs concrets en matière d’emploi.

Il est de nombreux autres domaines pour lesquels une réponse européenne s’impose, complétant et amplifiant ainsi les efforts déployés par les Etats. Parmi eux, je citerai la sécurité alimentaire, avec le projet d’autorité européenne indépendante et la promotion du principe de précaution, et la sécurité dans les transports, en particulier maritimes, avec l’adoption d’un ensemble de mesures cohérentes et concrètes. Il y a aussi la politique européenne en matière de droit d’asile et la lutte contre l’immigration clandestine —question dont le drame de Douvres vient de souligner l’acuité—, la création d’un espace judiciaire européen, ou encore la lutte contre le dopage.

Pour tous les Européens, l’Union de nos nations, dont la diversité est une richesse, passe par un accroissement des échanges humains. C’est un but poursuivi avec, par exemple, la construction d’un véritable espace européen de la connaissance. Un plan d’action permettra d’accroître la mobilité des étudiants, des apprentis, des enseignants et des chercheurs.

Sur tous ces sujets, le rôle des partis politiques, et notamment le PSE, est essentiel. Je sais que vous êtes très attachés à cette question, comme en attestent les débats sur le statut du député et des partis politiques européens. Vous êtes des relais des peuples de l’Union. Par votre action au sein du Parlement européen, vous invitez les institutions communautaires à mieux répondre aux préoccupations des citoyens que vous représentez. C’est donc en liaison étroite avec vous que doit se conduire la réforme des institutions européennes, second axe de la Présidence française.

Nous devons construire une Europe plus forte et plus efficace.

Je souhaiterais évoquer la situation actuelle des institutions européennes et recueillir votre appréciation sur ce sujet. La crise qu’a connue la précédente Commission européenne, l’année dernière, est sans doute plus profonde que nous ne l’avions escompté ; il n’est à l’avantage de personne d’avoir une Commission affaiblie. La définition de l’intérêt général européen s’en trouve affectée et les rivalités d’intérêts parfois avivées. Pour sa part, le Parlement européen occupe une place nouvelle dont je me réjouis, compte tenu de sa légitimité démocratique ; mais ce rôle affirmé ne doit pas, pour autant, devenir une gêne pour le difficile travail de la Commission. Quant à lui, le Conseil européen connaît une nouvelle vigueur, peut-être au détriment des conseils des ministres, qui pourtant sont les co-législateurs naturels avec le Parlement européen et qui ont une légitimité en tant que représentants des Etats-nations. Il me semble essentiel de trouver un équilibre entre ces trois institutions : c’est la condition pour faire progresser véritablement la construction européenne.

Celle-ci, au fond, a besoin d’être gouvernée dans l’esprit et selon les règles des démocraties parlementaires. C’est là une exigence démocratique, comme en atteste le souhait, régulièrement exprimé par l’opinion publique, d’une plus grande lisibilité des responsabilités respectives des différents acteurs. Je me réjouis que le Président Romano Prodi ait engagé, pour ce qui concerne la Commission européenne, une réflexion sur la gouvernance européenne. Nous attendons avec intérêt le rapport qu’il a annoncé pour l’année prochaine. Pour nous, il ne s’agit pas de se lancer dans un large débat sur les mécanismes d’autorégulation par les entreprises ou les autorités indépendantes, qui risquent de remettre en cause le rôle des pouvoirs publics dont la légitimité résulte des élections démocratiques.

Que l’Europe ait besoin d’être gouvernée vaut pour le fonctionnement de toutes les institutions communautaires : c’est la question de l’amélioration du fonctionnement des conseils des ministres, et notamment de celui des affaires générales, celle de la relation entre le Parlement européen et le Conseil, ou encore celle du renforcement du pôle économique à côté du pôle monétaire.

C’est dans ce cadre général que s’inscrit la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions : il s’agit à la fois de renforcer leur légitimité démocratique et de faciliter leurs actions. Nous souhaitons que ces négociations aboutissent à Nice. Nous ne saurions pour autant nous satisfaire de résultats minimaux. Je souscris totalement à l’idée, exprimée par Pierre Moscovici, qu’il pourrait être préférable de ne pas conclure plutôt que de s’accorder sur de simples retouches.

Par un resserrement de la Commission et une meilleure hiérarchisation des fonctions en son sein, par une repondération substantielle des voix au Conseil reflétant mieux le poids démographique des Etats membres et par une extension très significative de la majorité qualifiée, qui deviendrait désormais le principe de vote, il est essentiel de mettre l’Europe en état de fonctionner plus efficacement, plus rapidement et de façon plus lisible.

Afin de poursuivre l’approfondissement de l’intégration européenne alors que nous serons plus nombreux et plus hétérogènes, il faut pouvoir facilement mettre en place et développer des coopérations renforcées. Il est nécessaire, à cet effet, d’assouplir les règles actuelles prévues par le traité. C’est là un des défis de la CIG auquel nous apporterons toute notre détermination.

Cher(e)s Camarades,

Au-delà de la CIG, qui est la première priorité pour réussir l’élargissement, il faut s’atteler à une réflexion plus large sur l’avenir de l’Europe. Nous connaissons les analyses et les propositions qui ont été exposées ces derniers temps. Elles sont intéressantes, toujours utiles, même si elles ne sont pas toutes compatibles entre elles et devront subir l’épreuve de la réalité. Il faut poursuivre activement et collectivement cette indispensable réflexion, afin d’éloigner deux risques qui pourraient fragiliser l’entreprise européenne : celui de la dilution de son projet dans un espace de libre échange, et celui de la paralysie d’une Union élargie à une trentaine de membres. Nous en sommes convenus avec nos partenaires allemands, en particulier.

A cet effet, un véritable dialogue est nécessaire entre institutions et entre Européens. Le rôle des formations politiques comme la vôtre est déterminant. Je sais la part active que vous allez prendre au débat qui s’engage. En tant que Premier ministre français, et comme citoyen et socialiste attaché à la construction d’une Europe conjuguant souverainetés partagées et identités respectées, soyez sûrs que j’y serai très attentif.


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