Français d'origine contrôlée



Point de vue signé par Fayçal Douhane, membre du bureau fédéral du Parti socialiste des Hauts-de-Seine, Bariza Khiari, conseillère du XVIème arrondissement de Paris et Ali Kismoune, membre du bureau fédéral du Parti socialiste de l'Isère.
Tribune parue dans le journal Libération daté du mercredi 23 octobre 2002

Fayçal
Douhane



Bariza
Khiari



Ali
Kismoune



L'élection présidentielle a profondément marqué la gauche, tant par l'ampleur du désastre que par l'irruption inattendue du candidat de l'extrême droite. Les causes de la déconvenue sont multiples. L'une d'entre elles tient au fait que le Parti socialiste, persuadé, par certitude routinière, de réunir pour les valeurs qu'il représente les suffrages des Français issus de l'immigration, a considéré acquis le vote de citoyens dont il n'a pas compris les aspirations.

Les élections municipales de 2001, qui traduisaient déjà une dispersion des voix de cet électorat vers des listes dites « citoyennes » ou vers des sirènes plus attentives à leurs préoccupations, auraient dû alerter ceux de nos responsables qui n'avaient pas tenu compte de la gravité de la marginalisation de cette catégorie de citoyens. L'émergence de leurs représentants en position éligible sur les listes électorales aurait contribué à assurer l'efficacité de ce vote ou à en limiter la dispersion.

La nouvelle génération ne veut plus renouveler l'expérience des années 80 quand leurs aînés ont accepté de déléguer leur destin à ceux de leurs camarades du parti qui leur avaient promis, pour de prochaines échéances, la place qui leur revient, au nom d'un engagement commun.

Ces mêmes tuteurs, aujourd'hui « éléphanteaux », ne semblent pas s'émouvoir plus que leurs aînés de l'injustice faite à leurs camarades et à cette catégorie de citoyens, puisque, dans le concert des examens de conscience, ils ne semblent pas avoir fait cas de cette problématique-là.

On suggère doctement de « changer le PS pour changer la vie ». Oui, mais pas sans cette génération (désignée au gré des convenances comme « personnes issues de l'immigration, jeunes Maghrébins, beurs de la deuxième ou troisième génération ») qui souhaite qu'on parle de Français tout simplement et qu'on évite de les confiner dans des «appellations d'origine contrôlée» qui portent en elles des relents de marginalisation.

Le Parti socialiste a le devoir, non seulement de combattre la discrimination et l'exclusion, mais de faire oeuvre de pédagogie, en encourageant l'émergence dans ses propres rangs de militants qui n'ont pas démérité et qui ne trouvent pas d'explications rationnelles à leur absence du collège des élus.

Ces motifs d'exclusion, liés parfois à des données religieuses, ne doivent pas faire oublier le caractère laïque de nos institutions qui doit servir à assurer la banalisation de l'islam, en l'aidant à se doter d'une organisation pérenne et démocratique, lui permettant de cohabiter naturellement avec les autres cultes, dans le cadre strict des lois de la République.

Car il apparaît pour le moins contradictoire de présenter la diversité culturelle comme une richesse incontestable et d'en exclure une de ses composantes lors des grands rendez-vous. Il nous paraît tout aussi paradoxal de défendre la laïcité pour ce qu'elle induit de liberté dans l'espace cultuel, et de dénier cette même liberté aux fidèles de l'islam, deuxième religion de France, en laissant accroire qu'elle serait incompatible avec les idéaux républicains.

De même qu'il serait illusoire de considérer que la discrimination à l'emploi, au logement, trouve ses remèdes dans la seule existence de l'arsenal juridique, s'il n'est accompagné des mesures nécessaires d'exécution et de contrôle. Il serait tout aussi vain de tenter d'affirmer le principe d'égalité si, à diplôme égal et à qualification égale, la préférence est donnée par l'employeur, qu'il soit privé ou quelquefois public, aux seuls candidats qui répondent à la « norme ».

Re-parler d'intégration à des jeunes qui n'ont jamais eu comme seul horizon que celui de leur lieu de naissance, et de leur République, revient à retomber dans ces travers dilatoires qui visent à repousser des échéances pourtant inéluctables. Le Parti socialiste doit non seulement s'ouvrir à cette catégorie de citoyens, mais favoriser au plus tôt l'émergence de leurs représentants... de ceux qui ont consenti à faire les frais, à maintes occasions, d'une sélection qui les mettait en réserve du parti, au prétexte fallacieux de risquer de «plomber» les listes. Les motifs avancés pour différer les échéances s'appuient comme de bien entendu sur la nécessité de réserver des places éligibles à des personnalités de premier plan, peu soucieuses pour le coup de cumuler et les mandats et les honneurs.

Au nombre des raisons de notre échec récent, nos éminents analystes seraient plus avisés d'ajouter en bonne place l'absence de représentation des Français issus de l'immigration, pour mieux en tenir compte pour l'avenir.

La promotion que le nouveau gouvernement a concrétisée en aménageant l'accès à de hautes fonctions à des personnalités issues de l'immigration, pour leurs compétences autant que pour le message symbolique, a séduit par sa portée réaliste et habile. Elle n'en traduit pas moins, passé l'effet d'annonce, le courage de mesures que le Parti socialiste, à court d'inspiration, n'a pas trouvé depuis 1981.

Il ne tient qu'à nos dirigeants, lors du prochain congrès, de réparer le « déni d'oubli » en inscrivant dans leurs priorités, serait-ce pour des raisons de réalisme politique ou de conviction a minima, la prise en compte des aspirations de ceux qui continuent à croire à des valeurs communes.



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