Cessons de promettre des lendemains qui chantent

Jack Lang


Entretien avec Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Le Monde daté du 26 août 2005
propos recueillis par Raphaëlle Bacqué

 

Dans Changer, l'essai que vous allez publier chez Plon, vous appelez à " rendre à la politique sa noblesse ". Les invectives qui s'échangent actuellement au sein du PS n'y contribuent pas. Comment les socialistes en sont-ils arrivés là ?
C'est attristant et navrant et, franchement, nous n'avons pas besoin de cela. Je suis né à la politique à l'école de Pierre Mendès France, c'est-à-dire avec une exigence de respect pour les autres qui interdit de blesser un camarade ou de nier son apport au débat.

Michel Rocard, Bernard Kouchner jugent qu'il s'agit d'une querelle plus profonde entre " pseudo-marxistes et réformistes "...
N'habillons pas idéologiquement des compétitions de personnes. Il y a parmi ceux qui s'opposent à l'équipe que nous formons avec François Hollande des femmes et des hommes sincères. Mais il y a aussi des pseudo-marxistes qui jouent les révolutionnaires. Et franchement, affaiblir notre parti, notre maison commune, pour donner la préférence à ses propres ambitions individuelles, c'est une façon d'être, à sa manière, libéral et individualiste.

Vous étiez jusqu'ici très proche de Laurent Fabius. La rupture est-elle irrémédiable entre vous ?
Ce n'est pas un désaccord personnel. C'est un désaccord politique et idéologique. Croyez-vous que j'ai vécu cette actuelle séparation sans tristesse ? Sur bien des sujets, je ne suis pas certain que nous soyons très éloignés. Nous n'aurions pas fait si longtemps partie de la même famille politique si ce n'était pas le cas.

La principale divergence entre nous porte sur notre conception du parti et de la démocratie. Et ce n'est pas rien. J'entends sans cesse invoquer le nom de François Mitterrand. Mais il nous a enseigné sa conception du parti, qui était d'abord fondée sur le respect des militants. On n'imagine pas qu'il aurait pu tourner le dos à leur vote. Dans ce sens, c'est nous qui sommes fidèles à son héritage et non pas seulement ceux qui s'en réclament abusivement.

Est-il possible de dépasser les clivages du référendum si la direction du parti ne comprend pas de partisans du non, alors qu'une majorité d'électeurs socialistes a voté contre le traité européen, parfois en réclamant un engagement plus à gauche ?
Pour Mitterrand, il a toujours été clair que le PS devait être la colonne vertébrale de la gauche. Il ne se serait pas retrouvé côte à côte avec des gens ou mouvements qui ont mené, en fait, campagne contre nous. Je n'accepte pas ce socialisme de la balançoire et du double discours : à gauche toute dans l'opposition et conservateur au gouvernement.

Quand on fait de la politique, on est comptable de ce que l'on dit et de ce que l'on fait. Quand on réclame la renationalisation d'EDF, dont notre gouvernement avait ouvert le capital, on contribue à dévaluer la parole publique. Certains qui voudraient changer la direction du PS souhaitent-ils vraiment changer le cours des choses ? Sur la question du régime politique, à l'exception du NPS, les autres propositions minoritaires sont timorées.

La nécessaire révolution démocratique me paraît par excellence une priorité de gauche. Quand j'entends " plus à gauche que moi, tu meurs " , je réponds qu'il y a un préalable politique et moral : cesser de promettre des lendemains qui chantent que l'on ne tiendra pas et des plans B qui ne verront jamais le jour. Ceux qui se reconnaîtront dans cette vision rigoureuse pourront alors trouver leur place dans notre majorité.

Les difficultés de la majorité socialiste ne tiennent-elles pas au flou de sa propre ligne, à sa difficulté à se prononcer sur l'expérience menée, par exemple, par Tony Blair en Grande-Bretagne comme à répondre aux critiques des altermondialistes ?
Si j'avais à m'inspirer d'un modèle, ce serait celui des Suédois. Ils ont montré que l'on pouvait viser deux ambitions : la prospérité économique et l'égalité des chances.

C'est un modèle authentiquement de gauche. Quant aux critiques des altermondialistes... J'ai été de nombreux combats contre l'impérialisme américain, ou le GATT. Les ultrarévolutionnaires ont brillé par leur absence à l'époque. Si, sous couvert d'altermondialisme, on entend le discours social-chauviniste ou socialo-nombriliste qui a été tenu pendant la campagne référendaire, alors je n'y souscris pas.

Faire peur en annonçant un déferlement de plombiers polonais ne fait pas honneur à la tradition internationaliste de la gauche. Entendre Oskar Lafontaine, en Allemagne, utiliser le terme de " Fremde " (étrangers) pour évoquer les travailleurs immigrés alors qu'on utilise habituellement celui de " Gäste " (hôte), cela fait froid dans le dos. Il y aura là-dessus une crise de l'altermondialisme, je vous le prédis !

Le candidat PS à la présidentielle peut-il ne pas appartenir à la majorité ?
Certains voudraient transformer notre congrès en congrès de prédésignation de notre candidat. Définissons d'abord notre ligne politique.

Les critiques adressées à François Hollande ne sont-elles pas aussi liées à la faiblesse de son leadership ?
François Hollande a eu la vertu, après la débâcle de 2002, de faire vivre ensemble des personnalités socialistes très fortes et de conduire le PS à la victoire, aux élections européennes et aux régionales.

Je m'interrogeais parfois sur la force de certains de ses engagements idéologiques. Son choix clair, net et courageux, au moment du référendum m'a convaincu qu'il possède les qualités d'un vrai responsable politique, c'est-à-dire qu'il sait choisir entre le respect de ses convictions et la crainte de l'impopularité. Il eut été facile de préconiser le non et de voguer sur le fleuve des colères et des mécontentements. Pour reprendre l'expression de Jacques Attali, il a, à l'image de François Mitterrand, refusé de " transiger sur l'essentiel " .

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