Décentraliser pour affirmer la républiqueContribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000 présentée par Jean-Yves Le Drian, Jean-Claude du Chalard, François Cuillandre, Michel Lallinec, Michel Morin, Jean-Michel Boucheron, Danielle Bousquet, Yolande Boyer, Didier Chouat, Henri Gallais, Jean Gaubert, Alain Gouriou, Edmond Hervé, Charles Josselin, Tino Kerdraon, Jacqueline Lazard, Marylise Lebranchu, Claudy Lebreton, Gilbert Le Bris, Louis Le Pensec, François Marc, Pierre Maille, Norbert Métairie, Bernard Poignant, Marcel Rogemont, Claude Saunier, Pierre-Yvon Trémel, Kofi Yamgnane. |
La France change dans un monde qui change. L'organisation de l'Etat et des Collectivités territoriales doit continuer d'évoluer pour tenir compte d'une forte demande de proximité et d'efficacité exprimée par les citoyens dans un contexte de mondialisation et d'une Union Européenne en devenir. L'action collective doit s'adapter et se renforcer : l'un des moyens est de poursuivre la décentralisation, c'est bien un enjeu majeur. La mondialisation, fortement accélérée par l'évolution des moyens de communication, exige des interventions de régulation plus fortes encore aujourd'hui qu'hier : loin de plaider pour un affaiblissement de l'intervention publique, il faut adapter et renforcer les moyens publics de garantir l'égalité et la solidarité. Parallèlement à la mondialisation de l'économie, chacun s'accorde à reconnaître " la montée d'une quête identitaire " et le " renouveau du sentiment d'appartenance territoriale ", se sentir de quelque part. De même, dans un contexte de complexité croissante (interrelations, technicité), le citoyen recherche plus de lisibilité : il veut comprendre, pouvoir agir et réagir. La décentralisation - et son corollaire la réforme des services de l'Etat - rentre dans cette perspective : il ne s'agit pas d'affaiblir l'intervention publique, mais bien de développer les services aux citoyens et aux entreprises en la rendant plus proche. Un enjeu plus que jamais d'actualitéLes socialistes ont depuis longtemps affirmé leurs convictions en matière de décentralisation. Et, au-delà des déclarations de principe, ce sont bien les socialistes qui ont ouvert la voie avec les lois Deferre de 1982 et il est paradoxal de constater qu'aujourd'hui ceux qui ont combattu ces lois avec virulence voudraient se faire les hérauts de cette cause et nous accusent de vouloir " recentraliser ". Pourtant depuis 1982, bien d'autres initiatives sont à mettre à notre actif ; on peut citer, par exemple, les lois qui ont permis un essor sans précédent de l'intercommunalité ou la modification du mode de scrutin régional qui va renforcer la représentativité et le poids politique de cette collectivité territoriale. Il faut souligner aussi que les socialistes bretons ont, dans leur propre organisation, innové en créant en 1972 le Breis préfigurant la future Union Régionale, instance créée par le parti en 1994. A travers cette instance, les militants socialistes ont participé activement à l'animation du débat régional. La Bretagne et les Bretons ont toujours porté une grande attention aux débats sur l'aménagement du territoire : les contrats de plan Etat-Régions, la mise en uvre des Pays ont largement mobilisé les élus et acteurs socioprofessionnels. C'est dans cet esprit que nous avons participé activement au débat de la Convention Territoires et Citoyens, les 17 et 18 juin derniers à Clermont-Ferrand. Dans le cadre de cette convention nous avons décidé de rédiger une motion pour le Congrès de Grenoble afin de concrétiser un certain nombre de propositions. Le débat est tout à fait d'actualité : le plan Jospin pour la Corse a amplifié la réflexion - et la médiatisation de la réflexion - sur la décentralisation. Au-delà de la question spécifique de la Corse, il faut rappeler qu'en octobre 1999 Lionel Jospin avait mis en place, sous la présidence de Pierre Mauroy, une commission ouverte, pour rechercher un consensus sur la relance de la décentralisation. Il s'agit de tenir compte de l'expérience acquise : les collectivités territoriales ont prouvé leur capacité à agir à la fois en terme de développement économique et de développement social. En même temps, il s'agit bien de garantir l'unité républicaine en évitant l'asphyxie d'un système centralisé de plus en plus décalé des réalités de terrain. Notre proposition s'inscrit dans cette logique : établir des propositions à la fois audacieuses et pragmatiques pour une nouvelle étape de la décentralisation dans l'esprit républicain. Un objectif politique clair : renforcer l'action collectiveLe thème de la décentralisation est actuellement largement repris. La droite tente de récupérer cette thématique, nous ne pouvons tomber dans ce piège car, derrière un consensus assez large pour souhaiter un approfondissement de la décentralisation et une autre pratique de l'Etat sur les territoires, se dessinent deux conceptions diamétralement opposées :
Notre conception de gauche de la décentralisation vise, au contraire, à renforcer l'efficacité de l'Etat et de l'intervention publique. Pour cela, une adaptation permanente est nécessaire et, pour être compris, il faut rapprocher le service public du citoyen et prouver son efficacité. L'intervention publique - qu'elle relève de l'Etat ou des Collectivités territoriales - est plus importante que jamais pour préserver égalité et solidarité : mais dans une France inscrite dans une Union Européenne en mouvement, dans un contexte de mondialisation et de complexification des problèmes, l'intervention publique se doit d'être plus proche du citoyen et plus efficace. Proximité et efficacité doivent se décliner dans tous les domaines, y compris le domaine économique qui n'est pas le monopole des " libéraux " : les initiatives des créateurs d'emplois doivent être facilitées comme doivent être encouragées les forces vives impliquées dans la vie sociale. Là où les " libéraux " voudraient voir la soumission du politique devant la " main invisible " de l'économie, il s'agit bien, pour nous, de réaffirmer la primauté du politique. Trois préalablesCet objectif essentiel - conforter l'action collective - amène à poser trois préalables complémentaires :
En d'autres termes, la décentralisation n'est pas une fin en soi, elle est au service d'objectifs politiques (participation du citoyen), économiques (développement) et sociaux (solidarité). Cette nécessité d'un nouveau souffle de décentralisation est largement ressentie par les citoyens : si certains, à droite, y voient sans doute surtout une manière d'affaiblir l'Etat, notre approche a, au contraire, comme objectif de renforcer l'action publique en la rapprochant du citoyen qu'il s'agisse de l'action des collectivités ou de celle de l'Etat. C'est pourquoi, la gauche doit être encore une fois porteuse d'une volonté de réforme. Les socialistes doivent apporter une force de propositions audacieuses et, dans cet esprit constructif, nous proposons qu'au-delà des principes généraux, des propositions concrètes d'actions puissent être inscrites dans les actes de notre prochain congrès. De la necessite d'une loi cadre sur la decentralisationUne loi cadre est aujourd'hui nécessaire pour écrire l'Acte II de la Décentralisation car il s'agit de construire sur le socle républicain, dans le contexte européen, l'espace de respiration des collectivités territoriales. Cette loi devrait redéfinir l'organisation et le fonctionnement territorial de l'Etat et dresser un cadre général d'action pour l'ensemble des Collectivités territoriales : Région, Départements, Communes et Intercommunalité (notamment Communautés de communes, Communautés d'agglomérations, Communautés urbaines). Dans une délibération du 28 juillet 1993, le Conseil constitutionnel a évoqué les conditions d'expérimentation dans l'organisation des pouvoirs publics : il faut " définir précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon ". Cette réforme doit être à la fois ambitieuse et pragmatique :
Pragmatique car les débats sont passionnels dès que l'on envisage de modifier le paysage institutionnel et de conjuguer unité et diversité. 1- Définir le cadre d'un droit à l'expérimentation et d'un pouvoir d'initiative
Droit à l'expérimentationLes socialistes ont depuis longtemps défendu ce thème du droit à l'expérimentation et de la capacité d'initiative. Sans nier la nécessité d'une réforme en profondeur de l'intervention publique, on sait, par expérience, qu'un projet global et exhaustif a toute chance de rester dans les cartons. C'est l'une des raisons qui plaident pour un développement de l'expérimentation. Les collectivités territoriales, et plus particulièrement les Régions, ont des réalités historiques, géographiques, économiques, sociales très diverses. Certaines peuvent être motivées plus particulièrement par certaines actions. Pourquoi ne pas leur permettre d'expérimenter l'exercice de certaines compétences sans attendre une application générale ? Ainsi, par exemple, à propos des langues régionales pour les régions comme la Bretagne. De même, l'Etat peut proposer aux Régions et plus largement aux Collectivités territoriales qui le souhaitent d'expérimenter un transfert de compétence, comme cela s'est mis en uvre pour les " Transports Express Régionaux ". Cette phase d'expérimentation permet d'étudier précisément les modalités de transfert et de les mettre au point avant d'élargir le processus à l'ensemble des collectivités concernées. Les garanties juridiques et constitutionnelles sont à étudier (validation au Conseil d'Etat). Quelles que soient les réponses apportées à l'opportunité de mettre en uvre ce droit à l'expérimentation, il est urgent de démystifier le terme et de préciser ce que chacun y met. Le pouvoir d'initiative et de propositionsLes collectivités territoriales ont fait preuve de leur capacité à répondre aux besoins économiques et sociaux ; elles ont su faire preuve d'initiative dans des domaines aussi difficiles que l'insertion ; mais cette capacité d'innovation est restée enfermée dans le carcan de textes et d'institutions sur lequel elles n'ont aucun mot à dire. Dans le respect strict du pouvoir législatif du Parlement, ne peut-on donner, à la Région, un pouvoir de proposition dans ses champs de compétence ? Il conviendrait aussi de permettre aux collectivités territoriales de niveaux différents d'organiser, entre elles, des transferts partiels de compétence. Déjà les textes permettent formellement aux communes de faire appel de compétence pour des constructions de lycées ; on pourrait envisager d'autres transferts partiels et volontaires de compétences, notamment entre Agglomérations, Départements et Région. Les collectivités territoriales pourraient également assurer des maîtrises d'uvre pour le compte de l'Etat. Une adaptation de l'application du droit aux diversités des territoiresSans remettre en cause le principe de l'unité territoriale, il faut favoriser la mise en cohérence d'un droit territorialement adapté, face à des situations différentes. Là encore, sans anticiper sur les réponses à apporter, il importe d'aller au-delà des mots pour étudier les traductions concrètes que pourrait amener l'application de cette notion. Il n'est pas absurde de réfléchir aux modalités d'application de la loi littorale en fonction du phénomène des marées de la même manière que les Contrats Territoriaux d'Exploitation sont définis par Département et harmonisés par Région : les zones de montagne ou les plaines de Beauce ne peuvent être traitées uniformément. Au-delà des principes généraux, il nous semble important d'engager rapidement des actes significatifs : il serait paradoxal de donner l'impression d'agir sous la pression d'une droite mobilisée sur le sujet ; mais plus fondamentalement, l'enjeu est bien de conforter l'efficacité de l'action publique. En effet, l'Etat n'est pas à opposer aux collectivités territoriales : " l'Etat est à la fois national et territorial ". Et la décentralisation n'est pas à opposer à l'Etat central. L'objectif doit être " l'existence d'un Etat fort et l'affirmation d'une décentralisation ample ". Réforme de l'Etat et décentralisation sont très liées. 2- Rapprocher l'Etat des citoyens : réforme de l'Etat et déconcentrationPar un apparent paradoxe, l'approfondissement de la décentralisation passe par une réorganisation de l'Etat. La première phase de la décentralisation a structuré des niveaux territoriaux :
Départements Région L'organisation de l'Etat est restée largement sectorielle et ne recoupe que très imparfaitement l'organisation territorialeOrganisation sectorielle : les découpages ministériels de compétence prévalent sur les échelons locaux. Donc une question relevant d'un ministère remontera à l'échelon central ; les préfets et sous-préfets n'ont qu'un pouvoir de coordination très limité. L'organisation territoriale de l'Etat ne correspond pas aux découpages des collectivités territoriales : les Préfectures de Région n'ont qu'une structure allégée et aucun pouvoir décisionnel sur l'ensemble régional (cf la formation professionnelle). Les préfets de département n'ont pas une véritable autorité sur les directions départementales ; les sous-préfets ont une compétence sur l'arrondissement qui ne correspond à aucune organisation territoriale. L'administration d'Etat devrait donc se réformer :3- La décentralisation et les collectivités territorialesLa réflexion sur une redéfinition des compétences doit aller au-delà de la notion de transfert -l'unité nationale n'est pas l'uniformité-, le système institutionnel doit être souple, permettre l'expérimentation et favoriser l'initiative. Les principes : Clarification des compétencesLa notion de chef de file. Il paraît difficile de remettre en cause le principe de libre administration des collectivités et il serait illusoire de segmenter d'une manière précise la répartition des compétences. Le plus urgent est de désigner le chef de file qui assume la responsabilité stratégique et la coordination des autres partenaires : ainsi peut-on souhaiter réaffirmer le rôle de chef de file de la Région en matière de développement économique (plutôt que d'en diluer la responsabilité) ; le rôle du Département dans la cohérence de l'Action sociale, des politiques des personnes âgées, son rôle de partenaire privilégié de l'intercommunalité ; le rôle de la Communauté d'agglomération ou Communauté urbaine dans les politiques urbaines et la politique de la ville
Souplesse d'organisationSans s'interdire une réflexion approfondie sur les niveaux d'organisation et les découpages, il convient de favoriser " l'adaptabilité " des structures existantes : de la même manière que la coopération intercommunale permet l'émergence des " Pays " et agglomérations cohérentes, la coopération interdépartementale et interrégionale peut permettre de redéfinir des territoires adaptés à la résolution de certains problèmes (par exemple, une politique de l'eau). Ainsi, il conviendrait de développer des coopérations interrégionales plutôt que d'envisager des hypothétiques redécoupages de " grandes régions ". Dans le même esprit, les Réseaux de Villes sont à encourager. Transfert de compétences : les principes de complémentarité et de subsidiaritéDans de nombreux domaines, hormis ses missions régaliennes, l'Etat a la responsabilité de définir les enjeux nationaux, les choix des grandes infrastructures ; par contre, il gagnerait à confier de larges pans de mise en uvre de ces choix aux collectivités territoriales. La Région est le niveau de réflexion stratégique sur l'aménagement et le développement du territoire : à la fois proche du niveau local et permettant la coordination avec les autres collectivités territoriales et en même temps assez vaste pour permettre une réflexion stratégique, tout en permettant à l'Etat d'exercer sa responsabilité essentielle de cohésion nationale. Outre ses compétences propres notamment en matière d'action sociale, le département peut assurer animation et cohérence entre zones urbaines et zones rurales et jouer un rôle de partenaire des structures communales et intercommunales pour l'action sociale, le logement, les transports locaux et les services de proximité. D'une manière générale il faut rechercher le niveau institutionnel adapté avec l'objectif de cohérence et de proximité. Définition des moyens correspondant aux compétences transféréesLa question des moyens est essentielle, mais l'expérience montre qu'en faire un préalable absolu est une impasse ; il faut mettre en place des procédures de transition et d'expérimentation qui permettent de mener parallèlement au transfert de compétence lui-même une évaluation contradictoire du coût de ce transfert et la mise au point d'une clé de financement définitive : c'est ce qui se passe dans le cas très complexe de la régionalisation des " Transports Express Régionaux " avec l'Etat et la S.N.C.F. Une fiscalité rénovée et adaptéeRéaffirmer le principe d'autonomie fiscale des Collectivités territoriales ne doit pas faire oublier les nécessaires péréquations, assurant la solidarité. Après les multiples adaptations conjoncturelles qui vont quasiment toutes dans le sens d'une perte d'autonomie fiscale des Collectivités territoriales, une remise à plat est indispensable. Mais le système financier local doit reposer sur deux piliers :
Dans de nombreux domaines, les compétences sont déjà partagées en pratique. Il s'agit d'aller plus loin dans un souci d'efficacité et de lisibilité de l'action publique, sans jamais oublier que l'Etat doit toujours assurer la cohérence nationale et la solidarité. Formation professionnelleEn matière d'Education, le débat est ouvert :Pour illustration, deux questions qui pourraient être examinées rapidement : CultureTechnologies de la communicationTransports et infrastructures portuairesPolitique de la villeAménagement du territoire et développement ruralFonds Structurels EuropéensL'EnvironnementL'Action EconomiqueTourisme, Jeunesse et Sport
Au nom de leurs valeurs - principes républicains, solidarité, justice sociale -, les socialistes se doivent d'être à l'initiative du débat sur l'organisation du territoire et des solidarités. Il s'agit de conjuguer unité républicaine et appartenance à un (des) territoire(s) dans le(s)quel(s) le service public est à la fois proche, mieux adapté et mieux compris. Il serait paradoxal qu'après avoir utilisé la " fracture sociale ",la droite s'empare de la " fracture territoriale " et d'une fausse modernité se masquant derrière le droit à l'expérimentation. Les socialistes ont toujours été attentifs à l'aménagement du territoire et à l'adaptation des services publics. Il s'agit de tenir compte de l'expérience acquise : les collectivités territoriales ont prouvé leur capacité à agir à la fois en terme de développement économique et de développement social. En leur faisant confiance, c'est l'action collective qui sera renforcée alors que parallèlement le rôle de l'Etat sera conforté. POUR UNE LOI CADRE SUR LA DECENTRALISATION1- La décentralisation est un enjeu politique majeur ; le Parti Socialiste, qui a entamé concrètement la démarche en 1982, doit garder l'initiative et engager résolument une seconde phase. L'enjeu est bien d'adapter et de renforcer l'action collective pour conforter le pacte républicain - et non de mettre les territoires en concurrence comme le voudraient les tenants de l'idéologie libérale. Pour cela il convient de faire confiance à la démocratie et au suffrage universel : les collectivités territoriales et leurs élus ont fait preuve de leur capacité à uvrer pour l'intérêt public. 2- Une loi-cadre est nécessaire pour définir les conditions générales d'une seconde phase de décentralisation, en particulier pour organiser des transferts de compétence en ouvrant des possibilités d'expérimentation et en favorisant les coopérations à partir des principes de complémentarité et de subsidiarité.
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