Le PS néglige son héritage socialiste

Pierre Mauroy



Entretien avec Pierre Mauroy, sénateur du Nord, paru dans le quotidien Libération daté du lundi 24 février 2003
Propos recueillis par Renaud Dely
 

Vous revendiquez d'avoir permis aux socialistes d'acquérir la durée au pouvoir en assumant le tournant de la rigueur en 1982, alors que vous étiez Premier ministre. Aujourd'hui, certains de vos camarades reprochent au PS d'être trop engoncé dans sa " culture de gouvernement " pour être audacieux...
C'est parce qu'ils ont été très gâtés. Là, nous venons d'entrer dans l'opposition. Moi, j'y ai passé l'essentiel de ma vie politique. Et, en 1981, nous ne sommes arrivés au pouvoir qu'après vingt-trois ans d'opposition... Alors quand j'entends certains socialistes qui aspirent à être l'opposition dans un parti d'opposition, j'ai du mal à les comprendre. Les socialistes ont acquis une culture de gouvernement. Nous devons continuer à faire des propositions crédibles, applicables lorsque nous serons de retour au pouvoir, et trouver le bon ton pour nous opposer. Après notre défaite du 21 avril, la tentation exprimée par certains de tout casser, de tout remettre en cause, est excessive.

Vous-même avez créé un nouveau Parti socialiste à Epinay en 1971. Les rénovateurs du Nouveau Parti socialiste (NPS), Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, ne sont-ils pas vos héritiers ?
Absolument pas. Moi, je ne veux pas la purge. Je participe toujours à un courant socialiste issu de la fin du XIXème siècle. Il ne faut pas tirer un trait sur tout ce que ce mouvement nous a apporté. Les socialistes n'ont pas toujours été à leur avantage, mais ils ont aussi impulsé de fantastiques progrès sociaux. Sans doute la période est-elle différente, mais l'on ne peut expliquer le présent et inventer l'avenir qu'à travers ce passé-là. S'en éloigner pour rejoindre des rivages plus extrémistes est une erreur à ne pas commettre. La tentation de tout bouleverser, de tout brûler, exprimée par Montebourg et d'autres, aurait pour conséquence la rupture avec la conscience universelle socialiste.

Sans aller jusque-là, Martine Aubry, elle, veut bousculer la direction. C'est ce que vous appelez son " caractère particulier " ?
C'est à la fois une femme de pouvoir et de cœur. Elle veut se situer à gauche, c'est bien. Même si son tempérament l'oppose à certains, la place de Martine est à l'intérieur du grand courant majoritaire. C'est là que nous avons besoin d'elle. Il faut que François Hollande continue à rassembler ce parti pour conduire à un réformisme de gauche.

Vous racontez votre " passion pour Lille ". Imaginez-vous qu'un jour Lille puisse ne plus être une ville socialiste ?
Je ne voulais pour rien au monde être le dernier maire socialiste de Lille, et j'ai réussi la transition puisque Martine Aubry m'a succédé. Evidemment, la sociologie de la ville a changé. Elle est électoralement plus difficile pour la gauche parce que toute une classe moyenne et bourgeoise s'est installée. Mais Lille a traversé tout le XXème siècle avec des maires socialistes et je compte bien qu'elle traverse le XXIème de la même façon.

Omniprésent dans votre vie, et donc dans votre livre, François Mitterrand n'est jamais évoqué par les dirigeants socialistes actuels. Ils ont la mémoire courte ?
Moi, je lui garde une grande fidélité. Collectivement, les dirigeants du PS ont sans doute tort de ne pas revendiquer davantage cette filiation, même si certains le font de temps à autre. Dans les phases politiques récentes, beaucoup ont estimé que ce n'était pas le moment d'en parler. D'ailleurs, au PS, plus personne n'évoque l'histoire du socialisme. Dès mon adhésion à l'âge de 16 ans, dans cette fédération du Nord ouvrière pétrie de traditions, j'ai été baigné dans un environnement profondément marqué par l'histoire : on parlait du congrès de Tours, du Front populaire, de Léon Blum, etc. Aujourd'hui, cet héritage est négligé. Le problème n'est pas relatif à la personne de François Mitterrand, mais aux idées mêmes du socialisme. Certains camarades sont venus au parti comme s'ils débarquaient d'une autre planète.

Mitterrand est-il encore porteur de leçons pour le PS actuel ?
Sûrement. J'évoquerai au moins trois leçons qui peuvent toujours nous être utiles. D'abord, le nécessaire rassemblement de la gauche, un impératif mitterrandien repris par Lionel Jospin. Ensuite, l'idée selon laquelle le PS n'aura un avenir que s'il est lui-même dominant sans être impérial, dans l'alliance. Je suis heureux que François Hollande relaye désormais cette idée. Enfin, l'Europe, évidemment, la grande oeuvre de Mitterrand au pouvoir, de l'Acte unique à Maastricht en passant par son action commune avec Helmut Kohl. Sur ce sujet, je regrette que les socialistes n'aient pas été plus audacieux.

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