La thèse de la crise salutaire, c'est une mystification !

Pierre Mauroy



Entretien avec Pierre Mauroy, sénateur du Nord, paru dans le quotidien Libération daté du 2 novembre 2004.
Propos recueillis par Renaud Dely
 

Pourquoi l'identité du PS est-elle en jeu avec le débat sur le traité européen ?
Parce que l'Europe est à la fois notre histoire et notre avenir. Les socialistes entretiennent une ferveur européenne depuis la Libération. Ils ont soutenu tous les traités, de Rome à Nice, et tous les élargissements. Ils ont même réclamé la création d'un parti des socialistes européens pour accompagner la marche en avant vers l'Europe sociale. C'est pourquoi beaucoup de nos amis étrangers sont déconcertés et très mécontents que nous puissions envisager de dire non. Rejeter ce traité, ce serait renier notre histoire et nos engagements.

Et notamment l'ancrage européen que vous avez assumé à la tête du gouvernement en 1983 ?
A l'époque, des industriels amis de François Mitterrand, des politiques et certains de mes ministres, comme Pierre Bérégovoy ou Laurent Fabius ­ qui se sont d'ailleurs ravisés ­, échafaudaient des plans pour une autre politique. Celle-ci nécessitait de quitter le Système monétaire européen (SME). J'ai alors dit non. J'ai ajouté devant le Président : « Si vous décidez cela, vous allez vous interdire cette grande politique européenne à laquelle vous tenez. » Déjà, certains de ceux qui prônaient la sortie du SME avançaient la thèse de la « crise salutaire ».

Vous, vous n'y croyez pas ?
Absolument pas. Comment vouloir tout remettre à plat quand, par exemple, les syndicats européens reconnaissent que si ce texte n'est pas parfait, du moins il ne comporte que des avancées. Penser que tout s'arrangera avec une crise n'est peut-être pas puéril, mais c'est un « raisonnement piège ». L'intérêt d'une crise est défendable lorsqu'on est en position de force. Dans la situation présente, elle ne pourrait que retarder la construction européenne. Voter non affaiblirait tellement l'image de la France et des socialistes à l'étranger que ce choix ne nous donnerait ni le ressort, ni les alliés, ni même les idées pour rebondir. La thèse de la crise salutaire, c'est une mystification !

Est-ce à dire que ce sont ses arrière-pensées plus que sa pensée qui ont guidé le non de Laurent Fabius ?
Il m'a succédé à Matignon en 1984 et il a été un Premier ministre résolument européen. Je l'entends encore me dire, à l'automne 1984, combien nos petits problèmes français étaient secondaires par rapport à la grande idée qu'est l'Europe. Laurent Fabius est aujourd'hui à la croisée des chemins entre ses convictions et son ambition. Dans tous les grands débats qui animent le PS, il y a la question des hommes et de leurs ambitions. C'est légitime. Ce serait tromper l'opinion que de prétendre que cette dimension est totalement inexistante. Alors premier secrétaire du PS, j'ai connu un congrès où nous étions censés être tous d'accord, où l'on m'avait promis un débat serein et maîtrisé. Ce fut le congrès de Rennes, en mars 1990. Un congrès tragique, où les uns se sont précipités sur les autres ! Quelle image avons-nous donnée à ce moment-là déjà !

Mais le camp du non répète qu'il ne remet pas en cause le pouvoir de François Hollande.
Je souhaite qu'on ne retombe pas dans les erreurs de ce congrès. Mais je pense que le débat serait tronqué si on n'était pas un peu plus clair en ce qui concerne ses conséquences. Or, il est évident que le oui pose beaucoup moins de problèmes que le non. Aussitôt après notre référendum, nous nous pencherons sur notre projet et sur la désignation de notre candidat pour 2007. La question sera simplifiée si l'on répond oui. Dans le cas contraire, il y aura d'énormes difficultés.

Et Hollande devra démissionner ?
Il aurait certainement à prendre une décision lourde. Mais le non aurait surtout des conséquences sur notre projet et sur notre pays. A l'isolement du PS répondrait l'isolement de la France. Et l'on voudrait revenir au pouvoir dans ces conditions ? Quant à ceux qui encouragent les raisonnements désespérés du type « voter oui, c'est dire oui à Chirac », ils font fausse route. Ce n'est pas le problème. Nous avons à répondre sur la construction européenne, puis nous devrons bâtir un projet pour battre la droite. Et le meilleur moyen de conforter nos chances de victoire, c'est de voter oui. En 2007, nous aurons besoin d'un PS fort et uni. Un non mettrait ce dispositif en péril. Il est permis de ne pas être toujours raisonnable en politique. Mais c'est un choix dont il faut mesurer tous les dangers...

C'est Hollande qui a pris le risque de diviser le parti en convoquant ce référendum interne ?
Non, il n'a pas été le premier à ouvrir cette compétition. J'entends encore le chœur des oui lui dire « oui et oui tout de suite ! » et le chœur des non surenchérir « non, non, non, les militants d'abord ! ». Il a répondu à l'attente des deux camps. Peut-être est-il candidat à d'autres fonctions, mais il n'est pas le seul ! Et c'est légitime, sauf à n'être qu'un premier secrétaire administratif, ce qui n'a jamais existé dans l'histoire du PS.

Pour gagner en 2007, les tenants du non prétendent renouer avec les catégories populaires en rejetant les dérives d'une Europe coupable d'accélérer les délocalisations.
Il n'est pas raisonnable de faire porter à l'Europe un tel fardeau. L'Europe est l'outil de notre destin commun, ce n'est pas, en soi, une orientation politique. Nous sommes dans une phase où l'Europe est libérale, c'est vrai. Raison de plus pour que les socialistes se rassemblent pour la changer. Ils n'y parviendront certainement pas en s'isolant. Plutôt que de s'enfermer dans la contestation, c'est en travaillant avec la communauté socialiste européenne que nous pourrons endiguer le décrochage des couches populaires frappées par le chômage. C'est pourquoi mon oui est exigeant. Ce traité, qui baigne dans le libéralisme, ne me satisfait pas. Il faudra donc constituer une avant-garde de partis et de pays qui veulent aller plus loin sur les plans institutionnel, politique et social.

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