Changer de ligne et d'équipe

Jean-Luc Mélenchon
Intervention de Jean-Luc Mélenchon, co-animateur du Nouveau monde, lors du Conseil national de synthèse du 15 mars 2003.


 
Chers camarades,

Je m’inscrirai dans l’antienne qui vient d’être lancé, qu’on entendra sans doute à nouveau beaucoup dans ce Congrès, vous imaginez pourquoi, « Le Nouveau Monde » bien sûr ne souhaite pas un Congrès de confusion, ni un Congrès de division.

Le moment, d’après nous, est un moment grave et ce dont a surtout besoin le mouvement socialiste c’est d’idées claires. Le Congrès ne doit pas être cette espèce de compétition de comice agricole pour savoir qui tondra le plus vite et le mieux !
Ce n’est pas le moment de présenter le programme de gouvernement, qu’au demeurant l’actualité ne nous annonce pas pour tout de suite. C’est le moment de savoir où on en est, de prendre la mesure des événements pour pouvoir y répondre.

C’est cela le devoir d’un Congrès, c’est orienter le mouvement socialiste.

Et nous sommes sous le choc de deux immenses catastrophes, celle du 21 avril qui bien sûr a sa part d’accident, comme dans toute œuvre humaine, mais ce n’est pas un accident que le mouvement socialiste ait été à la merci de deux voix par bureau de vote, que le deuxième tour de l’élection en France voit la Gauche renvoyer en exile, un candidat d’extrême droite être présent, recueillant un très grand nombre, en tout cas un nombre de suffrages supérieur à celui des forces progressistes parmi les ouvriers et les employés, c’est une catastrophe morale, intellectuelle, politique et nationale.

Et maintenant, voilà la guerre, bref de ces deux séries d’événements nous concluons que rien à cet instant n’a fait reculer les causes de ce qui s’est produit le 21 avril, qu’il y a donc en quelque sorte face au pouvoir des libéraux, quelle qu’en soit la forme et quel que soit le pays, l’expression économique, sociale, militaire, politique comme cela a été dit tout à l’heure, car il y a un lien entre l’imperium des États-Unis et la globalisation libérale du Monde, et la réponse que l’on fait, les idées sont un enjeu sur cette pente, ce n’est pas le mouvement progressiste qui a la main. Il s’agit de la reprendre.

Une course de vitesse pour savoir si face à ces gouvernements, face à cette politique des libéraux, qui va l’emporter de l’obscurantisme, de l’extrême droite ou des progressistes ?

Si vous faites le compte du 21 avril et de ce qui se passe dans le Monde, la masse de ceux qui rejettent confusément – c’est un contre très divers – est supérieure à ceux qui se trouvent satisfaits du système donc nous sommes dans un grand mouvement de l’histoire, et non pas dans un accident momentané qui se règlera d’une élection à l’autre.

Dès lors, on se plaint souvent que les socialistes ne soient pas audibles, ce n’est pas qu’ils ne parlent pas, c’est qu’ils ne sont pas crédibles ; pour être audibles, il faut être crédibles et pour être crédibles il faut avoir fait une bonne fois la clarté sur les sujets qui nous importent. Cette clarté, c’est l’enjeu des consciences de la masse des Français, de la masse des travailleurs, des employés.

Leur conscience est un enjeu, et nous avons eu la démonstration dans l’enquête faite par le CEVIPOF - une enquête sérieuse tout de même, 8 000 « face à face » - parmi ceux qui sont de culture de gauche et qui n’ont pas voté pour le Parti socialiste, le plus grand nombre de ceux qui n’ont pas voté pour le Parti socialiste ce sont ceux qui pensent qu’il y a une confusion, voire une équivalence entre droite et gauche.

La clarté n’est pas un obstacle à l’entraînement et au dynamisme, c'est l’inverse, c'est la clarté qui permet d’entraîner et de dynamiser le peuple français dans telle ou telle direction, dans tel ou tel projet.

Je viens donc aux registres sur lesquels la clarification doit s’opérer. Il y en a 4 selon nous.

D’abord le diagnostic : oui ou non sommes-nous d’accord pour dire que le système économique dans lequel nous vivons, que nous appelons sans cesse par un euphémisme, qui est devenu une caractéristique de la pensée socialiste, société de marchés, économie des marchés, libéralisme dit sauvage, adjectif venant polluer la clarté de la pensée, bref oui ou non le capitalisme de notre temps est-il un système efficace ? beaucoup d’entre vous le soutiennent pour créer des richesses ou est-il un système inefficace ? Nous soutenons qu’il est un système inefficace et dangereux comme les Argentins viennent de le découvrir, comme un nombre croissant de peuples vont s’en rendre compte s’ils ne s’en rendent pas déjà compte.

Sur le plan social, il est radicalement insupportable, sur le plan écologique il est radicalement insoutenable, enfin sur le plan politique il est profondément, intrinsèquement instable, et que donc, comme nous sommes en train de le voir, dès lors qu’il faudra tout faire pour balayer tout cadre de régulation citoyenne, démocratique, que ce soit en Europe ou dans le monde, il ne restera que la logique des rapports de force et la loi du plus fort.

Dès lors, il est instable et porteur de guerre selon la formule ô combien actuelle de nos grands anciens.

Oui ou non sommes-nous d’accord pour traiter en face ces impasses ? Et donc, à partir de là, pour résoudre la contradiction dans laquelle nous nous sommes trouvés, dans la période précédente où pour la deuxième fois une grande stratégie socialiste a échoué. La première c’était le programme commun, la réponse au programme commun, à l’échec du programme commun, cela a été la construction de l’Europe en tant que stratégie socialiste, recréer un contrat dans lequel faire de la conquête sociale.

La deuxième stratégie c'est celle que Lionel avait parfaitement résumée, qui a produit ses effets, mais qui en même temps montrait sa limite, c’est de dire : le cadre de la mondialisation libérale est incontournable, ce sont ses propres termes que j’emploie là, nous sommes isolés, c'est dans le système qu’il faut faire des prises d’avantages.
C'est pourquoi sa stratégie, le réalisme de gauche, le réformisme de gauche, tout cela n’a rien de nouveau, a permis à la fois des prises d’avantages et d’inouïes concessions qui en ont complètement brouillé le sens et la portée politique.
Alors comment nous répondons à cette impasse ? Ce n’est pas un problème de trahison ou de je ne sais quoi. Nous pensons qu’il faut y répondre avec une ligne d’action, la ligne des ruptures qui combine les revendications de rupture avec l’ordre économique dominant, avec l’action de rupture.

Je vous dis, camarades, que dans un parti socialiste, la rupture ne doit pas tirer de sourires car nombre sont pour rompre avec le capitalisme et ceux qui ne veulent pas la rupture sont obligés de dire qu’ils veulent la continuité.

Je veux donner des exemples, je vais en donner peu mais j’espère qu’ils seront assez clairs.

Sur le service public, « Nouveau Monde » propose que le parti socialiste dise que plus aucune entreprise publique ne verra son capital ouvert, plus aucun service public ne sera ni démantelé ni mis en zone concurrentielle, aussi longtemps qu’un service d’intérêt général, service public européen ne l’aura pas remplacé. Voilà qui est clair !

Sur les retraites, plutôt que des formules embarrassées, premièrement la retraite à 60 ans ; deuxièmement le système par répartition, donc le refus absolu, quelles qu’en soient la forme et l’appellation, de quelque système de pension, de fonds de pension que ce soit.

Troisièmement, la compensation au niveau auquel elle se trouvait avant la réforme Balladur.

Quatrièmement, en pleine logique, dès lors que nous voulons le système de répartition et le niveau de répartition qui existaient avant la réforme Balladur, l’acceptation du fait que les conditions doivent être portées au niveau du point d’équilibre des régimes concernés, ce qui signifie donc le contrat social pour décider qui paye et à quelle proportion.

En gros et en quelque sorte, cette lutte de classes dont quelques-uns d’entre vous ont bien voulu parler récemment pour se souvenir qu’elle existait.

Sur les licenciements boursiers, il n’est pas vrai que nous soyons dans l’impuissance, qu’on ne puisse rien faire. A de nombreuses reprises, je crois déjà ici à cette tribune, Alain Vidalies a fait la proposition du droit de veto social. Nous le reprenons lorsqu’une entreprise… je sais que c'est difficile à débrouiller, entre licenciement économique et licenciement boursier, mais il y a des choses qui se constatent facilement, quand une entreprise a fait des bénéfices, une, deux, trois années consécutives, alors les licenciements doivent être interdits, aussi longtemps qu’ils n’ont pas reçu l’approbation dans le cadre d’un plan global d’un accord majoritaire des syndicats, j’ai bien dit « majoritaire » donc on peut faire !

En le faisant, mes camarades, nous redonnerons confiance et nous montrerons que nous sommes capables d’avancer dans une voie à des milliers de gens que vous avez entendus à la télévision, qui ne comprennent pas l’impuissance, que personne ne fasse rien et qu’on ne puisse rien contre le fait qu’ils sont jetés à la rue.

Enfin, sur l’Europe, il faut des points de clivage, pour que l’on sache de quoi on parle. La position de « Nouveau Monde » est parfaitement claire, nous sommes hostiles à l’élargissement et nous nous y opposons tant que n’est pas constitué le caractère démocratique de l’Europe qui permette de prendre des délibérations collectives, créer du cadre de la loi qui permette de faire du compromis social de la loi et du progrès. Non, à l’élargissement s’il n’y a pas l’approfondissement démocratique. Voilà quelque chose de clair et c'est un choix. A partir de là, comme nous avons voulu aller au bout de notre logique, vous avez entendu Henri Emmanuelli faire les propositions qui vont avec, sur cette idée de faire ce noyau dur démocratique qui est à notre portée avec tous les moyens que cela implique, y compris les moyens militaires, de sécurité collective, pour ceux qui en seraient partie prenante.

Vous direz ce que vous voudrez de cette position, sauf qu’elle est incohérente, qu’elle n’est pas complète, elle forme un bloc qui vous est proposé.

Troisième registre. Il faut faire vivre une stratégie, nous devons tirer les leçons sans ingratitude, en tenant compte de ce qu’elle nous a rapporté, de l’échec de la stratégie de la gauche plurielle, de la forme de la gauche plurielle. Je le dis sans ingratitude, nous en avons eu des avantages, il y a eu des résultats mais c'est un échec, c'est la vision la plus stérile, la plus sèche de l’union qui a fini dans un marchandage de circonscriptions qui n’avait plus aucune signification, auquel personne ne comprenait rien, en tout cas les gens normaux.

Il nous faut absolument l'union et il nous faut globalement l'union. Et il faut l'union sans proclamer qu'il n'y a pas le droit d’y siéger.

Mes Chers Camarades, si vous avez pu croire pendant des années que le centre de gravité politique de ce pays, c’est-à-dire l'endroit où il pouvait se créer des déséquilibres féconds pour la gauche, se trouvait entre la droite, le centre et la sociale démocratie, à l'évidence le résultat de l'élection présidentielle du 21 avril vous montre que le centre de gravité qui permet le déséquilibre fécond, qui entraîne le reste de la société, il est entre nous, la sociale démocratie et la gauche mouvementiste, la gauche radicalise, le peuple qui ne veut plus entendre parler du libéralisme.

Voilà ce que j'entends par le mouvement du centre de gravité. C’est là que le Parti socialiste doit recréer ce mécanisme. Je m'oppose donc avec mes camarades formellement à la phrase que j'ai lue dans la nouvelle revue socialiste, sous la plume de vos théoriciens - et ce sont des gens brillants - qui dit que le temps est passé où nous pouvions dire que nous n'avions pas d'ennemis à gauche. Pour nous, Nouveau Monde, nous n'avons toujours pas d'ennemis à gauche. Nous avons des partenaires, nous avons des gens avec qui nous nous confrontons et nous dialoguons, avec qui nous sommes en compétition, mais nous n’avons pas d’ennemis à gauche et nous refusons le partage des rôles commencé dans le Parti et que vous voulez prolonger dans la gauche plurielle, entre les soi-disant réformistes et les soi-disant révolutionnaires, dont la division au bout du compte n’aboutit ni à la réforme ni révolution.
Enfin le Parti. C'est le quatrième registre, François, je vais te dire franchement, avec tout le respect qui est du à chacun, si vous pouviez lire vos propres textes, vos propres statuts, quel grand progrès nous ferions, car la plupart des choses que vous êtes en train de proposer existent déjà dans les statuts, notamment depuis la dernière réforme, celle du moment où Lionel Jospin est redevenu le Premier secrétaire du Parti, car nous avons déjà rénové, nous nous rénovons après chaque crise, nous faisons un grand chambardement à chaque fois, même avant que tu arrives.

En particulier la conférence annuelle, c'est moins que les deux conventions prévues par les statuts, le référendum militant, on l'a déjà adopté. Ainsi de suite. Ce n'est pas cela ce qu'il faut faire. Ce n’est pas comme cela qu'il faut faire. Il faut changer par son contenu la raison pour laquelle on adhère au Parti socialiste, la forme du Parti Socialiste et il y a une expression qui doit le résumer : ce doit être un parti de combat, un parti de mouvement, d'éducation populaire, qui clarifie, qui explique, qui rend compréhensible que ce qui s'abat sur la masse des gens ce n'est pas je ne sais quelle misère qui tomberait du ciel comme la pluie ou la grêle, mais le capitalisme qui est à l'œuvre.

Il nous faut un parti de combat, un parti de construction dans, par et avec la lutte d'une conscience collective comme l'on fait avant nous des générations de socialistes. La meilleure école du socialisme c'est le terrain, c'est la lutte. Cela a toujours été comme cela. On ne voit pas par quel miracle ce serait autrement aujourd'hui.

Voilà Chers Camarades, une autre question que je propose d’éviter, même si elle est posée. Le débat est orageux. Je propose que l'on s'évite, compte tenu de la propension déjà très grande et des observations à ne retenir de nos débats que la surface des choses - quoi que pour figurer dans cette surface il faut bien parfois sacrifier - ce qui fait que nous sommes quelque part en quelque sorte les complices du système.

Je propose qu'on s'évite la question de savoir si ce Parti viendrait par hasard à manquer de Premier secrétaire capable. Car cela est offensant. Il y en a des dizaines voyez-vous ? Je ne vous parle pas de Henri ou de moi, ou de quelques autres, il y en a des dizaines, donc ce n'est pas le sujet.

Je propose que l'on en reste au débat sur l'orientation : que voulons-nous faire ? et que l'on ne saute pas le tour de ce congrès. Que l’on ne dise pas que ce congrès ne compte pas, que c'est le suivant qui est important parce qu’au suivant on désignera le candidat à l'élection présidentielle et que d'ici là tout ne serait que farce ou comédie. Car nous restons sur la ligne que propose François, qui n’est au fond que la ligne que menait Lionel Jospin, avec la même cohérence intellectuelle. Je n'en fais pas grief, même si parfois il faudrait citer les auteurs, surtout quand il se donne la peine de le rappeler dans « Le Monde ».

Si nous faisons cela d'une part et d'autre part que ce sont les mêmes - ceci dit sans viser aucune personne - cela signifie que la leçon que nous tirons du 21 avril, de la guerre d’Irak et de tout le reste, le seul parti de gauche aura comme message à la sortie de Dijon : « Dorénavant c'est comme auparavant : même ligne, même équipe. »

Non ! Je propose qu'on change et de ligne et d'équipe et que l'on cherche à entraîner avec tout le monde bien sûr, tout le monde dans le Parti, il n'y a pas d'exclusive, tout le monde le sait bien, et que l'on cherche à produire par notre dialogue fracassant un retour fracassant du Parti socialiste sur la scène publique et une capacité à entraîner derrière lui la masse du peuple français qui ne parle pas avec vos euphémismes, mais plus souvent dans le ton rude qui est le mien !


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