Examinons franchement nos divergences | |
Intervention de Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne, lors du Conseil national du Parti socialiste du 17 septembre 2005. |
Notre Congrès a été convoqué par anticipation pour répondre à la situation qui résultait du non au référendum. Donc le Congrès doit d’abord dire à la gauche et aux Français quelle est, pour les socialistes, la signification de l’insurrection civique qui vient d’avoir lieu. Nous devons reconnaître que notre pays est en état d’urgence politique et en état d’urgence sociale car c’est de là que se déduisent les tâches politiques que nous allons nous assigner. D’autre part, notre Congrès est le dernier rendez-vous pour fixer notre orientation avant la désignation de notre candidat à l’élection présidentielle. On ne peut donc pas, selon moi, dissocier notre choix d’orientation de cette échéance. Ce serait artificiel, surtout quand en même temps les annonces de candidatures, toutes du même côté, se multiplient dans nos rangs. Plusieurs parmi vous l’ont assumé publiquement, assumons-le, c’est le plus sain. Dès lors, pour moi, le référendum, le Congrès et l’élection présidentielle, c’est une seule et même séquence politique. Elle doit être pensée dans sa cohérence. Au demeurant, le lien s’est imposé de lui-même puisque la ratification définitive de la Constitution européenne interviendra après l’élection présidentielle. Dès lors, donnons à notre Congrès sa dignité, c’est-à-dire examinons franchement nos divergences. Elles ne sont pas subalternes. À maints égards, elles sont fondatrices de démarches clairement distinctes. Pour les uns, il y a d’abord une divergence de diagnostic. Le résultat du référendum serait un handicap. Vous affirmez que le résultat est celui des peurs accumulées, vous maintenez que le oui était la bonne réponse, vous regrettez le texte rejeté, vous n’avez pas demandé l’interruption du processus de ratification. Pour les autres, c’est-à-dire pour nous, à l’inverse, le résultat du référendum est un atout. Nous voulons prendre appui sur l’énergie qu’il a accumulée, énergie sociale d’un vote de classe, énergie d’un vote massif à gauche, énergie démocratique d’un peuple se saisissant en toute lucidité d’une question institutionnelle complexe. Nous voulons être fidèles à ce vote, nous voulons lui donner son prolongement politique en 2007. Il y a ensuite divergence sur l’orientation générale. À cette heure, je n’évoque rapidement que trois aspects que je crois fondateurs. D’abord, logiquement, nous avons eu une rude divergence sur la leçon du référendum. Il faudrait dépasser le oui et le non. Si c’est entre nous, c’est bien sûr, il faut être aussi unis que possible pour pouvoir passer efficacement au combat suivant. Si c’est cela que cela veut dire, personne ne le contredira. Mais quel peut être le sens de dépasser le vote des Français ? Nous devons dire sans détours et sans barguigner : « Le non est le choix des Français, nous l’assumons, il nous fait mandat. » En 2007, au moment de la ratification, le Président de la République française, s’il vient de nos rangs, respectera le non des Français. Il le défendra devant nos partenaires de l'Union européenne, il sera fidèle à sa double exigence sociale et démocratique. Il devra donc refuser de ratifier le Traité constitutionnel libéral, il devra proposer l’ouverture d’un nouveau processus constituant. Ensuite vient le cadre général de notre orientation, il y a deux options parmi nous : d’après moi on le constate en particulier sur une question essentielle, celle de la place de l'État et donc, au bout du compte, de l’action publique. François Hollande a rappelé à La Rochelle, de façon assez spectaculaire j’imagine pour que ce soit entendu : « L'État ne peut pas tout, et j’assume la formule. » Ce n’est pas l’orientation que je crois bonne. Je ne crois pas que notre société souffre de trop d’État, je crois que l'État, la loi, la délibération collective doit au contraire pouvoir davantage, bien davantage. L’option préférentielle des socialistes doit être la reconstruction moderne digne de ce nom, un État prévoyant, un État stratège, un État protecteur, un État maître des horloges du temps long conformément au meilleur de la tradition entreprenante et sociale de notre patrie républicaine. Le marché n’a pas besoin de nous pour faire agir les forces brutes qu’il contient. Mais l'État appauvri, l'État démembré, dénigré, rendu impotent et impuissant par la politique de la droite, mais aussi l'État délégitimé par les doutes, les sarcasmes et les croche-pieds d’une certaine gauche. L'État a besoin de notre engagement politique vigoureux pour retrouver sa place. Le volontarisme, l’optimisme de l’action collective, l’idée qu’on peut changer la donne dans la vie de tous, voilà l’essence du socialisme de transformation que nous devons proposer aux Français. À présent, le martyr de la Louisiane fait éclater une vérité que plus rien ne peut masquer : le libéralisme communautariste et sécuritaire dont les USA sont le modèle et M. Sarkozy le prophète, est un système qui ne marche pas. L’exigence du développement humain passe ailleurs. Il est impossible de soutenir ce rôle dans l’histoire si l’on pense que l’accompagnement social des dégâts du marché est le seul horizon raisonnable du socialisme contemporain. Enfin, nous divergeons, et c’est sur ce point que j’achève, tout aussi gravement sur la conduite à tenir pour la prochaine élection présidentielle. Ce point fonde le sens de la démarche que nous avons engagé, les rédacteurs de la contribution trait d’union, en décidant de faire une motion commune dont le premier signataire est Laurent Fabius. Une motion commune, cela signifie qu’elle regroupe des signataires de plusieurs contributions, c’est un regroupement libre, préparé tranquillement au vu et au su de tout le monde. Cette motion commune est celle de la stabilité puisqu’elle est sans conflit de candidature. Cette motion commune, nous l’avons rédigée ensemble, personne n’a présenté de texte à prendre ou à laisser. Personne parmi nous n’efface rien de ce qu’il est et continue d’être. Mais nous avons eu la sagesse de penser qu’un Congrès du premier parti de gauche à la veille d’une telle échéance méritait mieux que d’en rester à la vieille alternative : continuer à se maudire ou commencer à se dédire. Tout cela, nous l’avons fait au nom d’une conviction et d’un raisonnement. Nous croyons qu’on ne peut battre la droite sans que la gauche soit rassemblée. Pour que ce rassemblement ait lieu, le Parti socialiste peut et doit être le trait d’union. Le trait d’union, cela signifie notamment qu’il faut renoncer à prononcer des exclusives à gauche. Il faut renoncer à prétendre vouloir guider la gauche, comme tu l’as déclaré, François. Il doit préférer respecter, dialoguer, et le cas échéant placer chacun devant ses responsabilités. Il doit être unitaire pour deux et même pour davantage quand c’est nécessaire. Aucune avanie ne doit le faire renoncer à l’action opiniâtre pour le rassemblement. Bien sûr, la politique doit répondre aux attentes populaires, ce sera l’objet de la préparation de notre programme le moment venu. Mais ce doit être aussi la règle pour le choix de celui qui doit porter nos couleurs en 2007. Nous croyons, je crois que le candidat socialiste le mieux placé pour être utile à la gauche doit venir des rangs du non au référendum. Je le dis, non pour prolonger la querelle entre socialistes, mais pour la clore avec le reste de nos électeurs et de toute la gauche. Tout autre, quel que soit ses mérites et son talent, ferait courir le risque d’accroître l’abstention et la dispersion des voix au premier tour. Et si nous parvenons au deuxième tour, ce qui n’est pas donné, comment penser rassembler la gauche si on n’est pas ancré dans le choix fondateur du 29 mai ? Au total, notre analyse fonde une cohérence, celle d’un modèle, le socialisme de transformation, celle d’une ligne de rassemblement de la gauche, celle d’une candidature à l’élection présidentielle. La raison d’être de notre motion commune, son ambition, sa proposition aux socialistes, c’est cette cohérence. C’est pourquoi nous avons appelé notre texte « Rassembler à gauche », et c’est pourquoi notre premier signataire est Laurent Fabius. |
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