Traité constitutionnel
Pour moi, Lionel, c'est non !

Jean-Luc Mélenchon

Point de vue signé par Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 7 octobre 2004.


 
Cher Lionel,

Ton argumentation est forte et claire. Certes, elle ne m’a pas convaincu. Mais au moins tu n’essaies pas de nous vendre des choses qui ne sont pas. Je pense ici aux partisans du « oui socialiste », lorsqu’ils proposent d’approuver ce texte pour commencer aussitôt après son adoption une renégociation. Toi, c’est un oui sec que tu décris. C’est honnête.
D’abord, parce que le mécanisme de verrouillage prévu par la Constitution pour sa révision ne permet pas autre chose.
Ensuite, parce que le calendrier anéantit la thèse d’une possible révision immédiate. En effet un président de gauche qui aurait voté oui en 2005 n’aurait aucune crédibilité devant ses pairs européens deux ans après, en 2007, pour exiger la modification d’un texte qui d’ailleurs ne serait lui-même appliqué que deux ans plus tard, en 2009.
De plus le Parlement européen qui aurait à le prendre en charge ne sera élu que trois ans après, en 2010 ! Dès lors, l’approbation du contenu de la Constitution s’imposera aux socialistes au moins pour deux mandats présidentiels, par simple cohérence de calendrier. Il nous faudrait donc l’assumer au moins pendant tout ce temps-là dans nos campagnes, nos programmes et aussi pour nos alliances...

Voyons les trois raisons de dire oui que tu présentes.

La première dit que le traité constitutionnel est « un compromis acceptable ». Pour moi, au contraire, il n’est pas acceptable non pas parce que ce serait un compromis mais à l’inverse parce que ce n’en est pas un. D’une façon générale, une Constitution n’a pas le caractère provisoire et contractuel d’un compromis. C’est une norme choisie pour durer, opposable à toute autre décision d’où qu’elle émane. Il en est de même ici. Dès lors, aucun candidat socialiste, à quelque élection que ce soit, ne pourra plus jamais proposer honnêtement un programme qui aille plus loin que ne le permet ce texte. Ni ensuite voter de loi ou de délibération qui n’y soit pas conforme. La Constitution inaugure ainsi un processus de souveraineté populaire limitée. Comment construire un compromis social nécessairement évolutif dans un cadre délibérément aussi rigide ? La pratique sociale-démocrate à laquelle tu tiens n’a pas de place dans l’espace politique de cette Constitution. Si cette analyse du texte est juste, alors, dire oui, ce n’est pas approuver un compromis mais signer une capitulation.

Ta deuxième raison affirme que la « thèse d’une crise européenne salutaire résultant du non [serait] chimérique ». Tu précises même que la crise serait d’autant plus dangereuse qu’on n’en connaîtrait pas l’issue. C’est une nouveauté totale que cette théorie de la crise dans la pensée de gauche! Démocrite n’affirmait-il pas cinq siècles avant notre ère que la lutte est mère de toute chose ? Faut-il en connaître l’issue pour la commencer ? Alors, à quoi bon résister contre plus fort que soi ? A quoi bon se syndiquer, manifester ou faire acte de candidature puisqu’on n’est jamais certain de l’issue ? Dans cet état d’esprit, Antigone elle-même aurait dû dire oui à Créon !

En refusant la crise nécessaire pour obtenir une remise à plat du processus constitutionnel en Europe, nous refuserions en fait d’affronter la crise dans laquelle l’Europe se trouve déjà, comme l’ont montré les votes des européennes. Et on se disqualifie aussi pour offrir une issue positive aux crises futures qui viendront de la contradiction permanente entre cette Constitution et la demande sociale des peuples. Nous ne choisissons donc pas une crise mais entre deux crises: celle qu’on nous impose de subir ou celle qui nous rend maîtres de nos décisions. L’expérience de notre refus de la crise européenne à Amsterdam, Barcelone et Nice a largement démontré comment la peur de la crise peut nous crucifier.

Ta troisième raison déclare: dire non au traité n’est pas la meilleure façon de dire non à Jacques Chirac. Certes. Mais ce n’est pas non plus la plus mauvaise. En tout cas ce n’est pas en disant oui avec Chirac qu’on lui dit le mieux non! Et va savoir: si c’est non, peut-être lui resterait-il assez de gaullisme pour partir séance tenante. On aura gagné deux ans. Et il nous resterait toujours le traité de Nice en application. Tu avais dit à l’époque, Lionel, qu’il corrigeait le calamiteux traité d’Amsterdam. Avec le non, on s’épargne d’avance une calamité de plus.
© Copyright Le Nouvel Observateur


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