Traité européen | |
Point de vue signé par Pierre Moscovici, député européen, secrétaire national aux questions internationales, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 24 janvier 2005 |
Regardons les choses en face : en dépit des apparences, le succès du référendum sur la Constitution européenne sera difficile. Bien sûr, le président de la République, les principales personnalités politiques françaises, les grandes formations représentées au Parlement à l'exception du Parti communiste, se sont prononcées en faveur du traité. Le sentiment pro-européen des Français demeure affirmé. Et le débat du Parti socialiste, sa tenue, la clarté de son résultat ont donné un élan incontestable à la campagne qui va s'ouvrir. Tout cela, a priori, semble annoncer un oui massif, ce que confirment les sondages. Et pourtant, je le maintiens, ce référendum constitue une épreuve redoutable. Les prétextes d'un non sont nombreux et risquent de se cumuler. De nombreux Français doutent de la construction européenne. Beaucoup s'inquiètent de son caractère libéral et vont l'attribuer, à tort, au traité constitutionnel. À ce « non de gauche » s'ajoutera celui d'un souverainisme résiduel, saisonnier ou permanent, nationaliste ou xénophobe, mais toujours présent. En outre, les facteurs de perturbation ne manquent pas. La politique injuste de la droite, les provocations du gouvernement sur les 35 heures, sur les services publics ou sur les salaires peuvent, dans un contexte économique et social très dégradé, provoquer un rejet et donner l'occasion à tous ceux qui en ont assez de dire dans les urnes à Jacques Chirac « 10 ans, ça suffit ». L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie, que je crois nécessaire, demeure incomprise, parce que l'élargissement continu de l'Union n'a pas été suffisamment débattu avec nos citoyens, parce qu'il n'a pas été nourri par un projet assez mobilisateur, parce que l'approfondissement indispensable de l'Europe n'a pas été réussi. Comment, dès lors, convaincre de la réussite du oui ? Je vois, pour ma part, trois ressorts, trois conditions au succès du référendum. La première condition est en voie d'être satisfaite - c'est la maîtrise du temps et de la question. Il faut un calendrier court et une question simple. La Constitution a été élaborée par trois ans de travail, l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale exige maintenant la réforme politique de l'Europe, les autres pays fondateurs de l'Union prendront leur décision durant le premier semestre 2005 : le débat arrive à temps. Le retarder serait risqué l'enlisement. Le président de la République a dit « avant l'été », qu'il aille au bout de sa logique : le plus tôt sera le mieux, c'est-à-dire le 29 mai - fête des Mères - ou le 5 juin - veille de l'anniversaire du débarquement - deux dates de nature à susciter l'optimisme. Quant à la question, elle doit être simple et sans détour, ne concerner que la Constitution européenne et n'appeler qu'une seule réponse - oui ou non. La deuxième condition est peut-être la plus délicate : il est vital d'éviter de polluer le débat sur la Constitution européenne par d'autres questions politiques, de le recentrer sur son objet. Jacques Chirac a souhaité que le référendum soit une consultation électorale et non pas politique. Il lui appartient, au premier chef, de le permettre. S'il n'est pas illogique que le chef de l'État intervienne dans la campagne, toute recherche, même implicite, d'approbation de sa politique, de satisfecit pour son action, toute tentative d'utilisation au service d'une candidature, même subliminale, toute récupération seraient mortelles. Le président de la République doit donc doser sa présence. Le gouvernement, et notamment le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin gagneraient à mesurer l'hypothèque que leur implication trop visible ferait peser sur le résultat du référendum. Leur devoir est donc de s'imposer la réserve et de laisser les partis politiques jouer leur rôle constitutionnel, en concourant à l'expression du suffrage universel, en parallèle avec la mobilisation des partenaires sociaux et de la société civile. L'autre responsabilité essentielle revient aux partis de droite et à leurs leaders, qui ne paraissent pas avoir la ferme volonté de tenir la Turquie à l'écart de la question constitutionnelle. L'attitude de François Bayrou, Nicolas Sarkozy et même Valéry Giscard d'Estaing est, à ce stade, plutôt ambiguë, elle est en tout cas dangereuse : leur opposition à l'entrée de la Turquie dans l'Union est, en effet, beaucoup plus bruyante que leur soutien à la Constitution. Sans doute, animées par un compréhensible désir de revanche historique ou par des ambitions légitimes pour le futur, ces personnalités sont-elles réticentes devant la perspective d'un rebond de Jacques Chirac sur la base d'un oui qui lui serait forcément en partie attribué. Sans doute aussi le président de la République, en proposant de manière démagogique la tenue d'un référendum sur chaque élargissement à l'avenir et d'abord sur la Turquie, a-t-il pêché par excès d'habileté : en croyant neutraliser la question turque, il l'a au contraire installée au centre de la discussion sur la révision constitutionnelle, offrant ainsi à ses «amis» de quarante, trente ou vingt ans une tentation à laquelle il est bien difficile de résister. Et pourtant, ils le doivent, car il ne s'agit pas de dire oui à Chirac, mais à l'Europe. Nous avons dix ans pour conclure, ou non, les négociations avec la Turquie, laissons de côté cette question pendant quelques mois ! Cette obligation de cohérence s'impose aussi, bien sûr, aux socialistes. Ceux-ci ont mené un long débat, tranché par un vote largement majoritaire. Il ne peut donc y avoir qu'une seule campagne au PS, en faveur du oui. Pour ceux qui se sont prononcés par un non, il n'y a qu'un comportement possible : marier leur conviction, respectable, avec la loyauté qu'ils doivent aux militants, c'est-à-dire s'en tenir à une discrétion absolue. Je leur fais confiance pour l'observer, mais tout manquement à cette obligation serait grave et ne pourrait rester sans conséquence. Le troisième ressort du succès réside dans la conduite de la campagne – ou plutôt des campagnes. Il y aura, évidemment, convergence des votes sur une réponse partagée. Ce sera le cas pour le non, pour lequel se mêleront les soutiens pour le moins différents de Jean-Marie Le Pen, Philippe de Villiers, Jean-Pierre Chevènement, Marie-George Buffet ou Arlette Laguillier. Ce sera aussi le cas pour le oui, qui sera soutenu par l'UMP, le PS, l'UDF et, cela va de soi, par Jacques Chirac. Pour autant, le même vote sur le traité constitutionnel n'obéit pas, pour les uns comme pour les autres, aux mêmes raisons : que personne ne soit suspecté de collusion, c'est de l'Europe qu'il s'agit et non de la politique nationale. Ainsi, je me garderais bien de confondre le refus de l'extrême gauche ou du PC avec celui de l'extrême droite ou avec les différents courants du souverainisme. Il en va de même pour le oui. L'adhésion du PS n'est pas de même nature que celle de la droite ou du centre. Pour l'UMP, elle est essentiellement politique, pragmatique et liée au renforcement du rôle des gouvernements nationaux. Pour l'UDF, elle résulte des progrès du texte vers le fédéralisme, notamment à travers l'accroissement des pouvoirs du Parlement européen et de la Commission. Le oui socialiste est différent, il est un oui aux progrès de l'Europe sociale, aux avancées vers une européanisation de la politique étrangère, vers une plus forte présence de l'Europe dans le monde face aux États-Unis, aux acquis démocratiques contenus dans le traité constitutionnel. Pour certains, le traité est une fin en soi, pour d'autres, il n'est qu'une étape qui devra être dépassée, notamment sur le plan social. Tirons donc les leçons de la campagne de 1992 en faveur du traité de Maastricht. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de chercher à fusionner des électorats qui ont toutes les raisons de s'opposer, mais de les ajouter. Que chacun, dès lors, exprime sa vérité, mais évitons la confusion et le brouillage des images qui ont pu dérouter en 1992 au spectacle des «tréteaux» communs et qui cette fois, après la baroque élection de Jacques Chirac en 2002 et le sentiment de trahison d'une partie de l'électorat, pourraient décourager nos concitoyens, notamment à gauche. L'efficacité et la sincérité imposent des campagnes séparées, des convergences parallèles, qui n'interdissent pas la liberté totale, voire la rudesse du combat politique national. Le débat référendaire va dominer le premier semestre de 2005. L'épreuve sera dure, car les écueils sont nombreux : tout dérapage, toute provocation politique sera durement sanctionné. Il est du devoir de chacun des partisans du oui de les éviter. La responsabilité première appartient bien sûr à l'exécutif et d'abord au président de la République, auteurs potentiels des principales erreurs à ne pas commettre. Mais cette responsabilité est partagée, parce que l'Europe se trouve à un tournant, parce qu'elle a besoin du saut politique que représente cette Constitution, parce que son approbation est d'intérêt général. Les socialistes, comme toujours dans l'histoire de la construction européenne, sauront prendre la leur. |
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