La réponse à Schröder
ne sera pas fade

Pierre Moscovici

Point de vue signé par Pierre Moscovici, ministre délégué, chargé des affaires européennes, paru dans le quotidien Le Monde daté du samedi 12 mai 2001


 
L'éditorial du Monde du 8 mai stigmatise le silence de la France face aux propositions du chancelier Schröder et critique le lancement du débat sur l'Europe dans notre pays. Cette charge, d'une violence excessive, me paraît exagérément flatteuse : c'est me prêter beaucoup de pouvoir que d'imaginer que je puisse à moi seul, dans la situation politique complexe du moment, "enterrer le débat et empêcher la France de retrouver son rôle d'initiateur".

Par-delà ces formules, je souhaiterais surtout apporter quelques précisions de fait.

A la demande de... l'Allemagne, le conseil européen de Nice a décidé le lancement d'un grand débat sur l'avenir de l'Europe, et notamment sa construction politique, à l'horizon 2004. Dans ce cadre, la France, sous la décision conjointe du président de la République et du premier ministre, a, la première en Europe, pris l'initiative d'une discussion nationale ouverte, décentralisée et pluraliste.

Ce pluralisme est nécessaire, si l'on souhaite que la parole sur l'Europe ne soit pas confisquée par quelques spécialistes - politiques, intellectuels, experts, médias - mais exprime une diversité de points de vue, et si l'on veut que nos concitoyens s'intéressent à cette construction qu'ils jugent souvent lointaine et abstraite.

C'est justement ce que réclament dans votre page Débats, le même jour, les eurodéputés Verts, parmi lesquels je relève la signature de mon ami Daniel Cohn-Bendit, auteur, avec le président de l'UDF François Bayrou, d'un projet fédéral de Constitution européenne. J'avoue mal comprendre pourquoi cette expérience, suivie avec beaucoup d'intérêt à Berlin et qui passionne les pays candidats, est qualifiée dans votre éditorial, avant même d'avoir commencé, de "pseudo-débat irréel" qui "ne peut qu'échouer".

Une étude plus approfondie du dispositif mis en place par les autorités françaises aurait évité une mauvaise interprétation du rôle des préfets.

Représentants de l'Etat dans les régions, interlocuteurs de l'ensemble des acteurs locaux, il leur revient d'organiser le débat, en veillant à son pluralisme, avec neutralité et objectivité. Il ne leur revient pas, en revanche, de faire "remonter" à Paris les idées de la société civile. Pour cela a été créé un groupe de personnalités connues pour leur engagement européen.

Ce groupe, présidé par Guy Braibant, qui fut vice-président de la convention chargée de l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - formule prisée par les fédéralistes - aura une triple fonction : poser en amont un questionnement pertinent, participer à l'animation du débat en province et produire une synthèse à l'attention des autorités françaises en vue du conseil européen de Laeken, sous la présidence belge. Pour ma part, j'exercerai la coordination de ce dispositif, qui, loin d'empêcher l'initiative, me paraît à même de la fortifier.

Sur le fond - comment "répondre à Schröder" - j'ai la conviction qu'il peut y avoir plusieurs conceptions du fédéralisme. Il y a bien sûr celle du chancelier que Le Monde qualifie de "vision fédérale à l'allemande". Mais il y en a aussi d'autres, aussi fortes, plus conformes peut-être encore à l'intérêt général communautaire et non moins respectueuses des conceptions de la France - qui toujours défendit une "Europe puissance" - que celle du SPD ne l'est des intérêts allemands.

De ce point de vue, je crois pour le moins prématuré d'abandonner le concept de fédération d'Etats-nations qui est, je le rappelle, le cœur de l'approche d'européens aussi ardents que Jacques Delors ou Joschka Fischer.

Faut-il tourner le dos à l'intuition géniale des pères fondateurs de l'Europe, qui ont créé trois institutions représentant à la fois la vocation fédérale de l'Union - la Commission et le Parlement européen - et la légitimité des peuples et des nations - le Conseil - en couronnant l'ensemble par le Conseil européen ? Tout cela doit être amélioré, modifié, conforté. Mais faut-il l'abandonner, par exemple en réduisant le Conseil à une deuxième Chambre législative, une sorte de Sénat européen où Malte serait l'Arkansas, à égalité avec la Californie - l'Allemagne - ou le Texas - la France ? Je n'en suis pas convaincu !

La réponse à Schröder - je préfère parler pour ma part de la contribution de Lionel Jospin, car il ne s'agit ni de copier ni de contredire quiconque - viendra vite. Elle viendra à son heure - le débat sur l'avenir de l'Europe ne fait que commencer, il durera jusqu'en 2004 - et ne sera pas fade, ni tiède ou sceptique. Il n'est pas juste de la minimiser par avance, pas davantage qu'il n'est juste de disqualifier le débat des Français sur l'Europe, avant même qu'il ne s'engage.

© Copyright Le Monde Interactif


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]