Fonder la République nouvelle
La Mutualité - 1er février 2003



Discours de Christian Paul, député de la Nièvre


 
La République nouvelle, c'est notre réponse à la crise de la démocratie.

On ne peut complètement pas expliquer notre défaite et redonner à la gauche des fondations solides sans une mise en examen radicale des motifs de l'affaiblissement de la République.

On ne peut dénoncer l'indifférence à la politique, l'abstention massive aux élections ou pointer du doigt les populismes sans en éclairer les causes, dont quelques-unes sont nichées au cœur même de nos institutions.

Le discrédit qui s'est installé n'épargne personne. Nous le lisons dans les yeux des Français, et pas seulement quand la droite est au pouvoir. Nous l'éprouvons chaque fois que l'impunité se révèle au sommet de l'Etat. Nous le vérifions quand les plus jeunes ou les plus pauvres se détournent des urnes dont ils n'attendent rien.

La politique mise en spectacle, l'illusion monarchique, la cohabitation délétère, l' irresponsabilité sans contrôle, et l'impunité à tous les étages avec de bons avocats, tout cela offre, avouons-le, peu de prises à l'engagement civique. Mais cette remise en question pour laquelle nous devons être les premiers volontaires ne peut se borner à corriger les dérives, à combattre les excès ou à punir les corrompus.

Ce sont les rouages et les ressorts même de la Vème République, et ses usages successifs dont il nous faut dénoncer l'inconsistance.
À toujours renvoyer à plus tard cet examen, à faire de la Vème République une icône intouchable, une question interdite pour les socialistes, nous asséchons notre idéal démocratique.

J'entends même dans les débats qui traversent notre parti, que cette question serait mineure et secondaire. Comme s'il pouvait y avoir progrès social sans progrès démocratique.

Comme s'il était accessoire de savoir en cet instant qui décide de la guerre ou de la paix, ou du droit de veto de la France au Conseil de sécurité. De savoir de quels pouvoirs réels de choix et de décision disposent ceux que nous envoyons à l'Assemblée nationale. De quels pouvoirs, ils disposent réellement pour contrôler l'usage de l'argent public ou le respect des libertés.
Comme s'il était secondaire de savoir que sous Chirac, le gouvernement n'est pas un exécutif responsable devant la représentation nationale, mais un collectif d'exécutants susceptibles de disgrâce.

Comme s'il était secondaire de savoir que ces institutions donnent à la droite la capacité de brider les réformes comme elle l'a fait dans l'opposition et la cohabitation, et surtout lui donnent tous les moyens de déchirer à belles dents le pacte républicain quand elle revient au pouvoir.

À ce propos, l'UMP fait encore mieux que le RPR, et l'appétit lui vient en mangeant. La nomination aux emplois publics dans un vivier de serviteurs zélés, l'indépendance des magistrats à nouveau piétinés, les lois électorales de convenance, la décentralisation à la manière féodale font de cette période sans contre-pouvoirs l'une des plus impitoyables pour la démocratie française.

Ces questions ne sont pas subsidiaires. Mépriser cette question, c'est nier ce que Jaurès affirma : " la République, c'est la forme politique du socialisme ". C'est oublier que jamais les socialistes français n'ont trouvé un nouveau souffle sans porter l'idée républicaine et l'espoir d'une démocratie authentique. C'est oublier les leçons de l'exercice du pouvoir depuis 1981, les défaites programmées quand le peuple n'est plus au rendez-vous. C'est oublier de relire, de Pierre Mendès France, (quand bien même une rue de Paris porte enfin son nom), ce livre visionnaire que fut, il y a 40 ans, " La République moderne ".

Comme s'il était secondaire de voir le Parti socialiste, et avec lui toute la gauche, se soumettre aux lois inflexibles de la Vème république, et à la première de ces lois. De voir ainsi l'élection présidentielle, renforcée par l'inversion du calendrier, contraindre tous nos débats, et cela même cinq ans avant, puisqu'il paraît que parmi nous la campagne présidentielle de 2007 est lancée depuis juin 2002. Le Parti socialiste n'est pas à l'abri des travers du régime présidentialiste quand il fait du leadership l'essentiel, et de nos convictions l'accessoire.

Non, décidément, les habits de cette république sont trop étroits pour qu'elle soit vraiment la nôtre. Sur ce point, le nouveau Parti socialiste doit s'inscrire dans la différence et dans la rupture. Comme quelques-uns de nos camarades ont su le faire en menant bataille pendant la législature précédente, souvent bien seuls, contre l'insupportable impunité présidentielle.

Oui, la Vème République est à bout de souffle. Oui, elle est poursuivie par ses excès, et contestable parce qu'elle étouffe la démocratie

Mais il y a sans doute davantage, et peut-être plus grave. La République, plus que des institutions, ce sont des valeurs, et donc notre idéal.

Quand la République ne tient pas ses promesses, quand les discriminations bafouent la fraternité, quand l'idée d'égalité est foulée aux pieds chaque jour par l'existence des ghettos, comment s'étonner des protestations, des dérisions et des sifflets.

J'attire votre attention sur quelques faux remèdes. L'adhésion à la République ne se reconstruira pas sur le code pénal. Le respect du drapeau ou l'émotion de la Marseillaise ne seront jamais dictés par la crainte du bâton ou de la sanction.
Caporaliser la République n'est pas une démonstration de force. C'est un aveu de faiblesse et le début d'une démission.

Je ne suis pas sûr non plus que le vote obligatoire soit un remède suffisant pour combattre l'abstention. À vrai dire, je suis même sûr du contraire. Je ne voudrais pas que les socialistes, en défendant cette idée, se donnent bonne conscience civique et se dispensent de remises en causes plus profondes, et donc plus douloureuses de leurs pratiques politiques.

Le Nouveau Parti Socialiste n'est pas un club de médecins spécialistes du diagnostic qui s'évanouiraient au moment de proposer et d'agir.
Notre contribution en témoigne, notre motion devra l'affirmer davantage : le Nouveau Parti socialiste doit incarner par ses actes et ses engagements le renouveau démocratique, dans le pays, mais aussi dans le Parti socialiste où nous sommes, c'est vrai, seuls à porter cet espoir.

Nous proposons un vigoureux programme de rupture avec la démocratie confisquée. C'est la VIème République

La VIème république, c'est d'abord une nouvelle constitution, mais c'est surtout un projet global, qui s'étend à la démocratie sociale et à la République européenne.
C'est une réponse constitutionnelle, mais c'est surtout une réponse politique. C'est un nouveau contrat démocratique qui ne vise pas seulement à réorganiser les pouvoirs, mais surtout à partager le pouvoir dans la Cité.

 La VIème République, c'est la République à retrouver
Une démocratie parlementaire refondée n'est possible que si le Premier ministre assume l'essentiel des pouvoirs de l'exécutif, s'il est responsable devant l'Assemblée nationale, s'il a l'initiative de la loi et les moyens d'en contrôler l'exécution, si les députés détenteurs d'un mandat unique sont disponibles pour assumer pleinement ces nouvelles responsabilités.
Pour qu'on ne puisse plus jamais dire que les majorités et les hommes passent, et que le système reste.

 La VIème République, c'est la République à ouvrir
Plutôt que des places octroyées, ce sont des combats pour l'égalité qu'il faut mener.
La parité a été une grande réforme constitutionnelle qui a bénéficié d'un bien tiède portage politique. Ce combat ne fait que commencer.
Le droit de vote des étrangers aux élections doit être la première des réformes politiques, comme un engagement pris depuis si longtemps qu'il figure à ce jour plutôt sur la liste noire des reniements de la gauche.
La représentation de tous ceux issus de l'immigration ou venus de l'outre-mer, qui s'engagent dans la cité, se heurtent trop souvent à des barrières invisibles et à de vraies discriminations. Indifférence ou lâcheté ? Comment ne pas penser le racisme ne s'arrête pas aux frontières de la gauche ? Après tant de rendez-vous manqués, les prochaines échéances régionales et européennes doivent permettre de regagner le temps perdu.

 La VIème République, c'est la République à inventer, avec les citoyens
La modernité, au nom de l'individualisme, ne nous condamne pas inexorablement à la fin des combats collectifs.
La première mission de l'école doit être de former des citoyens avant de former des travailleurs. Des citoyens autonomes et solidaires, et non des individus égoïstes.
Inventer la République, ce n'est pas seulement changer la Constitution. C'est créer les conditions de la participation des citoyens. C'est dépasser l'opposition si pratique entre la démocratie représentative et la démocratie participative. Partout dans le monde, au Nord et plus encore au Sud, et la France est en retard, s'inventent des façons de faire vivre la démocratie qui ne la limite pas au droit de vote (même s'il faut davantage de suffrage universel en particulier dans les communautés de communes)

Que les socialistes, là où ils sont en responsabilité, dans les communes ou les régions, aient le courage de mettre en débat public les priorités et les choix.

La participation des citoyens à l'acte politique majeur qui est le vote du budget local (ce que Lula et nos amis brésiliens appellent le " budget participatif ") serait une avancée considérable, un réel partage du pouvoir et une formidable pédagogie de la République. Ce serait une rupture franche avec la République des notables, et surtout un remède durable à la démagogie.

Chers amis, avant vous, cette salle a vu se lever les militants de tous les grands combats de la gauche. Contre les fascismes, contre les guerres, pour plus d'égalité ou tout simplement pour moins de souffrance humaine.

Je nous invite à être, à notre tour, les artisans ardents du renouveau démocratique, dans le parti, puis dans le pays, pour que vive la VIème République.



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