Traité constitutionnel
Le « non » pour rester crédible



Point de vue signé par Christian Paul, député de la Nièvre, paru dans le quotidien Libération daté du 30 juin 2004.


 
Depuis le pâle accord de Bruxelles du 19 juin, la critique argumentée et lucide de la Constitution n'est plus taboue. Ceux ­ dont nous sommes ­ qui demandaient, parfois en solitaires, l'approfondissement de la démocratie européenne sont rejoints par beaucoup d'autres qui découvrent que l'Europe sociale restera lettre morte dans le cadre institutionnel proposé à l'approbation des Vingt-Cinq. Sans démocratie forte, pas de pacte social fort en Europe

Renoncer à l'Europe politique, à des initiatives pour la croissance, à une fiscalité commune, à une puissance d'équilibre et d'émancipation, c'est le bout du chemin et l'impasse de la convention Giscard. A entendre deux anciens Premiers ministres de François Mitterrand, Laurent Fabius et Pierre Mauroy, exprimer dès mardi soir plus que des réserves ou des réticences, les motifs très précis d'un rejet de ce projet, nous étions nombreux à penser que les socialistes, première force politique issue des derniers scrutins en France, pouvaient enfin espérer peser sur le cours de l'histoire européenne, et non plus subir la dilution de leur idéal.

Certes, il faudra exposer avec clarté les enjeux de ce choix qui rompt avec la politique des tout petits pas ; il faudra aussi déjouer les trois pièges tendus.

L'un par Jacques Chirac, qui feint de baptiser historique ce désespérant compromis. Peu ardent à négocier des améliorations à Bruxelles, le président de la République est déjà dans la manoeuvre intérieure. Voter Chirac, ce fut la cruelle conclusion de l'élection présidentielle de 2002. A en abuser, l'indifférenciation en politique produit l'indifférence à l'égard de la politique.

Le deuxième tient aux mauvaises fréquentations que l'on nous imputera. Les souverainistes sont, eux, déjà sur le sentier de la guerre, racoleurs et populistes. Ils voudraient être les champions du non. Ils sont, au plus, les chevaliers de l'impuissance et les porteurs d'une idée morte. A enfermer la politique dans le cadre national étroit, on s'interdit toute capacité de résistance aux désordres du monde.

Le troisième de ces pièges réside dans les postures tactiques dont la gauche est, hélas, parfois friande. Pourtant, le non à l'espace libéral européen n'est ni une mode ni une cause de circonstance. Pour le Parti socialiste, c'est une part de son identité.

Or il y a dans notre histoire, comme pour notre avenir, des motifs solides de mener ce combat. Dans l'histoire de la gauche, l'adhésion à l'Europe n'a jamais signifié le renoncement mais l'accomplissement. La quête de la paix durable fut le premier ressort de cette adhésion.

Aujourd'hui, croire en l'Europe, c'est lui confier un rôle majeur dans la défense des droits des salariés, des systèmes de protection et de redistribution, et de services publics performants contribuant à réaliser la promesse d'égalité de la République. Avec le projet de Constitution, la gauche européenne ne se forge pas de nouvelles armes pour ces batailles. Au contraire, elle consacrera, si elle l'accepte, la vision d'un vaste espace marchand doté de régulations minimales, plus aptes à réaliser la concurrence qu'à promouvoir les solidarités. Pour l'avenir de l'Europe, comment ne pas voir qu'en acceptant le projet et son architecture, quasi impossible à réviser à Vingt-Cinq, on crée un socle institutionnel et idéologique désormais immuable ?

Le Parti socialiste a fait le choix de l'Europe fédérale. Ce fut l'une des rares novations du congrès de Dijon. Depuis, notre programme pour l'élection au Parlement européen a unanimement rappelé l'importance décisive de modalités de révision allégées, en particulier pour les politiques de l'Union. Là comme sur d'autres points, Bruxelles fut une déception, voire un recul.

Dire oui à l'Europe, c'est donc à ce moment précis dire non à la Constitution. Mais, pour être entendus et compris, pour ne pas être isolés en France et sur le continent, il importe d'incarner une perspective européenne crédible. Avant-garde (François Hollande), Europe du premier cercle (Laurent Fabius) ou République européenne (NPS) ont au moins en commun d'offrir une exigence européenne nouvelle, qu'il faudra clarifier dans la préparation de la consultation bientôt proposée aux adhérents du PS. Mais, surtout, ces initiatives doivent irriguer le PSE et la gauche française.

Ainsi, nous proposons de poursuivre avec les pays qui le souhaitent l'histoire de l'intégration de notre continent, en oeuvrant à la création d'un gouvernement européen responsable devant un Parlement issu du suffrage universel. Nos concitoyens ne sont pas hostiles au transfert de nouvelles compétences à l'Europe, s'ils ont la conviction que des dirigeants responsables devant eux ou devant leurs représentants s'en saisissent efficacement.

En appelant, il y a plusieurs mois, à un mandat constituant pour les députés européens, en fixant fermement le cap d'une future République européenne, ouverte et fédérale, émergeant de la zone euro, nous assumons, en les renouvelant, les ambitions des pères fondateurs de l'Union et de François Mitterrand ou de Jacques Delors.
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