Europe :
demander la démocratie
Congrès de Dijon - 16 mai 2003

Discours de Christian Paul, député de la Nièvre, signataire de la motion C (NPS)


 
Chers et chères Camarades,
L’Europe fait aujourd’hui débat entre nous, d’abord parce que c’est une question essentielle, et nous voyons à juste titre dans l’Europe l’un des remèdes, le remède peut-être à l’impuissance politique qui gangrène notre pays.

Le chômage, les services publics, les droits des salariés, mais aussi bien sûr les retraites sont des enjeux dont le sort, nous le savons bien, ne se règle plus dans les seules frontières de nos États.

Mais si cette question fait débat entre nous, chers Camarades, c’est parce que la question européenne entraîne les socialistes français vers plusieurs chemins entre lesquels, tôt ou tard, bien ou mal, nous devrons choisir, par exemple dans une convention sur l’Europe que nous pourrions tenir au sein de notre parti.

Mais aussitôt, je veux nous inviter à éviter quelques vilains clivages qui anesthésient la pensée, qui sont d’ailleurs faits sur mesure pour cela.

La ligne de partage, chers Camarades, n’est pas entre des pro-européens et des eurosceptiques à la recherche de je ne sais quelle souveraineté perdue. Elle ne passe pas non plus cette ligne entre des partisans et des adversaires de l’élargissement de l’Union européenne.

Non, chers Camarades, nous sommes tous des Européens fervents, et pour cela des militants exigeants de l’Europe.

Il y a, je veux le redire ce soir devant vous, dans l’unification pacifique de notre continent, une obligation d’autant plus impérieuse qu’elle est la reconnaissance et le fruit d’une lutte : la lutte des peuples qui veulent inscrire désormais leur histoire dans le sillon de la démocratie.

Mais si nous parvenons très rapidement à balayer entre nous ces faux procès, il demeure que le projet européen aujourd’hui s’égare. Le projet européen tourne à vide. Au risque d’engloutir sous la colère de notre peuple les socialistes français, qui pourtant il n’y a pas si longtemps, avec François Mitterrand, avec Jacques Delors et avec beaucoup d’entre vous, ont permis à l’Europe de faire des progrès historiques. Oui, la ligne de partage me paraît être entre ceux affrontent cette crise européenne et ceux qui la nient ou la réduisent, entre ceux qui veulent faire un bon usage de cette épreuve et ceux qui peinent à ouvrir les yeux.

La crise européenne est ouverte, nous l’avons dénoncé, parfois sous les reproches, mais il fallait bien que des socialistes portent cette question dans le débat de notre parti et de ce congrès. NPS l’a fait, et ce jour, à Dijon, nous prenons date. Ceux qui croyaient d’ailleurs notre diagnostic superficiel ont eu tout loisir pendant l’affaire irakienne de vérifier que l’Europe politique était un simulacre quand il s’agissait de forger une diplomatie commune dans la résistance à l’emprise impériale et unilatérale des États-Unis.

Nous savions d’ailleurs déjà combien l’Europe était virtuelle quand il s’agit d’exprimer une volonté face aux marchés. Nous savions que les renoncements s’accumulaient, asséchant nos convictions et en lisant ô longtemps la perspective d’un gouvernement économique et d’un traité social.

Chers Camarades, faire de l’Europe une puissance au service de modèles alternatifs à la mondialisation libérale, ça ne va pas de soi. Cela ne va pas de soi à 15, et pas davantage à 25. Et pourtant, désormais, et pour longtemps, ce doit être le cœur de notre combat politique.

Chers Camarades, nous observons aussi que l’élargissement au moins tel qu’il s’engage ne renforce pas, mais au contraire diluera notre projet européen.

A ne pas avoir vérifié à 15 ou à 25 les finalités de l’entreprise européenne, le risque majeur que nous courons, c’est de voir le profil le plus bas dans tous les domaines, pour la diplomatie, pour l’environnement ou pour les salaires, le profil le plus bas devenir la règle commune.

Et les déclarations insultantes de Jacques Chirac à l’égard des pays candidats résument bien l’impuissance de ceux qui n’ont pas su à temps procéder à cette vérification.

Aussi, l’Europe, vaste espace marchand, délivré des obstacles à la concurrence, deviendrait l’horizon indépassable de nos espoirs et de nos rêves. Et à ne pas avoir consolidé la démocratie européenne avant l’élargissement, nous courons le risque de ne le faire jamais.

Alors, chers Camarades, si ce congrès n’est pas un rituel, mais si ce congrès est un moment fort d’élaboration collective, comme nous le voulons, il nous faut renoncer à trois tentations qui sont bien vivaces. D’abord faire la chronique interminable de toutes les occasions manquées quand treize gouvernements socialistes ou socio-démocrates sur quinze étaient présents en Europe, quand le traité de Nice a été signé aujourd’hui, unanimement critiqué d’ailleurs dans cette salle, occasion manquée aussi quand la main tendue de l’Allemagne, il y a deux ans, nous n’avons pas su la saisir.

Depuis, c’est vrai, parmi nous, sur ce sujet, c’est souvent la fuite en avant, et les années récentes n’ont guère marqué de progrès ou d’ambition, et nous payons aujourd’hui, depuis le 21 avril, au prix fort la déshérence de notre projet européen. On nous dit : l’élargissement, c’est bouclé. Mais que je sache, le parlement français ne l’a pas ratifié et ne le ratifiera pas avant de nombreux mois.

Ensuite, on nous objecte que la constitution que prépare Giscard d’Estaing sera une session de rattrapage. Ensuite, devant la ligne minceur de cette constitution, nous sommes invités à faire, avec quelques pays, une avant-garde, mais là, il n’y a pas de date sur l’invitation.

Alors, chers Camarades, sur l’Europe comme ailleurs, nous ne gagnerons pas les combats que nous renvoyons sans cesse à demain ou même à après-demain.

Puis, la dernière tentation, c’est les réveils tardifs. J’entends parmi nous quelques-uns qui préparent les esprits, en tout cas les esprits des socialistes à dire non au référendum sur la constitution après avoir dit oui sans garantie à l’élargissement. Alors là, ce serait, chers Camarades, la politique du pire, car nous aurions l’élargissement sans de nouvelles institutions, donc nous aurions mis en péril la maison commune de l’Europe.

Comment faire ? Et je conclurai par là. Nous avons prise sur les événements qui modèlent notre continent si nous demandons d’abord la démocratie. Oui, il y a un préalable démocratique, que les socialistes français doivent poser pour peser sur la suite de l’histoire de l’Europe. Demander la démocratie, c’est consulter le peuple à chaque étape importante. A faire l’Europe clandestinement sans les peuples, on finit par la faire contre eux. Et craindre leur vote sur l’élargissement comme sur la constitution serait l’aveu redoutable que nous ne savons plus porter leur espoir.

Demander la démocratie ensuite, en donnant au vote des citoyens au suffrage universel toute sa place dans les institutions d’une république fédérale. J’observe d’ailleurs que cette vision fédérale de l’Europe a progressé dans notre parti, et je m’en réjouis. Mais sans démocratie réelle, l’Europe fédérale n’a pas de gouvernail, c’est une souveraineté sans souverain puisque les peuples en restent simples spectateurs.

Sans une démocratie vivante, c’est vrai, Hubert Védrine le disait, beaucoup de nos idées seront durablement minoritaires en Europe, et l’espoir mis en nous se consumera.

Demander la démocratie, c’est oser sortir de l’ambiguïté. Nous n’avons pas peur de nouvelles avancées européennes si elles s’engagent sous le contrôle des citoyens, mais nous redoutons à l’inverse les effets conjugués de l’élargissement de l’Europe et d’institutions mal raccommodées.

Dans un tel bricolage, aucune solution n’est bonne. Soit les États conservent leur droit de veto et l’Europe reste en panne, soit les majorités qualifiées se déploient, et faute de garanties sur le contenu des politiques européennes, les socialistes expieront longtemps devant le spectacle et les dégâts de l’Europe libérale.

Voilà pourquoi, et c’est essentiel, nous voulons que le calendrier européen cesse de marcher sur la tête. Nous exigeons des garanties pour l’Europe et pour les peuples de l’Europe, car c’est dans le grand écart entre la promesse d’Europe et les réalités de l’Europe en train de se faire que viennent se nicher tous les populismes.

Il fut un temps, pas si lointain, où les socialistes français, quand ils parlaient d’Europe, étaient écoutés et entendus, sans doute car ils ne se résignaient pas, eux, aux premiers obstacles.

Faisons en sorte, chers Camarades, que ces temps reviennent. Et après cette trop longue jachère de l’Europe démocratique, donnons à la démocratie en Europe toute sa place, mettons toutes nos énergies dans cette bataille, elle en vaut la peine.



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