Des frontières nouvelles
pour les socialistes


Contribution au débat d'Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, et Christian Paul, député de la Nièvre
Texte de travail à l'intention des militants socialistes le 5 octobre 2002



Arnaud
Montebourg

Christian Paul
Christian
Paul




Nous aurions pu nous contenter, avec d’autres, de regrets et de reproches, fustigeant la campagne ratée, le projet sans élan, et l’immense gâchis qui a clos la séance. Cela eût été si facile pour la suite. Puisqu’une conjonction de circonstances expliquait la tempête, les vents meilleurs reviendraient bien vite.

Mais, cette fois, c’est le socle historique de la gauche qui s’est effondré. Des millions de nos électeurs, dont nous avons été les porte-parole traditionnels, au nom desquels nous pensions gouverner, se sont jetés dans les bras des extrêmes, manifestant révolte, désespoir ou défiance à l’égard du système politique chargé de les représenter, ou plus grave exprimant du ressentiment à l’encontre des politiques sociales-démocrates de redistribution qui étaient censées les servir ou les protéger.

Ainsi, pour la seconde fois en près de cinquante ans, la gauche n’a pas été représentée au 2ème tour de l’élection présidentielle. En 1969, l’accélération du calendrier politique après la démission du Général de Gaulle avait été fatale aux forces de gauche, trop divisées contre elles-mêmes. En 2002, tout devait au contraire, selon un scénario minutieusement huilé par ses « stratèges », servir les forces de gauche : l’élection présidentielle clôturait cinq années de gouvernement dont les sondages d’opinion soulignaient l’estime ; nul n’avait le droit d’affirmer que nous aurions perdu les municipales ; la gauche, en inversant le calendrier des élections présidentielle et législatives, avait choisi l’ordre des batailles ; la certitude d’une victoire contre le plus mauvais candidat que la droite n’eut jamais aligné à la présidentielle devait entraîner notre victoire aux législatives. Il était même interdit de douter de nos succès annoncés.

Pourtant, nous avons été battus, humiliés et interdits d’affronter en face-à-face le candidat de la droite conservatrice, remplacés dans cette tâche par l’extrême droite. Le corps électoral a confirmé aux élections législatives sa volonté d’une alternance de droite dure et nous a infligé une défaite dont nous devons impérieusement prendre l’exacte mesure.

Il ne faut pas, parce que la gauche ne pourra plus se le permettre, céder à l’irrésistible tentation de transformer ce désastre en petit accident de parcours, explicable par les effets combinés d’une campagne ratée, ou d’un corps électoral qui se serait fourvoyé, perturbé par l’abondance de candidatures au 1er tour, par les faiblesses supposées de notre candidat, les curieuses certitudes de nos dirigeants ou en accusant nos anciens alliés d’avoir chercher à défendre leurs idées sur le plan électoral.

Ce ne serait là que de vaines et inacceptables tentatives de refermer au plus vite les plaies pour éluder les véritables raisons de notre échec et se dispenser ainsi des profondes remises en cause, évitant et dissimulant la seule question qui compte : Pourquoi un rejet aussi massif, aussi puissant, aussi imprévisible ? Pourquoi ?

Le parti socialiste est-il seulement capable de se poser cette question ? Décrit et vécu comme " un appareil replié sur lui-même, claquemuré dans un univers hermétique, indifférent ou hostile à la modernité de la société, autiste à l’égard du monde du travail, du monde associatif et des autres mouvements de la gauche, il confère en petit comité, préserve la pureté de l’espèce et reproduit pour l’éternité ses courants internes ".

L’analyse de notre échec est déjà aujourd’hui prise en otage par les anciens courants réveillés par la défaite, spécialistes des jeux de rôles, se préparant à partager les dividendes de leurs propres combinaisons. Entre les libéraux qui seraient " plus modernes " et les " archaïques " qui seraient plus à gauche, la pièce de théâtre est déjà inventée et la chute déjà écrite. " Soyons modernes ! " disent les premiers pour mieux s’affranchir des idéaux du mouvement ouvrier. " Soyons plus à gauche ! " répondent les seconds enfermés dans l’absence de crédibilité de leurs discours messianiques. Tel est le faux dilemme dans lequel le parti socialiste est sur le point de s’enfermer. Tentative de boucler le débat avant même qu’il ne s’ouvre ? Réflexe de défense d’un corps mourant désormais incapable de se ressaisir pour survivre ?

A nous d’en refuser l’augure. La situation de la gauche française est désormais dramatique, à l’identique de celle des gauches européennes. Partout émergent de puissantes forces populistes, qui se nourrissent de la coupure profonde aujourd’hui installée entre les gauches et les peuples.

L’abandon de la gauche par plusieurs millions d’ouvriers, d’employés confrontés à la cruauté des marchés, précarisés, isolés, et désormais réfugiés dans la violence politique de l’extrême droite, a révélé l’incapacité du parti socialiste à répondre dans sa doctrine et par son action politique aux besoins des victimes de la mondialisation agricole, industrielle, financière, dont les craintes n’ont pas été prises au sérieux. Devant cette mutation générale du monde et de notre pays, les réponses sociales et économiques nationales perdent de leur crédibilité, la promesse d’un monde idéal épuise sa capacité à faire espérer les couches les plus défavorisées de la société. Défendre les victimes de la mondialisation ; entendre aussi tous ceux qui espèrent et sont prêts à agir pour un monde plus généreux et plus solidaire, et toutes les générations qui dès le 21 avril au soir se sont mobilisées.

Qu’aurions-nous dû faire ? Il eût fallu que le politique fût là, plus fort que jamais ; avec la volonté de transformer, de réorienter ou de corriger, parfois même seulement d’expliquer ce que nous devons espérer d’une transition plus ou moins longue vers un autre ordre du monde. Il eût fallu que les urnes donnent le sentiment de pouvoir servir aux citoyens contre le marché.

Désormais, le danger d’un face-à-face exclusif entre une droite libérale au programme injuste et une extrême droite autoritaire et démagogique se fait de plus en plus pressant, la gauche ayant perdu dans son électorat traditionnel une part considérable de sa crédibilité. Ce danger est encore accru par les particularités du système politique français qui renforce l’enfermement des dirigeants. A cet égard, neuf années depuis la défaite de 1993, dont peu de leçons semblent avoir été tirées, le système politique a une nouvelle fois montré qu’il pouvait avoir raison des mouvements de transformation et de réforme. La Vème République aura ainsi augmenté d’un cran l’esprit de défiance à l’égard de l’action politique et aura broyé au passage la gauche française.

Nous devons repenser notre doctrine et notre action au prix de révisions profondes, peut-être déchirantes, et adapter nos habitudes de pensée aux réalités du monde nouveau sur trois terrains : la République et la démocratie, celui de la mondialisation et du nouveau contrat social, défrichant des frontières nouvelles pour la reconstruction d’un projet crédible.

Une République nouvelle pour réhabiliter la politique

Le peuple a condamné la gauche, parce que celle-ci s’est résignée à gouverner à l’intérieur d’un système politique discrédité : grève massive du vote, vote de défiance protestataire devenu majoritaire, rejet du technocratisme, violence nouvelle de la critique à l’égard du système représentatif, accusé d’être oligarchique, enfermé sur lui-même, obscur et sans contrôle. Les citoyens pleurent leur souveraineté perdue et veulent intervenir dans les affaires publiques, exercer leur contrôle et leur " pesée ".

Lorsque la démocratie est attaquée de l’extérieur par l’extrême droite et rongée par le discrédit à l’intérieur, il faut avoir l’audace de repasser contrat avec tous les Français : redéfinir les règles d’exercice du pouvoir, de tous les pouvoirs, qu’ils soient gouvernemental, parlementaire, présidentiel, judiciaire, administratif, local et décentralisé ou européen, et réorganiser d’urgence l’exercice de la souveraineté. Cette entreprise courageuse redonnera une légitimité nouvelle et aujourd’hui perdue à cette République technocratique, monarchique ou selon une formule en vogue " cesaro-papiste ", dans laquelle l’archaïsme le dispute au discrédit.

Installer le principe de responsabilité au cœur du système politique, aujourd’hui disparu, c’est faire entrer les citoyens dans la délibération publique, leur donner des moyens nouveaux pour exercer leur souveraineté et les engager dans la décision politique. C’est réconcilier les élites de la République avec leur peuple et lutter contre les thèses dangereusement démagogiques de l’extrême droite. Il faudra ainsi renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement et de ses membres sur le Gouvernement et l’administration, faire du Sénat une chambre représentative élue au suffrage universel direct permettant la représentation du pluralisme politique, encadrer les pouvoirs présidentiels et redéfinir s’il le faut le mode de sa désignation, dessinant ainsi un régime primo-ministériel dont tous les pays européens se sont dotés. Il faudra séparer la haute administration des fonctions politiques, échanger l’instauration de la fin du cumul des mandats contre un solide statut de l’élu, augmenter le contrôle politique sur l’usage des finances publiques, redéfinir les règles d’indépendance et de responsabilité relatives au pouvoir judiciaire, donner au citoyen l’initiative référendaire, réorganiser le contrôle politique sur l’intégration européenne et sur la diplomatie aujourd’hui confidentielle, donner des droits aux citoyens sur les administrations locales et nationales.

C’est aussi dans ce cadre que le projet éducatif, ses moyens et ses méthodes, devra être redéfini et que l’intégration des citoyens exclus de la République, ou de ses territoires oubliés, doivent faire l’objet d’une redéfinition au regard des échecs observés.

Nous devons tirer le bilan de notre échec dans le domaine de la politique dite d’intégration : notre République n’est toujours pas celle de tous ses citoyens, nés et grandis ici. Entre le modèle français " assimilationniste " devenu inopérant et le modèle anglo-saxon " communautariste " inégalitaire, nous devons défendre l’espace public laïc, sur la base d’une intransigeance renouvelée dans la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits, valorisant l’apport de chacun quelles que soient ses origines.

De nombreux pays européens ont procédé partiellement ou progressivement à cette redéfinition des pouvoirs, afin de maintenir l’adhésion de leur population aux mécanismes de la décision politique. La France a curieusement échappé à ce mouvement. L’Union Européenne elle-même s’est lancée, bien que trop discrètement, dans la reconstruction de sa propre démocratie, faisant ainsi la démonstration de sa volonté de répondre à l’angoisse de la démocratie absente chez les peuples européens.

L’édifice qu’il est nécessaire de bâtir, sera celui d’une République nouvelle sans laquelle aucun projet socialiste ne pourra trouver d’assise et de confiance politique. Cette remise en mouvement de l’idée républicaine, cette reconquête de l’idéal démocratique sont insuffisants mais indispensables pour renouer avec la confiance aujourd’hui perdue.

Mondialisation : quand la régulation ne suffit plus, la résistance s’impose

Depuis plus de vingt ans, la mondialisation accélérée des économies a provoqué des restructurations d’une violence inédite, bouleversant les rapports sociaux et engageant notre pays dans un nouvel âge du capitalisme. En temps de crise, mais aussi de croissance, des inégalités s’accroissent devant la richesse, le travail et sa rémunération, des écarts se creusent entre le Nord et le Sud, des équilibres territoriaux sont rompus, des risques environnementaux d’ampleur planétaire surgissent.

L’heure n’est plus de s’interroger sur le bilan de la mondialisation, par nature ambivalente, sur ses coûts et sur ses avantages. Nous savons que ceux qui supportent l’essentiel des coûts en recueillent peu les avantages. L’idée s’impose que cette mondialisation-là fabrique des chômeurs dans les pays riches et des esclaves dans les pays pauvres. Des pans entiers de la société, en France et en Europe, se vivent à bon droit abandonnés, perdant les acquis ou les références du monde ancien : emploi stable, pouvoir économique localisé, petite propriété agricole à taille humaine, solidarités familiales et locales, sentiment d’appartenance collective et identité territoriale. Face à la puissance de ce mouvement, quelle doit être la réponse des socialistes ?

Osons d’abord dire que la France, et le Parti Socialiste, n’ont pas été aux avant-postes pendant ces deux décennies. Bien sûr que nous étions et restons sincères dans notre engagement européen. Sans doute, avons-nous inspiré et soutenu les petits pas de la diplomatie multilatérale pour tenter d’orienter péniblement le cours des choses. Mais dans l’urgence, les enjeux d’adaptation aux contraintes nouvelles de l’économie l’emportaient sur la volonté de lui imposer des règles. Les efforts de régulation eux-mêmes, sans volonté politique universelle réellement partagée, s’épuisent trop souvent dans d’interminables confrontations. Le combat politique, étroitement replié à l’intérieur des limites de l’État national, a perdu de vue le dépassement des frontières.

Osons ensuite clarifier notre position : c’est parce que nous acceptons l’économie de marché, que nous pouvons affirmer que la mondialisation libérale, est non seulement injuste et destructrice, mais qu'elle ne marche pas. Dans sa version mondialisée, autant que par l’extension constante de l’emprise des rapports marchands, le libéralisme accentue les formes de domination des salariés et des pays en développement. Dans le même moment, il multiplie les aveux de faiblesse, que sont aussi bien les crises financières, la déconfiture d’entreprises impériales et opaques et la place conquise par l’argent sale des réseaux criminels ou frauduleux.

La régulation de l’économie mondialisée demeure une nécessité. Mais cette régulation ne suffit plus. Dans un espace public mondial sans gouvernement, fixer des règles du jeu est un objectif que nous ne sous-estimons pas, pour l’environnement, le commerce, la santé et les droits sociaux. Mais nous en mesurons lourdement les limites. De Kyoto à Johannesburg, les obstacles au développement durable en portent témoignage. Pour une petite victoire, combien de lourdes défaites qui nourrissent l’image désastreuse et malheureusement exacte de l’impuissance politique ?

Quand la régulation ne suffit plus, la résistance s’impose. La résistance aux excès de la mondialisation libérale doit devenir l’un des moteurs de notre action collective. Il y a là, pour le Parti socialiste, l’obligation de s’engager dans un " nouvel internationalisme ", affirmant la responsabilité du politique et la place des citoyens, enfin capable de dialogues et d’alliance avec des forces sociales qui partagent ces valeurs et ces objectifs.

Pour l’heure, l’extension agressive et sans contrepartie de la sphère marchande fabrique de graves déséquilibres. Elle porte atteinte, sans contrôle, à des intérêts vitaux. Elle menace des services publics (santé et protection sociale, éducation), les biens publics globaux comme l’eau, la culture devenue marchandise, le vivant livré au brevet ou l’agriculture qui n’est pas un produit comme un autre, parce qu’elle nourrit les hommes et préserve les territoires. Là sont les terrains de nouvelles résistances.

La résistance doit s’exercer par la sanction. Pour ce faire, il faut une puissance capable d’imposer des sanctions, voire des mesures unilatérales, contre la violation des normes sociales et environnementales, et d’assumer la crise quand nos intérêts d’européens l’exigent. Cette politique de puissance européenne défendant la démocratie, la protection sociale, la solidarité par les services publics n’est pas une politique de puissance impériale, elle est une politique de puissance émancipatrice ayant pour but d’imposer sous nos yeux la fabrication d’un autre monde.

L’Europe est l’instrument politique de cette résistance. Européens fervents, nous voulons être très exigeants pour l’Europe, beaucoup plus que nous ne l’avons été. La poursuite de l’entreprise européenne ne vaut que si elle permet effectivement de peser dans la mondialisation, alors que le populisme se nourrit de la résignation européenne face à ses excès et à ses dérives. L’idée de République européenne doit trouver tout son sens, et faire prévaloir la règle négociée sur la force, pour faire partager l’ambition démocratique.

L’élargissement de l’Europe sera le test de cette volonté. Pour les libéraux, c’est une occasion décisive de confirmer l’adhésion de l’espace européen à la mondialisation dans sa forme dominante. Pour la gauche, c’est l’opportunité historique de proposer à la puissance européenne une vocation à la mesure des défis du monde nouveau.

Pour cela, des garanties préalables à l’élargissement sont nécessaires. Ces garanties à exiger sont indispensables pour les peuples. Le risque d’accroître l’anémie démocratique de l’Union européenne est évident. Les risques économiques ne sont pas minces, devant la disparité des systèmes sociaux. Ces conditions préalables sont aussi d’importance vitale pour l’Europe elle-même, sauf à voir ses finalités oubliées et son élan brisé.

Faute de ces garanties, fautes d'avancées tangibles vers la construction institutionnelle et démocratique de l'Europe actuelle, nous nous opposerons à l’élargissement de l’Union Européenne tel qu’il est aujourd’hui envisagé.

Pour un nouveau contrat social

Depuis 1981, la gauche aura gouverné 15 années. Une aussi longue période permet de dresser un bilan de notre capacité à changer en profondeur les équilibres d’une société. La France d’aujourd’hui est-elle moins inégale que celle de 1981 ? Est-elle plus juste ? Est-elle plus solidaire ? Est-elle plus ouverte, plus vivante ? Des questions aussi décisives appellent à elles seules un bilan approfondi sans lequel il ne sera pas possible de redéfinir un projet d’action crédible. Il faut se préparer à mener cette réflexion dans la durée et en y associant d’autres forces sociales de notre pays.

Pourtant, malgré les efforts entrepris et la volonté de nos gouvernements, il faut reconnaître les limites de notre action en matière de lutte contre les inégalités et les difficultés que nous avons eues à lire correctement les réalités de notre société. Cette double insuffisance, sociale et sociétale explique très largement notre défaite. Nous avons beau rappeler autant que possible la riche liste de nos réformes sociales, nous avons beau revendiquer fièrement nos conquêtes nouvelles, de la suppression de la peine de mort à la parité, rien n’y fait : nous n’arrivons pas à convaincre car l’efficacité des réponses classiques de la social-démocratie, construites comme des droits collectifs permettant à chacun d’être protégé, défendu, soutenu, n’a pas seulement buté sur la mondialisation des économies. Elle a également trouvé ses limites dans le décalage existant avec les évolutions de l’économie et les conséquences sur l’organisation sociale. Sans perdre de leur pertinence et de leur caractère indispensable, nos conceptions du progrès et de la réforme doivent, pour être efficaces, faire place à d’autres analyses.

En effet, dans le capitalisme d’hier de production industrielle de masse, la force de travail des individus est supposée égale et substituable, quels que soient l’âge, le sexe, la nationalité des salariés ; la substitution possible à tout moment d’un salarié par un autre est d’ailleurs le moyen dont le patronat se sert pour contenir les revendications voire délocaliser les emplois. Cette réalité est encore celle que vivent des pans entiers de notre société.

Mais apparaît désormais, à côté de ce capitalisme traditionnel, un capitalisme nouveau qui fonctionne d’une façon beaucoup plus individualisée : Le mode de production moderne se construit à partir de ce qu’il y a de particulier en chacun des salariés. Le salarié producteur, intègre au processus de production un savoir-faire personnel, des compétences relationnelles et des initiatives qui lui sont propres. A tous les niveaux de la production, l’artisan, l’agriculteur, l’ouvrier, l’employé, le cadre individualisent leur production, y apportent beaucoup plus d’eux-mêmes. La production, en se rapprochant du consommateur, s’individualise elle aussi jusqu’à se fondre dans les attentes de chacun. Travail manuel et travail intellectuel, travail matériel et travail immatériel, industrie et service se mêlent désormais.

En découlent l’affaiblissement des grandes identités de classe, la dissolution du sentiment d’appartenance à un milieu, à une condition ou une position sociale. Apparaissent des revendications nouvelles, relatives à la qualification, à la demande d’intéressement personnel à la création de richesse, à une autre gestion du temps de travail, ainsi que des formes nouvelles d’exploitation : précarisation, isolement du salarié, pression excessive, harcèlement et exigence irrationnelle de productivité.

Capitalisme traditionnel ou nouveau capitalisme : notre défi est de répondre aux attentes diverses et contradictoires qui naissent de la cohabitation de ces deux mondes. Comment protéger les salariés menacés de délocalisation contre les licenciements ? Comment augmenter les rémunérations et modifier la répartition de la valeur ajoutée au bénéfice des salaires ? Comment dans le même temps défendre le salarié isolé de la petite entreprise en milieu rural ? Comment l’intéresser plus étroitement à la création de richesses qu’il produit ? Comment faire évoluer le système de formation professionnelle ?

Si nous ne sortons pas de nos visions classiques du progrès social-démocrate centralisé, si nous n’évoluons pas dans notre conception des modalités du progrès social et de la lecture de la société, nous échouerons. Si nous ne débattons pas avec des acteurs sociaux et syndicaux, qui sont au plus près des spécificités de la production, les politiques classiques de progrès social seront vaines. Ce qui est en jeu n’est pas la loi, mais la manière de la faire et de l’appliquer. Il suffit pour s’en convaincre de mesurer les effets pervers qui ont enseveli nos politiques de réduction du temps de travail. Si nous ne prenons pas en compte l’élévation des niveaux de compétences des salariés, et des conséquences de la " solitude " des salariés producteurs, nous ne comprendrons pas l’intensité des nouvelles attentes revendiquées sur le plan de l’organisation de la société qui doivent recréer du lien social quand les façons de produire le détruisent : comment comprendre autrement les exigences nouvelles en matière de cadre de vie, de consommation, de sécurité, d’égalité devant la loi et de lutte contre la corruption, de lutte contre les discriminations, de reconnaissance des minorités, de laïcité ? Si nous ne mesurons pas ces profonds changements, il en sera alors fini de l’idée même de progrès social et celle même de l’utilité de la gauche.

D’où l’exigence d’un nouveau contrat social, pour construire un partenariat nouveau avec les acteurs du progrès social qui vivent au plus près de la diversité des réalités vécues par les salariés et les citoyens. Mettre au premier rang de nos priorités la consolidation du rôle des acteurs sociaux et sociétaux : cette exigence de légitimation des syndicats passe par " l’élection de représentativité ", par de nouvelles règles relatives à l’accord majoritaire, par une évolution décisive des règles de la négociation collective et de représentation des salariés dans les petites entreprises, et par l’organisation urgente d’un financement public des syndicats. Il restera alors à définir des rapports institutionnels nouveaux avec ces acteurs. C’est en prenant le risque de débattre en permanence avec ceux-ci, depuis le diagnostic des problèmes à résoudre jusqu’à l’évaluation des politiques menées que nous avancerons en mobilisant les forces de la société.

Un nouveau contrat social implique également une redéfinition des notions de responsabilités individuelles et collectives. Temps de travail, rémunération du travail, " insécurité sociale et professionnelle ", approche exigeante et progressiste des questions de sécurité, d’égalité devant la loi et de développement durable seront les terrains sur lesquels s’affirmera ce nouveau contrat social. Il implique une gauche beaucoup plus ferme dans ses choix et ses convictions pour les réformes à entreprendre, beaucoup plus modeste et souple dans ses relations à la société.

République nouvelle et démocratie approfondie, résistance à la mondialisation, nouveau contrat social : quel Parti socialiste devons-nous rebâtir pour aborder ces frontières nouvelles ? Quelle organisation les fera émerger, les fera vivre dans la société et créera autour d’elles une mobilisation puissante ?

C’est par le débat que nous façonnerons le projet et c’est autour du projet que nous aurons à redéfinir la future organisation de la gauche.

Pour cela, notre parti, trop confiné dans son rôle de machine électorale doit : s'enraciner dans les réalités sociales anciennes et nouvelles, pour diversifier sa composition sociale et permettre de renouer un lien organique avec le peuple de gauche. Il doit intégrer à tous les niveaux, et en particulier parmi ses responsables, dans son encadrement les nouvelles générations et les femmes, et établir de profonds liens de confiance avec les citoyens actifs et le mouvement social, être un parti producteurs d'idées et d'échanges où les intellectuels retrouvent plaisir à s'investir, s'appuyant sur la créativité de chacun, et sur les valeurs du collectif et de la pensée critique.

Autant de défis qui doivent être désormais ceux de tous les socialistes rassemblés.


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