Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Mutualité - 1er février 2003



Discours de Vincent Peillon, coanimateur du Nouveau Parti socialiste


 
Mes chers amis, mes chers camarades,

Je voudrais d'abord vous remercier chaleureusement et sincèrement, du fond du cœur, de votre présence si nombreuse aujourd'hui. Elle témoigne de la force de votre implication, de votre engagement, dans notre démarche collective. Celle du nouveau Parti socialiste.

Cela ne me surprend pas car depuis deux mois, à travers nos nombreux déplacements dans les fédérations, à votre invitation, nous avons pu constater chaque fois la mobilisation, l'attente, la ferveur même qui existe autour de cette démarche. Heureusement d'ailleurs, soit dit en passant, que le Nouveau Parti socialiste a tenu déjà plusieurs dizaines de réunions dans plus de cinquante départements et que vous vous êtes organisés localement, sur le terrain, pour permettre le débat, la rencontre, l'échange, parce que sinon, sortis des stériles agitations parisiennes, des mauvaises et tristes querelles de personne ou des raidissements de l'appareil, quel désert, quel silence, quelle glaciation.

Je voudrais vous remercier d'autant plus que, je le sais, cela n'a pas été facile, surtout pour ceux qui viennent de loin. Et vous êtes nombreux.

Ce n'est pas facile, d'abord, parce qu'il y avait les manifestations sur les retraites dans nos départements, mais nous avons été nombreux à manifester ensemble tout à l'heure, comme ce matin au départ de la marche des femmes.

Ce n'est pas facile, ensuite, parce que votre temps est déjà bien employé dans les départements pour organiser et animer les débats, des débats dont je constate qu'ils ne sont pas souhaités par tous.

Ce n'est pas facile, enfin, parce que c'est cher et que les militants du nouveau parti socialiste doivent à la fois financer, sur leurs cotisations, le vieux parti socialiste, les déplacements de la direction, la propagande de la direction, les salles de la direction. Mais que les conditions d'organisation du congrès font que ceux qui sont ici sont venus par leurs propres moyens, sur leurs propres deniers. C'est d'ailleurs, je le pense, un sujet de préoccupation pour notre vie démocratique.

Je voudrais, ensuite, vous dire le chemin parcouru depuis la Sorbonne. Plus de cent réunions tenues dans les différentes fédérations. Une contribution rédigée à plus de mille mains et qui, je le crois, est la seule à avancer des propositions nouvelles et précises

A faire preuve d'énergie, qui fait tant défaut ,de clarté, si nécessaire aujourd'hui, de sincérité, ce qui est un bien rare. A ouvrir de nouvelles perspectives. A tenir compte du 21 Avril.
Une contribution déjà signée par plus de mille cinq cents militants, responsables et élus du parti socialiste et qu'il nous appartient de faire vivre maintenant jusqu'au 15 mars.

Je vous avais dit, à la Sorbonne, que nous étions collectivement comptable de notre démarche collective. Démarche rare, car depuis combien de temps rien de nouveau ne s'est produit dans le Parti socialiste, démarche précieuse, car on voit comment les forces du conservatisme vieilles, usées, fatiguées, et divisées sur tout, sont capables de s'unir et de se coaliser contre l'émergence de la nouveauté pour conserver leurs positions acquises.

 Il y a les rafistoleurs, qui ne se lassent pas de coller rustine sur rustine sur leur vieille chambre à air, de colmater les brèches, de boucher les trous, mais c'est le tonneau des danaïdes, le rocher de Sisyphe, les trous du sapeur Camembert.

 Il y a les commentateurs, spécialistes des petites phrases, généralement vachardes, qui sur notes de frais font l'humeur servile des éditorialistes, jouent les intellectuels organiques de Parti, mais qui se gardent bien de soumettre leurs idées au vote des militants et de rechercher une autre légitimité que celle de leur perfidie.

 Il y a les erratiques, qui s'agacent, se mettent en colère, désignent des camarades à l'opprobe et à la vindicte, puis, rattrapé soudain par un sens aigu et opportun des responsabilités, s'en vont signer avec eux et partager des postes.

Voilà ce qui reste quand on ne débat plus du fond, lorsque veut faire croire que tout est dans tout.

Que reste-t-il ?
 Des querelles de personnes
 Des positionnements
 Des énervements
 Des petites phrases
 Des préoccupations tactiques

Et un ancien parti socialiste incapable de se tourner vers l'avenir, d'attirer à lui ou de garder à lui des femmes et des hommes accablés, indignés, dégoûtés, par ces pratiques qui relèvent plus de la névrose, de la psychologie, que de l'engagement citoyen, un ancien parti socialiste incapable de s'opposer à la droite, quelle tristesse de lire jour après jour dans la presse ses révérences à Sarkozy venues de nos rangs, d'entendre nos silences, sur les 35 heures, le SMIC, la loi Hue, l'AME, et incapable de proposer avec force de nouvelles frontières.

Et un nouvel espoir

Nous étions, à la Sorbonne, au début d'un chemin. Qu'est-ce que nous avons fait depuis ? Nous avons commencé de marcher. Et la vérité est que nous entraînons avec nous l'ensemble du Parti, qui essaye de suivre, même si c'est parfois à reculons. Belle floraison de contributions, une première victoire comme l'a dit Julien, même si nous ne sommes pas dupes et qu'un peu d'habileté s'est mêlée à cette floraison, et déjà, dans le texte du premier secrétaire, quelques intéressantes inflexions, pas non plus dénuées d'habileté, mais sans doute un peu précipitées et un peu imprécises. Cela me confirme en tout cas dans l'idée que nous sommes utiles au Parti socialiste et que nous sommes utiles à la gauche. Nous avons commencé de marcher, et nous sommes ici pour dire que nous allons poursuivre, et que rien ne nous arrêtera.

J'entends des arguments. Ils trahissent des inquiétudes plutôt que des réflexions. Ils sont indigents et seront vite maintenant, je l'espère, remisés. On ne peut pas avoir pour tout arguments de congrès des arguments qui ont pour seul but d'empêcher ce Congrès. Verrouiller un appareil est une chose, et certains, dont je crains que l'histoire du socialisme ne retiendra pas le nom… s'y emploient ; tracer une perspective pour la gauche et pour le pays en est une autre.

Il y a l'argument de ceux qui veulent faire croire que débattre c'est se diviser, et que le risque c'est celui de remettre en cause l'unité du parti. On agite le chiffon rouge de Rennes. Mais Rennes, c'était précisément l'inverse, le refus du débat d'idées, et donc la confrontation des personnes et des ambitions. Dans la version dure, j'ai entendu certains aller jusqu'à s'interroger sur la place de certain d'entre nous au Parti socialiste : sommes-nous déjà si nombreux qu'il faudrait exclure certains camarades ? Ou alors faut-il être conséquent et dire plus fort qu'il était nul, qu'il était inopportun, qu'il était injuste de se battre pour une réforme des tribunaux de commerce, pour la réforme de notre constitution et un régime parlementarisé, contre les paradis fiscaux, pour le mandat unique et même de se l'appliquer à soi-même. Mais alors il faudra aussi expliquer pourquoi ce qui était nul hier semble aujourd'hui de la dernière mode et du dernier chic, pourquoi tout le monde s'empresse désormais à Porto Alegre ou a Florence, pourquoi tout le monde semble subitement converti à une vraie réforme du sénat, à un régime parlementaire, au mandat unique ou à la taxation des mouvements de capitaux. Chacun est comptable de ses paroles, celles d'aujourd'hui evidemment, mais pourquoi pas aussi, puisque nous ne sommes ni les uns ni les autres des étournaux tombés du nid, celles d'hier, et plus encore que de ses paroles, de ses actes.

Il y a aussi l'argument, croquignolesque dans la bouche de certains, savoureux, et qu'il faut apprécier pleinement, des deux gauches, la gauche de gestion et celle de protestation. Je lis avec intérêt ceux qui, au nom de quel combats menés d'ailleurs, occupent la presse, et s'amusent à nous faire croire que Lula c'est Tony Blair. Mais le vrai danger, nous le savons tous, c'est cette division des deux gauches, c'est ce qui a fait le 21 Avril, c'est ce que nous voulons éviter, c'est le fossé que creusent certains, l'impasse où ils nous entraînent et que nous refusons. On découvre, Euréka, que Métaleurop comme le Prestige nous conduisent à Zoug, petit canton suisse au-dessus des lois. Je me souviens, c'est un privilège de l'âge, d'une mission parlementaire française qui s'est rendue sur place et qui, au grand dam des autorités suisses, a dénoncé ce territoire délinquant. Peut-être est-ce un effet de l'âge, mais je n'ai pas gardé le souvenir d'un vrai soutien du gouvernement français à cette occasion, pas plus d'ailleurs que lorsque nous avons affronté les autorités luxembourgeoises. J'ai même gardé un souvenir contraire.

J'entends enfin ceux qui voudraient disqualifier les autres en les traitant d'ambitieux. Les seules ambitions légitimes seraient celles de ceux qui occupent le pouvoir depuis vingt ans et, défaite après défaite, posture après posture, ne voudraient , ni en rendre compte, ni le partager, l'abandonner. Un syndicat de sortant ne fait pourtant pas une ligne politique. C'est vrai que le pouvoir n'est pas un projet, et lorsque c'est le seul projet que l'on porte, au grés des circonstances changeantes, cela finit par se voir, par se voir cruellement, mais lorsqu'on a un projet, alors pourquoi se priver du pouvoir pour le réaliser. C'est curieux, tout d'un coup, à notre endroit, cette pudibonderie à l'égard du pouvoir et de l'ambition. Quant à cette question de la crédibilité, je ne vois pas pourquoi elle serait sans portée. Elle est au contraire d'une portée majeure. C'est une question essentielle. On ne peut avoir répété a qui mieux mieux pendant des années qu'il faut faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait et considérer qu'il n'y aurait aucun préjudice, aucune gêne, à soutenir maintenant le contraire de ce que l'on soutenait il y a encore quelques mois. Cela vaut sur le service public, sur l'Europe, la fiscalité, la mondialisation ou la démocratie : et cela fait, vous me l'accorderez, beaucoup.

Enfin, il y a le dernier argument, celui qui voudrait culpabiliser le débat interne, parce que les socialistes seraient repliés sur eux-mêmes et se détourneraient de la société.

Ce Congrès se déroule, il est vrai, dans un contexte

Et c'est bien cela qui justifie nos débats. C'est bien de cela, au contraire, dont ils doivent parler. C'est de cela dont nous parlons au nouveau PS. Nous ne parlons même que de cela, même si nous sommes parfois un peu seuls à le faire. Non pas des risques de la division, des enjeux régionaux, sénatoriaux ou des prochaines européennes, mais du monde tel qu'il est, de la France telle qu'elle va, de l'Europe dans sa réalité un peu désolante.

Le 21 avril, c'est aussi une réponse au problème de la globalisation libérale. Il faut faire l'analyse de celle-ci, et apporter des réponses. On peut se réjouir que ceux qui hier n'avaient pas choisi leur camp l'aient choisi aujourd'hui. Mais il faut définir non seulement une perspective, mais aussi les moyens de l'atteindre. C'est ici que le vrai débat, celui du Congrès, se noue. Or, c'est ici que l'on mesure la force des volontés et l'intransigeance des convictions. Lorsqu'on ne peut pas changer les choses, disait Jaurès, on change les mots. C'est de la monnaie de singe. Nous voulons des actes. Mais ici, c'est encore la pensée unique, et une certaine morgue qui règne. Les mêmes qui hier moquaient la taxe Tobin se gaussent de l'idée d'une politique d'agressivité publique, de sanctions douanières, d'embargo, à l'égard des firmes multinationales qui ne respectent pas les règles du droit international. Les mêmes qui hier soutenaient le pacte de stabilité comme les nouvelles tables de la loi veulent nous faire croire qu'aujourd'hui on doit accepter, parce que c'est déjà décidé, une Europe simple zone de libre-échange, et accumulent les contradictions et les mensonges.

Comment cette Europe là pourrait être un rempart ou un instrument contre la mondialisation libérale ? Comment peut-on voter non à la Constitution qui se prépare, surcharger les exigences que l'on fait porter sur elle, et penser que l'on va réussir l'élargissement ? Comment faire croire au peuple que c'est décidé, alors même qu'une procédure de ratification est prévue, a moins de considérer que la souveraineté populaire, la démocratie, n'est rien ? Je le redis. Nous sommes profondément européens, et c'est pour cela que nous ne voulons pas continuer d'agrandir l'écart entre l'idéal européen et la réalité de la construction européenne, parce que dans cet écart, non seulement les socialistes perdent leur crédibilité et les élections, mais parce que c'est le projet européen lui-même qui perd sa substance, l'adhésion des peuples qui part en fumée, et les replis nationalistes et populistes qui prospèrent.

Le 21 Avril, c'est aussi la question sociale, celle des inégalités. Là encore, il faut parler clair, et ce n'est pas le cas. Sur la réduction du temps de travail : oui ou non les 35 heures pour tous, la flexibilité, oui ou non des maxima journaliers, hebdomadaires, les 2 jours de repos consécutifs, les salaires, oui ou non une politique de revalorisation des bas salaires, les retraites, oui ou non le retour au 10 meilleures années et à l'indexation sur les salaires, oui ou non le départ dés les quarante anuités pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, la fiscalité, l'égalité hommes/femmes, les aides aux entreprises, le droit du licenciement. Nous avons besoin d'un ordre public social respecté, d'une modernité sociale assumée, et cela suppose de trancher.

Le 21 Avril, c'est aussi la crise du politique. Il ne suffit pas de moderniser et clarifier. Changer. Refonder. Ce n'est pas une affaire de numéro, évidemment. Écoutons Blum : " toute classe dirigeante qui ne peut maintenir sa cohésion qu'à la condition de ne pas agir, qui ne peut durer qu'à la condition de ne pas changer, qui n'est pas capable ni de s'adapter au cours des évènements, ni d'employer la force fraîche des générations montantes, est condamnée à disparaître de l'histoire. " C'est une affaire de fond. Quels pouvoirs pour le Président ? Quels pouvoirs pour le Parlement ? Veut-on aller vers le mandat unique, ou veut-on le mandat unique ? Et le Sénat, est-ce une simple affaire de mode de scrutin ? Évidemment pas. De même, peut-on ne rien dire sur la justice ?

Le 21 Avril, c'est aussi la crise du Parti socialiste. Coupé de la société et du mouvement social. Sourd aux propos de ses militants. Enfermé dans sa logique malthusienne de courroie de transmission. Ce parti est à refonder. Pleinement. Et il faut reconstruire une stratégie pour la gauche.

Les arguments de mauvaise foi, sur l'unité du parti, l'opposition des deux gauches ou les ambitions des uns et des autres, doivent être balayés. Il faut imposer le débat dont personne ne veut, le débat sur le fond. Comme le disait Jaurès, il n'est pas interdit de faire entendre dans les Congrès quelques paroles qui soient des paroles de vérité. C'est notre tâche et nôtre justification.

Et maintenant ?

Le respect du parti, d'abord.
Certains, alors que les contributions ne sont pas encore arrivées chez les militants, organisent déjà des ralliements et des synthèses. Pour ce qui nous concerne, nous avons écrit à tous les porteurs de contribution pour leur dire notre désir de débattre avec eux de leurs analyses, de leurs orientations et de leurs propositions, mais il faut que chacun défende ses positions devant les militants, dans les fédérations, dans les sections. C'est le respect de la démocratie. C'est aussi le respect de soi-même lorsqu'on s'est donné la peine de signer un texte. Avant le conseil national de synthèse prévu le 15 Mars, le débat des contributions doit avoir lieu, d'autant plus que lorsqu'on a quelque chose à dire, si toutefois on a quelque chose à dire, il faut un peu de temps pour l'expliquer. Pour ce qui nous concerne, je vous demande de faire vivre ce débat, de façon ouverte, sérieuse, avec tous les militants. Je vous demande de le faire dans le plus grand respect des uns et des autres, et sur le fond.

Le respect du débat.
Il faut porter nos analyses, nos propositions, nos lignes de force, avec modestie, mais avec détermination. Le texte de la contribution n'est pas un texte figé. Il est une base pour l'échange, la discussion, la confrontation. Contrairement à ce que j'ai pu lire ici où là, ou entendre, notre texte n'est pas semblable aux autres. Il nous revient de le défendre, de l'expliquer, de l'argumenter. Il nous revient aussi de l'enrichir ensemble ainsi qu'avec toutes celles et tous ceux qui le souhaitent. Le débat n'est pas terminé. Il ne fait que commencer. Et c'est notre responsabilité propre de lui donner sa juste vigueur et sa sincérité nécessaire.

Nous avons rencontré, ensemble, François Hollande jeudi. Nous lui avons dit nos divergences et sur le fond et sur la méthode.

Sur la méthode : où est la clarté lorsqu'on signe tout seul une contribution et que l'on interdit à ses soutiens de soutenir au grand jour ? Où est la clarté lorsqu'on autorise certaines contributions générales qui vous soutiennent déjà à être déposées ? Où est la clarté lorsqu'on court-circuite le temps des contributions et que l'on anticipe le conseil national de synthèse de prés de six semaines ? Il faut plus de clarté, de distinction et de sérénité.

Sur le fond, nos désaccords sont, à ce stade, sans ambiguïté : mondialisation, Europe, droit du licenciement, politique salariale, loi de naturalisation, VIème République, organisation du Parti et de la vie militante, nous avons besoin de marquer des ruptures, de retrouver du souffle, de la netteté, de la simplicité et de la force.

Ce n'est pas ce que propose aujourd'hui le premier secrétaire. Il n'a pas pris la mesure du 21 Avril, il n'a pas pris la mesure du sursaut dont la gauche a besoin pour recréer les conditions de l'espoir.

Mes chers amis, mes chers camarades.

Nous ne sommes que des militants socialistes, mais nous sommes pleinement des militants socialistes.

Ceux qui sont ici ont du courage, des convictions, de l'énergie, de la persévérance. Ils savent à quelle force ils vont devoir s'affronter. Ils savent aussi qu'ils doivent le faire s'ils veulent rester fidèles à eux-mêmes, à leurs valeurs, à l'idée qui est la leur du socialisme.

Nous le voulons, nous le devons. Je suis certain maintenant que tous ensemble nous le pourrons. Tous ensemble, nous allons permettre le retour de la gauche.

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