Dégager un horizon d'action qui recrée autour de nous un mouvement

Vincent Peillon
Intervention de Vincent Peillon, coanimateur du Nouveau Parti socialiste, lors du Conseil national du Parti socialiste du 18 janvier 2003.


 
Mes Chers Amis,
Mes Chers Camarades,

cela fait plusieurs mois que nous nous rencontrons après le 21 avril dans les débats organisés par le parti, et mon sentiment est qu'il y a, même ce matin, comme un peu de tristesse, on pourrait le comprendre, au cœur des militants socialistes et des socialistes, après ce que nous avons vécu le 21 avril et aussi - Henri a raison - après ce que nous voyons depuis et depuis que la droite gouverne, qui est très dur, sans que cela bouge.

De la tristesse et de l'inquiétude parce que tout le monde a peur de ce congrès de Dijon et de notre capacité à retrouver le mouvement, à rebondir sans nous déchirer, sans nous perdre dans les mesquineries dont nous sommes tellement capables, et en allant à l'essentiel de ce qui doit nous réunir, c'est-à-dire la capacité de faire en sorte que ceux que nous devons représenter retrouvent l'envie de transformer cette société selon des valeurs dont je continue de penser qu’elles sont partagées par la majorité.

N’intériorisons pas le 21 avril comme la grande victoire de la droite et cessons de nous couvrir de cendres. Les nôtres attendent autre chose et je suis heureux que nous arrivions aujourd'hui à ce Conseil national pour que le débat commence enfin et que nous puissions ensemble montrer que nous sommes debout et que nous avons des propositions à faire pour le pays.

Alors François, j’ai bien entendu ton discours. Je tiens à remercier d'abord évidemment Alain et tous ceux qui l'ont entouré mais Henri a raison de souligner que si l'on veut un débat de fond il faut que les conditions du débat soient entre nous les meilleures possible. Et ce que vous avez indiqué tout à l'heure, et qui suivait les discussions que nous avions eues, me semble effectivement nous mettre dans la meilleure situation pour pouvoir nous préoccuper de l'essentiel.

Mais François, dans ce que tu as dit tout à l'heure - et nous le savons tous - nous partageons bien sûr tes objectifs : maîtriser la mondialisation, certes ; faire en sorte que la France soit plus démocratique, c’est une évidence ; faire en sorte qu'il y ait davantage de justice ou que l'État républicain soit mieux respecté, certes. Nous partageons ces valeurs entre nous mais faisons attention, nous les partageons même avec quelques autres qui aujourd'hui ne sont pas dans le camp du progrès.

Alors le vrai débat, si nous voulons rebondir, lorsque nous disons, conformément à nos valeurs, que nous volons une autre mondialisation, c'est de dire bien entendu non seulement les grandes institutions internationales dont nous rêvons ou l'architecture institutionnelle de l'Europe, mais de dire comment nous allons pouvoir le faire.

Car quand même, nous sommes un grand parti et nous avons gouverné 15 ans dans les 20 dernières années, et combien de campagnes électorales européennes avons-nous faites en disant : « Nous voulons l’Europe démocratique, nous voulons l'Europe sociale » ? Mais entre cette Europe que nous avons défendue sur les tréteaux et celle qui s’est construite avec nous au pouvoir, avec une majorité de socio-démocrates au gouvernement européen, il y a un écart abyssal. Et dans cet écart abyssal, non seulement c'est la crédibilité de notre parole qui se perd mais c'est l'adhésion même de notre peuple à la construction européenne qui est notre horizon.

La question qui se pose aux socialistes aujourd'hui, sur tous les sujets, ce n'est pas de savoir si nous sommes pour réguler la mondialisation, si nous sommes pour une Europe plus démocratique, si nous sommes pour plus de distribution, c'est de dire comment nous allons nous réapproprier les instruments qui permettent de faire cela et dont nous avons trop le sentiment que ces dernières années nous nous en sommes dépossédés.

C'est bien entendu l'Europe mais si nous tenons ce discours et que dans le même temps nous continuons d'accepter une Europe sans gouvernement économique, une Europe sans fonctionnement démocratique, une Europe sans traité social, eh bien nous continuerons à faire le grand écart et nous perdrons ces fameuses couches populaires qui ne supportent pas cet écart et qui ne voient pas en quoi aujourd'hui l'Europe nous protège de la mondialisation libérale. Elles comprennent bien qu’elle est au contraire le cheval de Troie de cette mondialisation libérale et cause davantage de dégâts qu'elle n'apporte de progrès.

C’est pour sauver l'idéal européen même qu’aujourd’hui nous avons à rompre avec une attitude qui est la nôtre depuis de très nombreuses années et qui consiste à penser que la nécessité est tellement forte qu'il faut poursuivre comme cela, ne pas mettre le rapport de forces nécessaire. Et je vous le dis, nous avons beaucoup perdu car si nous avons bien écouté et nous écoutons encore ce message, il a été présent dans toutes les dernières élections.

Donc la question est oui, réguler la mondialisation mais je pense que nous partageons cet objectif, si j'ai bien compris, même celui d’une autorité mondiale de l'environnement, avec le Président la République. Nous pourrons toujours dire que c'est nous qui avons eu l'idée les premiers. Aujourd'hui nous attendons autre chose et si nous voulons reconquérir les nôtres dans les propositions que nous allons construire en commun, il va falloir, je vous le dis, dire autre chose que ce que nous disions il y a un an ou il y a deux ans. Et donc changer sur un certain nombre de sujets.

Sur la question européenne je crois que nous avons à bouger fortement. Lorsque nous parlons de la régulation de la mondialisation. Nous ne sommes plus au Gouvernement, c'est plus facile, comme d'ailleurs je l'indique sur l’Irak, mais les gens nous regardent. Qu’est-ce que nous sommes capables de faire aujourd'hui ? Est-ce que concrètement nous allons déposer avec le groupe un certain nombre de propositions ? Les Américains, dont nous disons tant de mal, protègent leurs frontières, ont une politique commerciale, sont capables effectivement de réguler. Qu’est-ce que nous faisons pour défendre notre industrie ? nos campagnes ?

Est-ce que nous allons reparler de ce qu’est une politique commerciale ? Est-ce que nous allons reparler du boycotte ? Est-ce que nous allons dire que nous pourrions nous aussi, comme cela se fait dans d’autres pays, avoir une agence qui surveillerait ces grandes firmes qui sont aujourd'hui plus puissantes que des états ? Qui pénètrent nos marchés, mais avec des produits qui ne respectent aucune des conventions internationales, ni du point de vue du droit du travail, ni du point de vue du droit de l'environnement, ni du point de vue du droit de la santé ?

Nous ne sommes pas attendus sur des discours, nous sommes attendus sur des engagements et sur un mouvement. C'est toujours comme cela que le Parti socialiste s’est fait entendre et vous le savez, aujourd'hui la difficulté pour nous c'est de nous faire entendre. C'est vrai aussi sur toutes les autres questions que nous proposons dans la contribution pour un nouveau Parti socialiste.

Je voudrais vous dire quelle est la ligne de préoccupation majeure qui est la nôtre. Bien entendu montrer de quelle façon nos valeurs peuvent aujourd'hui s'incarner dans la société telle qu’elle est. Mais pour cela reconquérir partout, dans l’école, dans les services publics, par la redistribution fiscale, par la solidarité des territoires, par un féminisme vraiment mis en œuvre, les instruments qui permettent de sortir de ces discours que nous partageons et de dégager un horizon d'action qui recrée autour de nous un mouvement.

Je voudrais prendre un ou deux exemples, parce que je vous le dis cela va nous obliger aussi à rompre avec beaucoup de nos conservatismes de gauche, qui ont bloqué beaucoup de réformes ces dernières années. J'entends que sur la redistribution on ne peut jamais rien faire.

Je vous fais quand même observer que l'on peut effectivement se faire très plaisir à penser que notre pays, héritier de la tradition républicaine, ou nous-mêmes sommes très égalitaires mais nous avons l'impôt sur le revenu le plus faible de tous les pays de l'OCDE, trois fois inférieur en moyenne à des pays qui sont parfois libéraux ; que nous avons demandé nous-mêmes pendant des années des rapports qui nous ont tous démontré que cet impôt n'était pas redistribué, que le système fiscal français l’était fort peu. Lorsque vous gagnez un SMIC, vous payez 40 % en France, quand vous en gagnez cinq vous payez 55 %. Ce sont tous les rapports que nous avons fait faire.

Et notre préoccupation serait parfois, lorsque nous travaillons sur la fiscalité, d'abandonner très vite la réforme de la fiscalité locale - dont on dit depuis des années qu'elle est injuste, archaïque - et de revenir à la baisse de l’impôt sur le revenu ? Je ne le crois pas et je crois que nous avons la capacité aujourd'hui - je l'ai d'ailleurs entendu pour partie maintenant dans le discours de François et de Henri - de proposer vraiment des réformes qui permettraient de revenir sur ces principes essentiels.

L'école qui a été évoquée, nous avons réussi et nous devons en être fiers, la massification. Arrêtons de dire du mal du système éducatif français. Y compris parce que nous avons une responsabilité considérable dans les progrès de ce système. Mais nous n’avons pas encore réussi la démocratisation. Simplement attention, Mes Camarades, plutôt que de venir au contenu pédagogique, de se mêler de ce qui ne nous regarde pas, regardons là encore ce que disent tous les rapports que nous avons commandés, à savoir où sont les difficultés aujourd'hui ? Essentiellement dans le périscolaire.

Quand vous avez 800 000 étudiants, les mêmes qui d'ailleurs échouent en fin de DEUG, qui sont obligés de travailler pour gagner leur vie, comme on vient de le voir dans un rapport en Seine-Saint-Denis, et ce n'est pas un département très riche, 20 % des lycéens sont obligés de travailler, et que nous n'avons pas organisé autour de l'école ce que nous devions faire, que nous avons continué de critiquer l'intérieur de l'école, nous nous sommes trompés.

Sur tous ces points de vue nous avons sujet à recréer les instruments qui nous font défaut. Je crois que cela doit être le début de notre travail et j'espère que Dijon permettra d'aller au bout de ce travail parce qu'après nous avons des années.

Il faut poser les vraies questions. Il y a longtemps de cela Jean Jaurès disait qu'il n'était pas interdit dans les congrès socialistes d'entendre quelques paroles de vérité. J'espère que le congrès de Dijon ne sera pas un congrès de positionnement, de posture, d'esquive, de revanche pour certains, de dissimulation pour d'autres. J'espère que ce congrès ira jusqu’au bout des débats dont nous avons besoin ; qu'il fera preuve de courage et de fraternité, pour nous, au nouveau Parti socialiste, nous sommes convaincus que cela est possible.

Nous ferons tout ce qu’il est possible pour que cela se fasse et nous transformerons même le parti, car nous ne croyons plus à ceux qui disent qu’ils sont prêts à transformer la société et qui ne sont jamais prêts à se transformer eux-mêmes.



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