L'Europe sociale est absente de ce traité | |
Intervention de Vincent Peillon, député européen, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004. |
Mes chers amis, mes chers camarades, depuis dix ans que je participe aux travaux de ce Conseil national, c'est la première fois que j'assiste à un débat d'une aussi grande importante et d'une aussi grande qualité. Ce dont il s'agit, ce n'est pas, même si on a été les uns et les autres inondé de cela les derniers temps, des querelles entre socialistes, des ambitions de personnes, c'est l'intérêt de notre famille politique, l'intérêt de notre pays et l'intérêt de l'Europe, les trois étant à nos yeux, ce sont nos convictions partagées, indissociables. Porter le oui, je le sais pour avoir lu beaucoup des textes de mes amis qui soutiennent le oui, ce n'est pas toujours facile. Porter le non n'est pas non plus une décision facile, et nous le savons tous que nous sommes partagés. Je voudrais vous présenter les raisons pour lesquelles moi-même et mes amis profondément attachés à l'Europe, nous avons choisi le non, un non de raison, un non de cohérence et en même temps un non de volonté. Et peut-être cela permettra de mieux saisir quelles peuvent être entre nous les vraies divergences. Le non de raison : nous parlons beaucoup de crises, nous en abusons. Mon sentiment, c'est vrai sur le plan national comme sur le plan européen, c'est que la crise n'est pas devant nous. Nous y sommes. Aujourd'hui, en Europe, nous avons deux fois moins de croissance que dans ceux qui sont nos concurrents, les États-Unis, le Japon. Et nous avons deux fois plus de chômage. Nous vivons aussi une crise démocratique profonde, rare sont les institutions, pensez au parlement européen qui, d'élections après élections, perdent en électorat. Et vous voyez, dans toutes les nations européennes, resurgir les populismes qu'on fustige tant, mais pire les nationalismes, les extrémismes, les racismes et même les nazismes. Nous avons à trouver les instruments politiques pour répondre à cette crise, et la question est : est-ce que ce traité nous donne les instruments politiques pour répondre à cette crise ? C'est par rapport à cette question qu'il faut nous déterminer. Ce serait, bien entendu, être malhonnête, certains s'amuseront sans doute pendant les deux mois, de considérer qu'il n'y a pas dans ce traité des avancées. L'Europe, ça a toujours été ça, bien entendu, le verre à moitié vide, le verre à moitié plein. Mais à un moment, il faut sortir du texte par rapport aux autres textes. Il faut regarder par rapport à quoi les instruments juridiques et politiques à quelle situation historique ils vont nous permettre de répondre. Mon sentiment sur ce sujet, c'est que ce qui est dans le texte ne le permet pas. Et je crois que nous pouvons nous réunir. J'écoutais Dominique, et son honnêteté intellectuelle l'a conduit dans un article qu'il a fait avec Bertrand à dire : l'absence de majorité qualifiée sur la question fiscale entraînera à plus de délocalisations et à plus de chômage. Dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous le permettre. La semaine dernière, au parlement européen, un camarade, d'ailleurs faut-il toujours les suivre, issu du SPD allemand, Ferhugen, le commissaire à l'élargissement devenu commissaire aux industries, à une question posée à la fois par un libéral belge, souvent en avance sur d'autres socio-démocrates, et bien entendu nous autres, a répondu : l'harmonisation fiscale, c'est réglé, ce n'est pas de compétence communautaire, ce n'est pas dans le traité, et même l'impôt sur les sociétés dont tu parlais, Dominique, nous n'en parlerons pas. C'est mon troisième point, je le développerai tout à l'heure. Le premier point, c'est par rapport à cela, par rapport à ce que vous reconnaissez vous-mêmes : quelle est notre responsabilité ? La raison veut, et il y a des difficultés sur la suite, j'y viendrai, la raison veut qu'aujourd'hui, nous ne puissions pas tenir ensemble de dire : oui à ce traité, c'est favoriser les délocalisations, c'est favoriser la montée du chômage, mais il faut le faire quand même. Je crois que nous ne pouvons pas faire ça et que nous avons à chercher un autre chemin, non de cohérence, mes camarades, l'honnêteté entre-nous, et nous avons participé tous à ces débats depuis longtemps, veut que, du non au non à Maastricht, et nous étions pour, mais nous avons tous dit oui à l'abandon de souveraineté de la monnaie, bien entendu Et d'ailleurs, nous voudrions encore plus d'abandon de souveraineté aujourd'hui car c'est ce qui va nous manquer pour construire l'Europe puissance capable de résoudre les crises. Mais nous avions dit : elle est condition de l'intégration politique et de l'Europe sociale. Et nous ne nous y sommes pas trompés en semble quand nous sommes allés aux élections, il y a quelques mois, nous ne sommes pas allés dans la défense du traité constitutionnel, nous sommes allés devant nos électeurs avec et maintenant l'Europe sociale. Cette Europe sociale est absente de ce traité, et je vous demande de bien remarquer que la charte sociale, et nous aurons ce débat jusqu'au bout, c'est ce qu'a obtenu Tony Blair dans la négociation intergouvernementale, elle ne s'imposera pas à tous et elle ne créera aucune nouvelle compétence dans les pays. C'est l'exactitude du texte. Cohérence par rapport à notre histoire, et Henri a répondu sur l'identité socialiste, cohérence par rapport à ce que nous avons dit à nos militants, voter dans nos réunions, et la campagne que nous avons faite devant les électeurs, ce n'est pas rien quand même de respecter notre propre parole. Enfin, car la question centrale, c'est bien celle à laquelle tu voulais venir, Dominique : pourquoi un non de volonté ? Je n'arrive pas à comprendre, il y a deux ans, et nous avons commis des maladresses de langage. J'ai toujours été favorable à l'élargissement, vous ne trouverez pas un texte où je dis le contraire, donc n'attaquons pas là où ça n'est pas juste. J'ai toujours pensé, conformément à ce qu'on avait dit ensemble, qu'il fallait d'abord faire l'approfondissement. Cela nous a valu beaucoup d'acrimonie, il y a deux ans. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît qu'on a peut-être fait une petite erreur parce qu'on s'est privé de l'instrument politique qui pouvait nous permettre de réussir l'élargissement. Je vous rappelle qu'il y a le problème démocratique et aussi le problème financier parce que les perspectives financières de l'Union telles qu'on est en train de les négocier, cela va créer véritablement une implosion. On recommence la même erreur. On nous dit : signez ce traité, et après on pourra le faire bouger. Ce sera déjà tellement difficile. Les procédures de révision sont précisément prévues pour le rendre plus difficile encore. Donc, signez et après ça bougera ! Je ne le crois pas. Par contre, qu'est-ce qui s'est toujours passé, du compromis de Luxembourg à ce que vient d'obtenir Tony Blair, hier Margaret Thatcher, et plus controversé, l'affaire de la CED et de Mendès France ? C'est que de temps en temps, quand on veut rouvrir une négociation, il ne faut pas signer, la signature, c'est la fin, il faut ne pas signer pour rouvrir la négociation, mais plus, et cela nous changerait, peser dans la négociation qui va s'ouvrir car le non de la France sur des questions essentielles, il vaudra bien le non de l'Angleterre. Je voudrais finir sur l'argument de l'isolement. Aucun d'entre nous n'a envie d'être isolé. Mais je crois que nous n'avons pas de faux procès à nous faire là-dessus. Et moi, j'ai trouvé, mais je crois l'ensemble du parti, que lorsque François Hollande a pris comme position pour le Parti socialiste au parlement européen de ne pas soutenir le compromis historique entre PPE et socio-démocrate, nous avons été isolés, nous avons accepté cet isolement, mais il a une vertu politique et pédagogique. Vous-mêmes, vous ne craignez pas l'isolement quand il peut être utile. Nous avons un débat à mener, le débat du Parti socialiste aujourd'hui, il est le débat de toute la France, c'est notre honneur, il est aussi un débat qui commence à avoir lieu au niveau de l'Europe, et je crois que c'est ainsi que nous serons utiles. |
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