Rendre la gauche possible
première partie



 Contribution générale au congrès national du Mans présentée par le Nouveau Parti socialiste (NPS) (12 juillet 2005).



Benoît
Hamon


Arnaud
Montebourg


Christian
Paul

Vincent
Peillon


Geneviève
Perrin-Gaillard


Barbara
Romagnan


Yvette
Roudy


Construire de nouvelles réponses

Sommes-nous condamnés à reproduire les mêmes erreurs ? Souvenons-nous. Masquées par les belles conquêtes de Paris, de Lyon et de Dijon, les graves leçons des municipales de 2001 n'ont pas été tirées. Du même coup rien n'a été fait pour anticiper et prévenir la catastrophe du 21 avril 2002, catastrophe dont, à force de ne pas vouloir prendre la terrible et l'exacte mesure, nous continuons à payer chèrement les conséquences.

Les succès électoraux du printemps 2004 ont pu donner à certains le sentiment d'une reconquête euphorique. Pourtant l'analyse sérieuse et sereine de ces succès aurait montré qu'ils étaient d'abord dus au rejet profond, vif, puissant du gouvernement de Raffarin, la mobilisation autour du PS et de la gauche n'étant que l'expression d'un vote utile pour sanctionner la droite, aucunement un vote d'adhésion.

Cela aurait pu permettre d'appréhender avec plus de prudence et d'intelligence politique le référendum de mai 2005 et éviter à notre Parti une nouvelle et redoutable épreuve.

Municipales de 2001, 21 avril 2002, 29 mai 2005 à chaque fois le PS s'est coupé des couches populaires et moyennes, les jeunes et notre base sociale ne se sont pas retrouvés dans notre projet et dans nos choix. Le PS n'était pas au rendez-vous de son électorat.

Le 29 mai 2005 a confronté une nouvelle fois les socialistes à un divorce avec leur base sociologique naturelle : les ouvriers, les employés, les actifs du public comme du privé, les jeunes ne nous accordent plus ni leur confiance ni leur suffrage. Pour la première fois aussi, non seulement nous n'avons pas fait campagne pour eux, mais en grande partie contre eux. Or quand le parti socialiste n'occupe plus son espace politique, dans un contexte de crise économique, sociale et d'effritement des valeurs de solidarité et de tolérance, toutes les aventures, y compris les plus dangereuses pour la démocratie, sont possibles. Nous en appelons au sursaut des socialistes.

Le monde a changé, l'Europe a changé, la société française a changé : nous devons changer aussi, et construire de nouvelles réponses aux défis de notre présent et de notre avenir.

En 2007, les recettes du passé ne suffiront plus. Soumise depuis un quart de siècle au chômage de masse, bousculée au plus profond d'elle-même par le raz de marée libéral qui emporte la planète, déstabilisée par deux mandats chiraquiens sous lesquels sont ensevelis principes républicains et moraux, énergie créatrice, volonté de justice sociale et image de la France dans le monde, la France de 2007 sera malheureusement un pays épuisé. Les réformes que la gauche devra porter, et les socialistes en son coeur, devront être puissantes et audacieuses autant que déterminées et précises. Elles devront porter les conditions d'un nouveau départ, d'un nouvel élan pour la France. Elles devront permettre la mobilisation des énergies, des volontés, des générosités aujourd'hui étouffées, empêchées, découragées. Encore faudra-t-il pendre la mesure de l'état exact de la société si l'on veut avoir une chance de réussir. C'est l'objet de notre diagnostic que nous avons présenté dans les travaux préparatoires au projet de tous les socialistes, intégré en annexe à la présente contribution.

La mondialisation ultra libérale et sa logique purement financière sont devenues la matrice qui dicte les évolutions profondes de nos sociétés. Il revient aux socialistes de centrer leur réflexion sur les instruments nouveaux à mettre en oeuvre pour maîtriser ce capitalisme d'une voracité financière sans contrepoids et d'une cruauté sociale sans équivalent. Les trois grands chocs planétaires, écologique, démographique, énergétique qui sont devant nous doivent amener les socialistes à transformer leurs fondamentaux et à faire évoluer leur réflexion sur la croissance. Le long terme doit reprendre ses droits et déterminer le court terme. Nous devons sortir de la myopie d'un système qui vit à crédit et consomme en permanence, jusqu'au pillage, ses réserves d'avenir, ressources naturelles, économiques, humaines.

Dans ce contexte de l'économie-monde, nous avons à construire la société-monde sur des valeurs qui sont les nôtres. Nous avons à choisir notre camp. Comme hier dans le cadre national, les mécanismes de régulation et de protection face aux marchés et à la concurrence ne pourront se construire qu'avec les instruments de la démocratie politique, de la démocratie sociale et du droit. Face à des intérêts puissants que nous combattrons, personne ne peut croire que ces instruments nous seront octroyés. Il faudra les conquérir par la volonté, les luttes, l'endurance. C'est pourquoi l'enjeu majeur est la reconquête par le politique de tout ce dont il a été dépossédé au profit des marchés. Et cela commence par l'Europe. Nous avons besoin d'Europe, mais d'une Europe qui sorte de son impuissance, de son impuissance et de son alignement sur les standards les plus contestables et les plus inopérants de la globalisation libérale. Nous avons besoin d'une Europe fédérale et puissante, qui défende un autre modèle de développement et de partage. C'est pourquoi le combat pour la République européenne doit être au centre du combat des socialistes français et des sociaux-démocrates européens. Nous devons investir avec force, loyauté, persévérance le débat qui s'ouvre au sein du PSE sur le modèle et le projet européen.

En France, la persistance d'un chômage élevé, l'accroissement des inégalités, la montée des précarités, l'apparition des "travailleurs pauvres" constituent pour les socialistes un défi central. Aujourd'hui ces processus se conjuguent pour conduire à une déstructuration profonde de notre tissu social. La pauvreté est désormais installée en phénomène de masse: 12,4 % de nos concitoyens, plus de 7 millions de personnes, vivent sous le seuil de pauvreté. Au-delà, la précarité de ceux qui, sans être pauvres, connaissent une situation proche, s'étend: 30% de salariés, essentiellement des femmes, ont un salaire inférieur à 1,3 SMIC. Les couches populaires, enfermées depuis trop longtemps dans cette situation, voyant leurs conditions de vie (pouvoir d'achat, logement, transport, conditions de travail) se détériorer, les menaces (chômage, précarité, endettement) se rapprocher, l'avenir (éducation, ascenseur social) se boucher, ont fini par plonger dans la colère, le pessimisme et par désespérer d'une démocratie qui, face au règne sans partage des marchés, a été impuissante à répondre à leurs attentes. Nous parlons là des 17 millions de salariés qui constituent le socle d'une démocratie aujourd'hui chancelante à force d'être désespérée.

Les socialistes ne peuvent accepter que cette situation perdure et s'aggrave encore. Ils ne peuvent accepter de se borner à en accompagner les effets sans renier ce qu'ils sont, leur histoire, leur valeur, leur idéal. Le projet qui sera le leur pour la période qui s'ouvre doit, en priorité, refuser cette fatalité et offrir une alternative. Il doit donc être construit tout entier autour de cet objectif central: faire reculer jour après jour, mois après mois, année après année par une action résolue, systématique, réfléchie, concrète, graduelle, la pauvreté et la précarité de masse. C'est pour ceux qui en sont les victimes qu'ils doivent parler et agir dans le siècle qui s'ouvre. C'est pour eux et avec eux qu'ils doivent construire de nouveaux instruments d'action afin de transformer les intentions en actions et en résultats.



La double transformation

 
Ce regard en profondeur doit être complété par l'évaluation par anticipation des dégâts causés par l'incurie et les gestions ultra libérales des Gouvernements Raffarin et Villepin – Sarkozy.

Car en 2007, il ne restera que des déficits. 5 années de déséquilibre des comptes sociaux à 10 MD euros en moyenne par an ; 5 années d'explosion de l'endettement du pays qui sera passé au dessus de 1.200 MD ; des services publics aux besoins de financements considérables ; une pseudo nouvelle étape de la décentralisation bâtie et non financée condamnant les collectivités territoriales aux augmentations d'impôts. C'est sans aucune marge de manœuvre qu'il faudra gouverner.

En 2007, il nous faudra réformer, mais il nous faudra le faire avec des marges de manœuvre extraordinairement réduites. C'est pourquoi il ne suffira pas d'additionner des dépenses nouvelles et des promesses généreuses. Nous voulons reconquérir des marges de manœuvre politiques et financières indispensables à l'action. C'est pourquoi il faudra fixer, clairement, des priorités, et définir des nouveaux instruments.

Une société fragmentée et des marges de manœuvres quasi nulles : sauf à désespérer de l'action collective et de la politique, aurons-nous d'autre choix que d'engager de toutes nos forces la rénovation ? Face à la puissance destructrice du marché libéré et aux forces corrosives de la marchandisation sans limites, comment réarmerons-nous la politique pour rendre aux peuples la prise sur un avenir qui désormais leur échappe aux rythmes de l'explosion des profits financiers de quelques uns ? Comment réussirons-nous à domestiquer le marché, c'est-à-dire à le remettre au service du progrès social quand aujourd'hui il dynamite plutôt tous les rapports sociaux et les équilibres de long terme ? Comment ferons-nous pour que nos bonnes intuitions et nos projets soigneusement élaborés et débattus ne se fracassent contre d'intangibles vérités libérales auxquelles finalement nous nous résoudrions comme d'habitude ?

Nous partageons la sincérité de ceux qui disent que l'on ne doit promettre que ce qu'on pourra tenir. Mais s'il s'agit, derrière ce discours de lucidité et de vérité revendiquée, d'un prétexte à l'inaction, de préparer le terrain aux renoncements, une résignation par avance à des réformes limitées, puisqu'on ne pourrait que peu, alors nous disons non. Nous ne voulons pas d'un projet qui fasse de la résignation un programme. Nous ne voulons pas rendre les armes avant même d'avoir mené les combats.

" Il n'y a pas de reculs, cela aurait pu être pire " et " la concurrence libre et non faussée " ne doivent pas devenir le nouvel horizon du projet socialiste.

Nous croyons au contraire, et plus fort que jamais, au volontarisme. Nous savons les réformes indispensables. Nous les savons aussi difficiles. Pour nous l'enjeu essentiel de ce Congrès, le seul qui vaille, est celui-ci: rendre à nouveau possible dans les faits un projet de gauche. Redonner à ceux qui souffrent des raisons d'espérer et à ceux qui doutent des raisons de se battre. Rendre la gauche possible et la politique utile et désirable. Cela suppose une double rénovation: à côté de celle des objectifs, et inséparable d'elle, celle des moyens et des instruments de l'action.

Nous voulons incarner un socialisme de reconquête : reconquête des couches populaires et de notre base sociale, reconquête autour de nos valeurs des espaces politiques et économiques abandonnés au libéralisme, reconquête des leviers, des outils de l'égalité et de la solidarité (fiscalité, services publics, protection sociale, droit social…) qui doivent nous permettent de mener une politique ancrée à gauche au service d'une autre répartition des pouvoirs et des richesses



I - MAITRISER LA MONDIALISATION

 
La question de la mondialisation, la peur de ce qu'elle représente, marque profondément la société française. Les riches débats, lors du référendum, ont été l'illustration criante de cette sourde inquiétude face à un libre échange qui apparaît comme destructeur d'emplois et de modèle social. En même temps les socialistes, internationalistes par essence, ne peuvent envisager un simple repli sur soi qui ne se soucierait pas du développement des Etats les plus démunis et nous avons appris de l'histoire que le développement des échanges pouvait être un puissant moteur de croissance et de création d'emplois. La question qui nous est posée est donc : comment conserver le moteur de l'internationalisation tout en préservant les acquis des modèles sociaux les plus avancés et en favorisant le transfert de ces modèles à ceux qui en sont dépourvus en même temps que leur développement est rendu possible ? Répondre à cette question nous permettra de clarifier notre positionnement face au libéralisme.

1) La réalité de la mondialisation libérale
(Cf. contribution thématique NPS : Une alternative de gauche à la mondialisation libérale)

Mondialisation libérale ou capitalisme ? Les mots changent. Les réalités demeurent. Retenons la définition du capitalisme comme système économique dominant la planète au travers de la mondialisation libérale. Ce constat ne vaut pas approbation.

La place accordée au libéralisme dans nos analyses n'est pas innocente. On ne combat que ce que l'on connaît. Il nous faut donc en analyser les caractéristiques en terme de rapport au travail salarié, en examiner les contradictions internes, en comprendre les grandes évolutions : montée " irrésistible " de quelques nouveaux géants industriels, processus de délocalisations, domination des distributeurs sur les producteurs, facteurs de déséquilibres des échanges et en saisir les conséquences pour l'avenir de notre planète.
    Libre échange et baisse de la rémunération du travail
La faiblesse de la demande mondiale est largement provoquée par le développement du libre échange qui fait du salaire, non un élément de la valeur ajoutée propre à générer une demande, mais un simple coût à minimiser par tous les moyens. On assiste à une rupture complète du lien entre la productivité du travail et sa rémunération. La traduction française en est la stagnation du pouvoir d'achat des salariés français et la frilosité des investisseurs, faute de débouchés. Seuls les consommateurs américains, euphorisés par un crédit à la consommation exponentiel appuyé sur la hausse des prix de l'immobilier à travers le mécanisme du crédit hypothécaire, ont une demande dynamique. Leur faible épargne est compensée, à travers le mécanisme de déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit des paiements courants américains), par les créanciers asiatiques de l'économie américaine. Cela nous conduit à une situation de dépendance de l'économie mondiale envers la seule demande américaine qui, reposant sur l'endettement des ménages et les déficits, est chargée de fait d'assurer des marchés à tous les producteurs de la planète. Ce mécanisme ne saurait indéfiniment perdurer sans danger pour l'économie mondiale.
    Les contradictions du libre échange
Les défenseurs du libre-échange mettent en avant deux conséquences passablement contradictoires : la spécialisation et le développement de la concurrence.

La spécialisation est la fille de la division internationale du travail dans laquelle tous les Etats pauvres ou riches utilisant leurs avantages relatifs devraient trouver leur place et les moyens de se développer. Les partisans du libre échange affirment aussi qu'il est le seul moyen de développer une concurrence dont les consommateurs pourront tirer profit. Pourtant si on pousse à bout le principe de la division internationale du travail (cf. les formules " Chine Atelier du monde " ou " Brésil ferme du monde ") où subsistera la concurrence entre ces " multi-spécialistes " et des pays désertifiés ou désindustrialisés ?
    L' " irrésistible " ascension de l'industrie chinoise
Dans tous les secteurs industriels l' " économie socialiste de marché " chinoise fait fureur. Elle a produit 18 % au moins de la croissance mondiale de 2004 en exportant 25 % de son PIB (exportations en hausse de 36 % en 2004/2003), en investissant à tour de bras à l'étranger et en réalisant par exemple 85 % de la production mondiale de tracteurs, 55% de celle d'appareils photos et d'ordinateurs portables…

Aujourd'hui l'annonce de l'exportation vers l'Europe de voitures Jazz de Honda fabriquées en Chine par une joint venture associant le fabricant japonais et un groupe public chinois démontre bien qu'aucun secteur, même parmi les plus symboliques, n'est à l'abri de cette montée en puissance chinoise. Elle profite largement pour cela d'entreprises à capitaux publics (Etat ou collectivités locales) qui sont peu exigeantes sur la rentabilité de cette énorme mobilisation financière.

Parallèlement les entreprises occidentales sont fortement pénalisées dans leur développement par les exigences inconsidérées des investisseurs en bourse (les 15 % à 20 % de rentabilité des capitaux exigés par ces investisseurs représentent un frein considérable à l'investissement productif). Les producteurs chinois profitent aussi du dumping monétaire soutenu par la sous-évaluation du Yuan. Face à eux, même les pays aux plus bas salaires ne peuvent plus trouver leur place dans le commerce international.

L'exemple de la crise textile à Madagascar ou en Thaïlande, suite à la disparition des quotas chinois, qui se traduit pour ces pays par une forte perte de productions dans ce secteur, en est une parfaite illustration.

En élargissant la perspective, on constate que les inégalités des chances de développement entre les pays augmentent. 80 pays ont actuellement un revenu par habitant inférieur à celui de 1900. Les pays en développement représentent 85 % de la population mais ne bénéficient que de 7,6 % des investissements privés internationaux. Des régions entières, les plus pauvres de la planète, sont abandonnées : Afrique Sub saharienne, Afrique du Nord, Asie du Sud. L'endettement des pays pauvres renforce la tyrannie de la finance et conduit à la misère, comme en Argentine ou en Indonésie.

Ces inégalités ont une résonance accrue à l'heure ou la planète est engagée dans un mouvement de convergence générale liée à l'intensification des échanges, à l'immédiateté de l'information et à la globalisation des marchés.
    Le vrai poids des délocalisations
Même si l'on peut toujours présenter comme on le fait les délocalisations stricto sensu comme responsables de seulement 5% de la progression du chômage en France en 2004 comme cela a été répété à moult reprises ces derniers temps, la réalité est plus sévère. Il faut raisonner non pas sur les seuls déménagements d'usines mais sur tout ce que la langue anglaise appelle outsourcing qui englobe les externalisations (d'activités préalablement réalisées dans l'entreprises) et les délocalisations.

La tendance lourde est à l'installation dans les pays à bas salaires des nouvelles unités de production industrielle. Les nombreuses implantations de productions mécaniques en République tchèque, permettant un coût du travail de même qualité 4 fois moins cher, même si elles n'entraînent pas directement de fermetures d'usines en France, illustrent bien ce processus. Mais les fermetures des usines textiles états-uniennes au Mexique pour des implantations en Chine démontrent bien la fragilité de la situation des bénéficiaires de ces investissements. Le cas d'IBM, qui licencie en 2005 en Europe et aux USA plus de 13 000 personnes et en embauche à la même période 14 000 en Inde, est un exemple clair de ces stratégies. Nous avons affaire à un processus de recherche méthodique de la main d'œuvre et de la matière grise la moins chère possible. Enfin il faut faire remarquer que la tendance actuelle aux délocalisations industrielles est une absurdité écologique. Le réchauffement climatique et l'épuisement des énergies fossiles sont en effet encouragés de façon dangereuse par le transport de marchandises vers des destinations de plus en plus lointaines.
    Le rôle de la grande distribution
La montée en puissance dans les économies occidentales des mastodontes de la grande distribution et du hard discount, largement encouragée par la déflation salariale et la stagnation du pouvoir d'achat des ménages qui en résulte, conduit ces entreprises géantes, pour élargir leurs parts de marché et maintenir leurs taux de profit, à externaliser leurs fournisseurs dans les pays à bas salaires. Wal Mart, 1er distributeur mondial, a importé en 2004 18 milliards de dollars du continent chinois où sont implantés aujourd'hui 80 % de ses fournisseurs. Les rapports de force sont de plus en plus favorables aux grands distributeurs. La lutte qui les oppose à leurs fournisseurs industriels et la pression qu'ils peuvent exercer sur ces derniers constituent donc un facteur aggravant du phénomène de délocalisation/externalisation. En effet tous les industriels concernés sont condamnés à délocaliser/externaliser leurs activités industrielles pour résister à leurs donneurs d'ordres.

Certes cela permet aux importateurs de conserver et même surtout d'amplifier leurs marges car, dans une chaussure Nike ou un e-pod par exemple, l'essentiel de la valeur finale du bien reviendra au concepteur du produit et à l'appareil de distribution bien plus qu'à l'industriel asiatique. Cela profitera à quelques emplois de haute qualification pour la conception, le design et le marketing du produit et à un grand nombre de petits emplois peu qualifiés pour sa distribution mais surtout aux actionnaires des entreprises concernées. Le consommateur, quant à lui, n'en touchera le plus souvent que des miettes.

Ces évolutions démontrent aussi le caractère erroné du raisonnement qui avait justifié les premières délocalisations vers les zones à bas salaires. Les pays pauvres allaient bénéficier du transfert de productions à faible valeur ajoutée tandis que les puissances industrielles établies allaient pouvoir se concentrer sur les activités nobles et rémunératrices des nouvelles technologies de l'informatique, de la communication et de la biologie. Les délocalisations croissantes vers l'Inde qui se développent dans ces secteurs montrent que cet autre géant de l'Asie suit avec quelques années de décalage le même chemin que la Chine. L'Inde comme la Chine, pays immenses, notamment par leurs ressources humaines, peuvent se développer dans tous les secteurs d'activité anciens, actuels ou à venir.
    En France : un commerce extérieur en difficulté
En 2004 la France a rompu avec douze années d'excédents de sa balance des transactions courantes (balance des exportations de biens et de services pour l'essentiel). Et la tendance se poursuit en 2005. En 2004, le solde est devenu déficitaire de 6.8 milliards d'euros, soit 0.4 % du PIB. La cause principale en est la dégradation des échanges de biens, qui se traduit par un déficit commercial de 26 milliards d'euros en 2004. Ce phénomène s'est accentué début 2005 et si il subsiste, hors énergie, un excédent sur les premiers mois de 2005, il est divisé par deux par rapport à celui de 2004. Cela traduit une perte significative de part de marché mondial par la France. Cette dégradation est un signe parmi d'autres de l'affaiblissement de la compétitivité de nos productions nationales dont la surévaluation de l'euro ne représente qu'une partie de l'explication.
    Un système industriel condamné par son propre développement
Compte tenu de leur poids démographique, ce que nous démontrent la Chine ou l'Inde c'est que le monde ne peut pas continuer sur son mode de croissance actuel. Si la Chine, par exemple, veut développer, comme elle le fait aujourd'hui, le transport en automobiles particulières et si elle arrivait à consommer de l'essence au rythme actuel des USA il lui faudrait plus de pétrole que ce qui en est produit dans le monde aujourd'hui (80 millions de barils/jour contre 74 millions). La politique agressive d'acquisition à l'étranger dans le secteur pétrolier au Moyen-Orient, en Russie, en Asie centrale, au Maghreb, en Afrique et même aux USA avec l'offre de rachat d'Unocal montre à quel point cette question énergétique est essentielle pour les responsables chinois. Il en est de même pour le papier (au rythme de consommation américain il faudrait aux Chinois plus de papier que le monde n'en produit), l'acier et autres métaux, les céréales et la viande de bœuf sans parler de l'eau ou des émissions mondiales de CO2 qui doubleraient si les Chinois atteignaient le niveau américain.

Ce qui est vrai pour la Chine étant, à peu de choses près, vrai pour une Inde à peine moins peuplée ou pour les 2 milliards d'habitants des pays en voie de développement, on voit bien l'impasse sur laquelle est engagée l'économie mondiale. Comment, en effet, dans une économie globale de plus en plus intégrée, pourrait-on interdire aux pays émergents ou en voie de développement de suivre la logique de cette économie, celle que nous suivons aussi.

Si l'on s'en tenait à ces constats et au discours ambiant sur l'inéluctabilité d'un libre échange aggravé, l'avenir de l'emploi dans nos contrées apparaîtrait particulièrement bouché et celui des petits Etats en voie de développement singulièrement fragilisé. On assiste et on assisterait demain à un vaste transfert des industries des anciens pays industrialisés vers la zone de production asiatique au prix de la disparition progressive des industries européenne et américaine dont la cause ne serait pas la saine émulation de la concurrence, l'apparition de nouveaux compétiteurs ou une nouvelle division internationale du travail mais la mise en œuvre d'une concurrence déloyale. Que faire donc pour renverser cette tendance lourde de menaces de replis nationalises et populistes dans les vieux pays industrialisés et de désespoirs aggravés dans les pays les plus pauvres tout répondant au défi qui nous est posé : construire un nouveau développement économique respectueux de la terre et de ses limites si on veut éviter l'effondrement de notre système industriel ?

2) Proposer une alternative économique de gauche porteuse de développement durable pour tous

Précisément, posons le principe qu'une réflexion sur la régulation économique ne peut se limiter à des considérations techniques. Elle s'inscrit d'abord dans le champ politique. C'est bien d'une vision du monde, de la société, de l'humanité, dont il s'agit. C'est bien aussi une conception de la politique, de sa place, des enjeux et du fonctionnement de la démocratie réelle qu'il faut traiter.

Là aussi, le 29 mai nous éclaire. Les modalités de la campagne comme le contenu des arguments et les motivations du vote du peuple de gauche, illustrent la nécessité de revenir sur le déclin délibéré, organisé, depuis des années, du pouvoir politique. C'est une des composantes doctrinales du consensus de Washington. Aujourd'hui se pose donc la question du retour de la volonté politique face à l'hégémonie économique. Pour cela il faut aussi des outils.
    Mettre en place des Marchés communs régionaux
Le Marché Commun européen du début des années 60 offre une solution. Dans ce Marché commun, l'ouverture intérieure (le désarmement douanier se fera progressivement de 1958 à 1968) était associée à la protection extérieure. Le concept de préférence communautaire en est l'illustration. Elle s'applique à la politique agricole commune mais aussi à d'autres domaines. En 1979 l'arrêt Cassis de Dijon a interdit toute discrimination entre produits européens mais cette règle ne s'applique pas aux biens venant de pays extérieurs à l'Union. De même les accords de Schengen constituent un mécanisme de préférence pour les citoyens des pays qui les ont ratifiés puisqu'ils peuvent librement y circuler si ils sont en règle. Cette solution originelle de notre organisation européenne peut constituer un modèle pour les grandes régions économiques du monde.

Il ne s'agit pas de tomber dans le protectionnisme qui ne manquerait pas de déclencher une guerre entre les grands blocs économiques mais d'organiser et de régler une concurrence loyale entre les économies. Nous y perdrions l'accès aux marchés émergents et remettrions en cause leurs processus de développement.

Cette politique ne s'oppose ni à la concurrence ni à la mondialisation, au contraire elle en découle. En effet il ne s'agit absolument pas de revenir sur la liberté de circulation des connaissances, des technologies et des investissements. Elle est indispensable mais les régions économiques du monde doivent pouvoir se protéger sans remettre en cause la concurrence car les entreprises cherchant à vendre sur leurs marchés pourront librement y produire en respectant les conditions du marché du travail et les lois sociales qui y sont en vigueur.

Ce que le traité de Rome avait réalisé, avant qu'il disparaisse de fait dans le marché mondial, est un modèle d'actualité pour toutes les grandes régions du monde, riches ou pauvres. En Afrique, par exemple, aucun Etat ou presque ne dispose de marchés suffisants pour permettre le développement d'une industrie. La création d'un marché commun ferait disparaître les obstacles au commerce entre pays voisins et la protection des producteurs locaux contre certaines importations devrait permettre le développement d'industries et d'emplois locaux.

De plus le développement de marchés communs régionaux serait aussi une réponse à l'abus des transports à longue distance encouragés par la déréglementation des années 80 et la baisse des tarifs qui en a résulté. En effet, dans un contexte de rareté croissante des énergies fossiles tel que celui que nous allons connaître dans les toutes prochaines années et face au réchauffement climatique, continuer à transporter à travers les océans de grandes quantités de marchandises à faible valeur unitaire deviendra rapidement aussi anti-économique que dangereux pour l'avenir de notre planète.
    Introduire des contreparties sociales dans l'évaluation des conditions de la concurrence
Il faut commencer par souligner la contradiction forte de la politique commerciale de l'Union européenne. Polarisée sur les conditions de la concurrence en son sein (libre et non faussée), elle a mené simultanément une politique d'ouverture très large de ses frontières qui la conduit à admettre sur son territoire des biens et services produits dans des conditions qu'elle interdirait chez elle. Agissant ainsi l'Union fait preuve d'une véritable schizophrénie entre d'une part une règle tatillonne qu'elle impose aux Etats membres et, d'autre part, la recherche aveugle du plus bas prix de vente possible à l'extérieur, induite par le libre échange idéal proclamé.

Cela vaut aussi pour les conditions sociales appliquées dans les entreprises. L'établissement de règles sociales minimales applicables dans les entreprises fournisseurs de l'Union, à l'instar de ce qui existe déjà en matière de normes minimales techniques applicables aux produits importés, pourrait être la condition sine qua non d'une importation libre dans l'UE. Un calendrier, précis, de progression de ces normes sociales exigées permettrait de tenir compte des faiblesses relatives des Etats et de l'inégalité leurs niveaux de développement.

C'est à défaut seulement du respect de ces normes sociales minimales que des droits seraient prélevés sur les produits concernés. Ce serait une incitation forte à l'amélioration des conditions de travail et de protection sociale dans les pays émergents. Cela les inciterait aussi à mettre en place les conditions d'un développement économique reposant moins sur les seules exportations et plus sur la croissance de leurs marchés nationaux. Le bien-être des populations concernées ne pourrait qu'y gagner. Cela pourrait aussi contribuer à diminuer la tendance universelle et délétère à la déflation salariale, source de récession économique par contraction de la demande.

Parallèlement le transfert d'une partie au moins des cotisations sociales payées par les employeurs nationaux sur la Taxe à la valeur ajoutée (TVA sociale) rendrait la concurrence avec les biens et services importés plus équitable.

Avec la mise en place de ces normes et de ce changement d'assiette d'une partie de nos cotisations sociales, le rôle des droits de douane dans la protection des marchés communs pourrait être tout à fait réduit. A terme, la création d'une organisation mondiale, élargissant les attributions de l'OMC à la lutte contre la concurrence socialement déloyale, permettrait de mettre en place ces normes sociales minimales évolutives. Cette remise en cause des dogmes du libéralisme contenus dans l'actuelle OMC par la création d'une nouvelle organisation internationale devra faire l'objet d'un véritable débat public mondial et y apporter des solutions au bénéfice des peuples et du développement de tous.

Aujourd'hui les labels sociaux commencent à prendre des parts de marchés non négligeables dans le domaine des productions agricoles (commerce équitable). Ils pourraient être étendus au secteur des productions industrielles ou de services. Ne pourrait-on pas imaginer un Max Havelaar du textile ou de l'ameublement ? Cela permettrait d'impliquer les citoyens dans la démarche vers plus de loyauté dans la concurrence en améliorant la lisibilité sur les conditions sociales de la production.
    Favoriser le développement durable
On le sait les marchés sont souvent défaillants car ils ne disent pas le vrai prix écologique. Dans le coût du transport par camions, par exemple, on n'intègre que le coût de l'amortissement du camion de sa maintenance et du carburant, le salaire du chauffeur et des commerciaux du transporteur ainsi que le péage pour l'usage des autoroutes mais on n'intègre pas la perturbation du climat due au CO2 (réchauffement, tempêtes, fontes des glaces…), les pluies acides ou le coût des soins de santé pour les maladies respiratoires dues à la pollution de l'air.

Si on souhaite permettre la mise en place d'un développement durable de nos économies il faut favoriser les activités économiques respectueuses de l'environnement. Le respect des accords de Kyoto est indispensable mais il faut aller plus loin. Cela implique que les pouvoirs publics interviennent pour assurer la prise en compte des vrais coûts que les activités économiques font supporter à la société. Là encore cela nécessite des initiatives nationales mais aussi internationales.

Au niveau national les subventions et les incitations ou désincitations fiscales sont des instruments efficaces. Le Danemark est devenu leader mondial dans la production d'énergie éolienne et dans la fabrication d'éoliennes grâce à une efficace politique de subventions à l'investissement.

Au niveau européen seule une politique utilisant ces instruments pourrait remédier à une croissance mortifère du transport routier en le taxant à un niveau significatif (sur le transport à longue distance) et en subventionnant largement le développement du fret ferroviaire et du ferroutage à l'opposé de ce qui se fait aujourd'hui. Compte tenu de la rapidité du développement de la consommation de pétrole et de l'épuisement proche des réserves, seule une politique très interventionniste des Etats et ensemble d'Etats permettra à la fois de favoriser le maintien du développement économique et le respect de la terre.

Cela devrait aussi induire une limitation de l'accroissement permanent et irrationnel du transport de marchandises à faible valeur sur de grandes distances avec ses conséquences en terme de localisation industrielle.

Les politiques de certifications et labellisation sont aussi des instruments à encourager.

Les labels FSC dans le domaine du bois (bois issus de forêts gérées de façon durable), MSC dans le domaine de la pêche (permettant le renouvellement des espèces), énergie verte dans le domaine de l'électricité (aux USA électricité plus chère de 3 à 15 % mais produite par énergie renouvelable) ont déjà fait la preuve de leur impact auprès des consommateurs et usagers. Il convient de les généraliser.
    Agir sur le marché des changes
L'Euro souffre de plusieurs maux. Se pose d'abord la question de l'absence de politique de change au sein de l'UEM. Le flou partage des responsabilités entre les ministres de l'économie et des finances de la zone euro et les autorités de la Banque centrale européenne conduit à l'impuissance dans ce domaine. En fait il n'y a pas de politique de change et donc pas d'objectifs de change dans la zone Euro et c'est tout à fait préjudiciable aux économies des 12. L'euro, introduit à 1.17 dollar en janvier 1999, est tombé à 0.83 dollar en octobre 2000 (-30%) pour atteindre plus de 1.30 dollar en 2004 (+55 %)…

Aucune modification de l'économie réelle ne justifie de telles variations et les répercussions sur les décisions d'investissement, de sous-traitance et de délocalisation des entreprises sont naturellement fortement perturbées par ces errements monétaires. Lorsqu'on doit commercialiser ses fabrications en dollars on est naturellement conduit à privilégier les fournisseurs susceptibles de facturer dans ces mêmes dollars et qui sont donc situés hors zone euro.

Pour pallier cela, il faut doter l'Union d'une véritable politique de change et empêcher à l'avenir ces remises en causes insidieuses mais dramatiques pour nos entreprises que constituent ces changements erratiques économiquement injustifiés de cours des grandes monnaies.

Simultanément une remise en question du rôle du dollar, affaibli mais alimentant de façon dangereuse la liquidité internationale par l'énormité de ses déficits, s'impose. Elle nécessite une véritable renégociation internationale car il faut préparer l'après dollar en revoyant le Système monétaire international. Pour la mener à bien, il faudra aussi une véritable volonté politique commune de l'Union dans le cadre de sa négociation avec les USA. C'est que dans telle négociation internationale que devra aussi être abordée la question de la sous-évaluation du Yuan chinois.
    Reconstruire les outils de l'action collective
Ces outils ont été systématiquement démantelés par la contre révolution libérale. La reconstruction de nouveaux outils est incontournable. Trois niveaux s'imposent complémentairement : le national, le régional, le mondial, illustration d'une stratégie qui conjugue le local et le global :

    a) Le niveau national

    Quoi qu'on en dise, il demeure pertinent malgré la progression de l'intégration économique internationale. En première approche, quatre mesures précises devraient conforter la remise en activité des grandes institutions brisées (Datar, Commissariat au Plan…) :

       Instaurer une Agence publique nationale ou européenne, chargée d'enquêter et d'évaluer le dumping social ou les efforts en matière de rémunération dans les pays à faibles salaires ou à répression anti-syndicale, proposera des mesures d'embargo individualisées au Gouvernement, qui tranchera sous le contrôle du Parlement.

       La création d'une mission interministérielle permanente à la mondialisation éclairant l'ensemble des ministères sur une dimension essentielle de l'action publique et coordonnant leurs initiatives ;

       La formation d'une délégation permanente auprès des instances internationales chargée de donner à la représentation nationale les informations confisquées par l'exécutif gouvernemental et de lui permettre de définir le cadre des mandats de nos représentants internationaux ;

       La refonte du conseil économique et social élargi aux ONG et mandaté pour suivre les grandes mutations économiques et sociales issues de la mondialisation.

    b) Le niveau régional, c'est-à-dire Européen

    Loin d'être minoré par frilosité, le niveau européen (comme le devraient aussi les autres pouvoirs régionaux dans le monde) doit être fortement renforcé afin d'organiser un véritable contre pouvoir face à la mondialisation libérale. Cette réorientation s'inscrit dans une perspective radicalement différente de celle des dernières années, où les institutions européennes ont été clairement les agents de la doctrine libérale. Elle passe moins par la création de nouveaux outils européens que par l'affirmation d'une volonté politique nouvelle.

    On ne pourra cependant avancer dans le cadre institutionnel actuel. La mise en place d'un gouvernement économique européen, orientant les choix de la Banque Centrale Européenne, impulsant des politiques d'harmonisation fiscale et sociale, proposant la création hautement symbolique d'un impôt direct européen, animant de grandes politiques dans le domaine de l'industrialisation ou de la recherche permettrait à l'Europe de jouer utilement son rôle d'instrument volontariste à l'inverse de la philosophie libre échangiste qui l'anime aujourd'hui. L'Europe doit être un acteur et non un simple relais de la mondialisation.

    c) Le niveau mondial

    Il s'impose naturellement puisque le monde est devenu le terrain de jeu des puissances d'argent. La mondialisation de l'économie doit avoir pour équivalent la mondialisation de la politique. La notion de " gouvernance mondiale " qui alimente colloques et revues, au-delà de ses ambiguïtés, souligne la nécessité d'une mise à plat des instruments de pilotage du monde. La remise en cause du Système monétaire actuel et des missions de l'OMC, comme celle du rôle du FMI ou de la Banque mondiale passe par cette nouvelle gouvernance.

    Les questions monétaires comme les question sociales et environnementales doivent être prises en compte dans l'évaluation de ce qui devrait être notre objectif pour le meilleur développement de tous. Cela passe aussi par l'instauration d'une concurrence véritablement loyale. La mondialisation, qui peut être la meilleure ou la pire des choses, ne sera compatible avec nos idéaux qu'à ce prix là. En rester à la situation dans laquelle se développe aujourd'hui la globalisation serait extrêmement dangereux et irresponsable.

    Il y a là de belles perspectives pour les socialistes en quête d'un nouvel élan et un grand défi pour la sociale démocratie.



II – POUR UNE CROISSANCE
FORTEMENT SOUTENABLE

 
Le Congrès du Mans est annoncé comme un moment de clarification pour les socialistes. S'il est un domaine dans lequel les socialistes ont effectivement besoin de clarifier leurs représentations et leurs propositions, notamment dans la perspective d'un retour au pouvoir c'est bien celui de la croissance.

Dans nos têtes, comme dans les politiques publiques que nous avons mené dans le passé, nous n'avons jamais vraiment tiré les conséquences de l'épuisement du modèle productiviste ni jamais vraiment pris en compte les défis sociaux posés par la montée de la crise environnementale.

Il ne suffira pas de stigmatiser les régressions, limites et les échecs des politiques des gouvernements de droite depuis 2002. Au rejet de celles-ci, il est désormais nécessaire d'associer un projet, appuyé sur la rénovation de notre vision de la croissance et proposant d'aller vraiment vers de nouveaux droits et une soutenabilité forte. (Cf. contribution thématique NPS : Vers de nouveaux droits sociaux avec une croissance fortement soutenable)

1) Le développement humain en question

Dans les vingt années qui viennent, l'humanité sera confrontée à des mutations dont la rapidité et la simultanéité sont sans égale dans l'Histoire. Les problèmes sont posés à l'échelle planétaire. Leur résolution est à rechercher tant à l'échelle mondiale, nationale ou locale.

La pression démographique sur la planète s'accentue, celle-ci touche à la limite de ses capacités de charge. Le choc énergétique s'annonce alors que le choc climatique produit ses premiers effets… qui se combinent avec la dégradation des écosystèmes.
    La combinaison des défis démographiques, énergétique et climatiques annonce un " autre monde "
La pression démographique d'abord : la population de la planète devrait passer le seuil des 6,5 milliards d'êtres humains en juillet 2005 puis des 7 milliards d'habitants début 2012, pour atteindre les 8 milliards de terriens en 2020-2025.

La hausse d'un tiers de la population humaine en moins d'un quart de siècle pose la question de la capacité de charge de la planète, et cela quelles que soient les évolutions technologiques susceptibles de survenir.

Elle entraîne des déséquilibres, tous déjà engagés : la raréfaction de l'eau douce, le développement et la propagation des maladies infectieuses, la déforestation (notamment en zone tropicale), l'épuisement des ressources halieutiques, la pollution des mers, les atteintes à la biodiversité. " L'empreinte écologique ", notion qui traduit le prélèvement de l'humanité sur les ressources de la planète, indique déjà que pour maintenir la situation actuelle, à technologie identique, c'est une planète de rechange et demie dont il faudrait disposer. A horizon trente ans, ce sont trois planètes qui seraient nécessaires. L'image est forte : elle exprime une idée simple à énoncer, complexe à mettre en œuvre : il est impératif de changer de modes de production et de consommation.

La conjonction de l'explosion démographique et de l'épuisement prévisible des ressources de combustible fossile entraîne un choc énergétique qui met directement en cause le mode de développement " industriel " largement dominant et son corollaire, la délocalisation systématique des facteurs de production. Depuis deux cents ans les économies des pays développés sont devenues totalement dépendantes du charbon puis du pétrole. La croissance à peine entamée des pays émergents, et particulièrement de la Chine, de l'Inde et du Brésil se révèle tout aussi " pétro dépendante ".

L'approvisionnement en pétrole de l'économie mondiale est menacé par deux phénomènes :

- à court terme une crise d'approvisionnement liée au sous investissement en capacité de production des années récentes et le risque d'une crise géopolitique ;

- à moyen terme, l'entrée de la production de pétrole en déclin continu. C'est le phénomène de " pic pétrolier ". Il est susceptible de survenir vers 2015. D'ici là, la production journalière de pétrole atteindra son maximum pour décroître ensuite. L'effet principal sera d'entretenir une pression constante sur les prix, et ce d'autant plus que les économies consommatrices sont fortement pétro dépendantes. Suivra inéluctablement une baisse de la consommation du fait de la raréfaction de la ressource.

Avec la crise d'approvisionnement dans laquelle nous sommes entrés en 2005, la hausse du prix est déjà engagée : le baril est poussé à un rythme rapide vers les 100 dollars US.

Nous avons le choix entre anticiper ce bouleversement de nos économies ou subir la crise annoncée et ses conséquences sur le plus grand nombre.

Le réchauffement climatique est sans doute le plus grand risque planétaire auquel l'humanité soit confrontée. Le rôle essentiel des activités humaines dans le rejet dans l'atmosphère de quantités accrues de CO2 libérées par la consommation de pétrole et de charbon, n'est plus contesté, sauf par le gouvernement fédéral des Etats-Unis.

Le réchauffement est directement dû au système énergétique du monde industriel fondé sur l'exploitation intensive du carbone fourni par les sources d'énergies fossiles. L'essor des pays émergents (Chine et Inde) va accentuer le déséquilibre et accélérer le phénomène.

Il est encore possible de limiter à +2° C la hausse moyenne de la température terrestre, à condition d'engager dans les dix ans à venir le changement de système énergétique nécessaire pour ralentir puis interrompre les émissions de CO2 liées à la consommation des énergies fossiles par une humanité toujours plus nombreuse.

La question posée est celle de la capacité d'adaptation. Plus le réchauffement s'accélère – dans l'hypothèse où ce qui est fait pour tenter de le limiter est insuffisant – et plus le risque de " sortie de route " s'accroît. Les plus démunis, les pays les plus pauvres en tête, sont les plus exposés aux impacts du réchauffement et les moins en capacité de s'y adapter.

Phénomène global, aux conséquences locales diverses, le réchauffement climatique aura des conséquences désastreuses d'abord pour ceux qui auront les plus grandes difficultés à s'y adapter. La tension sur l'accès à l'eau douce et la production alimentaire seront génératrices de conflits, dont l'intensité mettra en cause non seulement la paix mais la démocratie.
    La dégradation des services rendus par les écosystèmes limite les perspectives de développement humain
En mars 2005, les Nations Unies ont publié un rapport international intitulé " L'évaluation des écosystèmes pour le Millénaire ", fruit du travail de 1360 experts de 95 pays, qui dresse de l'état de la planète le constat suivant :
     l'activité humaine exerce une telle pression sur les fonctions naturelles de la planète que la capacité des écosystèmes à répondre aux demandes des générations futures ne peut plus être considérée comme acquise ;

     environ 60 % des services fournis par les écosystèmes et permettant la vie sur Terre ont été dégradés.
Parmi ces services dégradés, le rapport pointe notamment la fourniture d'eau douce, les stocks de pêche, la régulation de l'air et de l'eau, la régulation des climats régionaux, des risques naturels, des parasites. En s'intéressant aux services rendus par les écosystèmes aux populations humaines l'étude pose la question des conditions de poursuite du développement humain. Le rapport note que la dégradation en cours de ces services met en péril la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement visant à réduire la faim, la pauvreté, la maladie, sur lesquels les pays du monde se sont accordés aux nations Unies en 2000. Il rappelle que ce sont les populations les plus démunies de la planète qui sont les plus dépendantes de leur milieu et donc les plus sensibles à toute variation de leur environnement. Une accentuation de la dégradation des écosystèmes aggraverait d'autant le sort des plus démunis. La combinaison de la pauvreté et de la dégradation des écosystèmes peut former une spirale négative : le dénuement s'aggrave du fait de ne pouvoir conserver intactes ou de régénérer les ressources et services fournies par le milieu naturel.

La dépendance du développement à l'égard de l'environnement et de sa capacité de régénération est ainsi mise en lumière de manière globale.

Pour le rapport, il est possible de renverser la tendance à la dégradation des écosystèmes et de satisfaire une demande croissante d'accès aux biens et services nécessaires au développement humain. Mais cela implique des changements radicaux dans notre manière de traiter la nature à toutes les étapes de la prise de décision et de coopérer entre gouvernements, sociétés civiles et entreprises.

Nous avons le pouvoir de desserrer les contraintes que nous exerçons sur les services naturels de la planète, tout en continuant à les utiliser pour obtenir un meilleur niveau de vie pour tous.

Pour cela il nous faut changer de conception de la croissance et avoir le courage d'agir.

2) Changer de vision et d'objectifs pour la croissance

La déclaration de principe qui précède les statuts du PS est claire :
    Le Parti socialiste se fixe comme objectif l'émergence, par la voie démocratique, d'une société qui réponde aux aspirations fondamentales de la personne humaine telles que les ont définies des siècles de luttes pour le progrès et que les expriment aujourd'hui tous les peuples : la liberté, I'égalité et la dignité des hommes et des femmes, le bien-être, la responsabilité et la solidarité. (…) Alors que les sciences et les techniques ouvrent de nouveaux espaces de liberté et de créativité mais peuvent aussi détruire ou pervertir toute forme de vie, le Parti socialiste agit pour qu'elles bénéficient aux hommes et aux femmes. (…) il lutte pour un développement économique respectant l'environnement et les équilibres naturels de la planète ".

    Satisfaire les besoins humains en préservant la capacité de l'environnement à se régénérer
C'est dans ce cadre qu'il est aujourd'hui vital de clarifier notre conception de la croissance.

Pour les socialistes la notion de croissance est associée, non à celle de hausse des profits pour les actionnaires, mais à celle de capacité à satisfaire les besoins humains. Au premier de ces besoins figure l'emploi, clé d'entrée aux moyens de la survie économique et de l'aisance pour la quasi-totalité des habitants de ce pays.

Pour autant le modèle de croissance de l'économie industrielle, productiviste, entièrement tourné vers l'accroissement du PIB, est largement contesté du fait :
     de ses effets prédateurs sur l'environnement et les conditions de vie de l'humanité ;
     des limites physiques de l'économie du carbone ;
     des déséquilibres et des risques qu'entraîne le réchauffement climatique ;
     de la dégradation des écosystèmes.
Dès lors, de quelle croissance s'agit-il ? S'il s'agit de rechercher la satisfaction des besoins humains, ne s'agit-il pas plutôt de développement ? Et comment envisager un développement qui soit soucieux de préserver l'environnement et sa capacité de régénération, socle sans lequel le développement ne saurait s'envisager pour les générations à venir ?

La croissance économique pour elle-même apparaît aujourd'hui comme insoutenable du fait des dérèglements qu'elle provoque et des menaces qu'elle fait courir à l'humanité. Menaces qui ne sont plus compensées par ses effets positifs. Ne pas changer de modèle de "croissance", c'est, du fait des crises qu'appellent les dérèglements énergétiques et climatiques annoncés, exposer l'humanité au risque de la décroissance. Et même de la décroissance insoutenable, du fait de son cortège de dommages irréversibles (mortalité, maladies, famines, migrations brusques, etc.) et de crises (guerres, raréfaction des ressources, etc.).

Pour les socialistes, la recherche de la satisfaction des besoins humains, et la lutte contre les dommages du modèle de croissance industriel, passe par le développement soutenable ou durable, c'est à dire préoccupé en permanence de sa compatibilité avec la capacité de charge de la planète.

Assurer à tous, et d'abord aux plus pauvres, des conditions de vie décentes et durables, telle est la vision qu'ont les socialistes de la croissance. La croissance, pour les socialistes, sera une autre croissance, soucieuse sur le même plan de l'emploi, du développement humain et des générations futures.
    Choisir la croissance à soutenabilité forte
Mais les socialistes ont à trancher entre le modèle de croissance à soutenabilité faible des économistes libéraux, et un modèle à soutenabilité forte, ou éco-développement.

Le premier s'appuie sur la mécanique suivante :
     la génération présente consomme du capital naturel (ressources naturelles et services environnementaux) et cède en contrepartie à la génération suivante des capacités de production accrues sous forme d'équipements, de connaissances et de compétences ;

     l'allocation des ressources s'effectue par le marché, dès lors les valeurs des différentes formes de capital sont déterminées par des prix. Ce qui requiert l'intégration à la sphère marchande des ressources naturelles et des pollutions qui lui sont extérieures.
Dans ce modèle, l'enrichissement apporté par la croissance contribue " spontanément " à ménager l'environnement. Le cas de l'économie américaine suffit à invalider ce modèle. C'est seulement lorsque des politiques publiques sont menées que l'on peut enregistrer des résultats encourageants contre les dommages environnementaux.

A l'inverse, le modèle d'éco-croissance met l'accent sur les dommages écologiques induits par la dynamique d'accumulation. Il cherche à déterminer, à un moment donné, les limites écologiques à l'activité économique. Il met en lumière la contradiction entre la recherche du profit maximum à court terme qui motive le plus souvent "l'individu " et la logique écologique appuyée sur le temps long du rythme de reproduction des ressources naturelles. Ce faisant, il légitime l'intervention de l'Etat et l'adoption de règles de gestion qui ne sont pas fondés nécessairement sur les prix.

Il s'agit de déterminer les limites quantitatives à l'exploitation des ressources naturelles ou aux rejets polluants, de définir les modalités de répartition de cette contrainte qui soient les plus équitables possibles, puis de mettre en place le cadre institutionnel qui permettra aux acteurs économiques de prendre des décisions optimales en fonction des différentes contraintes. Le protocole de Kyoto, malgré ses limites, est une illustration de ce qui est possible. Il souligne d'ailleurs combien la détermination politique est un axe essentiel pour l'élaboration d'un ensemble de normes encadrant l'activité économique.

Pour des socialistes, c'est bien entendu ce modèle de l'éco-croissance, à soutenabilité forte, impliquant l'intervention publique qui constitue l'axe de rénovation de notre conception de la croissance. Il concerne aussi le modèle agricole que l'Europe doit défendre. ( renvoi à la contribution de Thierry Tröel, L'Europe doit se réconcilier avec ses paysans, acteurs majeurs du développement durable)
    Vers de nouveaux droits
L'éco-croissance porte l'idée de justice environnementale, pour laquelle la protection de l'environnement n'est pas un " luxe de riches " mais au contraire un élément de justice sociale vers la reconnaissance de nouveaux droits.

Parmi ces nouveaux droits économiques sociaux et environnementaux, figure bien entendu le droit à un environnement sain, mais aussi, très concrètement :
    1) Le droit à un emploi sans danger au plan sanitaire, à faible impact environnemental et énergétique ;

    2) Le droit à un logement sain, efficace sur le plan énergétique, économe sur le plan des consommations de ressources naturelles et des coûts associés pour ses habitants ;

    3) Le droit à des modes de transport sains, efficaces et économes sur le plan énergétique et environnemental, contribuant à la lutte contre le réchauffement climatique ;

    4) Le droit d'accéder à des sources d'énergie et à une eau saines, à faible impact ou faible risque environnemental pour la collectivité, à coût compatible avec son niveau de vie.
La lutte pour ces nouveaux droits, en France et dans le monde, correspond à la vocation de transformation sociale qui est celle des socialistes.

Choisir l'éco-croissance passe par le développement d'une "planification participative ". L'éco-croissance ne saurait se décréter : elle se délibère. Par opposition au productivisme, et aux risques de la décroissance insoutenable, l'éco-croissance suppose la démocratie.

Elle exige un changement radical des grilles de décision, des outils de mesure et propose une approche systémique de l'action publique.
    Le courage d'agir
Pour engager le changement, il faudra changer de niveau logique … et éviter la dispersion. Deux leviers devraient permettre de légitimer l'action aux yeux de nos concitoyens : la lutte contre le changement climatique et l'interruption de l'excès de pression sur les écosystèmes. La stratégie française d'éco-croissance s'inscrira sur un horizon pluri annuel et sera placée sous le contrôle du Parlement.

Elle s'appuiera sur une combinaison d'action dans les domaines de l'énergie, du bâtiment, de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire, des transports.
    Changer de système de mesure de la " richesse "
Aller vers l'éco-croissance suppose l'adoption d'un nouveau système de mesure ou d'un système élargi du PIB vers des " indicateurs de développement humain ".

Le tableau de bord du pays devra comporter des indicateurs, connus de tous, concernant les émissions de CO2, la dépendance vis-à-vis du pétrole, l'empreinte écologique des Français ou la pression sur l'environnement. Il comportera des indicateurs de qualité de l'emploi, de précarité et de pauvreté salariale, ainsi que d'égalité professionnelle des femmes et des hommes. Il s'intéressera aux dépenses pour le logement comme à l'évolution du pouvoir d'achat des minima sociaux ou celle du surendettement. Il se préoccupera de la scolarisation des 18-22 ans comme des inégalités.

Chaque année un rapport sur l'état du développement de la France sera publié avant le débat budgétaire au Parlement. Il comportera des indicateurs sur trois volets : économie, société, environnement. Il fera le lien avec la mise en œuvre des politiques publiques.

C'est en inventant une nouvel instrument optique que Copernic a définitivement renouvelé la vision du cosmos. C'est de cela dont il s'agit ici, contre tous les dogmes.
    Changer de système énergétique
Si la meilleure source d'énergie est celle que l'on ne consomme pas, ce choix n'est pas à la portée du plus grand nombre. Le droit d'accès à une énergie à faible impact environnemental et à coût individuel et collectif réduit d'une par, à l'efficience énergétique d'autre part, restent des objectifs d'équité sociale pour le futur.

Mettre en œuvre ces nouveaux droits est une condition sine qua non de la division par 2 de notre consommation d'énergie. C'est techniquement possible. Il faut améliorer notre efficience énergétique dans les domaines du logement et des bâtiments, comme dans celui des transports (cf. infra). Ensuite exploiter toutes les sources d'énergie disponibles, en commençant par les énergies renouvelables. Ces deux pistes sont s'appuient sur des technologies existantes. Elles sont donc faisables dès maintenant.

Il ne faudra pas compter sur le marché pour engager la transition nécessaire. Il ne s'autorégule pas. Le levier de la fiscalité sera essentiel pour établir une nouvelle " vérité des prix " et peser sur le comportement des acteurs.

La France est très en retard en Europe et dans le monde en matière de développement des énergies renouvelables. C'est pourtant son intérêt géopolitique : elle réduirait sa dépendance aux énergies fossiles. Elle réduirait aussi sa vulnérabilité face aux risques technologiques et à la complexité que représente le " tout nucléaire ".

Pour cela un objectif serait de ramener à 50-60 % la part du nucléaire dans la production d'électricité française à horizon dix à quinze. Ceci devrait pouvoir se faire sans impact sur le nombre d'emplois de la filière du fait de l'allongement de la durée de vie des centrales existantes, des chantiers de démantèlement à venir et de la gestion des déchets nucléaires.

C'est dans ce contexte général, et alors qu'ITER mobilise d'importants fonds publics, qu'un arbitrage s'imposera, suggéré par le PS depuis décembre 2003 : interrompre le développement de l'EPR pour le parc français.

Enfin, changer de système énergétique c'est aussi changer de cadre institutionnel pour introduire transparence et débat démocratique dans les choix énergétiques à effectuer. Pour cela il s'agira de mettre en œuvre le " schéma de services collectifs de l'énergie " qui invite clairement à l'élaboration de politiques énergétiques territoriales.

C'est d'ailleurs dans ce cadre que l'impact sur l'emploi d'un programme de développement des énergies renouvelables aurait le plus d'impact sur l'emploi et la cohésion sociale. Les énergies renouvelables sont diffuses, elles requièrent des emplois disséminés sur les territoires, tant pour la production que pour la maintenance. Le Syndicat des Energies Renouvelables, sur la base des objectifs européens actuels à atteindre, estime le potentiel de création de nouveaux emplois à 75 000 d'ici 2010. Il s'agit d'emplois durables et non délocalisables.
    Logement, bâtiments, urbanisme : intégrer exigence sociale et environnementale
Le droit de tous à un logement sain, à un coût décent et à faible impact environnemental s'inscrit dans le droit, pour chacun, de vivre dans un environnement sain. Il intègre la question de l'efficacité énergétique comme celle de la réduction des émissions de CO2 (le secteur des bâtiments représente 25% des émissions de CO2 en France). Il passe par un programme public de soutien à la rénovation thermique des bâtiments (logements et bureaux). Si l'on ne fait rien, au rythme actuel de démolition et de construction neuve, le stock de bâtiments anciens représentera toujours plus de la majorité du parc en 2050 !

Les mesures techniques, fiscales, juridiques et financières d'un tel programme sont connues et proposées tant par les professionnels concernés que par les ONG environnementales. Elles conduisent à la création de 120 000 emplois pendant les 20 premières années, non délocalisables.

De même, il est nécessaire de faire en sorte que chaque construction neuve de logements, de bureaux, de bâtiments à vocation économique réponde à un cahier des charges strict en matière énergétique, climatique et de qualité environnementale. Les critères de même que les techniques existent. Il reste à la puissance publique à jouer son rôle de régulation, d'animation, de mise en cohérence et de garantie pour le futur. Il lui appartiendra de s'appliquer à elle-même ces nouvelles exigences sociales et environnementales.

Le bâti s'insère dans un environnement le plus souvent urbain. La périurbanisation et l'étalement géographique de l'habitat, avec leurs corollaires en terme de consommation de zones naturelles, d'accroissement de la pollution et de la consommation d'énergie, par le trafic automobile qu'ils génèrent, sont incompatibles avec la protection de l'environnement. Pour sortir de cette logique néfaste, un programme ambitieux de re densification des villes et des zones efficacement desservies par les transports en commun, est l'élément structurant d'un développement respectueux de l'environnement : la ville dense est la forme urbaine la plus juste socialement, la plus respectueuse de l'environnement, et aussi des deniers de la collectivité. Elle réduit les distances et donc les consommations d'énergie, le bruit et la pollution. Dans les zones urbaines peu denses, le temps d'accès aux emplois est deux fois plus élevé que dans les zones urbaines plus denses. La ville étalée contribue à marginaliser la population la plus démunie qui est exclue de l'usage de l'automobile, ce qui réduit ses possibilités de mobilité.

Plus globalement, se pose la question de la valorisation équitable des territoires. Tous sont soumis à de fortes tensions : les territoires ruraux, attractifs mais en voie de désertification, les territoires périurbains, soumis à une forte pression démographique du fait de leur attractivité résidentielle et de leur proximité des centres urbains, et les territoires urbanisés, dans laquelle les habitants – plus de 80% de la population – sont soumis à une pression environnementale et sociale de plus en plus importante. Pourtant, tous ils présentent des avantages : l'urbanité – la densité - est facteur de proximité et elle permet de réduire les coûts environnementaux : les systèmes de transports en commun y sont plus rentables, les distances parcourues moins grandes, le recours à la voiture moins systématique. Les territoires ruraux doivent accueillir, et pour ce faire être aménagés et préservés. Les contrats territoriaux d'exploitation, permettant un développement maîtrisé et partenarial des terroirs doivent trouver un nouveau souffle. Les territoires périurbains doivent quant à eux faire l'objet d'une attention particulière, être densifiés et diversifiés pour limiter le développement de l'usage individuel de la voiture.

Pour valoriser équitablement les territoires, il faut que l'Etat mette en place les conditions du développement de tous les territoires. Celui-ci ne repose pas nécessairement partout sur les mêmes leviers. Admettre les diversités territoriales, c'est reconnaître que certains territoires, plus favorisés que d'autres sur le plan économique par exemple, nécessitent moins que d'autres. Dans le même esprit, il faut admettre que les politiques publiques des collectivités soient différentes selon qu'elles s'appliquent en milieu rural, en milieu périurbain, ou en milieu urbain. Cela passe par une remise à plat du système politique et institutionnel de gouvernement local, qui ne peut être efficace que si les principes généraux de la fiscalité locale sont rénovés.
    La route, une voie sans issue
Dans notre civilisation, si la mobilité est synonyme de liberté, elle s'accompagne aussi d'un coût. L'ensemble de nos déplacements engendrent des coûts, liés aux infrastructures, aux embouteillages, à l'insécurité routière, à l'entretien et à la dégradation de l'environnement, que l'on qualifie d'externe parce qu'ils ne nous sont pas spontanément imputés par le marché. Le premier élément d'une politique de transport intégrée dans une logique d'éco-croissance, est donc la transparence de ces coûts et leur totale prise en compte dans l'évaluation globale.

La route est de loin l'un des modes de transport les plus traumatisant pour notre environnement. A elle seule, elle produit 34% des émissions carboniques (CO2). Le transport routier des marchandises en produit d'ailleurs les ¾. Sur notre territoire 80% des marchandises circulent par la route et 78% des livraisons se font dans un rayon de 150 kilomètres. Pour le fret, avec une même consommation d'énergie, la tonne de marchandises parcourt une distance 4 fois plus importante par train que véhiculée par des poids lourds.

Il s'agit ici de conséquences environnementales en lien direct avec nos choix économiques : pour une entreprise, la maximisation du profit passe en effet par la diminution de l'immobilisation des produits sur leurs sites de fabrication, et par conséquent par une logique de production en flux tendus, générant alors une augmentation globale du trafic.

Sans remettre en cause la compétitivité des différents acteurs économiques, la réduction des facteurs de pollution réel (émissions) et potentiels (déversement dans l'environnement de matières polluantes) nécessite de réduire le nombres de camions sur les routes véhiculant les marchandises. Pour mieux intégrer les surcoûts environnementaux, plusieurs types d'incitations peuvent se retrouver sur la palette d'une politique volontariste, concernant ainsi meilleure gestion des retours à vide, l'amélioration des techniques de motorisations, une taxation accrue des carburants polluant comme le fioul, l'augmentation des péages routiers. Pour donner un exemple précis, l'équilibre des coûts et des recettes exige que la taxe sur le fioul soit multipliée par deux ou trois

Il faut également offrir aux acteurs économiques des modes de transport alternatifs, écologiquement et économiquement viable, de leurs marchandises sur le territoire national et au sein de l'Union, pour bâtir une réponse efficace à la dégradation de notre patrimoine environnemental.

La voie fluviale et le ferroutage sont les clefs de notre avenir. Un projet de transport par la voie d'eau a été initié entre Fos sur mer, Marseille et Lyon. Dans ce cadre, 2 794 conteneurs ont été transportés en 2003, économisant l'utilisation de 3 000 camions, soit une diminution des rejets de CO2 de 130 tonnes pour une économie budgétaire de 6 %. Ces expériences doivent être multipliées et également favorisés pour devenir un des éléments d'une politique cohérente en matière de transport écologiquement responsable.

Mais l'axe de progrès, le plus prometteur dans la stratégie à bâtir pour un transport des marchandises, concerne le développement du ferroutage. Les investissements publics doivent donc favoriser un développement d'infrastructures ferrées pour diversifier et démultiplier l'offre de ferroutage et ce également à l'échelon européen. Dans ces conditions, avec des infrastructures à disposition, le relèvement de la taxation des poids lourds pourrait être envisagée de façon à inciter l'utilisation de ces modes de transport alternatifs développés par les pouvoirs publics.

Pour les déplacements de voyageurs et de citoyens, il est clair que la réponse est évidemment le développement de transports publics attractifs et performants. Cette stratégie ne révèlera son efficacité que si elle se trouve en cohérence avec une politique d'urbanisation visant à densifier les villes. Les réseaux de transport public les plus efficaces (ceux dont le coût du voyageur par km est le plus bas) desservent des agglomérations denses, et utilisent principalement les modes ferrés en site propre, garantissant alors la vitesse et la régularité essentielles pour favoriser le report modal.

Si les politiques de prix de bas tarifs s'avèrent peu efficaces pour attirer les automobilistes vers le transport public, elles sont en revanche socialement indispensables pour assurer la mixité et la cohésion sociale, " le droit à la mobilité " aux citadins les plus pauvres, et participent pleinement au développement durable.

S'engager sur la voie de l'éco-croissance suppose le courage d'agir face aux pressions des grands lobbies économiques. Mais le potentiel de créations d'emploi durables et non délocalisables, ainsi que l'accès à de nouveaux droits, constituent pour des socialistes des raisons suffisantes de s'engager dans ces changements radicaux.

L'éco-croissance, pour réussir, appelle de nouvelles régulations.



III – BATIR LA REPUBLIQUE EUROPEENNE
(cf. contribution thématique NPS : Pour une République européenne)

 
Les temps sont durs pour l'Europe : le traité constitutionnel refusé par la France et par les Pays-Bas ne sera pas ratifié. Entre les risques de nouveaux refus provenant de plusieurs pays de l'Union Européenne des 25, l'incertitude des modalités de la révision britannique et les nouveaux problèmes budgétaires que l'Europe doit affronter, c'est tout un processus de construction européenne qui aboutit aujourd'hui à l'impasse, remettant en cause les fondements même de l'Union Européenne.

Européens convaincus, attachés à la puissance du continent européen, nous ne saurions nous réjouir de cette situation. Dans un monde structuré aujourd'hui autour des intérêts asio-américains, livré à la compétition économique la plus féroce et indifférente aux chocs sociaux et écologiques, la voix européenne est plus indispensable que jamais.

Mais l'Europe va mal, elle est aujourd'hui au milieu du gué. Au-delà des élargissements précipités et non soutenus budgétairement, des conflits de visions du futur européen écartelé entre grand marché libéré et Europe puissance, et de la contestation du traditionnel bardisky franco-allemand, c'est la logique même de construction de l'Union Européenne qu'il faut désormais dépasser. Ce que nous vivons est la manifestation profonde du mal fonctionnement institutionnel d'une Europe à 25. Le problème n'est pas la conduite d'un chef d'Etat ici ou d'un Premier Ministre là. Tout n'ira pas mieux si celui-ci est remplacé par celui-là. La réalité, c'est que l'hétérogénéité économique, culturelle et politique condamne, au mieux, les 25 pays de l'Union Européenne à une entente sur le plus petit dénominateur commun. Au regard de notre idéal européen, nous pourrions l'accepter, mais nous ne saurions nous en satisfaire.

L'Europe s'est construite à petits pas depuis 50 ans, en adoptant une double approche : coopération volontaire entre Etats membres et délégation de certaines compétences à des institutions communes. Mais le but fut toujours la création de structures qui lient les individus à travers les frontières. Comme le disait si bien Jean Monnet "nous ne coalisons pas les Etats, nous réunissons les Hommes". Or, cette méthode a aujourd'hui atteint ses limites. Elle est victime de son succès. Joschka Fisher, Ministre des Affaires Etrangères de l'Allemagne, l'a constaté dans son discours historique à l'université Humboldt à Berlin, en mai 2000. Depuis, la Convention a été chargée d'élaborer un projet constitutionnel, censé aller au-delà des pratiques établies, afin de permettre une gestion efficace de nos affaires européennes à 25.

Elle a échoué sur le fond, produisant un texte libéral conforme aux volontés des Gouvernements Européens mais aux antipodes des attentes des peuples européens. Elle a échoué parce qu'elle devait sa légitimité aux Gouvernements et non pas aux citoyens européens. C'est précisément cet intergouvernementalisme qui fait aujourd'hui l'échec de l'Europe. C'est l'intergouvernementalisme qui fait la crise européenne. C'est l'intergouvernementalisme qui fait aujourd'hui dépasser.

Comment ?

Les citoyens qui vivent dans l'Union Européenne savent qu'ils ont un bon nombre de biens en commun : la paix et la liberté surtout, une certaine prospérité aussi. Plus concrètement, la plupart d'entre eux ont la même monnaie, les mêmes opportunités d'acheter et de vendre des biens dans un vaste marché européen et de voyager et travailler librement en Europe. Mais ils savent aussi que la paix est précaire, la liberté jamais gratuite, la vie sociale plus qu'un marché et le chômage trop élevé. Autrement dit, ils demandent une meilleure gestion de leurs biens communs.

Or, la théorie de l'action collective nous enseigne que plus un groupe d'acteurs est large, plus il perd sa capacité à se doter de biens publics, car chaque membre sera garanti de ses bénéfices du simple fait de son statut de membre du groupe, sans pour autant avoir à contribuer à leur création. Par exemple, dans l'union monétaire l'équilibre budgétaire contribuerait à des faibles taux d'intérêt. Or si tous les Etats membres se tenaient à la discipline budgétaire, chaque Etat pourrait s'endetter à moindre coût. Chacun est don tenté de faire le contraire de ce qui est optimal au niveau agrégé. On a donc besoin de règles contraignantes pour s'assurer que les biens publics, dans l'intérêt commun, seront bien alimentés.

Or, cela pose problème. La contrainte nécessite la légitimité. En démocratie, c'est le citoyen qui donne son consentement au pouvoir de l'Etat. Les partis politiques proposent, les électeurs choisissent, les gouvernements appliquent. La légitimité vient du fait que les citoyens peuvent collectivement changer de direction. Mais la politique européenne ne fonctionne pas comme une démocratie. Si la Commission propose, ce sont les gouvernements réunis en conseil qui choisissent et sont ensuite chargés d'appliquer les décisions. Le citoyen européen qui est pourtant le destinataire de ces politiques, n'a guère son mot à dire, le Parlement européen n'ayant qu'un pouvoir très limité. Le Conseil est le souverain. Bien entendu, les citoyens peuvent exprimer leurs préférences à travers les élections nationales. Mais celles-ci ne donnent nullement droit de changer la direction de la politique européenne, puisque le choix proposé à l'électeur mêle biens publics européens et nationaux, et équivaut à une élection partielle par rapport aux orientations européennes. Que serait la démocratie s'il n'y avait jamais d'élections législatives pour remplacer les députés, mais uniquement des élections partielles ?

Il est donc temps que les démocrates en Europe se réveillent. Nous voulons un gouvernement européen chargé de gérer nos biens publics européens. Non pas un Super-Etat qui se mêle de tout, mais un gouvernement qui s'occupe de ce que nous avons en commun en Europe, tout en respectant les spécificités culturelles locales. Un gouvernement qui est responsable devant les citoyens européens dans leur ensemble et qui peut être renvoyé par un vote du Parlement européen. Ce gouvernement a besoin de ses propres moyens car il ne peut pas vivre des aumônes des Etats membres. La négociation budgétaire doit être l'affaire du parlement européen, et non pas des gouvernements nationaux. Et ce gouvernement européen doit aussi avoir les moyens d'assurer la défense de ses citoyens à l'intérieur comme à l'extérieur. Nous appelons cela la République européenne.

Créer un gouvernement européen s'inscrit dans la logique directe de la construction européenne, puisque nous avons toujours délégué des compétences à des institutions communautaires, alors même que les états membres étaient incapables de garantir l'intérêt commun. Or, il est clair que la formation d'une République européenne pour la gestion de nos intérêts communs se heurtera à l'opposition d'un certain nombre d'Etats membres de l'Union européenne. Il faut donc inventer une architecture motrice qui permette à l'Europe d'avancer dans son unification, tout en restant respectueux de ceux qui ont une autre vision de l'avenir.

Il est tout à fait envisageable que la République européenne s'amorce avec un nombre réduit d'Etats, au sein même de l'Union européenne. Elle serait la maison dans le jardin, assurerait le progrès de l'Europe qui rayonnerait dans le reste de l'Union, et resterait ouverte à tous les citoyens et Etats européens souhaitant participer à la gestion démocratique des biens communs européens.

Néanmoins, il est nécessaire que la République européenne démarre avec au moins un minimum de participants. La seule union franco-allemande serait insuffisante, car les décisions politiques et économiques prises par ces deux pays en affectent d'autres. Le critère central sera donc l'incidence de ces biens communs, tels que la monnaie, la gouvernance économique, le pouvoir fiscal et budgétaire, la défense, etc. Pour commencer, le meilleur cadre sera l'Union monétaire. Là où ces domaines ne se recoupent pas entièrement, la coopération dans le cadre de l'Union européenne (qui continuera à exister) sera privilégiée. Ainsi, par exemple, si un pays préférait rester en dehors de la République européenne, il lui serait tout de même possible, au sein de l'Union européenne, de coopérer au niveau de la politique internationale et de la défense ou de la gestion du grand marché.

La République européenne ne s'oppose donc pas à l'Union européenne, mais la complète. Elle se substitue aux gouvernements nationaux au sein de l'Union en assumant la représentation démocratique des citoyens européens qui veulent exprimer leurs préférences politiques par les élections du gouvernement de la République.

Ainsi, la création d'une République européenne serait un pas gigantesque dans la construction européenne. Elle ne pourrait être l'oeuvre des gouvernements. Une Constituante pourrait en définir le contenu plus précis, avant référendum au sein de la République européenne. Trop longtemps, les gouvernements se sont comportés comme si l'Europe leur appartenait. Nous voulons la rendre aux citoyens. Car elle nous appartient à nous tous, c'est notre Europe.



Suite du document : IV – Rénover la gauche en Europe


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