Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Mutualité - 1er février 2003



Discours d'Yvette Roudy, ancienne ministre, ancienne députée-maire de Lisieux (Calvados)


 
Chers camarades,

Sommes-nous vraiment remis du choc du 21 Avril 2002 ? Je ne crois pas. Nous serons vraiment guéri le jour où chacun d'entre nous acceptera sa part de responsabilité dans l'échec qui nous a atteint, qui nous a blessé au plus profond de nous même. Du haut en bas de la hiérarchie du Parti. Lionel Jospin ne peut pas être le seul responsable.

Les causes du séisme sont connues : éloignement de notre électorat populaire, oubli de notre identité, oubli de nos racines, timidité, frilosité devant les décisions qu'il aurait fallu prendre, envahissement de la technocratie, peur de tout ce qui est nouveau, non respect des engagements affadissement du discours, effondrement dans une social démocratie molle et sans saveur.
Pas étonnant que le peuple de Gauche nous ait sanctionné au delà même de ce qu'il aurait voulu.

Récemment un étudiant me demandait : " Comment etes vous devenue socialiste ? ". En vérité je ne me suis jamais posée la question pour la simple raison que je suis tombée dans le bain quand j'étais petite. Mais je sais que l'on peut ne pas naître socialiste mais que l'on peut le devenir, lorsque l'on sent monter en soi une énorme colère, une forte indignation devant l'injustice, l'inégalité, la misère, la pauvreté, l'exploitation des plus faibles, des plus pauvres, des plus démunis, de tous les tous les damnés de la terre, par ceux qui détiennent le pouvoir et ne veulent pas le partager C'est une idée simple.
Tout comme est simple l'idée qu'on ne peut aller vers le socialisme sans combat, sans audace et sans un minimum d'éthique.

Le socialisme est une des plus grandes idées de tous les temps. Il ne peut disparaître dans une sorte de social démocratie affadie, au service de nos nouvelles classes moyennes.

Marx et Flora Tristan n'iraient pas aujourd'hui étudier les conditions de travail des ouvriers londoniens. Comme ils ont pu le faire au XIXème siècle. Ils iraient dans ces pays d'Afrique et d'Asie dévastés par la misère, la pauvreté, le sida, la famine... Ils seraient aux cotés de ces enfants qui fabriquent pour trois fois rien des produits vendus cent fois plus sur nos marchés.. Pour le plus grand profit des maîtres de ce monde. Ils étudieraient les mécanismes d'exploitation de ces populations qui n'ont même pas la force de se révolter. Les oublier - quand on est socialiste - serait être complices de génocide. Aragon dirait " ce serait les tuer deux fois. "

Le socialisme est un combat. Un combat contre les vieilles habitudes réactionnaires profondément ancrées dans notre société. Et le Parti socialiste baigne dans cette société. Il peut être contaminé si nous ne sommes pas vigilant. C'est pourquoi le socialisme doit être un combat permanent parce que dès l'instant où nous relâchons notre attention les vieilles habitudes reviennent par toutes sortes de chemins et le Parti retourne à ses vieux démons.

François Mitterrand considérait qu'un appareil politique devait se renouveler tous les dix ans. Le Congrès d'Epinay a montré ce que pouvait être un renouvellement. Le Congrès de Rennes ce que peut être un délabrement. La question que je me pose est simple : allons nous vers un nouvel Epinay, un remake de Rennes ou un habile recollement des dépouilles ?

Le Parti socialiste doit retrouver son ame. Le PS est devenu frileux, peureux. Il a peur de tout ce qui est nouveau, de tout ce qui pourrait faire entrer un peu d'air frais. Il a peur des idées nouvelles, il a peur des associations, il a peur des audaces des jeunes, il a peur des paroles des femmes. Il a peur de tous ceux qui sont différents parce qu'il faudrait les écouter, leur faire de la place. Et une place pour ces nouveaux venus c'est une place en moins pour ceux qui sont déjà là. Ce qui est nouveau, dérange.

Déjà Leon Blum s'adressant aux socialistes lors d'un congrès disait " vous avez peur des jeunes et des femmes ". C'est dire que cette peur ne date pas d'hier. On peut la chasser un moment, mais elle revient comme si c'était dans la nature profonde de notre appareil.

C'est pourquoi il nous faut un nouvel Epinay. Un NPS. Nous voulons qu'il soit en rupture avec certaines pratiques, certains comportements, certaines façons de dire une chose et d'en faire une autre, de voter un texte un jour et de le bafouer le lendemain. Il faut cesser de laisser certaines situations se dégrader, dans les fédé, dans les sections, alors que l'on aurait les moyens de les sauver.

Enfin Chers camarades, méfions nous de certains malentendus qui nous plombent.

Malentendu à propos de la liberté et de l'égalité.

La liberté est une de nos valeurs premières. Mais nous ne donnons pas tous la même signification à ce mot. Les courants libertaires, libéraux, ont embrouillé nos idées. J'entends parler de la liberté de la prostituée. Où est sa liberté quand on connaît la puissance des réseaux mafieux qui la manipulent, la terrorisent, l'exploitent, quand on connaît l'indulgence des pouvoirs publics, de la police, la connivence masculine générale ? Qu'est ce que la liberté de l'enfant d'un milieu défavorisé, à entreprendre des études, quand on connaît ses conditions de vie, et la force des modèles de reproduction ? Que pèse la liberté du plus faible devant la liberté du plus fort ? Faut il respecter la liberté du renard dans le poulailler ?

Autre ambiguïté quand nous parlons d'égalité. Je n'ai toujours pas compris comment les inégalités se creuser alors que nous étions aux affaires. Pourtant nous avons su créer de nombreux soutiens, allocations diverses pour les plus démunis, RMI, couverture universelle, etc…Mais faute de volonté politique pour s'attaquer aux racines mêmes des inégalités nous avons tout juste rendu plus supportables les conditions de vie des plus démunis. Nous aurions pu lancer de grands programmes - des actions positives - en faveur des enfants les plus défavorisés en les suivant dès la toute petite enfance jusqu'au bac et au delà. Nous aurions alors du même coup diversifier notre population universitaire. Mais pour cela il fallait défier le Conseil Constitutionnel férocement opposé au principe de discrimination positive. Nos " sages " interdisent l'usage de ce principe pour réduire les inégalités… au nom du principe de l'Egalité… Allez expliquer cela dans nos réunions de quartiers.

Autre exemple. Bien connu de tous : celui des allocations familiales.

Au nom de l'égalité les sommes versées aux familles sont les mêmes pour tous le monde. Sauf que dans une famille, les allocations familiales seront dépensées en une après midi chez le coiffeur et dans une autre à régler l'ardoise de l'épicier. Ou est l'égalité ? Ou est la justice ? Il y a quelques années j'avais réussi à convaincre Lionel Jospin de la nécessité de plafonner les allocations familiales en fonction des revenus… Et je l'ai convaincu… l'espace de quelques heures. Ses conseillers l'ont rapidement remis sur les railset convaincu qu'il allait faire de la peine aux puissantes organisations familiales, conservatrices en majorité. Dans notre système de pouvoir, un conseiller de cabinet, sans aucune expérience, fraîchement sorti de l'Ena a plus de pouvoir qu'un député blanchi sous le harnais.

Chers camarades,
Nous avons été trop timides, nous avons été trop frileux.
N'ayons pas peur de l'adversaire. Osons le défier. Quel qu'il soit. Fut il le plus élevé dans la hiérarchie du pouvoir.

Si je suis ici aujourd'hui c'est parce qu'un jour un camarade parlementaire a eu l'audace, le courage de défier le Président de la République en lui disant " vous n'etes pas au dessus des lois " " Un juge veut vous interroger, répondez lui, s'il vous plait " . Moi j'ai trouvé ça épatant ! Et j'ai dit à Arnaud parce que c'est de lui qu'il s'agit. " Je signe avec toi ". Nous savions que nous n'irions pas loin mais c'était le sursaut de la dignité des parlementaire. Et savez vous ce qui c'est passé ? Des dignitaires du PS de très haut niveau sont venus nous menacer " si vous ne renoncez pas vous n'aurez pas votre investiture ". Cela ne m'a pas impressionnée d'abord il m'en faut un peu plus ensuite je n'avez pas l'intention de me représenter. Trois mandats ça suffit.

Les exemples de notre frilosité sont multiples. On parle partout des bienfaits miraculeux des biotechnologies. On va pouvoir, on peut déjà, guérir des maladies jusque là incurables. Il faut autoriser ce que l'on appelle improprement le clonage thérapeutique qui n'a rien a voir avec le clonage reproductif. Et il faut pour cela disposer d'ovocytes. Il faut donc réglementer et vérifier que les femmes donneuses sont consentantes comme on le fait pour les dons d'organes.

Cela s'est passé juste avant les élections Présidentielles...
Lionel Jospin s'était déclaré favorable au clonage thérapeutique. Mais le Président de la République y était opposé. Les conseillers du Premier Ministre ont pris peur et l'ont fait reculer. Aujourd'hui la recherche est en panne. Nos chercheurs partent à l'étranger.

Chers camarades, Nous l'avons tous entendu. On nous propose un parti qui fasse 30%. Qui va être contre ? Mais comment fait -on ? Avec qui ? Ca se décide comment ? On peut tout faire avec un texte de Congrès. C'est autre chose lorsqu'il s'agit de passer à l'acte.

Dire ce que l'on fait, faire ce que l'on dit.

Voyez ce que notre Parti a fait de la Parité. .Laurence en parlera mieux que moi. Le Premier secrétaire avait promis 40 % de candidates, puis ce fut 36 et finalement nous avons eu 29,8 % de femmes socialistes candidates et le pourcentage à l'Assemblée à augmenter de 1 %. De 10,91 à 11,78 %. Dans 200 ans a cette allure peut être.

Que s'est il passé ? Une fois les annonces faites on a puisé dans le contingent femmes pour négocier avec la gauche plurielle. On a fait se retirer certaines candidates qui étaient déjà parties en campagne. On a préféré payer l'impôt femmes " comme les entreprises achètent le droit de polluer selon la superbe expression d'une camarade, cela s'est fait tranquillement, impunément. Le camarade négociateur occupe aujourd'hui de très hautes responsabilités dans le Parti. Les occupera t-il demain ? Peut-on poser la question ? Est ce politiquement correct ?

On s'étonnera après de tels comportements de voir le chiffre des déçus du socialisme augmenter. Les abstentions se multiplier.

Un changement est indispensable.
Mais tout le monde n'aime pas le changement et je vois bien ici et là que certains pensent que l'on peut sans trop bouger, retrouver le pouvoir. Et la Droite va nous y aider.

La nouvelle droite - qui n'est pas autre chose que la vieille droite de toujours sous ses airs bonhommes, - est en train d'afficher dramatiquement, ses préférences : baisse de l'Impôt sur les grandes fortunes, abandon de l'amendement Michelin, licenciements en cascades. Son incompétence diplomatique éclate au grand jour en Côte d'Ivoire, et les méthodes sarkoziennes qui consistent à cogner de préférence sur les plus faibles d'entre nous commencent à faire réfléchir certains citoyens. C'est tellement plus facile de sanctionner une prostituée que la misère et la pauvreté aura jetée sur le trottoir, que de pourchasser le souteneur, démanteler ses réseaux.

Les Français ayant pris l'habitude de l'alternance, il n'est pas impossible - et c'est ma grande crainte - que certains d'entre nous se reposent dans cette perspective. Pourquoi faudrait-il changer nos comportements alors qu'il suffit d'être attentifs aux sondages d'opinion, aux résultats des élections partielles pour retrouver l'ivresse du pouvoir. Il suffit pour le prochain congrès de sortir un texte bien tourné - et on sait écrire et on n'est pas sot. On me dit que certains socialistes seraient dans cet état d'esprit, mais bien sur je n'en crois rien.

Mes chers camarades,

Voulons nous retrouver notre fierté de socialistes ?

Alors osons, proposons, défions, construisons un nouveau parti.

Inspirons nous d'Epinay.



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