Peuples d' Europe :
bienvenue dans l'Union !




Point de vue de Bernard Poignant et Gilles Savary, députés au Parlement Européen, paru dans les pages " Débats " du quotidien Le Monde daté du 10 octobre 2002



Bernard
Poignant


Gilles
Savary




Ah ! Si l'Europe pouvait ne s'élargir qu'aux pays riches ! Leur arrivée serait facile à présenter aux peuples. Personne n'a rien dit quand l'Autriche, la Suède et la Finlande se sont jointes à nous en 1995. Cher Arnaud Montebourg, cher Christian Paul, les vaches à lait nous conviennent si le lait des vaches ne nous coûte rien.

C'est vrai qu'accueillir dix nouveaux membres peut inquiéter. Mais avez-vous vu de qui il s'agit ? La Tchéquie et Prague abandonnées à Hitler puis à l'URSS ; la Hongrie et Budapest écrasées en 1956 ; la Pologne et Varsovie, qui ont ébranlé la dictature communiste en 1980 et réveillé la liberté des peuples.

Vous oubliez aussi le 9 novembre 1989 : ce jour-là, le peuple a décidé du premier élargissement qui n'a pas eu besoin de textes, d'articles, de traités, de technocrates ou de bureaucrates. La réunification de l'Allemagne a ouvert la porte de l'Histoire. Vous pouvez parler de lait, de viande, de poisson ou de toute autre chose, nous nous souvenons de notre joie ce jour-là : le totalitarisme s'effondrait.

Les Espagnols nous ont rejoints quand Franco a disparu ; les Portugais, quand Salazar et Caetano ont rendu les armes. Venez voir Mario Soarès au Parlement européen, vous rencontrerez l'essentiel de la vie : le pain, la paix, la liberté. Excusez du peu : c'est le slogan du Front populaire en 1936.

Les Grecs aussi sont arrivés quand les colonels ont abandonné le pouvoir. Comme demain les pays des Balkans adhéreront à l'Union européenne parce que le tyran Milosevic est devant le Tribunal international. Il leur faut un peu de temps pour se reconstruire, et nous les aidons. A ce moment-là, il ne faudra pas protester : l'élargissement à ces pays est déjà en marche. Bref, l'Europe ne s'élargit pas, elle se réunifie.

Nous n'aimons pas plus que vous cette mondialisation gangrenée par la spéculation, le lucre, les mafias et le cynisme marchand. Mais comment imaginer qu'une France boutiquière, conservatrice de gauche et de droite, réduite à l'addition de ses égoïsmes corporatistes et de ses clientélismes électoraux, renoncerait à son message universel de solidarité, de liberté et de démocratie ? Comment insinuer qu'une France " d'en bas " puisse prétendre y faire face seule et compter encore dans le vaste monde ?

Comment oser laisser aux portes closes de notre opulence et de nos émollients conforts domestiques ces peuples d'Europe qui ont subi tant d'épreuves et consenti tant de sacrifices admirables, pour échapper précisément aux désordres et aux dangers du monde qui nous entoure ?

Comment, même en comptabilité d'épiciers, ne pas voir notre intérêt à y consolider la démocratie et la paix, à y élever le niveau de vie pour contenir pressions migratoires et délocalisations d'entreprises, à y garantir notre sécurité en modernisant leurs industries, en assainissant leur agriculture, etc. ?

Ne rejoignez pas la cohorte des chagrins, des avaricieux et des oiseaux de mauvais augure, pas vous, pas nous, socialistes !

Ce n'est sans doute pas facile d'expliquer à nos Bourguignons, nos Aquitains et nos Bretons que la PAC de 1962 a fait son temps !

Ne cédez pas à la démagogie ; dites-leur la vérité : qu'élargissement ou pas, la PAC de 1962 est déjà révolue parce que les Européens veulent une autre agriculture, parce que nous sommes en surproduction et puis, tout simplement, parce que la France, parce que Jacques Chirac en a accepté la réforme future au sommet de Berlin le 27 mars 1999 !

Aidez plutôt nos agriculteurs à la sauver et à se sauver eux-mêmes en choisissant une agriculture plus durable, plus respectueuse de l'environnement et de la ressource en eau, plus soucieuse de qualité et de sécurité alimentaires, plus favorable aux territoires difficiles et aux petits exploitants, que la PAC a décimés sur l'autel du productivisme.

Encouragez-les justement, pour préparer l'élargissement de 2004, à ouvrir la discussion sur la réforme dès aujourd'hui, à mi-parcours.

A vouloir désespérer Varsovie et le Charolais, avec de tels arguments, vous nous faites douter de la voie référendaire. Mais quel référendum au fait ? Un référendum par Etat membre soumis à quinze humeurs nationales ? Ou un référendum pour l'histoire, un vrai référendum européen à 15 ou au mieux encore à 25, un homme, une voix. Chiche, chers camarades démocrates.
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