Université d’été de la communication - Hourtin (21 août 2000)

Catherine Tasca
Ministre de la culture et de la communication




 

Je suis heureuse d’ouvrir cette 21e Université d’été de la Communication. A chaque édition, je constate avec plaisir que la manifestation s’enrichit de présentations et de débats nouveaux. Elle est plus que jamais un rendez-vous où se côtoient les professionnels de la communication, les élus, les industriels, les créateurs, les éducateurs. Tous ont conscience que d’importants changements sont à l’œuvre et que nous sommes en présence d’une puissante dynamique dont nous devons maîtriser le cours.

Me situant dans cette perspective, je me réjouis que vous ayez choisi cette année de placer ces rencontres sous la devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Faire ce choix, c’est d’emblée donner la préséance au projet politique. Chacun des trois mots qui la composent constitue un idéal qui ne trouve sa pleine expression que s’il est associé aux deux autres. Comme le dit si bien le Président de la Ligue de l’Enseignement dans l’introduction de votre programme, c’est de leur « entrelacement » qu’ils tirent vigueur.

Se référer à cette devise en soulignant sa portée universelle, c’est rappeler que la construction du lien social et du lien politique a d’abord à faire avec les idées. La culture a partie liée avec ce que nous appelons aujourd’hui « la communication ». Se cultiver, c’est, d’une certaine façon, se connecter, aller à la rencontre d’une œuvre, d’une pensée pour mieux les partager avec d’autres. Quelle serait donc une société qui, se disant d’information et de communication, se ferait sans se préoccuper des contenus et des programmes qui seuls peuvent lui donner un sens ?

Les techniques avancent aujourd’hui au pas de charge, bousculant et irriguant tout à la fois notre société. Et il est vrai que si nous en avons la volonté, elles peuvent contribuer à renouveler la création, à ouvrir plus largement l’accès à la connaissance, à développer de nouveaux échanges, à favoriser de nouvelles solidarités. « Liberté, Egalité, Fraternité » peuvent y puiser de nouvelles ressources.

Mais nous voyons bien que ces techniques peuvent aussi susciter des craintes et des tentations de rejet. Le risque est réel de voir les espaces qu’elles ouvrent être déterminés par la seule logique marchande ou par ceux qui veulent établir de nouvelles dominations, voire par ceux qui veulent raviver les idéologies de la haine. Loin de rapprocher, elles peuvent alors isoler, faire « écran », exclure davantage encore les plus démunis.

Les enjeux sont immenses. La tâche est passionnante. S’agissant des pouvoirs publics et plus particulièrement du ministère dont j’ai la charge, cette tâche peut s’articuler autour de trois idées directrices que je souhaite développer ici.

 La première consiste à créer, et c’est ambitieux, ce que j’appellerais « un espace culturel numérique» dense ;
 La deuxième, à faire en sorte que cet espace soit accessible au plus grand nombre et réducteur d’inégalités et non l’inverse ;
 La troisième, à définir et à mettre en œuvre les modes de régulation bien adaptés sans lesquels il n’y a pas de vraies libertés.

Nous devons en effet construire
un espace numérique culturel dense, pluriel,
auquel la richesse et la diversité de la création
donneront sa dynamique et sa légitimité.

Le numérique, notamment l’internet, ouvre une voie d’accès majeure et sans précédent au savoir, à tous les savoirs et à l’information. Le devoir de l’État est de favoriser, et d’assurer pour la part qui lui revient, la numérisation des grands gisements de données culturelles ainsi que la migration réussie des médias existants vers l’ensemble des nouveaux supports. N’oublions pas que journaux et publications constitueront sans doute durablement la principale source de collecte d’informations et de référence en matière de déontologie, de même que les grandes chaînes de télévision assurent l’essentiel du financement de la création audiovisuelle et cinématographique.
De leur présence dépend donc, pour une large part, la richesse et la variété des contenus qui seront accessibles sur les réseaux.

À ce titre, la constitution d’une offre publique, dans l’audiovisuel et sur l’internet, disponible pour le plus grand nombre, permettra d’asseoir le socle d’une culture commune et de transmettre la mémoire collective. C’est une nécessité forte.

J’attache une grande importance au service public de l’audiovisuel et à sa mission propre. La loi sur l’audiovisuel qui vient d’être votée réaffirme cette conviction et donne à France Télévision un cadre bien adapté à sa mission et à son développement, notamment pour les nouveaux services sur le numérique hertzien terrestre.

Ce sont les mêmes considérations qui nous conduisent à enrichir l’offre publique sur l’internet et en tout premier lieu l’offre culturelle. Les actions de numérisation conduites par mon ministère seront renforcées en 2001, notamment en collaboration avec les collectivités territoriales. La région Aquitaine est d’ailleurs exemplaire en la matière et je salue la qualité du contrat de plan signé entre l’État et la Région, sous l’impulsion de son Président, Alain Rousset.

Au passage, je veux souligner que cette ambition requiert aussi l’équilibre des moyens. Et pour l’audiovisuel public, une des questions prioritaires est celle du financement. Un débat a été ouvert. Je souhaite le redire ici : il n’y a pas de secteur public fort et dynamique sans un financement autonome et solide. Supprimer la redevance n’est assurément ni politiquement, ni économiquement la juste réponse à ce besoin. La même question se posera aussi pour l’offre publique de contenus sur l’internet. Nous devrons trouver des solutions adaptées sans recourir systématiquement au budget de l’Etat, même si bien entendu, il doit y prendre sa part.

Il faut également que la création vienne nourrir et enrichir l’offre de contenus. Nous vivons une période de forte créativité dans les domaines artistiques comme dans la plupart des secteurs d’activité de notre société. De nouvelles formes de création émergent, se situant au confluent de différentes disciplines. Beaucoup d’entre elles rencontrent les technologies multimédias dont elles tentent de tirer profit.

Je souhaite que le ministère de la culture se rende plus accessible à ces nouvelles démarches, à ces esthétiques renouvelées. C’est pourquoi, dès le début de l’année 2001, je mettrai en place un dispositif commun à l’ensemble des directions du ministère, qui permettra de mieux prendre en compte ces objets artistiques encore mal identifiés, et de leur apporter si nécessaire soutien financier et conseils.

Je suis aussi frappée de la créativité qui s’exprime au sein de nombreuses jeunes entreprises multimédias. La France a dans ce domaine des atouts indéniables et certaines d’entre elles sont déjà des références internationales. L’action du gouvernement en faveur de la création d’entreprises, notamment grâce à la loi sur l’innovation, a suscité l’apparition, sur l’ensemble du territoire, de pépinières et d’incubateurs d’entreprises qui sont sources d’emplois d’un type nouveau, tout particulièrement pour les jeunes. Le ministère de la culture et de la communication est bien décidé à soutenir le développement de ces pôles innovants et j’ai demandé au Centre national de la cinématographie, qui vient de créer une direction du multimédia, de mettre en place en 2001 un dispositif particulier en direction de ces structures.

J’ai également souhaité avec mes collègues chargés de la recherche et de l’industrie que soit mis en place, avant la fin de l’année, un Réseau national de recherche en audiovisuel et en multimédia qui associera étroitement ces nouvelles entreprises. Mon ministère y mettra toutes ses compétences. À ce titre, le CNC, la nouvelle Direction du développement des médias (ex SJTI), l’INA mais aussi la Cité des sciences et de l’industrie et la BNF y collaboreront activement.

Cette offre, ces modes nouveaux
d’accès au savoir et à la culture,
ne doivent pas être la source de nouvelles exclusions,
d’inégalités accrues
mais au contraire viser à les réduire.

Comme il l’avait dit ici-même en 1997, Lionel Jospin a fait de la lutte contre « l’inégalité numérique » un des objectifs majeurs de la politique du gouvernement.

Aujourd’hui, l’usage et l’appropriation de ces technologies sont encore fortement inégalitaires. Les machines sont chères, leur utilisation n’est pas aisée pour l’ensemble de la population, les connexions pourraient être meilleur marché. Être tenu à l’écart de ces moyens nouveaux, c’est, le plus souvent, être exclu des modes traditionnels d’accès au savoir, à la culture, et des nouveaux modes qui permettraient de donner une seconde chance.

La lutte contre "l'inégalité numérique" passe notamment par le développement des lieux publics permettant l’accès à l’internet. Cela permet de lutter contre deux formes d'exclusion : celle, bien sûr, qui est due au manque d'équipement de certains foyers, souvent les plus démunis ; celle aussi que suscite la solitude face à l'écran.

Au total, ce seront 3 milliards de Francs qui seront consacrés à cet objectif. Plus de 7000 lieux publics permettant un accès à l'internet seront ouverts d'ici à 2003. Le ministère de la culture et de la communication est pionnier en la matière et développe dans toute la France un programme d'Espaces culture multimédia qui connaît un large succès. En 2001, ce programme et sa mise en réseau seront renforcés. Nous espérons doubler le nombre de ces espaces et passer ainsi de 110 ouverts aujourd'hui à 220. Il s'agit pour nous de constituer un réseau de référence.

Plus généralement, je fais de la connexion à bon débit de l'ensemble des lieux culturels une de mes priorités. Nous avons beaucoup à faire : bibliothèques, scènes du spectacle vivant, lieux culturels divers, écoles d'art, tous ces lieux ont besoin de connexion à bons débits pour que les usages culturels du réseau se développent. Dans ce domaine, la qualité des "outils" influe directement sur la qualité des usages. C’est pourquoi le gouvernement a demandé aux opérateurs de télécommunications de concéder des tarifs préférentiels aux bibliothèques et aux Espaces culture multimédia. En outre, un accord a été passé avec RENATER, le réseau pour l’enseignement et la recherche, pour que les écoles d’art, sur l’ensemble du territoire, soient bien connectées.

Lutter contre ces inégalités, c’est également veiller à ce que les technologies ne se « referment » pas sur les utilisateurs, pour les enfermer au cœur d’une offre spécifique, à laquelle ils devraient rester attachés et qu’ils devraient payer. C’est pourquoi la loi sur l’audiovisuel privilégie les chaînes gratuites et fait en outre obligation aux diffuseurs de transporter les programmes d'intérêt général, (le "must carry"). Dans le même souci d’ouverture, elle impose la compatibilité technique des décodeurs et des guides de programmes.

Promouvoir un meilleur accès, c'est également donner aux outils nouveaux une meilleure ergonomie. Les utilisateurs doivent notamment disposer d’instruments performants qui leur permettent d'accéder aux contenus dans leur langue. De gros efforts demeurent à réaliser en matière de logiciels linguistiques, d'indexation, de filtrage de l'information. Nous étions en avance. Je ne suis pas certaine que ce soit toujours le cas. Je souhaite que le nouveau réseau de recherche en audiovisuel et multimédia s'attache à cette question et je remercie le Conseil supérieur de la langue française qui a fait au gouvernement des propositions très intéressantes en la matière.

De même, les publics les plus défavorisés, je pense notamment aux malvoyants, doivent pouvoir bénéficier de ces possibilités nouvelles. Je saisis cette occasion pour saluer le travail de l'association BRAILLE-NET, présente à Hourtin avec laquelle nous travaillons pour rendre les contenus culturels plus facilement accessibles.

Cette problématique de l’égalité d’accès est vaste et diverse et j’ai décidé de la placer au cœur de toutes mes actions dans ce secteur.

Pour parvenir à une société de l’information
créative, solidaire et républicaine,
j’ai la conviction qu’il nous faut des lois
et des modes de régulation bien adaptés,
sans lesquels il n’y a pas de liberté

.
Informer, communiquer, c’est transmettre des signes, des codes, des formes et des normes qui contribuent à façonner l’imaginaire collectif et individuel. Toute société démocratique et responsable doit s’interroger sur qui fabrique, maîtrise la diffusion et la mise en mémoire de ces signes et de ces formes ; elle doit trouver les moyens d’éviter que derrière les allures libertaires d’une « société dérégulée », se cache en vérité, la simple et brutale expression des rapports de force économiques et sociaux du moment.
Depuis deux décennies, la France et l’Europe, avec clairvoyance, se sont dotées de lois et de systèmes de régulation assez efficaces en faveur de la qualité et de la diversité des contenus, que ce soit dans l’audiovisuel ou par exemple dans l’édition, avec pour certains pays le prix unique du livre. Elles l’ont fait avec pour principaux objectifs le soutien à la création, le pluralisme de l’information, le maintien d’un potentiel national dans le secteur des médias, le contrôle des concentrations.

Avec l’internet et les nouveaux réseaux, certains doutent aujourd’hui de la légitimité et de l’efficacité de ces « règles » et, dans une phase de forte croissance et d’innovation qui suscite des investissements et des projets importants, les groupes financiers et industriels voudraient parfois s’en affranchir ou au moins les contourner. Ils font là, je le crois, un calcul à court terme. Économiquement, la dérégulation ne peut qu’affaiblir la production de contenus, rendre les investissements plus aléatoires et restreindre par là même le champ de la nouvelle économie. Et sur un plan politique, elle mettrait inévitablement à bas nos priorités en matière de concurrence, de pluralisme et de diversité culturelle.

Les technologies ont beau changer, nous avons toujours besoin de lois et de régulation. Celles-ci doivent certes être actualisées. Mais nous ne pouvons renoncer à nos exigences concernant ce qu’on appelle l’intérêt général qui ne saurait se résumer aux seuls intérêts économiques.

Il nous faut donc, par la concertation avec l’ensemble des acteurs, adapter le dispositif à l’ère du numérique. En fixant le régime juridique du câble, du satellite et du numérique hertzien, la loi adoptée le 30 juin dernier a marqué une étape décisive. Le législateur y renouvelle sa confiance dans la régulation : il organise la coopération entre le CSA et le Conseil de la concurrence pour le contrôle des concentrations et donne au CSA la responsabilité de construire le paysage des nouvelles chaînes nationales et locales selon les priorités définies par la loi.

Il reste à tirer toutes les conséquences du développement de la communication en ligne. Pour ma part, je crois qu’en tant que média, l'internet relève fondamentalement de la liberté de communication et des principes inscrits dans la loi de 1986 qui garantissent cette liberté dans le respect du pluralisme de l'information et de la diversité culturelle, de l’ordre public, et de la protection de l'enfance. C’est là le socle commun à toutes les formes de communication au public. S’agissant par exemple des hébergeurs, le Conseil constitutionnel a jugé insuffisamment précise l’une des dispositions votées en juin dernier mais je note qu’il a pleinement validé le souci du gouvernement et du député Patrick Bloche de concilier la protection contre les contenus illicites et un régime de responsabilité adapté aux spécificités du réseau.

De même, il nous faudra bien prendre en considération le fait que les contenus véhiculés sur l’internet ont le plus souvent une dimension culturelle. Assurer la sécurité des réseaux et du commerce électronique, c'est, pour une grande part, assurer la sécurité des activités relatives au commerce des biens culturels ou d'information. Livre, musique, presse, audiovisuel, bientôt le cinéma, sont les premiers à être dématérialisés. Cela donne au droit de la propriété intellectuelle et artistique, par essence le droit de l’immatériel, et aux modalités de son application, un rôle essentiel dans la société de l’information. Il me revient d’y veiller.

Je ne crois d’ailleurs pas que les droits des créateurs s’opposent par nature aux intérêts légitimes des investisseurs. Je remarque que dans de très nombreux cas, les concertations et les négociations permettent de trouver un accord. C’est aujourd’hui le cas, par exemple, pour la plupart des grands titres de la presse écrite. Rencontrer, écouter, concerter, négocier, puis le moment venu, décider : telle est la méthode du gouvernement de Lionel Jospin. Elle sera appliquée là comme ailleurs. Pour les adaptations de ce droit, il conviendra de soutenir dans une même dynamique la création et la diffusion, sans rien céder sur les principes. C’est la position que nous avons tenue au niveau européen dans la négociation de la directive sur les droits d’auteur.

Dans la société de l’information, l’économie et la culture ont donc partie liée bien plus qu’il n’y paraît. C’est une « nouvelle économie » certes, mais qui doit se nourrir de contenus à forte valeur ajoutée qu’une « liberté » sans règle ne pourrait que tarir. C’est pourquoi mon ministère prendra une part essentielle à l’élaboration du projet de loi sur la société de l’information. Piloté par le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, ce projet concerne également le Ministère de la Justice car la protection des droits de la personne en est une composante essentielle.

Il me faut conclure. Nous sommes dans une phase de transition, de recherche et d’expérimentation. Nous avons fait nôtre l’expression « Société de l’Information » en sachant bien que ce label ne suffit pas à garantir que demain notre société sera plus libre, plus égalitaire, plus fraternelle. Aucune technologie n’assure par elle-même un monde meilleur. Il dépend de nous tous, pouvoirs publics, opérateurs privés, citoyens, que notre société soit avant tout, je dirais, une « société de culture » au singulier et au pluriel. Nous devons y réfléchir tous ensemble. Le député Christian Paul a remis récemment au Premier ministre un rapport qui ouvre des pistes intéressantes sur la corégulation de l’internet et propose la création d’un organisme qui pourrait contribuer utilement à ces réflexions. Le gouvernement étudie actuellement ses propositions.

Quel peut être le projet d’une société techniquement et économiquement développée si ce n’est de viser à la fois l’émancipation individuelle et la cohésion sociale ?

Pour nous, liberté signifie bien autre chose que libertaire ou libéral, Egalité bien autre chose qu’une simple équité procédurale, Fraternité bien autre chose que compassion. Cela ne se fera pas sans difficultés, nous savons que le chemin qui conduit vers ces idéaux est « montant, sablonneux, malaisé » (La Fontaine). Nous avons la force de notre conviction.

Telles sont les idées qui fondent mon action à la tête du Ministère de la Culture et de la communication.

Je remercie les organisateurs d’Hourtin 2000 de m’avoir donné l’occasion de les exprimer et je leur souhaite de pleinement réussir avec tous les participants leur 21e édition.


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