| Je suis heureuse douvrir cette 21 e Université dété de la Communication. A chaque édition, je constate avec plaisir que la manifestation senrichit de présentations et de débats nouveaux. Elle est plus que jamais un rendez-vous où se côtoient les professionnels de la communication, les élus, les industriels, les créateurs, les éducateurs. Tous ont conscience que dimportants changements sont à luvre et que nous sommes en présence dune puissante dynamique dont nous devons maîtriser le cours. Me situant dans cette perspective, je me réjouis que vous ayez choisi cette année de placer ces rencontres sous la devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Faire ce choix, cest demblée donner la préséance au projet politique. Chacun des trois mots qui la composent constitue un idéal qui ne trouve sa pleine expression que sil est associé aux deux autres. Comme le dit si bien le Président de la Ligue de lEnseignement dans lintroduction de votre programme, cest de leur « entrelacement » quils tirent vigueur. Se référer à cette devise en soulignant sa portée universelle, cest rappeler que la construction du lien social et du lien politique a dabord à faire avec les idées. La culture a partie liée avec ce que nous appelons aujourdhui « la communication ». Se cultiver, cest, dune certaine façon, se connecter, aller à la rencontre dune uvre, dune pensée pour mieux les partager avec dautres. Quelle serait donc une société qui, se disant dinformation et de communication, se ferait sans se préoccuper des contenus et des programmes qui seuls peuvent lui donner un sens ? Les techniques avancent aujourdhui au pas de charge, bousculant et irriguant tout à la fois notre société. Et il est vrai que si nous en avons la volonté, elles peuvent contribuer à renouveler la création, à ouvrir plus largement laccès à la connaissance, à développer de nouveaux échanges, à favoriser de nouvelles solidarités. « Liberté, Egalité, Fraternité » peuvent y puiser de nouvelles ressources.
Mais nous voyons bien que ces techniques peuvent aussi susciter des craintes et des tentations de rejet. Le risque est réel de voir les espaces quelles ouvrent être déterminés par la seule logique marchande ou par ceux qui veulent établir de nouvelles dominations, voire par ceux qui veulent raviver les idéologies
de la haine. Loin de rapprocher, elles peuvent alors isoler, faire « écran », exclure davantage encore les plus démunis.
Les enjeux sont immenses. La tâche est passionnante. Sagissant des pouvoirs publics et plus particulièrement du ministère dont jai la charge, cette tâche peut sarticuler autour de trois idées directrices que je souhaite développer ici.
La première consiste à créer, et cest ambitieux, ce que jappellerais « un espace culturel numérique» dense ;
La deuxième, à faire en sorte que cet espace soit accessible au plus grand nombre et réducteur dinégalités et non linverse ;
La troisième, à définir et à mettre en uvre les modes de régulation bien adaptés sans lesquels il ny a pas de vraies libertés.
Nous devons en effet construire un espace numérique culturel dense, pluriel, auquel la richesse et la diversité de la création donneront sa dynamique et sa légitimité.
Le numérique, notamment linternet, ouvre une voie daccès majeure et sans précédent au savoir, à tous les savoirs et à linformation. Le devoir de lÉtat est de favoriser, et dassurer pour la part qui lui revient, la numérisation des grands gisements de données culturelles ainsi que la migration réussie des médias existants vers lensemble des nouveaux supports. Noublions pas que
journaux et publications constitueront sans doute durablement la principale source de collecte dinformations et de référence en matière de déontologie, de même que les grandes chaînes de télévision assurent lessentiel du financement de la création audiovisuelle et cinématographique. De leur présence dépend donc, pour une large part, la richesse et la variété des contenus qui seront accessibles sur les réseaux. À ce titre, la constitution dune offre publique, dans laudiovisuel et sur linternet, disponible pour le plus grand nombre, permettra dasseoir le socle dune culture commune et de transmettre la mémoire collective. Cest une nécessité forte. Jattache une grande importance au service public de laudiovisuel et à sa mission propre. La loi sur laudiovisuel qui vient dêtre votée réaffirme cette conviction et donne à France Télévision un cadre bien adapté à sa mission et à son développement, notamment pour les nouveaux services sur le numérique hertzien terrestre.
Ce sont les mêmes considérations qui nous conduisent à enrichir loffre publique sur linternet et en tout premier lieu loffre culturelle. Les actions de numérisation conduites par mon ministère seront renforcées en 2001, notamment en collaboration avec les collectivités territoriales. La région Aquitaine est dailleurs exemplaire en la matière et je salue la qualité du contrat de plan signé entre lÉtat et la Région, sous limpulsion de son Président, Alain Rousset. Au passage, je veux souligner que cette ambition requiert aussi léquilibre des moyens. Et pour laudiovisuel public, une des questions prioritaires est celle du financement. Un débat a été ouvert. Je souhaite le redire ici : il ny a pas de secteur public fort et dynamique sans un financement autonome et solide.
Supprimer la redevance nest assurément ni politiquement,
ni économiquement la juste réponse à ce besoin.
La même question se posera aussi pour loffre publique de
contenus sur linternet. Nous devrons trouver des solutions adaptées
sans recourir systématiquement au budget de lEtat, même
si bien entendu, il doit y prendre sa part. Il faut également que la création vienne nourrir
et enrichir loffre de contenus. Nous vivons une période
de forte créativité dans les domaines artistiques
comme dans la plupart des secteurs dactivité de notre
société. De nouvelles formes de création émergent,
se situant au confluent de différentes disciplines. Beaucoup dentre
elles rencontrent les technologies multimédias dont elles
tentent de tirer profit. Je souhaite que le ministère de la culture se rende plus
accessible à ces nouvelles démarches, à ces esthétiques
renouvelées. Cest pourquoi, dès le début de
lannée 2001, je mettrai en place un dispositif commun
à lensemble des directions du ministère, qui
permettra de mieux prendre en compte ces objets artistiques encore mal
identifiés, et de leur apporter si nécessaire soutien financier et conseils. Je suis aussi frappée de la créativité qui sexprime au sein de nombreuses jeunes entreprises multimédias.
La France a dans ce domaine des atouts indéniables et certaines
dentre elles sont déjà des références
internationales. Laction du gouvernement en faveur de la création
dentreprises, notamment grâce à la loi sur linnovation,
a suscité lapparition, sur lensemble du territoire,
de pépinières et dincubateurs dentreprises
qui sont sources demplois dun type nouveau, tout particulièrement
pour les jeunes. Le ministère de la culture et de la communication est bien décidé à soutenir le développement de ces pôles innovants et jai demandé au Centre
national de la cinématographie, qui vient de créer une
direction du multimédia, de mettre en place en 2001 un
dispositif particulier en direction de ces structures. Jai également souhaité avec mes collègues chargés de la recherche et de lindustrie que soit mis en
place, avant la fin de lannée, un Réseau
national de recherche en audiovisuel et en multimédia qui
associera étroitement ces nouvelles entreprises. Mon ministère
y mettra toutes ses compétences. À ce titre, le CNC, la nouvelle Direction du développement des médias (ex SJTI), lINA mais aussi la Cité des sciences et de lindustrie et la BNF y collaboreront activement.
Cette offre, ces modes nouveaux daccès au savoir et à la culture, ne doivent pas être la source de nouvelles exclusions, dinégalités accrues mais au contraire viser à les réduire.
Comme il lavait dit ici-même en 1997, Lionel Jospin a fait de la lutte contre « linégalité numérique » un des objectifs majeurs de la politique du gouvernement. Aujourdhui, lusage et lappropriation de ces technologies sont encore fortement inégalitaires. Les machines sont chères, leur utilisation nest pas aisée pour lensemble de la population, les connexions pourraient être meilleur marché. Être tenu à lécart de ces moyens nouveaux, cest, le plus souvent, être exclu des modes traditionnels daccès au savoir, à la culture, et des nouveaux modes qui permettraient de donner une seconde chance. La lutte contre "l'inégalité numérique" passe notamment par le développement des lieux publics
permettant laccès à linternet. Cela permet de lutter contre deux formes d'exclusion : celle, bien sûr, qui est due au manque d'équipement de certains foyers, souvent
les plus démunis ; celle aussi que suscite la solitude face à
l'écran. Au total, ce seront 3 milliards de Francs qui seront consacrés
à cet objectif. Plus de 7000 lieux publics permettant un accès
à l'internet seront ouverts d'ici à 2003. Le ministère
de la culture et de la communication est pionnier en la matière
et développe dans toute la France un programme d'Espaces
culture multimédia qui connaît un large succès. En
2001, ce programme et sa mise en réseau seront renforcés.
Nous espérons doubler le nombre de ces espaces et passer ainsi
de 110 ouverts aujourd'hui à 220. Il s'agit pour nous de
constituer un réseau de référence. Plus généralement, je fais de la connexion à bon débit de l'ensemble des lieux culturels une de mes priorités.
Nous avons beaucoup à faire : bibliothèques, scènes
du spectacle vivant, lieux culturels divers, écoles d'art, tous
ces lieux ont besoin de connexion à bons débits pour que
les usages culturels du réseau se développent. Dans ce
domaine, la qualité des "outils" influe directement
sur la qualité des usages. Cest pourquoi le gouvernement
a demandé aux opérateurs de télécommunications
de concéder des tarifs préférentiels aux bibliothèques
et aux Espaces culture multimédia. En outre, un accord a été
passé avec RENATER, le réseau pour lenseignement
et la recherche, pour que les écoles dart, sur lensemble
du territoire, soient bien connectées. Lutter contre ces inégalités, cest également veiller à ce que les technologies ne se « referment
» pas sur les utilisateurs, pour les enfermer au cur dune
offre spécifique, à laquelle ils devraient rester attachés
et quils devraient payer. Cest pourquoi la loi sur laudiovisuel
privilégie les chaînes gratuites et fait en outre
obligation aux diffuseurs de transporter les programmes d'intérêt
général, (le "must carry"). Dans le même
souci douverture, elle impose la compatibilité technique
des décodeurs et des guides de programmes. Promouvoir un meilleur accès, c'est également donner aux outils nouveaux une meilleure ergonomie. Les utilisateurs
doivent notamment disposer dinstruments performants qui leur
permettent d'accéder aux contenus dans leur langue. De gros
efforts demeurent à réaliser en matière de
logiciels linguistiques, d'indexation, de filtrage de l'information.
Nous étions en avance. Je ne suis pas certaine que ce soit
toujours le cas. Je souhaite que le nouveau réseau de recherche
en audiovisuel et multimédia s'attache à cette question
et je remercie le Conseil supérieur de la langue française
qui a fait au gouvernement des propositions très intéressantes
en la matière. De même, les publics les plus défavorisés,
je pense notamment aux malvoyants, doivent pouvoir bénéficier
de ces possibilités nouvelles. Je saisis cette occasion
pour saluer le travail de l'association BRAILLE-NET, présente à
Hourtin avec laquelle nous travaillons pour rendre les contenus
culturels plus facilement accessibles. Cette problématique de légalité daccès est vaste et diverse et jai décidé de la placer au cur de toutes mes actions dans ce secteur.
Pour parvenir à une société de linformation créative, solidaire et républicaine, jai la conviction quil nous faut des lois et des modes de régulation bien adaptés, sans lesquels il ny a pas de liberté.
Informer, communiquer, cest transmettre des signes, des codes, des formes et des normes qui contribuent à façonner limaginaire collectif et individuel. Toute société démocratique et responsable doit sinterroger sur qui fabrique, maîtrise la diffusion et la mise en mémoire de ces signes et de ces formes ; elle doit trouver les moyens déviter que derrière les allures libertaires dune « société dérégulée », se cache en vérité, la simple et brutale expression des rapports de force économiques et sociaux du moment. Depuis deux décennies, la France et lEurope, avec clairvoyance, se sont dotées de lois et de systèmes de régulation assez efficaces en faveur de la qualité et de la diversité des contenus, que ce soit dans laudiovisuel ou par exemple dans lédition, avec pour certains pays le prix unique du livre. Elles lont fait avec pour principaux objectifs le soutien
à la création, le pluralisme de linformation, le
maintien dun potentiel national dans le secteur des médias,
le contrôle des concentrations.
Avec linternet et les nouveaux réseaux, certains
doutent aujourdhui de la légitimité et de lefficacité
de ces « règles » et, dans une phase de forte
croissance et dinnovation qui suscite des investissements et des
projets importants, les groupes financiers et industriels voudraient
parfois sen affranchir ou au moins les contourner. Ils font
là, je le crois, un calcul à court terme. Économiquement,
la dérégulation ne peut quaffaiblir la production
de contenus, rendre les investissements plus aléatoires et
restreindre par là même le champ de la nouvelle économie.
Et sur un plan politique, elle mettrait inévitablement à
bas nos priorités en matière de concurrence, de
pluralisme et de diversité culturelle.
Les technologies ont beau changer, nous avons toujours besoin de
lois et de régulation. Celles-ci doivent certes être
actualisées. Mais nous ne pouvons renoncer à nos
exigences concernant ce quon appelle lintérêt
général qui ne saurait se résumer aux seuls intérêts
économiques.
Il nous faut donc, par la concertation avec lensemble des
acteurs, adapter le dispositif à lère du numérique.
En fixant le régime juridique du câble, du satellite et
du numérique hertzien, la loi adoptée le 30 juin dernier
a marqué une étape décisive. Le législateur
y renouvelle sa confiance dans la régulation : il organise la
coopération entre le CSA et le Conseil de la concurrence pour
le contrôle des concentrations et donne au CSA la responsabilité
de construire le paysage des nouvelles chaînes nationales et locales selon les priorités définies par la loi.
Il reste à tirer toutes les conséquences du développement
de la communication en ligne. Pour ma part, je crois quen
tant que média, l'internet relève fondamentalement de la
liberté de communication et des principes inscrits dans la loi
de 1986 qui garantissent cette liberté dans le respect du
pluralisme de l'information et de la diversité culturelle, de lordre
public, et de la protection de l'enfance. Cest là le
socle commun à toutes les formes de communication au public. Sagissant
par exemple des hébergeurs, le Conseil constitutionnel a jugé
insuffisamment précise lune des dispositions votées
en juin dernier mais je note quil a pleinement validé le
souci du gouvernement et du député Patrick Bloche de
concilier la protection contre les contenus illicites et un régime
de responsabilité adapté aux spécificités
du réseau.
De même, il nous faudra bien prendre en considération
le fait que les contenus véhiculés sur linternet
ont le plus souvent une dimension culturelle. Assurer la sécurité
des réseaux et du commerce électronique, c'est, pour une
grande part, assurer la sécurité des activités
relatives au commerce des biens culturels ou d'information. Livre,
musique, presse, audiovisuel, bientôt le cinéma, sont les
premiers à être dématérialisés. Cela
donne au droit de la propriété intellectuelle et
artistique, par essence le droit de limmatériel, et
aux modalités de son application, un rôle essentiel dans
la société de linformation. Il me revient dy
veiller.
Je ne crois dailleurs pas que les droits des créateurs
sopposent par nature aux intérêts légitimes
des investisseurs. Je remarque que dans de très nombreux cas,
les concertations et les négociations permettent de trouver un
accord. Cest aujourdhui le cas, par exemple, pour la
plupart des grands titres de la presse écrite. Rencontrer, écouter,
concerter, négocier, puis le moment venu, décider : telle est la méthode du gouvernement de Lionel Jospin. Elle sera appliquée là comme ailleurs. Pour les adaptations de ce droit, il conviendra de soutenir dans une même dynamique la création et la diffusion, sans rien céder sur les principes. Cest la position que nous avons tenue au niveau européen dans la négociation de la directive sur les droits dauteur.
Dans la société de linformation, léconomie et la culture ont donc partie liée bien plus quil ny paraît. Cest une « nouvelle économie »
certes, mais qui doit se nourrir de contenus à forte valeur
ajoutée quune « liberté » sans règle
ne pourrait que tarir. Cest pourquoi mon ministère
prendra une part essentielle à lélaboration du
projet de loi sur la société de linformation.
Piloté par le Ministère de lÉconomie, des
Finances et de lIndustrie, ce projet concerne également
le Ministère de la Justice car la protection des droits de la personne en est une composante essentielle.
Il me faut conclure. Nous sommes dans une phase de transition, de recherche et dexpérimentation. Nous avons fait nôtre lexpression « Société de lInformation » en sachant bien que ce label ne suffit pas à garantir que demain notre société sera plus libre, plus égalitaire, plus fraternelle. Aucune technologie nassure par elle-même un monde meilleur. Il dépend de nous tous, pouvoirs publics, opérateurs privés, citoyens, que notre société soit avant tout, je dirais, une « société de culture » au singulier et au pluriel. Nous devons y réfléchir tous ensemble. Le député Christian Paul a remis récemment au Premier ministre un rapport qui ouvre des pistes intéressantes sur la corégulation de linternet et propose la création dun organisme qui pourrait contribuer utilement à ces réflexions. Le gouvernement étudie actuellement ses propositions.
Quel peut être le projet dune société techniquement et économiquement développée si ce nest de viser à la fois lémancipation individuelle et la cohésion sociale ?
Pour nous, liberté signifie bien autre chose que libertaire ou libéral, Egalité bien autre chose quune simple équité procédurale, Fraternité bien autre chose que compassion. Cela ne se fera pas sans difficultés, nous savons que le chemin qui conduit vers ces idéaux est « montant, sablonneux, malaisé » (La Fontaine). Nous avons la force de notre conviction.
Telles sont les idées qui fondent mon action à la tête du Ministère de la Culture et de la communication.
Je remercie les organisateurs dHourtin 2000 de mavoir donné loccasion de les exprimer et je leur souhaite de pleinement réussir avec tous les participants leur 21e édition. |