La Corse n'est pas un laboratoire

Daniel Vaillant
Le ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, défend à compter d'aujourd'hui et jusqu'à vendredi le projet de loi gouvernemental sur la Corse. Un vote solennel devrait clôturer les débats le 22 mai 2001. Le même jour, le nouveau parti nationaliste, Indipendenza, créé dimanche (13 mai) à Corte, se réunira pour arrêter sa position définitive sur le contenu du texte législatif.
 Entretien accordé au journal Libération daté du mardi mardi 15 mai 2001
 propos recueillis par Christophe Forcari et Didier Hassoux


 

Le projet de loi que vous présentez aujourd'hui n'est-il pas de moins en moins conforme au document approuvé le 20 juillet 2000 par l'Assemblée territoriale de Corse ?

Je suis arrivé place Beauvau en septembre et j'ai eu à mettre en œuvre ce relevé de conclusions que j'approuvais pleinement. J'ai élaboré un projet de loi, fidèle à ce texte et s'inscrivant dans le cadre de la Constitution. A toutes les étapes de sa rédaction, élus de l'île et parlementaires ont été associés dans la transparence, au grand jour. Nous avons été parfaitement fidèles aux engagements pris.

Le premier article de ce texte précise les conditions dans lesquelles l'Assemblée territoriale pourra exercer un pouvoir réglementaire et législatif. L'opposition et une partie de la majorité jugent cet article anticonstitutionnel...

Chacun a pu lire ce texte, le travailler et en mesurer la portée. Il est toujours possible de l'améliorer sans le dénaturer. La manière dont nous avons finalisé la rédaction de ce fameux article 1 pour accorder un pouvoir réglementaire élargi à la collectivité territoriale permet de maintenir le rôle du législateur et de ne pas interférer avec les compétences réglementaires que le Premier ministre tient de la Constitution. Pour ce qui est de l'adaptation des dispositions législatives, la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993 permet cette expérimentation. Il ne s'agit donc pas d'une «dévolution» du pouvoir législatif. Tout se fera sous le contrôle du Parlement. Ces dispositions donneront de nouvelles responsabilités aux élus de l'île, qui en rendront compte devant leurs électeurs.

Sur l'enseignement de la langue corse, le projet de loi n'est-il pas très en retrait, comparé au document du 20 juillet ?

La rédaction de cet article proposée par la commission des Lois après un travail parlementaire s'est éloignée du projet initial. La formulation législative qui traite de la langue polynésienne me paraît préférable. Elle a le mérite de la simplicité, n'impose pas d'obligation aux enfants mais engage l'Etat à enseigner cette langue. Un texte similaire peut s'appliquer à l'enseignement du corse dans l'ensemble des écoles maternelles et élémentaires.

En modifiant la loi «littoral», vous ne craignez pas d'ouvrir grand la porte aux promoteurs ?

Le littoral corse est le plus protégé et le moins urbanisé de France. Il est hors de question de porter atteinte à ce capital écologique qui représente en même temps une des chances de développement de la Corse, mais bien de rechercher l'équilibre optimal entre la protection et le développement en tenant compte de la géographie particulière de la Corse. Il faut enfin souligner que toute décision sera précédée d'une enquête publique. Dans ce cadre, je suis sûr que les Corses sauront prendre les bonnes décisions.

Pensez-vous rallier l'opposition sur ce projet de loi comme vous avez réussi à le faire sur le calendrier électoral ?

J'espère bien que le projet de loi sur la Corse sera adopté par les groupes de la majorité mais aussi par d'autres. Des personnalités de l'opposition se sont déjà exprimées en ce sens. Sur l'île, ce texte dépasse largement les clivages gauche droite.

A un moment ou à un autre, ne faudra-t-il pas consulter la population insulaire ?

Le gouvernement n'a jamais exclu le principe d'une consultation - ce que, toutefois, la Constitution ne permet pas d'organiser au niveau local. Lors de la deuxième phase, qui nécessitera une réforme de la Constitution en 2004, il appartiendra au président de la République de choisir, soit la voie référendaire, soit celle du Congrès. Je pense, aujourd'hui, comme le Premier ministre, que la voie d'un référendum est à privilégier.

Jacques Chirac a montré son opposition à ce texte en retardant son adoption par le Conseil des ministres. Cela vous a-t-il gêné ?

Que le président de la République s'exprime sur un projet de loi examiné en Conseil des ministres est tout à fait naturel. Comme lui, je suis attaché à l'unité de la République. J'ai toujours considéré que cette unité ne signifiait pas pour autant l'uniformité et la négation des différences. C'est cette même vision que le président de la République a d'ailleurs exprimée en décembre 1998 devant le conseil régional de Bretagne.

Il ne fait guère de doute que le Conseil constitutionnel sera saisi sur tout ou partie de votre projet de loi. Sa rédaction vous garantit-elle de toute censure ?

Nous avons pris les dispositions nécessaires pour que les engagements du relevé de conclusions du 20 juillet 2000 entre les élus insulaires et l'Etat s'inscrivent bien dans le cadre constitutionnel. D'autant que la spécificité corse a déjà été reconnue par les « sages » à l'occasion de la loi de 1991 portant sur le statut de la collectivité.

Le projet de loi annonce-t-il ce que le gouvernement veut faire en matière de décentralisation ?

La Corse bénéficie déjà d'un statut spécifique. Ses institutions et ses compétences la distinguent de celles des régions du continent. Ailleurs, les situations et les aspirations sont différentes. La Corse n'est pas le laboratoire de la décentralisation. Cela n'exclut pas que certaines dispositions puissent se retrouver dans les débats et les évolutions qui marqueront une nouvelle étape de la décentralisation. Mais quel que soit le contenu de cette nouvelle étape, la situation de la Corse justifiera toujours un statut particulier.

Le processus en cours et l'étape de 2004 sont conditionnés au maintien de la paix civile. Avez-vous des assurances de ce point de vue ?

L'arrêt de la violence politique sera un facteur décisif pour aborder la seconde phase. Personne ne pouvait croire qu'elle allait cesser du jour au lendemain. Ce qui rend confiant, c'est la dynamique engagée. En 2000, nous avons enregistré une baisse de deux tiers des attentats, comparé à 1995. Nous sommes revenus à des chiffres comparables à 1974, avant le drame d'Aléria. Evitons toute stigmatisation sans nuance. Les amalgames sont injustes et préjudiciables.

Au bout du processus, l'amnistie des « prisonniers politiques » est-elle envisagée ? Et, d'ici là, leur regroupement est-il possible ?

Le Premier ministre l'a dit de manière solennelle devant la représentation nationale : « L'amnistie n'est pas à l'ordre du jour. Elle ne le sera jamais s'agissant des assassins du préfet Claude Erignac. » S'agissant du regroupement des détenus, le Premier ministre a là aussi été très clair. Ceux dont le dossier est encore à l'instruction doivent rester à proximité des juges. Ceux déjà jugés et condamnés peuvent faire, pour des raisons familiales et humanitaires, des demandes de rapprochement. Elles sont examinées au cas par cas. Plusieurs ont déjà été satisfaites.

Pourquoi n'arrête-t-on pas Yvan Colonna ?

Six des sept auteurs présumés de l'assassinat du préfet Claude Erignac ont été arrêtés. Tout est fait, en Corse ou ailleurs, par les services de police pour retrouver le septième. Aucune piste n'est négligée.



Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]