La France en 2005
un diagnostic

Texte présenté et débattu au Conseil national du 20 mars 2005

  I. Une France inquiète
      1- Le poids du chômage
         Un sous-emploi structurel
         Un partage salaires/profits défavorable aux salariés
         Une compétitivité altérée

      2 - L’addition des inégalités
         Les inégalités de revenus et de patrimoines
         Les inégalités dans l’accès au savoir
         Les inégalités territoriales
         Les inégalités entre les hommes et les femmes
         Les inégalités générationnelles
         Les inégalités liées au handicap
         L’effritement de la protection sociale
         Le défi démographique

      3 - Les incertitudes du modèle républicain
         Le malaise démocratique
         Les difficultés de vivre ensemble
         L’aspiration à un environnement maîtrisé

II. La droite aggrave la crise
      1- L’avenir sacrifié
      2 - Un échec économique
      3 - Une impasse sociale
      4 - Des services publics menacés
      5 - Un recul aussi en matière de justice et de sécurité

III. Défis et atouts
      1- Dans quelle société vivons-nous ?
         Une société fragmentée
         Une société du travail émiettée
         Une société médiatisée
         Une société qui connaît une crise des valeurs collectives

      2 - Dans quel monde sommes-nous ?
         Un capitalisme mondialisé
         Unilatéralisme américain, réponse multilatérale
         Le défi européen

      3 - Quels sont nos atouts ?
         Les Français et les Françaises eux-mêmes
         La qualité de nos infrastructures et de nos services publics
         Notre puissance économique mondiale
         La France est un pays qui attire
         Une vie culturelle exceptionnelle
         Une histoire qui nous confère la possibilité de peser sur le cours des choses dans le monde

IV – Et maintenant ?




II. La droite aggrave la crise

 
Pour réaliser un diagnostic, il nous faut caractériser la politique menée depuis ces trois dernières années.

Il y a d’abord la revanche. La majeure partie des réformes sociales et sociétales engagées avec succès, à la fin de la dernière décennie, ont été battues en brèche, ou délibérément démolies. Il y a ensuite l’hypocrisie à l’égard des citoyens. Le discours apparemment compassionnel, prodigué au gré des circonstances, masque de plus en plus mal la dureté des actes et des décisions - et la brutalité des comportements réels.

Le libéralisme à tout crin des choix économiques et sociaux se conjugue avec un autoritarisme volontiers donneur de leçons. Le dialogue social, le souci de concertation se sont évanouis.

Il en va ainsi de l’apologie déclarée du travail, qui permet de pointer d’un doigt accusateur les chômeurs, les allocataires du RMI, et les salariés en général, au moment même où nous connaissons, du fait d’une politique économique injuste et inefficace, un reflux sensible du nombre annuel d’heures travaillées (-2,5 milliards en 30 mois), un taux record de chômage, et une stagnation de l’emploi depuis deux ans.

Enfin, il y a l’échec. Il est sans appel avec la remontée du chômage, la stagnation du pouvoir d’achat, la perte de compétitivité, le creusement des déficits, associés à une régression sociale dans tous les domaines.
1- L'avenir sacrifié
    Dans le domaine de la recherche, la droite a commis une faute capitale. Les crédits publics ont diminué de 500 millions d’euros sur les deux premiers exercices budgétaires de l’actuelle législature. Cette carence a conduit à une fragilisation des organismes publics de recherche, au gel des emplois scientifiques, à la perte de confiance des jeunes chercheurs et des doctorants.

    Le mouvement des chercheurs est venu, avec force et résolution, dénoncer un comportement politique rétrograde et malthusien. Soutenu par une opinion publique consciente des enjeux et des défis de l’avenir, ce mouvement a contraint le gouvernement à promettre une nouvelle loi d’orientation sur la recherche, dont le contenu et le flou ne dissipent pas l’inquiétude.

    En effet, le nécessaire rapprochement entre organismes de recherche et enseignement supérieur n’est pas abordé. La programmation d’emplois scientifiques demeure insuffisante, en particulier au regard de l’accélération des départs en retraite dans les prochaines années.

    Quant aux moyens financiers, ils sont sans commune mesure avec les objectifs d’une puissance moderne et industrialisée, qui entend parier sur l’intelligence et la connaissance, pour réussir son entrée dans le XXIème siècle.

    Sur le terrain de l’éducation, c’est la même démission. Alors que l’enseignement supérieur rencontre une vraie paupérisation et une incapacité à se démocratiser davantage, l’éducation nationale a cessé d’être la priorité, qu’elle était devenue, sous la précédente législature. Les suppressions de postes et de classes se multiplient. Les emplois jeunes, en milieu scolaire, ont été les premières victimes de la disparition programmée du dispositif, au risque d’aviver l’insécurité, dans les établissements et à leurs proches abords.

    Quant à la loi Fillon, elle affronte la mobilisation lycéenne, le mécontentement des enseignants, et la critique des parents et des élèves. Le plus grave, est que ce projet , qui s’appuie sur une conception étriquée de l’éducation et ne combat pas l’échec scolaire, au coeur même de la reproduction des inégalités sociales, instaure très tôt une sélection entre les élèves. Et pourtant, l’émancipation de chacun, le progrès social comme le développement économique exigent un effort majeur, dans l’éducation en liaison avec les politiques de la famille, du logement et de la ville.
2 - Un échec économique
    La droite a, durant des décennies, insisté sur son sens de la gestion, se targuant d’une supériorité au-dessus de tous soupçons, dans ce domaine.

    Les performances respectives d’Edouard Balladur et d’Alain Juppé, sur ce plan, au cours de la période 1993-1997, avaient déjà largement démenti cette prétention.

    Les résultats des 33 mois de gouvernement Chirac-Raffarin-Sarkozy vont au-delà, malheureusement, de la simple confirmation des doutes sur les capacités de la droite à bien gérer le pays. Le « bon père de famille » se montre prodigue avec bien peu et inflexible avec beaucoup...

    En 2004, le déficit budgétaire de l’Etat atteint, en dépit de privatisations « bouche trou » sans logique industrielle, près de 50 milliards d’euros.

    Les déficits des comptes sociaux - sécurité sociale-assurance chômage et régimes spéciaux agricoles - avoisineront les 20 milliards d’euros en 2004, signant par là-même l’échec d’une politique d’emploi, qui n’est plus une priorité.

    L’équilibre du commerce extérieur a été remis en cause dans le courant de l’année 2004. Depuis lors, notre économie accumule régulièrement, mois après mois, les déficits commerciaux. 7,76 milliards d’euros de déficit en 2004, soit plus de 50 milliards de francs. Il s’agit là de la plus grave contre-performance, depuis 1991. En outre, l’argument du gonflement de la facture énergétique, convoqué précipitamment pour justifier le dérapage, ne résiste pas à l’analyse. La hausse de l’euro a amorti sensiblement le choc.

    Plus grave encore, pour l’avenir et les générations futures, la dette publique s’envole. Elle est passée à plus de 65 % en 2004, soit environ 7 points de plus qu’en 2002 - 1 point représentant près de 16 milliards d’euros -. Soit une dette moyenne de 17 000 euros par Français ! Inutile de dire que la norme de l’Union européenne, fixée à 60 % du PIB est, cette fois-ci, pulvérisée. La droite, qui avait hérité, d’un déficit budgétaire inférieur à 2 % du PIB, d’un commerce extérieur largement excédentaire, de comptes sociaux légèrement au-dessus de l’équilibre, a fait passer tous les indicateurs au rouge, en moins de trois ans.
3 - Une impasse sociale
    La plus grande réussite de la gauche au pouvoir entre 1997 à 2002 concerne les créations d’emplois - plus de 2 millions en 5 ans - et la diminution du chômage - moins 916 000 demandeurs d’emplois - pour un taux de chômage au regard de la population active, passant de 12,6 % à 9 %. En contrepoint, c’est sur ce terrain que le gouvernement Raffarin connaît son revers le plus douloureux: 200 000 chômeurs de plus, en 33 mois, et une stagnation de l’emploi, malgré la reprise de la croissance en 2004, avec comme corollaire une sensible augmentation du chômage des jeunes.

    Au-delà de l’emploi, c’est l’ensemble de notre système de protection et de relations du travail qui est mis en cause. La méthode Raffarin/Chirac pratique on le sait, l’impasse sur la négociation sociale et a fortiori sur la démocratie sociale. Les organisations syndicales ne sont pas écoutées, elles sont à peine consultées dans le meilleur cas. Le paritarisme est marginalisé.

    La référence à une démarche majoritaire dans les accords professionnels en dépit de déclarations sans lendemain a été détournée de son sens. Pire la hiérarchie des normes en matière du droit du travail a été battue en brèche avec la primauté des accords d’entreprises et l’individualisation des rapports du travail. C’est bien là, l’objectif: casser les protections légales et négociées. Remettre le salarié seul face au chef d’entreprise: c’est un recul d’un demi-siècle.

    En fait, la droite a pris, par sectarisme mais aussi par souci de ses clientèles et de leurs intérêts bien compris, le contre-pied des orientations du gouvernement de la gauche. Suppression progressive et programmée de 250 000 emplois jeunes, remise en cause des politiques d’insertion, et en particulier du programme TRACE, chute de l’emploi public, coup d’arrêt à la politique de réduction du temps hebdomadaire du travail.

    Alors que le gouvernement Chirac/Raffarin ne cesse d’invoquer une «valorisation du travail», il multiplie, les actes concrets et quotidiens, qui réduisent le nombre d’heures travaillées et la rémunération de l’activité.

    Les initiatives prises, ces derniers mois, confirment et amplifient d’ailleurs ce paradoxe. Les facilités données aux employeurs pour licencier, à travers la loi dite de « cohésion sociale » - par antiphrase sans doute -, la remise en cause des 35 heures, à la faveur d’une initiative parlementaire, convergent dans la même direction: affaiblir individuellement et collectivement les salariés, ceux qui ne vivent que de leur travail, tout en tournant le dos à une politique dynamique de l’emploi.

    A la source de tous les blocages de la société française, il y a la peur du chômage et la fragilisation du salariat face à l’avenir et à la possibilité d’envisager des projets à terme.

    Les plans sociaux se multiplient - 1300 en 2003, 1000 en 2004 -, la précarité augmente à travers les CDD, l’intérim et les temps partiels subis, les pathologies liées à la dégradation des conditions de travail se développent notamment le stress, le chômage atteint 10 % de la population active, soit en données brutes plus de 2 800 000 personnes.

    Les choix gouvernementaux en portent une large responsabilité: les exonérations de cotisations sociales sans aucune contrepartie du côté des entreprises coûtent cher (15 milliards d’euros) mais sont sans impact direct et durable, sauf de brefs effets d’aubaine.

    Les pronostics affirmés péremptoirement d’une baisse imminente du chômage sont systématiquement démentis, et ce en dépit d’une évolution démographique qui aurait dû depuis plusieurs semestres déjà, favoriser une diminution statistique du nombre de demandeurs d’emploi. Elle conjugue ainsi piètres résultats, promesses mensongères, et culpabilisation des victimes de sa politique.

    Plus consternant encore, les deux innovations Fillon - Revenu Minimum d’Activité (RMA) et le Contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) - se sont soldés par un échec sans appel avec respectivement, 1000 et 300 contrats signés depuis leur origine. Quant aux contrats d’avenir de Borloo, ils restent virtuels, faute de financement.

    La fin programmée des 35 heures aboutie à un recours plus facile aux heures supplémentaires au risque de réduire les opportunités d’embauche. Elle constitue un recul de société. La réduction du temps de travail, en effet, est la réponse positive aux progrès mécaniques et technologiques, aux avancées de la production, aux bonds de la productivité.

    La mise en concurrence généralisée, et en particulier celle des territoires, des salariés, des individus, placés ainsi en situation de se juger eux-mêmes, seuls responsables de leurs insuccès ou de leur marginalisation, constitue l’un des fondements du néo-libéralisme, en cours depuis trente ans.

    Incontestablement la pauvreté progresse. Près de 4 millions d’hommes et de femmes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté dont un nombre croissant d’actifs. Plus indécent encore, près de 30 % de SDF, en région parisienne travaillent régulièrement, même dans l’intermittence. Le travail ne constitue plus un passeport contre l’exclusion et la grande pauvreté, au moment où il est pourtant présenté, en toute impudence, comme le sésame de la réussite individuelle.

    Les SDF recensés sont près de 100 000; les mal logés, environ 2 millions, alors que la flambée du prix des loyers fait des ravages. Le nombre d’allocataires du RMI a progressé de plus de 12 % sur les 12 derniers mois, pour atteindre près de 1,2 million de personnes. On dénombre, enfin, près d’un million d’enfants pauvres.

    Dans ce contexte, les menaces qui pèsent sur la Sécurité Sociale accentuent encore une inquiétude par rapport à l’avenir.

    La réforme des retraites, imposée au printemps 2003, avec une négociation tronquée, ne règle pas le problème financier à moyen terme. En revanche elle organise, par la baisse programmée des pensions, l’allongement des conditions d’accès, le recours progressif et subreptice aux fonds de pensions. Au bout du processus, il y a la remise en cause de la solidarité intergénérationnelle, et pour beaucoup de salariés, dépourvus de patrimoine, victimes du chômage ou de ruptures de trajectoire professionnelle, c’est le retour de la peur des « vieux jours ».

    La réforme, ou plutôt la « contre réforme », de l’assurance-maladie, imposée toujours sans véritable négociation, va dans le même sens. Au-delà de la complexité d’un mécanisme peu lisible, alliant bureaucratie et culpabilisation, injuste et inefficace, ce dispositif engage le déremboursement des assurés sociaux et met en place une médecine à plusieurs vitesses, comme cela a été aussi le cas par la suppression de la péréquation des moyens hospitaliers entre les régions.

    Cette tendance aggrave les inégalités entre praticiens, entre territoires et entre assurés sociaux, tout en pratiquant l’impasse sur une des priorités susceptible de faire progresser notre système de santé : la prévention.
4 - Des services publics menacés
    Depuis 2002, le plus grand plan social jamais réalisé, l’a été à l’initiative de l’Etat : suppression de 130 000 emplois jeunes, de plusieurs dizaines de milliers d’emplois aidés et d’économie solidaire, de milliers de postes dans les entreprises publiques ou à mission de service public, de milliers de postes de fonctionnaires d’Etat. Quel gâchis !

    Cette politique d’affaiblissement des services publics, s’accompagne d’une fausse décentralisation qui s’apparente plutôt à un vrai désaménagement du territoire.

    En combinant paupérisation des services publics, désengagement de l’Etat, et transfert des charges sur les collectivités territoriales, sans moyens correspondants, la droite tend à produire trois effets destructeurs: fragilisation des personnels concernés, inégalités territoriales aggravées, transfert sur les élus locaux de la responsabilité fiscale et des hausses inévitables pour préserver l’essentiel.
5 - Un recul aussi en matière de justice et de sécurité
    La loi dite Perben I consacre la mise en place d’une justice expéditive, en étendant les cas de recours au juge unique ou la comparution immédiate et en renfonçant le rôle du procureur dans les décisions de détention provisoire.

    La loi dite Perben II « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » marque, quant à elle un recul grave, en soumettant la justice aux influences politiques, et en banalisant les procédures d’exception, désormais applicables à tous. Cette loi affirme de manière inquiétante la subordination hiérarchique des magistrats du Parquet au Garde des Sceaux dans la gestion des procédures pénales.

    Les « innovations » sont elles aussi contestables. Le plaider coupable peut menacer, le droit à un procès public équitable, la séparation des autorités d’instruction et de jugement, mais aussi l’égalité entre les justiciables et la défense des droits des victimes. La justice de proximité dans l’application qui en est faite, faute de moyens et de garanties, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

    En matière de sécurité, des discours véhéments ont été tenus à la faveur de lois d’affichage au contenu contestable. Pour autant, la police de proximité recule et le sentiment d’insécurité perdure. De 2003 à 2004, les crimes et délits contre les personnes continuent leur progression (+4,36 %). Les coups et blessures (+2,12 %), les violences sexuelles (+2,2 %), les séquestrations (+6,28 %), les violences et maltraitances à enfant, augmentent régulièrement, y compris en 2004. Les incidents en milieu scolaire progressent d’environ 10 % l’an, depuis deux ans, tandis que près d’un Français sur cinq aurait été victime de violence, sur les 12 derniers mois, selon une enquête conduite par le Haut Comité pour la Santé publique.

    Mais ces mauvais chiffres ne suffisent pas à décrire l’insécurité, les agressions et les violences subie par les habitants de nombreux quartiers. En fait, la tendance continue à la montée de la violence (+82 % d’augmentation des violences physiques non crapuleuses entre 1996 et 2004 selon l’Observatoire national de la délinquance) n’a été ni stoppée, ni inversée. Elle est révélatrice du durcissement de la criminalité mais aussi de son enracinement. L’économie souterraine n’a pas reculé et continue de véhiculer un modèle de comportements violents fait de loi du plus fort, d’argent facile, d’affrontements entre bandes rivales et de machisme. La banalisation des affrontements parfois mortels, entre ces bandes, et le nombre de voitures brûlées, complètent un tableau, éloigné des considérations officielles. Parallèlement, le recours systématique à la solution carcérale, en cas de délit constaté, crée une situation explosive dans les prisons surpeuplées, et déclenche, de surcroît, une machine à fabriquer de la récidive.

    Ainsi, l’inflation carcérale est insoutenable aussi bien pour le personnel de l’administration pénitentiaire que pour les détenus. Début juillet, on comptait 64 500 détenus pour environ 49 000 places contre 47 992 détenus au 1er février 2001 (soit presque 16 000 de plus en trois ans).

    Cette situation inacceptable, indigne d’une démocratie, résulte de l’abandon par le gouvernement actuel de la loi pénitentiaire préparée par le gouvernement précédent après une longue concertation avec les acteurs du système pénitentiaire. Elle résulte aussi d’une fuite en avant vers le « tout carcéral », alors qu’il faudrait aussi développer les mesures alternatives à la prison.

    En outre, les besoins éducatifs, de soutien à la fonction parentale, d’éducation, d’apprentissage des règles collectives et du civisme, de prévention pour agir en amont des comportements violents ont été ignorés. Pire, le gouvernement a supprimé les moyens des acteurs de terrain. L’aggravation de la violence et son omniprésence dans les rapports sociaux est également un des indicateurs de la crise sociale qui ne s’est pas résorbée, loin de là. A la souffrance des victimes s’ajoutent les effets dévastateurs d’une insécurité qui amplifient les phénomènes de ségrégation urbaine et scolaire et aggravent les inégalités sociales.

    Près de trois ans après, l’insécurité réelle, dans toutes ses dimensions, reste très présente dans la société française. Elle alimente un réflexe de repli et de peur que certains se plaisent à renforcer, nourrit des doutes et des appréhensions, favorise des tentations extrémistes et populistes.

Haut de page


III. Défis et atouts

 
Nos constats reflètent le regard que notre société porte sur elle-même, avec ses inquiétudes et ses difficultés. Leur explication renvoie à l’analyse des forces, des dynamiques qui la travaillent. Articuler une alternative politique à la hauteur des enjeux suppose de maîtriser ces forces, c’est-à-dire de les comprendre, pour pouvoir les infléchir, les renforcer ou les combattre au service de notre projet.

Nous devons donc faire l’état des forces en présence : les défis auxquels nous sommes confrontés et les atouts dont nous disposons pour les relever.
1- Dans quelle société vivons-nous ?
    A l’échelle de notre société, le principal défi est lié à la dynamique de fragmentation, qui à la fois, oppose les différentes catégories sociales et les traverse.

      Une société fragmentée

    Le fait dominant tient aux conséquences de l’éclatement des structures de la société industrielle. Les appartenances collectives sont en crise. Les communautés professionnelles, géographiques, culturelles tendent à les remplacer. Les causes sont variées et interdépendantes, les unes tiennent à l’évolution du système de production capitaliste dans l’organisation du travail et dans l’emploi. Les autres sont de nature culturelle et proviennent, à la fois, des opportunités et des frustrations de la société de consommation et de la progression de valeurs individualistes.

    L’individualisme contemporain ne peut donc pas avoir une lecture simple. Il est le produit souvent de situations contraintes, il peut être plus subi que voulu. Les socialistes ont toujours mené un combat pour l’émancipation des individus. Et celle-ci trouve un écho dans toutes les catégories de la société - elle n’est pas l’apanage des seules catégories urbaines aisées. Il est clair que notre société « libérée » élargit des possibilités de choix. Mais, d’une part, tous les Français sont loin d’être égaux devant la capacité à choisir sa vie, à être émancipé.

    Et, là il y a bien encore des combats à mener. D’autre part, l’émancipation personnelle ne doit pas être synonyme d’isolement - source bien souvent alors de concurrence interindividuelle généralisée où « l’adversaire » est de façon paradoxale, le plus proche socialement.

    L’individualisme contemporain peut se traduire ainsi, bien souvent par une dégradation du rapport à l’autre, dont la montée de la violence est l’illustration extrême. C’est en ce sens que nous le combattons. Réussir sa vie ne devrait pas être incompatible avec le sentiment d’une responsabilité sociale.

    Ces réalités sont importantes et demandent à être débattues. En effet, une des tâches majeures du politique dans notre société est de concilier les droits individuels et les droits collectifs, de contribuer à établir ainsi une « morale » publique. Le politique est ainsi sollicité sur des terrains qui paraissent traditionnels, l’évolution du droit de la famille, la définition de la parentalité, la reconnaissance des couples homosexuels,etc. mais aussi sur des terrains nouveaux, de grande portée pour l’avenir, le débat sur la bioéthique, tout particulièrement les recherches sur l’embryon humain, le clonage thérapeutique, la brevetabilité du vivant, le choix de fin de vie, etc.

    Nous sommes dans une société fragmentée. C’est un fait. Cela demande de faire évoluer notre grille d’analyse qui date des années 1970, 1980. Mais, si nous ne pouvons plus parler de classes au sens propre, il y a bien des principes collectifs d’organisation et de domination à l’œuvre. Ils recoupent évidemment les inégalités sociales. La tendance la plus préoccupante est ségrégative, elle isole de plus en plus les catégories sociales entre elles tentées de se replier sur elles-mêmes. Les catégories les plus riches font « sécession ». Les catégories moyennes craignent le déclassement, les catégories populaires l’exclusion ou la relégation.

    Nous ne sommes donc pas dans une « société des individus ». Les logiques sociales à l’œuvre sont fortes et créent des clivages importants qui rendent difficiles la réalisation de la mixité sociale et culturelle. L’école et l’habitat sont les deux domaines où cette tendance ségrégative se traduit particulièrement. Le maintien d’un chômage de masse depuis trente ans maintenant, les difficultés de la protection sociale, avec ce que cela représente d’inquiétude pour l’avenir, l’anxiété scolaire pour les parents comme pour les adolescents, etc. tout cela donne le sentiment que les mécaniques collectives ne garantissent plus la sécurité et la promotion. Cela rend compte aussi d’une violence latente, et parfois exprimée, qui existe dans notre société.

      Une société du travail émiettée

    Au coeur des problèmes de notre société sont les évolutions du travail et de l’emploi. Nous devons en prendre la mesure. Avoir un travail, c’est d’abord pouvoir gagner sa vie, mais c’est aussi la reconnaissance de son utilité sociale.

    Le travail est pour la très grande majorité des individus, la condition déterminante des conditions d’existence, mais l’importance du travail à temps partiel, des contrats précaires, l’inégale progression des salaires et la diminution de leur part dans les revenus des ménages, constituent une forte remise en question de la « valeur travail ».

    Si avoir un emploi est une condition nécessaire pour éviter l’exclusion, ce n’est plus pour beaucoup la condition suffisante pour éviter la pauvreté, la précarité, et garantir leur avenir et celui de leurs enfants. L’insécurité qui en résulte s’accompagne d’un sentiment d’injustice quand on compare les rémunérations des hauts dirigeants et des actionnaires avec la faible progression des rémunérations dans les catégories socio-professionnelles populaires et intermédiaires.

    L’exclusion permanente ou intermittente du travail a conduit une importante partie de la population à l’exclusion sociale. La concentration de la pauvreté dans les mêmes familles, depuis deux générations, conforte l’exclusion sociale et culturelle et rend souvent illusoire, du point de vue de la population concernée, un espoir de réinsertion, le RMI n’étant plus une situation transitoire.

    Le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est encore la norme pour la majorité des salariés mais les embauches s’effectuent aujourd’hui, le plus souvent, sous forme de contrat à durée déterminée (CDD). La montée des CDD, temps partiels, et les différentes formes d’emplois aidés pour lutter contre le chômage instaure une « mobilité-précarité » qui n’a rien de commun avec la mobilité qualifiante recherchée par les salariés les plus qualifiés.

    A qualification égale, le statut de l’entreprise modifie celui des salariés. Pour un profil de départ parfois identique, il y a une différence notable entre le salarié bénéficiant d’une certaine stabilité, et le salarié intérimaire. Les salariés d’exécution du secteur public ne vivent pas le monde du travail comme ceux du secteur privé. Les salariés des grandes entreprises sont généralement mieux défendus que ceux travaillant dans les PME/PMI. Des disparités existent également selon que l’on est salarié dans tel ou tel secteur des services, de l’industrie ou de l’artisanat.

    Les « salariés stables » bénéficient à des degrés divers d’une certaine garantie de déroulement de carrière, de l’accès aux services de l’entreprise (Comités d’entreprises notamment), éventuellement d’une possibilité d’intéressement aux bénéfices, à la formation continue…Les autres, partagent leur temps entre le travail intérimaire et des stages de formation qui ne sont pas toujours adaptés aux emplois successifs qui constituent leur carrière professionnelle. Cette précarité n’épargne aucune catégorie professionnelle même si celles-ci ne sont pas touchées au même degré. Cette instabilité accroît, pour les plus modestes, le risque de basculer dans la catégorie des « travailleurs pauvres », pour les autres , celui du déclassement.

    L’instabilité qui affecte à la fois les travailleurs âgés (50 ans et + parfois même à partir de 45 ans) et les jeunes sans formation gagne aussi du terrain, depuis les années 90, dans les autres catégories salariées. Les cadres eux-mêmes ne sont pas épargnés par les restructurations, les délocalisations. Ils sont devenus toujours plus dépendants de la concurrence et de la rente exigée par les actionnaires de grandes entreprises. Cette vulnérabilité n’est pas toujours ressentie comme un état partagé par l’ensemble de la catégorie dans la mesure où la performance individuelle ou des caractéristiques personnelles comme l’âge peuvent l’atténuer ou au contraire l’exacerber.

    Des conflits apparaissent à l’intérieur des catégories socioprofessionnelles, notamment intermédiaires. Le métier et la qualification professionnelle sont de moins en moins la référence des rémunérations, ni celle de la définition des tâches, a fortiori de l’évolution des carrières.

    Les inégalités d’accès à la formation continue pénalisent les trajectoires professionnelles. Les entreprises prennent en charge la formation d’un personnel apte à se former aux changements technologiques nécessaires à leur productivité. Parallèlement, elles externalisent les tâches les moins qualifiées augmentant ainsi la précarisation et le chômage des employés les plus modestes, écartés alors de formation et de moins en moins en capacité de faire valoir leurs acquis professionnels.

    La polyvalence, qualité pour laquelle le niveau culturel joue un rôle important, change la nature des métiers et permet d’échapper aux définitions de tâches relevant des métiers tels qu’ils sont définis dans les accords et conventions collectives. Les primes individuelles tendent à supplanter les avantages salariaux affaiblissant ainsi les revendications collectives Avec les nouveaux modes de travail, les nouvelles technologies, « la réactivité », les « façons de faire » rapides, « le juste à temps », « les flux tendus » qui imposent une cadence au travail, une compétition se développe à nouveau entre les travailleurs. La valorisation de l’autonomie au travail peut être alors un leurre. Celle-ci d’ailleurs relève plus de la capacité personnelle à gérer les contraintes qu’à exprimer réellement sa responsabilité et à construire son rythme. Elle masque souvent la pression du stress.

    Cet éclatement et cette dérégulation aggravent les conditions de travail. Celles-ci s’étaient améliorées, depuis le milieu des années 70, grâce au progrès technologique, au renforcement de la législation et à l’action des syndicats mais depuis 10 ans on constate une augmentation des accidents du travail et des pathologies liés aux contraintes organisationnelles, aux pénibilités physiques et à l’exposition aux produits chimiques. Les accidents du travail s’accroissent et les maladies professionnelles sont en forte augmentation. Les maux musculo-squelettiques représentent aujourd’hui près de la moitié des maladies professionnelles et les troubles psychiques et psychologiques (souffrance au travail) sont en augmentation. Une grande opacité règne sur la réalité des accidents au travail, la reconnaissance des maladies professionnelles et sur leur coût pour les individus et la collectivité.

      Une société médiatisée

    Si la montée en puissance des media ne date pas d’hier, elle a indéniablement connu dans les dix dernières années une forte accélération. Quelles sont les manifestations de cette accélération ? Que signifie-t-elle pour les choix individuels et collectifs ?

    Nous n’avons jamais eu à notre disposition autant d’outils de communication. Les media dominants sont désormais la télévision, Internet et la téléphonie mobile. Nous vivons dans la société des écrans. En 2004, les Français regardent la télévision pendant une durée supérieure à trois heures trente par jour. Ceux d’entre eux qui ont accès à Internet y consacrent, chaque année, hors de leur travail, de plus en plus de temps. Télévision numérique, email, messages instantanés, forums : jamais les citoyens n’ont reçu autant de communications. Mieux encore, ils quittent leur rôle passif de récepteur, tirent profit des nouvelles technologies et deviennent eux aussi des sources individuelles d’information. Il existe à présent sur Internet, et plusieurs dizaines de millions de blogs, ou carnets d’informations, tenus par des individus. Il est temps de mesurer la force et les conséquences des écrans sur la société contemporaine.

    Mais, la médiatisation de nos sociétés n’est pas dénuée ni de risques, ni d’inégalités. L’inégalité, c’est d’abord celle des contenus. Si les citoyens regardent de plus en plus la télévision, ils ne l’utilisent pas pour satisfaire les mêmes besoins. L’information coexiste avec le divertissement. L’un comme l’autre sont parfaitement légitimes.

    Reste qu’il faut constater que, dans un monde où les médias sont essentiellement financés par la publicité, la tentation est grande de proposer au public des contenus aptes à attirer les annonceurs, d’amalgamer l’utile et le futile. Autre source d’inégalité, les disparités d’équipement entre les citoyens. La fracture numérique est une réalité, non seulement à l’échelle du monde, mais aussi à l’échelle de notre pays. Ne sous-estimons pas les conséquences graves de cette fracture sur l’égalité des chances, notamment en matière d’éducation et d’emploi.

    Des risques aussi, puisque la société des écrans est potentiellement le lieu d’une iconographie brutale. La multiplication des supports a permis aux images violentes de tapisser l’espace public. Le fait qu’un enfant, lorsqu’il passe sa dixième année, a en moyenne vu à la télévision plus de sept mille meurtres, n’est sans doute pas sans conséquence. Risque aussi, de la déception. Car parallèlement au côté noir, celui de la violence, les écrans sont aussi le lieu des contes de fées. Devenir célèbre, devenir riche grâce aux écrans. Devenir heureux, aussi, comme donnent le sentiment de l’être tant de gens dans cet univers où la prééminence est donnée à la réussite, à la jeunesse, à la beauté, à la richesse. Cette vie à travers les media est rarement réaliste, dans un sens comme dans l’autre. Tantôt noire, violente; tantôt rose, utopiquement virtuelle. Sans éducation à l’image, des conséquences, là aussi. Il y a là une forme de colonisation des esprits qui représente un danger. L’imaginaire ne peut sans conséquence être envahi par des schémas virtuels qui trouvent leur source dans les logiques commerciales.

    Le risque de l’uniformisation, et de la standardisation qui n’interdit ni le cloisonnement, ni le repli individuel, est réel. L’impact des images et des sons c’est-à-dire de l’émotion sans recul l’emporte largement sur le raisonnement, la distance, le souci de l’analyse, l’esprit critique.

    L’information de réaction ou de sur-réaction prend largement le pas sur celle de l’analyse et du libre débat.

    Ainsi, les formations politiques, les syndicats sont bousculés et parfois instrumentalisés; ce ne sont plus les faits qui génèrent l’information mais le commentaire réitéré qui crée le fait, au risque de déterminer une opinion univoque. Le citoyen devient progressivement l’usager puis le consommateur, un paramètre d’une part de marché.

    En effet, la médiatisation apparaît inséparable d’une forme de marchandisation, réduisant le service public à une « peau de chagrin ». Cette tendance est aggravée par des concentrations en particulier au niveau de la presse audiovisuelle mais également écrite. Ce phénomène se cumule avec simultanément des positions économiques et financières dominantes dans d’autres secteurs d’activités (BTP, Banque, Industries de pointe, Armement...).

    Or, nous savons aujourd’hui qu’une vraie démocratie suppose non seulement des institutions équilibrées et démocratiques mais aussi des conditions médiatiques à la fois pluralistes et transparentes. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.

      Une société qui connaît une crise des valeurs collectives

    Il n’est pas vrai de dire que les Français « ne croient plus en rien ». Les mouvements de solidarité et les mobilisations sont là pour le montrer. Mais ils doutent beaucoup –tout particulièrement de l’action politique. Cette perte de confiance dans l’efficience des structures collectives favorise évidemment le populisme mais elle peut aussi donner un écho aux idées libérales qui entendent «privatiser» la société, en faisant reposer les réussites et les échecs seulement sur les capacités individuelles.

    Cet affaiblissement des valeurs collectives nourrit aussi des clivages qui traversent les catégories et les groupes sociaux. La crainte du déclassement social, les rapports inégalitaires entre - et à l’intérieur - des couches sociales sont des sources de conflits.

    La permanence du chômage de masse, le déclin relatif de l’industrie dans la part des actifs occupés, les délocalisations ont installé l’idée que les ouvriers n’ont plus d’avenir en tant que groupe social. La tertiarisation des emplois, l’utilisation des moyens techniques pour mener à bien les tâches manuelles, la substitution progressive des qualifications d’opérateur et de technicien à celles d’ouvrier, ont contribué à donné un corps idéologique à ce présupposé.

    En fait, les ouvriers représentent encore près de 30 % des salariés. Et une part des activités de services se rapproche de plus en plus de la condition ouvrière (transports, centres d’appel, livraison…). Si les ouvriers disposent généralement de rémunérations équivalentes à celles des employés et bien qu’ils vivent souvent sous le même toit (40 % des enfants sont aujourd’hui élevés dans une famille où l’un des deux parents est ouvrier), ceux-ci ne constituent pas une couche sociale populaire homogène. Ainsi, selon une étude de 2004, plus de 40 % des employés, contre 29 % des ouvriers, ont le sentiment d’appartenir aux classes moyennes.

    Le fait qu’une partie importante de ces catégories possède des revenus à peine plus élevés de ceux de la population qui vivent des prestations (autour de 1 000 par mois, soit entre la moitié et les trois quarts du revenu médian) leur fait craindre le basculement dans l’exclusion. Des tensions fortes existent également à l’intérieur des classes moyennes. 90 % perçoivent des revenus provenant essentiellement du travail (salaires, pensions de retraites, autres prestations sociales), ce qui les distingue des catégories supérieures dont la part des salaires décroît, au fur et à mesure que des revenus liés au capital, au patrimoine, ou à des bénéfices non commerciaux augmentent.

    De profondes disparités de salaires demeurent: en 2004, le salaire mensuel moyen avant imposition, dans le secteur privé était de 1 328 € , pour les ouvriers et employés, de 1 900 € , pour les professions intermédiaires, et de 3 746 € pour les cadres. D’autres études donnent des classes moyennes dans une fourchette de revenus de 1 435 € à 2 980 € , ou dans une variante un peu plus large jusqu’à 3 900 € de salaire mensuel. Ces distorsions sont aggravées par les avantages annexes, liés aux salaires, en fonction de l’importance ou du statut de l’entreprise (Comité d’entreprise, intéressement…), et ceux inhérents à la nature des tâches (exécution ou d’encadrement). Moins visibles, ils constituent néanmoins des indicateurs réels de l’hétérogénéité de cette catégorie.

    Les classes moyennes sont également déstabilisées dans le monde du travail. Le personnel d’encadrement intermédiaire est fragilisé par l’effondrement de l’organisation pyramidale des grandes entreprises et l’individualisation du travail.

    La mixité sociale n’est aujourd’hui revendiquée essentiellement que par les plus défavorisés qui y voient une façon d’améliorer leurs conditions. Si elle est une valeur théoriquement positive pour une majorité de Français, ceux-ci ne sont pas disposés à lui sacrifier leur avenir et celui de leurs enfants. Il n’est pas rare que des élus soient confrontés à des oppositions quand il s’agit de construire des logements sociaux ou des structures d’accueil pour des populations en difficulté. La politique d’intégration républicaine marque ainsi le pas. Il n’est donc pas surprenant que les Français aient des perceptions différentes de l’avenir du pays. Les uns voient dans l’ouverture sur le monde et l’intégration européenne une opportunité; une autre partie s’en inquiète, voyant là une source d’insécurité supplémentaire, une altération de leur mode de vie et l’irruption de modèles culturels différents.
2 - Dans quel monde sommes-nous ?
    Les forces à l’œuvre dans notre société trouvent bien souvent leur origine dans les évolutions qui agitent le monde dans lequel elle s’insèrent.

      Un capitalisme mondialisé

    Depuis la fin des années 1980, nous sommes entrés dans une phase nouvelle de la mondialisation. Nous en avons déjà connu trois, celle du capitalisme marchand jusqu’au XIXème siècle, le temps des révolutions industrielles et de la colonisation jusqu’en 1914, une période chaotique, faite de tâtonnements, marquée par la division du monde entre système capitaliste et système communiste jusqu’en 1991. Aujourd’hui, nous voyons celle de la constitution d’une « économie-monde », appuyée par une nouvelle révolution de la production et une libéralisation complète des mouvements financiers, faisant converger l’information, les télécommunications et l’audiovisuel, qui assure la domination de l’économie de marché, avec une mobilité croissante des marchandises, des capitaux, de l’information. Elle s’accompagne d’une nouvelle organisation du travail et de nouveaux rapports sociaux. Le capitalisme s’est restructuré depuis les années 1960 mettant fin au type d’organisation « fordiste », qui a caractérisé la phase précédente, avec les grandes organisations pyramidales dans lesquelles toute la société était représentée, articulant la production et la consommation sous l’égide de l’Etat. Les rapports de force économiques évoluent à grande vitesse avec la croissance soutenue de la Chine, de l’Inde et du Brésil. La compétition dans le monde devient plus intense et elle concerne désormais l’ensemble des systèmes économiques et sociaux. Le capitalisme financier, aujourd’hui dominant, impose ses règles, sa volatilité, ses exigences de rendement supérieures aux possibilités de croissance réelle de l’économie. Il organise la mise en concurrence à l’échelle internationale des systèmes sociaux, fiscaux et environnementaux des Etats, exerçant une forte pression sur leur capacité de réglementation. Il pousse à la marchandisation de toutes les activités humaines.

    Mais cette mondialisation n’est en rien homogène. D’un côté, elle produit des inégalités à mesure qu’elle crée des richesses puisqu’elle repose sur une organisation hiérarchisée et sur des interdépendances définies par les Etats les plus puissants et par les entreprises multinationales. Elle engendre un modèle de développement et de croissance, destructeur des ressources naturelles et de l’environnement. Elle doit donc faire face à une contradiction majeure: en intégrant potentiellement l’ensemble de la planète dans une logique libérale, elle fait émerger une contestation et un débat politique touchant ses effets comme son mode d’organisation.

    De l’autre, elle présente des opportunités réelles. L’ouverture des marchés à l’échelle mondiale porte un grand potentiel de croissance. Elle a permis à des populations nombreuses en Asie, en Amérique Latine d’entrer dans le développement, mais au prix d’un creusement des écarts entre les pays comme entre les individus. Les problèmes les plus graves sont cependant pour les régions, notamment le continent africain, qui restent largement en dehors de la mondialisation et pour celles qui ont subi le contrecoup de politiques d’ajustement destructrices comme l’Argentine. La grande pauvreté reste un défi majeur sur tous les continents du monde en développement. D’après les Nations unies, le nombre de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour en Afrique subsaharienne est passé de 227 millions à 313 millions entre 1990 et 2001. Il a légèrement diminué en Asie de l’Est (de 1 milliard 116 millions à 865 millions) mais a augmenté en Asie du Sud (de 958 millions à plus d’un milliard) et s’est stabilisé en Amérique latine (128 millions). 800 millions de personnes continuent à souffrir de malnutrition dans le monde et ce n’est pas un hasard si Lula, le Président du Brésil, a fait de la lutte contre la faim l’une des priorités de son gouvernement.

    De même, l’accès aux soins et aux médicaments restent des défis majeurs. Les grandes pandémies ne sont pas enrayées. Plus de 40 millions de personnes dans le monde sont infectées par le virus du sida, dont 25 millions en Afrique subsaharienne et l’on estime à 4,8 millions le nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH pour la seule année 2003.

    Lors de leur prochain sommet en septembre 2005, les Nations unies constateront qu’à tiers de parcours la communauté internationale est loin de remplir les Objectifs de Développement du Millénaire qu’elle s’était fixés en 2000 pour réduire de moitié la grande pauvreté avant 2015, garantir l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable sur toute la planète.

    La mondialisation crée ainsi un destin mondial et une conscience croissante de celui-ci. Avec le pire, le terrorisme, la criminalité maffieuse, les trafics, les dérèglements climatiques, les menaces sur la biodiversité mais aussi avec le meilleur, les informations, les images, le tourisme qui peuvent être ainsi un vecteur pour les progrès de la démocratie et de la solidarité mondiale.

    Partout l’on assiste à la poussée de l’aspiration démocratique. Aucun continent, aucune civilisation n’est à l’écart de ce mouvement des peuples vers la liberté qui se heurte encore dans de nombreux pays à la dictature et parfois à la complaisance de la communauté internationale pour le statu quo et l’ordre ancien.

    La croissance mondiale peut-elle être durable et solide ? Les libéraux pensent que le marché crée naturellement un système d’autorégulation fiable. Les crises à répétition, financières, politiques, sociales, démontrent le contraire. Nous savons que les phénomènes de reflux des investissements financiers peuvent être aussi rapides que leur arrivée. On a vu ainsi dans les dernières années se succéder plusieurs secousses monétaires et financières de grande ampleur. Aucune d’elles, il est vrai, n’a revêtu jusqu’ici le caractère de la crise des années 1930. Mais la prudence devrait s’imposer. Il ne faut pas non plus oublier que l’extrême volatilité et la liquidité des marchés favorisent les évasions massives vers les paradis fiscaux. Ce sont là des effets déstabilisants qui font du marché mondial des capitaux « un mystère et une menace », alors que les grandes institutions internationales, tendent à ne pas prendre en considération les spécificités et les réalités des économies nationales.

    Les dégâts sociaux sont notables. La mondialisation libérale sape la cohésion sociale en provoquant une répartition trop favorable aux profits et aux revenus élevés, en affaiblissant le droit du travail, en amenant une contraction des ressources destinées à la protection sociale dans des sociétés qui vieillissent (pas seulement en Europe mais aussi au Japon et en Chine). Les risques politiques sont réels également avec la mise en cause du rôle des Etats. Et, la « dépolitisation », que portent les marchés quand ils sont laissés à eux mêmes, fait dépérir la démocratie en repoussant dans des limites étroites les choix politiques.

    La France est de plain-pied dans la mondialisation depuis une vingtaine d’années. Elle en connaît les effets. Elle en tire des avantages mais elle doit affronter également ses contradictions et agir pour les maîtriser.

    Le phénomène des délocalisations et le chômage industriel en sont une des traductions. Les transferts d’activité se limitent pour l’heure à quelques secteurs d’activité, mais ils engendrent, toujours et à chaque fois, pertes d’emplois, de savoirs-faire et détresse sociale, désindustrialisation et déséquilibre du territoire.

    Dire qu’elles résultent de la division internationale du travail, imposée par la mondialisation, est une banalité.

    Rappeler que cette situation ne doit pas conduire à une opposition avec les pays émergents au plan économique est une nécessité, d’autant que l’essentiel de la compétition dans laquelle nous sommes engagés concerne bien davantage les pays développés.

    La réponse à cette menace, bien réelle pour nos emplois, ne réside ni dans la remise en cause des acquis sociaux, ni dans la réduction des salaires, comme tentent de nous en convaincre les libéraux.

    Seule une stratégie offensive peut être victorieuse. Elle réside d’abord dans le maintien de l’activité là où les possibilités existent. Et l’Etat devra y jouer son rôle au titre de la politique industrielle. Pour l’avenir, elle suppose qu’un effort considérable doit être réalisé pour l’innovation, la recherche et le développement, la formation, l’investissement de long terme.

    Dans l’intervalle, il faut accompagner, former et reclasser les salariés concernés, bassin d’emploi par bassin d’emploi. Un plan national de traitement des délocalisations et des restructurations devra figurer dans notre Projet.

      Unilatéralisme américain, réponse multilatérale

    Nous assistons à un double mouvement. Après l’effondrement de l’URSS, les Etats-Unis cumulent, seuls désormais, tous les attributs de la puissance technologique, économique, culturelle, politique et militaire. Mais, ils ne peuvent pas pour autant établir une domination mondiale tant les contradictions sont importantes et les intérêts divergents entre pays.

    Les Etats-Unis bénéficient aujourd’hui d’une conjoncture historique exceptionnellement favorable à l’affirmation de leur hégémonie. Contrôlant un immense territoire, donc d’importantes ressources, ils représentent 31 % de l’économie mondiale, 25 % de la production de haute technologie, 40 % de la recherche-innovation, en puisant largement parmi les chercheurs du monde entier et 15 % du commerce mondial. Ils tiennent aussi la première place financière et sont le premier centre de création culturelle et audiovisuelle.

    Enfin 65 % des réserves mondiales de change sont en dollars. Avec ces moyens d’influence, « l’administration Bush » cherche à construire un monde au service de ses intérêts et de ses entreprises. En témoignent, les multiples pressions sur les organisations internationales, le refus d’adhérer au Protocole de Kyoto, la volonté de contrôler les nouvelles technologies, etc.

    Avec leur budget militaire, 401 milliards de dollars en 2004, les Etats-Unis réalisent 40 % des dépenses militaires mondiales, très loin devant les autres pays (6 % pour la France).

    Mais les déséquilibres et les excès engendrés sont déstabilisateurs. Ils peuvent fournir un terrain favorable à la violence aveugle et aux réseaux terroristes qui ont leurs déterminations propres, comme nous le voyons aujourd’hui avec le fanatisme islamiste après le 11 septembre 2001. Et, les difficultés rencontrées en Irak, mais également dans d’autres parties du monde, montrent que cette volonté de puissance unilatérale s’accompagne d’une mauvaise évaluation de la complexité géopolitique et des particularités mondiales, qui peut produire des effets inverses à ceux recherchés. Les divergences affirmées avec les Etats-Unis sur la guerre en Irak ont prouvé que des Etats et les opinions publiques, notamment en Europe, peuvent s’opposer à ces prétentions et restent attachés à une conception équilibrée du monde. Malgré ses faiblesses, l’ONU demeure le seul organisme international détenteur d’une légitimité mondiale pour faire face aux nouvelles menaces de prolifération nucléaire, chimique, biologique, aux guerres pour les ressources rares (énergie, eau…) aux guerres civiles et aux génocides. Elle doit toutefois voir son rôle économique et social largement réinventé et élargi à l’ensemble des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC…) Enfin, on assiste progressivement à la montée en puissance ou à la création d’instruments qui jettent les bases de ce que pourrait être une autre gestion multilatérale du monde. Cela se traduit par exemple, par le renforcement de l’effectivité du droit international avec la création de la Cour pénale internationale.

    Nous devons prendre également en compte l’émergence d’une opinion publique mondiale, favorisée par les nouvelles technologies de la communication. En son sein se développent de multiples réseaux internationaux: plus de 50 000 ONG sont aujourd’hui dénombrées dans le monde. Les plus importantes constituent de vastes réseaux associatifs multinationaux à vocation humanitaire ou environnementale. Leur expertise, leur capacité de mobilisation, la part qu’elles prennent à l’élaboration d’un droit international en font des acteurs de la mondialisation. Beaucoup d’entre elles ont pris part à l’émergence du mouvement altermondialiste et aux succès des Forums Sociaux qui ont imposé de nouveaux thèmes dans le débat mondial (biens publics mondiaux, taxes internationales, transparence et réformes des institutions financières et commerciales internationales). Ce mouvement a d’ores et déjà une influence notable dans les opinions publiques - en dépit (ou à cause) de sa diversité. Il souligne l’urgence d’une nouvelle gouvernance de la mondialisation, par la constitution « d’une coalition globale » sociale et politique.

    Nous sommes donc loin d’un «ordre mondial» juste. Nous vivons plutôt dans un système instable, conflictuel et déséquilibré qui est confronté à des enjeux considérables. Puissances étatiques traditionnelles, organisations internationales, regroupements régionaux, entreprises transnationales, groupes financiers mondiaux, ONG, réseaux criminels…Tout cela constitue la réalité du monde.

    La définition de règles et la réforme des instances internationales sont et seront de plus en plus des priorités indispensables à la maîtrise de la mondialisation.

      Le défi européen

    Ces réalités mondiales montrent la nécessité d’une Europe politique. La construction de l’Union européenne vise, entre autres objectifs, à restituer aux Etats-nations un pouvoir de régulation que les progrès de la mondialisation leur ont en partie fait perdre. Les socialistes partagent tous cet objectif.

    L’Europe est au coeur de notre combat politique. Elle souffre essentiellement d’un manque de volonté politique. Les problèmes sont connus : l’insuffisance du budget européen, l’absence d’une réelle politique industrielle, les désaccords sur l’harmonisation des droits sociaux et fiscaux, et les divisions des Européens concernant la politique étrangère. Tout cela est vrai. Nous pourrons résoudre ces difficultés et trouver les solutions si nous comprenons bien et faisons comprendre que l’histoire n’attend pas. Vouloir un ensemble géopolitique et économique susceptible de maîtriser la mondialisation, et de faire reculer la guerre, l’intolérance et le mépris de l’autre, telle doit être la vocation de l’Europe.

    Elle a besoin d’une vision et de réalisme. Bâtir une Fédération politique, compétente pour porter le modèle de société des Européens, dotées de responsabilités élargies dans le monde : tel est l’objectif de long terme que nous devons nous fixer. Il est fondamental pour la paix qui n’est jamais donnée une fois pour toutes. Le Traité constitutionnel, qui a un caractère inévitable de compromis, est l’étape nécessaire pour trouver un nouvel élan politique. Mais il n’est qu’une étape. Les socialistes européens ont alors une responsabilité majeure pour l’avenir. Tous font le constat que l’Europe n’exerce pas le rôle qui devrait être le sien pour maîtriser la mondialisation. Tous se sont mis d’accord aussi sur un ensemble de règles institutionnelles. L’accélération de la construction politique passe maintenant par le développement d’un vrai parti socialiste européen, lié au monde du travail, aux forces syndicales et aux associations, capable de proposer un programme aux peuples européens lors des élections et de constituer la colonne vertébrale de la Commission. C’est à partir de là, que les avancées que contient le Traité, pourront entrer dans la réalité, notamment les coopérations renforcées, le droit d’initiative citoyenne, la capacité d’initiative constitutionnelle du Parlement européen permettant la mise en œuvre d’une politique plus favorable à la croissance et à l’emploi, promouvant la démocratie et la paix dans le monde, offrant un autre monde que celui de l’unilatéralisme américain.. Nous avons là un horizon politique pour une action ambitieuse et persévérante.

    Une question clé pour notre projet sera de ne pas seulement définir des objectifs dans le monde et en Europe. Car, pour les atteindre, les oppositions et les obstacles sont réels; il y a des Etats qui n’ont pas d’intérêt à une mondialisation régulée, des grandes entreprises qui veulent garder leur pleine autonomie, des partis politiques en Europe même, divisés sur les moyens à mettre en œuvre. Nous devrons donc proposer des stratégies, trouver des alliés, proposer des politiques courageuses parce que réalistes.
3 - Quels sont nos atouts ?
    Pas de diagnostic non plus sans une identification des atouts de la France, notamment sur le plan économique et social, mais aussi culturel, car c’est sur ceux-ci qu’il faudra s’appuyer pour repartir de l’avant. Et nos atouts ne manquent pas, ce qui rend d’autant plus inacceptable la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.

      Notre première force, ce sont les Français et les Françaises eux-mêmes

    Une population dynamique, tout d’abord, puisque que nous disposons d’un des meilleurs taux d’accroissement naturel d’Europe (+ 0,4 % par an, contre par exemple + 0,1% en Allemagne et au Royaume Uni).

    Une main d’œuvre efficace ensuite avec un fort taux de population active féminine. La productivité horaire des Français est la plus élevée au monde : 120 en moyenne sur 2000-2003 contre 100 en moyenne en Europe et 115 aux Etats-Unis.

    La population française est également, de manière globale, une des mieux formée au monde notamment en ce qui concerne les jeunes, 54 % des 20-24 ans sont scolarisés, ce qui nous place avec la Finlande au deuxième rang dans le monde (tout juste derrière le Danemark 55 %), loin devant les Etats-Unis (34 %), le RU (33 %), l’Allemagne (35 %), l’Italie (37 %)…L’importance des disciplines scientifiques est aussi un atout économique important. Sur 1000 jeunes de 20 à 29 ans, 20 sont diplômés en sciences et technologie, ce qui nous situe au deuxième rang mondial, très loin devant Italie (5), l’Allemagne (8), les EU (10), et le RU (16).

      Deuxième atout, la qualité de nos infrastructures et de nos services publics

    Toutes les études internationales confirment : l’un des atouts majeurs de la France est la grande qualité de ses infrastructures et services publics, l’une des toutes premières au monde.

     c’est le transport bien-sûr, avec le TGV (premier rang mondial avec 25 km par millions d’habitants contre 17 au Japon, 12 en Espagne…) - , un réseau routier (plus long réseau d’Europe) et autoroutier dense (3ème rang mondial) et de qualité, des transports en commun performants. Globalement la France est classée 3ème parmi les 10 pays de référence dans les enquêtes internationales comme celle de l’IMD (International Institut for Management Developpement).

     C’est le système éducatif, ensuite, qui reste certes à améliorer, mais qui est de grande qualité ;

     C’est le système de santé aussi, pour lequel nous sommes classé au premier rang mondial par l’OMS.

      Troisième atout, notre puissance économique mondiale

    5ème PIB au monde, 4ème puissance mondiale en matière d’exportations de biens, 3ème en matière de services, 2ème investisseur mondial à étranger derrière les Etats-Unis, 1ère agriculture en Europe: la France est l’une des premières puissances économiques mondiales.

    Notre position géographique au coeur de l’Europe est éminemment stratégique. C’est en effet le premier marché du monde, 450 millions de consommateurs, premier investisseur au monde, l’Europe à 25 représente 40 % du commerce mondial contre 19 % pour l’ALENA (USA, Mexique, Canada) et 5 % pour la Chine et l’Asie du Sud-Est.

    L’industrie française, avec ses grandes entreprises et leurs salariés, est un pays pionnier en matière d’innovation: TGV, Airbus A380, Ariane, carte à puce, minitel…Si bien que la France dispose de champions mondiaux dans tous les domaines (aéronautique, électricité, distribution, banque, automobile, BTP, pétrole…) : 10 entreprises françaises dans les 100 plus grands groupes mondiaux.

      La France est un pays attractif

    La France est la 2ème terre d’investissement mondial après la Chine mais devant les Etats-Unis.

    La 2ème en Europe pour les implantations d’entreprises (plus de 300 en 2003), et 2ème pour les investissements créateurs d’emploi avec 20 000 à 30 000 emplois chaque année.

    Elle attire aussi les compétences: 130 000 cadres étrangers travaillent en France en 2002. C’est 50 % de plus qu’en 1990. Ils représentent désormais 8 % de l’ensemble des cadres. Il y a aussi 3 600 chercheurs et 220 000 étudiants étrangers dans notre pays. Les touristes : la France est le pays le plus visité au monde, pour son patrimoine historique bien sûr, mais aussi pour ses espaces naturels et sa qualité de vie.

      Une vie culturelle exceptionnelle

    Notre attractivité n’est pas seulement économique. La France fait une place à la création artistique et culturelle qui fait référence dans le monde entier.

    Elle a mis en place un cadre exceptionnel de développement pour la création et les œuvres artistiques dans la défense de l’exception culturelle. Le cinéma et le secteur audiovisuel sont encore indépendants avec 200 films de long métrage produits par an, les industries culturelles et les réseaux de distribution sont solides et présents dans le monde : édition, cinéma, grande distribution des produits culturels (60 000 titres de livres édités produits par 300 maisons d’édition, 12 000 titres de disques déposés par an).

    Elle est la voix forte au sein de l’Union Européenne pour défendre la place de la création culturelle et du secteur indépendant.

    Elle dispose d’outils et de modes de financement au service de la création et du développement culturel, porté par l’Etat et les Collectivités Locales. Le statut économique existant jusqu’à ces derniers mois pour les artistes avait permis le développement et la pérennisation de la création (429 000 emplois artistiques, de grands noms de la création). Il faut en remettre un en place.

    La France est une terre d’accueil pour les artistes du monde entier, garante de la liberté d’expression de chacun et du débat démocratique.

    Elle bénéficie d’un réseau d’établissements culturels et de formation artistique au service de la création, de la diffusion et de l’accès de tous à la culture. C’est son histoire. C’est aujourd’hui un réseau de grands établissements et institutions de création et de diffusion, établissements publics, réseau décentralisé dans le domaine du spectacle vivant, associations culturelles, son réseau de formation artistique national et local est reconnu: écoles de théâtre, école nationale du cirque, écoles nationales et conservatoires de musique et de danse, écoles d’art, écoles d’architectes.

      Une histoire qui nous confère la possibilité de peser sur le cours des choses dans le monde

    Notre histoire nous confère également une influence forte, dans le monde entier, sur les valeurs que nous défendons. Les grands débats qui nous animent et les positions que nous prenons ne sont jamais regardés avec indifférence. C’est une responsabilité importante, mais cela nous donne aussi la possibilité de peser largement sur le cours des événements, qu’il s’agisse de faire progresser la paix et les droits de l’homme dans le monde, d’augmenter la solidarité à l’égard des pays pauvres, de mieux protéger l’environnement, ou de faire émerger une économie plus favorable aux salariés et à l’emploi.

Haut de page


IV. Et maintenant ?

 
Notre diagnostic sur la France montre l’urgence de renouer avec une ambition collective pour préparer l’avenir. Il est temps d’en finir avec une société qui installe la défiance et la crainte des uns vis-à-vis des autres pour une société qui donnera toutes ses chances à chacun tout au long de la vie.

Une société juste doit lutter contre la marchandisation érigée en règle qui veut tout distribuer par le marché même les biens publics les plus essentiels, l’éducation, la santé, l’environnement, la sécurité. La qualité des relations individuelles et collectives en dépend.

Sinon, comme nous en voyons, malheureusement, des manifestations, la loi du plus fort l’emporterait avec son cortège d’injustices et de violences. Notre société a besoin de retrouver du sens. Elle ne le fera pas dans le seul culte de la consommation qui crée autant et plus de frustrations que de contentements. Il y a une attente pour une ambition collective généreuse.

C’est le moyen pour dépasser le 21 avril, trouver l’accord de toutes celles et de tous ceux qui agissent solidairement dans notre société, contrer les dérives du libéralisme financier dans notre pays, en Europe et dans le monde.

Cette perspective est possible. D’autres pays en Europe du Nord sous l’influence des sociaux-démocrates, tentent de le faire aujourd’hui, sachant allier dynamique économique et innovation avec la solidarité et la sécurité pour tous. Attachés à la liberté des individus nous le sommes tout autant à l’égalité dans les actes. De notre histoire, en cette année du Centenaire de notre parti, nous avons appris avec Jean Jaurès, l’importance de la République, qui donne la priorité à l’éducation et à la laïcité, avec Léon Blum, celle des libertés, des droits de la personne et d’une démocratie vivante, avec Pierre Mendès-France, celle de la production et de la redistribution des richesses, qui définissent un réformisme conséquent, avec François Mitterrand, celle des réformes qui font avancer la société et de la perspective européenne dans laquelle s’inscrit notre avenir.

Nous n’avons donc pas à nous interroger sur nos valeurs mais à les mettre en œuvre dans un monde et une société qui ont changé. La France de 2005 n’est déjà plus celle de 1997 ! Elle est certes reconnaissable…Mais le diagnostic auquel nous avons procédé montre que les problèmes français aujourd’hui appellent une réponse politique aussi nouvelle que forte. Il ne peut s’agir, en effet, d’appliquer mécaniquement les «recettes» d’hier, il ne peut pas s’agir non plus d’accompagner seulement mieux que la droite les évolutions économiques, sociales, culturelles, politiques du monde tel qu’il est. Pour ce faire, la volonté collective et les politiques publiques sont plus que jamais nécessaires. Certes, les échelles d’intervention sont nombreuses, du local au mondial, et l’action publique ne peut être vraiment efficace sans la responsabilité des citoyens et celle du mouvement social, mais les exigences demeurent : la régulation de l’économie de marché, la production de richesses et leur juste redistribution, la fourniture de biens et de services publics, la préparation de l’avenir, la participation des citoyens,etc. C’est à partir d’elles qu’il nous faut construire pour les Français et pour la France.

Nous devons porter un projet authentiquement réformiste pour changer de société. Il ne sert à rien, en effet, de se laisser aller à une rhétorique ambiguë : les socialistes ne proposent pas une «rupture» avec l’économie de marché ou une sortie de la mondialisation. La pratique l’a démontré, le discours doit désormais l’assumer. La révolte légitime provoquée par les dégâts sociaux de la mondialisation libérale ne justifie pas une régression idéologique vers une posture seulement protestataire qui ne permet pas de construire les réformes nécessaires.

Dénoncer sans agir, c’est en quelque sorte accepter l’impuissance, renoncer au volontarisme, et donc à la politique. Notre réflexion et nos politiques doivent porter sur la manière de surmonter les défaillances graves du marché, lequel privilégie le court terme, ne connaît que la demande solvable et distribue inégalement les richesses.

Notre fil rouge dans ce projet doit être le combat pour l’égalité qui doit s’imposer comme la priorité politique de notre agenda. Pour nous socialistes, il n’y a pas de liberté sans égalité. Et le succès demandera, nous le savons, des efforts considérables. Quelques conclusions peuvent et doivent être tirées de notre réflexion. Elles fournissent en quelque sorte un cahier des charges pour la suite de notre travail.

Une première exigence s’impose: la rénovation profonde de notre démocratie. Nous savons bien que l’érosion des valeurs traduit toujours un malaise social. Mais il n’empêche.

Pour changer de politiques, il faudra changer la politique. Cela passe par une réforme profonde des institutions, celle de l’Etat, mais aussi de notre organisation territoriale, du renouvellement des mandats, des modes de scrutin et par un changement des règles de notre démocratie sociale pour mieux fonder la représentativité de ses acteurs et leur donner les moyens d’exercer leurs responsabilités. Mais cela demande surtout une mise en mouvement de la société en luttant contre le désintérêt, la désillusion, l’éloignement des pratiques démocratiques, qu’elles soient politiques ou sociales.

La seconde exigence sera d’accroître l’influence de la France en Europe, de l’Europe dans le monde. Politique extérieure et politique intérieure sont désormais étroitement liées. Peser sur le cours de la mondialisation demande de mettre l’action de notre pays d’abord au service d’une Europe forte, capable d’assurer un partenariat équilibré avec les Etats-Unis, de défendre une approche multilatérale des problèmes du monde, de proposer avec d’autres pays et les ONG, dans le cadre de l’ONU et des institutions multilatérales des solutions aux problèmes criants d’aujourd’hui, la paix, le développement, le respect des équilibres écologiques.

La dernière exigence, c’est de penser et de mettre en œuvre ensemble la production des richesses et une redistribution permettant de combattre les inégalités à la racine. De la croissance, en effet, dépend largement le financement de la solidarité au sens le plus large du terme. De l’existence de cette solidarité, que cela soit dans l’école, dans le logement, dans le travail, dans la maladie, etc. dépend le «vivre ensemble» dans les droits et les devoirs d’une République profondément rénovée. Il y a là un «cercle vertueux» qui doit commander notre projet et notre manière de poser les problèmes en voyant comment ils sont liés entre eux.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, la mise en œuvre d’une réforme du système fiscal, souvent annoncée, rarement tenue, n’a des chances que si elle affiche nettement ses objectifs pour la mettre au service de la production et de la redistribution.

A partir de là se détachent cinq chantiers majeurs où nous devrons faire avancer concrètement l’égalité en luttant dans chacun d’entre eux contre les discriminations quelle que soit leur nature, qu’elles tiennent à l’origine, au sexe, au handicap, etc.
    1) L’éducation et la formation pour faire entrer pleinement la France dans une société de la connaissance ;
    2) La préparation de l’avenir par la recherche, l’innovation, la culture ;
    3) Le travail et l’emploi pour garantir la sécurité et la réussite de tous ;
    4) Le logement et l’organisation des territoires urbains comme ruraux pour offrir à chacun la qualité de vie à laquelle il a droit ;
    5) Un développement durable pour préserver nos ressources et notre environnement.
Il est évident que toutes nos politiques nationales auront besoin d’être insérées dans un combat permanent pour une Europe plus politique et plus sociale.

Ce que nous demande avant tout les Français, c’est d’affirmer une vision : un combat pour l’égalité des chances entre les individus, les territoires, les nations. Pour ce faire, nous avons naturellement besoin du service public et de l’Etat.

La protection des plus faibles ou des plus démunis, la réduction des injustices, la lutte pour l’égalité d’accès à des fonctions essentielles, supposent un service public, efficace et performant, capable d’évoluer pour améliorer la prestation rendue aux citoyens. La mondialisation ne doit pas servir d’alibi pour réduire le service public, son rôle et ses missions, elle les justifie au contraire.

Il ne s’agit pas, dans notre esprit, d’une défense de structures en place. La modernisation, la démocratisation, des services publics, la recherche de leur plus grande efficience, sont, non seulement indispensables, mais urgentes. C’est le mouvement qui fait la légitimité de l’Etat. Le service public ne représente pas simplement un clivage traditionnel entre la gauche et la droite. C’est un enjeu décisif pour la démocratie, tout simplement. C’est lui qui permet l’accès au droit de tous les citoyens, à travers les territoires.

C’est parce que nous réussissons à mettre l’égalité dans la réalité que nous pouvons demander à nos concitoyens de respecter les règles, de respecter les autres, d’être solidaires.

Notre action doit être en même temps animée par l’écoute, le dialogue permanent, la volonté de faire vivre la citoyenneté sous tous ses formes. Contre ceux qui prétendent la France « in-réformable », nous devons dresser la perspective d‘un pays capable de se retrouver, au-delà de l’émiettement, de la fragmentation et de l’individualisme, autour d’un projet collectif, négocié, discuté, accepté, un projet renouant avec la belle idée des Lumières, d’une maîtrise possible d’un destin collectif, un projet donnant la confiance dans la démocratie, un projet s’inscrivant sans réticence dans un avenir européen.

La démarche du Parti socialiste n’est pas simplement de construire un programme de plus : nous en avons fait beaucoup dans le passé; ils ne produisent pas toujours la mobilisation attendue. Nous souhaitons aujourd’hui construire une stratégie de longue durée, fixant l’objectif que nous voulons atteindre pour les dix années prochaines. Nous souhaitons ainsi donner le cap, la direction, la perspective qui inspirera notre action lorsque de nouveau nous exercerons des responsabilités. Le travail qu’il nous faut maintenant mener ensemble sera inspiré par deux principes: reconnaître la vérité et faire preuve de volonté.

Reconnaître la vérité, cela n’est pas simplement appréhender le réel, faire la somme des contraintes, recenser les rigidités. C’est aussi voir toutes les aspirations, toutes les ressources, toutes les possibilités, toutes les marges de manœuvre pour une politique de changement. La vérité c’est aussi d’assumer la cohérence: cohérence entre ce qu’on dit dans l’opposition, ce que l’on a fait au pouvoir et ce qu’on sera prêt à faire demain. La cohérence entre le discours et les actes, la cohérence entre l’idéologie affichée et la pratique qui en découle. C’est pourquoi le premier mouvement doit être celui de la vérité.

La volonté politique, ensuite. Cette volonté qui consiste à affirmer et décider de ce que nous pouvons changer en un temps donné, et aussi à ne pas dissimuler ce que nous ne pouvons pas changer. C’est pourquoi la notion de projet est essentielle, l’inscription dans la durée est indispensable. La volonté politique, c’est aussi de considérer que le projet doit se construire en commun, à travers le dialogue, la concertation.

Nous voulons prouver qu’il y a des façons de penser en commun autant que des façons d’agir en commun. Sur la base de ce texte d’orientation, la réflexion et le débat doivent continuer dans le parti et avec les Français, pour que nous précisions et enrichissions ce texte en vue de l’écriture finale du projet, et, surtout, que nous en déduisions nos principales propositions qui seront au cœur de nos débats dans les mois à venir.

Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les élections] [Les documents] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]