Que faire du 29 mai ?

Dominique Strauss-Kahn
Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, lors du Conseil national du Parti socialiste du 4 juin 2005.


 
Mes amis, mes camarades,

on voit bien, au lendemain de ce référendum, que la France est en crise. Mais on sait bien aussi, et les premières interventions de ce matin le soulignent, que notre Parti est à la croisée des chemins.

La crise, chacun la sent, d’abord en Europe.

Le résultat est là, personne ne le conteste, pour autant il n’est pas illégitime de se poser des questions sur l’avenir de l'Europe. On ne va pas ranger la question européenne au Frigidaire sous prétexte que le référendum est derrière nous.

Et force est constater, et chacun ici, je pense, le reconnaîtra, que la crise est plus rapide et plus profonde encore que la plupart d’entre nous n’avaient pu l’imaginer. Si bien que nous avons une mission, nous socialistes, tous ici, c’est à la fois de tracer les voies qui nous permettront de revenir vers l’Europe politique et sociale, car personne, je suppose, n’est prêt à abandonner l’objectif. Mais en même temps à éviter que ne se défasse ce qui a déjà été construit, même si, dans ce qui a été construit, beaucoup de nos militants, et peut-être tous, moi le premier, sont d’accord pour reconnaître que ce n’est pas exactement l'Europe dont nous aurions rêvé.

Quand je vois, quelques jours après le référendum français, ce qui se passe sur l’euro. Quand j’entends le ministre de l’Économie allemande dire : « Finalement, sans l’euro, nous, grâce au Deutschmark, nous aurions aujourd’hui des taux d’intérêt plus faibles. », je sens que les ferments de ce détricotage dont il était question tout à l’heure sont à l’œuvre. Mes camarades, ne croyez pas, quel que soit le jugement que l’on porte, plus ou moins positif, sur les cinquante ans de la construction européenne, ne croyez pas que ce qui est acquis est acquis, que c’est engrangé et que jamais cela ne pourra être remis en question.

À l’inverse, c’est solide, on peut s’appuyer dessus, à condition de continuer à construire.

La crise, elle est évidemment aussi en France.

Plusieurs d’entre nous l’on dit, c’est une crise de régime, et le mot n’est pas trop fort. C’est une crise de régime lorsque le Président de la République s’adresse aux Français et qu’aucun ne l’écoute et qu’aucun ne le croit. Lorsque la parole du Président de la République, en l'occurrence évidemment celle de Jacques Chirac, on aurait pu s’y attendre, n’a plus aucun écho dans l’opinion à cause de dix ans de promesses non tenues, dix ans de reniement, alors on sent que la crise est vraiment profonde. Mais ça, ce n’est que l’apparence Chirac.

La réalité, elle a été en partie dite par François et par Vincent, c’est que la France peine à trouver sa voie entre ceux qui veulent une adaptation sans nuance à la mondialisation libérale et ceux qui, de l’autre côté, n’ont qu’un discours de démagogie qui ne tient pas compte de cette mondialisation. Le chemin entre les deux, nous ne l’avons pas encore proposé aux Français et, pour ma part, j’y vois notre part de responsabilité dans l’échec du référendum.

Car si nous avions proposé aux Français, en temps et heures, une politique alternative qui soit crédible, dans laquelle ils puissent se reconnaître, qui leur permettent de se dire : Il y a autre chose à faire que ce que fait Raffarin, alors le partage entre la critique du gouvernement et la critique du Traité aurait été plus facile. Si nous nous sommes enfermés dans cette situation de vote mêlé, c’est en grande partie notre responsabilité parce que nous n’avons pas été capables, et j’en prends évidemment, comme d’autres, ma part de responsabilité ici, de fournir aux Français une voie qui leur permette de se dire : « La question nationale est une chose, la question européenne en est une autre. »

Le résultat, on le sait, c’est un PS qui est déchiré et des militants qui sont blessés. C’est une crise politique et sociale comme notre pays n’en a pas connu depuis bien longtemps, qui, on le sait tous ici, peut dégénérer dans la rue, prendre des formes avancées de populisme ou même d’un bonapartisme abâtardi parce que, quand même, le mot peut sembler fort, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’est-ce que c’est que cette République dans laquelle le ministre de l’Intérieur, nouvellement nommé, explique à qui veut l’entendre que, s’il a choisi ce poste, c’est pour protéger ses propres intérêts et ce qu’on peut dire sur lui et que cela ne provoque dans le pays aucune réaction, aucune émotion et aucun rejet ?

C’est bien que la tendance à rechercher l’homme fort, quels qu’en soient les défauts, est une tendance qui petit à petit entre dans les esprits parce que justement la démocratie est en péril. Et, voyez-vous, sur cette voie-là, les milieux financiers, l’ensemble des milieux patronaux, finiront bien par trouver l’homme qui, à marche forcée, adaptera la France à la mondialisation libérale. Et c’est contre cela que nous devons lutter, et c’est pour cela que nous devons exister, c’est notre mission dans l’histoire, c’est notre mission aujourd’hui, et c’est pour cela que maintenant doit venir pour nous le temps des propositions aux Français qui fasse qu’ils aient une autre perspective, une autre vue de l’avenir possible que simplement, ou Raffarin, ou Villepin, ou Sarkozy. C’est notre mission maintenant, de ce point de vue, c’est à nous de la remplir.

Alors demain, c’est à cela qu’il faut s’atteler. Il y a d’autres soucis qui sont ceux qui concernent notre Parti, j’en dirai un petit mot tout à l’heure. Mais le souci principal, c’est bien le souci du contenu et du message aux Français. Et moi, j’en vois deux dimensions. La première, elle est évidemment institutionnelle, certains ont été plus rapides que d’autres à poser la question des institutions. Très bien. D’autres y viennent. Je crois qu’aujourd’hui tout le monde y est. Sortir d’un président irresponsable, d’un parlement abaissé, donner un contenu à la démocratie sociale, à l’instar de ce qui se passe dans les autres démocraties entre nous, inventer au-delà des mots, parce que pour le moment ce sont beaucoup des mots, ce que nous voulons mettre derrière la démocratie participative, là il y a un contenu de rénovation de notre démocratie auquel nous ne pouvons plus échapper maintenant. Et moi je souhaite que cette question de nos institutions, plus largement de la démocratie dans notre pays, soit un des grands chantiers du projet que chacun d’entre nous appelle de ses vœux.

Et puis, au-delà de la démocratie, il y a évidemment la crise sociale. On en voit bien les composantes : le besoin de protection auquel on ne répondra pas sans des éléments concrets de sécurité sociale professionnelle, d’appui aux salariés, des éléments sur la promotion et où, en effet l’école, avec ce qui va autour comme le logement, mais l’école d’abord et les inégalités qu’elle crée doivent être le cœur de notre réflexion. Je le dis depuis longtemps devant vous, certains y acquiescent, d’autres le critiquent, mais je voudrais qu’on poursuive le débat. Je pense que nous ne pourrons plus nous contenter de produire des pauvres et ensuite d’essayer de les sortir de la pauvreté, nous devons attaquer le système à la base, là où la production de ceux qui sont les plus défavorisés existent, c’est à la racine qu’il faut maintenant attaquer le capitalisme.

La promotion, la protection, et puis évidemment l’innovation, quelque chose qui, dans le débat européen, est un peu passé à la trappe. C’est quand même le grand mouvement que notre pays a connu sur la recherche et l’enseignement supérieur depuis plusieurs mois. Faire de la recherche une grande cause nationale, c’est la voie qu’il faut que nous poursuivions. Eh bien, sur ce triptyque : protection, promotion, innovation, nous avons, en matière sociale, des éléments de réponse à la crise que connaît notre pays.

Mais à une condition, c’est qu’on arrête d’être timides, qu’on accepte d’avancer un peu plus loin que les étiquettes que l’on colle sur les uns et sur les autres.

Je prends un exemple juste pour me faire comprendre, en trois phrases : beaucoup du débat sur le référendum a tourné autour des délocalisations, et sans doute était-ce justifié de la part des salariés qui y sont soumis ou qui les craignent. En matière de délocalisation, on peut faire de beaux discours sur la croissance, sur la valeur ajoutée retrouvée, on doit mettre en œuvre des politiques pour aider ceux qui sont dans la difficulté, mais il reste le cœur qui est de savoir si oui ou non nous avons une politique qui, en matière industrielle, car c’est bien l’industrie qui est touchée, nous acceptons d’intervenir pour sauver des morceaux stratégiques de notre industrie ou non. Et si nous acceptons, cela veut dire que nous acceptons en termes publics, et cela veut dire qu’il faut aller jusqu’au bout et que l’intervention de fonds publics dans ces entreprises doit être une de nos propositions. J’ai parlé, on s’en est gaussé, de nationalisation temporaire. Je n’ai pas peur du mot, il faut aller dans le sens de l’intervention publique, ou alors il faut renoncer.

Je finis sur le Parti.

Évidemment, le Parti socialiste n’était pas le principal visé par la colère des citoyens. Pour autant, c’est une litote, chacun reconnaîtra que nous sommes en moins bon état maintenant qu’avant le débat européen que nous avons lancé il y a presque un an. Ce qui me choque, et ce dont je veux sortir, c’est que le référendum est passé mais que l’ensemble de l’opinion, la presse évidemment interposée, continue à présenter les socialistes entre les tenants du oui et les tenants du non, comme s’il y avait deux partis. On ne peut pas rester là-dedans, il faut un seul parti et pour cela, en effet, il faut que nous allions à la seule voie que nous connaissions pour rassembler autour des idées, et qui est celle d’un congrès. L’orientation de Dijon a été pour le moins bousculée, alors reconstruisons notre orientation, peut-être très proche de celle-là, peut-être sur certains points différentes. Il n’y a pas d’autre voie pour nous retrouver que celle-ci, pour vérifier notre stratégie qui évidemment, dans la bouche de chacun, est celle du rassemblement.

J’ai bien entendu ce qu’a dit Vincent tout à l’heure, se rassembler derrière ce que nous déciderons, se rassembler derrière celui ou celle que, le moment venu, nous choisirons.

Bien sûr, Vincent, il y faudra tout le monde, mais à une condition quand même, c’est qu’une fois qu’on s’est rassemblé tout le monde suive la direction dans laquelle on s’est rassemblé.

Un dernier mot : le congrès, évidemment, c’est le lieu de l’orientation politique. Et donc c’est le lieu de la définition de notre identité. Et chacun admettra qu’elle a été pas mal chahutée au cours des derniers mois.

Si bien que je souhaite un congrès où nous soyons capables de redéfinir ce que c’est que d’être socialiste en France aujourd’hui au début du XXIème siècle. Ce n’est pas la même chose qu’il y a cinquante ans, même si évidemment les racines sont les mêmes. Mais, puisque je revoie à cinquante ans, il faut que l’on soit capable de redéfinir là où nous voulons aller, ce que nous voulons faire, sans redevenir ce qui a été le cas il y a cinquante ans, une sorte de véhicule à la remorque de ceux qui se prétendent plus à gauche que nous-mêmes.

Nous devons donc redéfinir notre orientation et rassembler la gauche sur notre orientation. C’est le combat auquel on nous a engagé depuis le Parti d’Épinay, c’est le combat qui a réussi depuis le Parti d’Épinay, il n’y a pas d’autre voie que celle qui consiste à affirmer d’abord ce que nous voulons, ne pas avoir peur de ce que nous sommes pour ensuite essayer d’aller à la confrontation d’idées et si possible à la coopération avec les partenaires qui le voudront.

De ce point de vue se crée effectivement, et je crois qu’il faut presque le souhaiter, ne pas le craindre, l’organisation de quelque chose qu’il faudra bien qu’on finisse par penser comme un bloc néo-communiste. L’organisation d’un bloc de cette nature n’est pas à craindre pour nous, c’est un bloc, ce sont des institutions avec lesquelles on peut discuter, on a l’habitude de discuter. Et c’est bien meilleur que cette sorte d’éclatement de ceux qui parfois se trouvent à notre gauche, avec lesquels il n’est pas possible de construire quoi que ce soit pour l’avenir.

Ne craignons pas la confrontation, à condition d’avoir clairement établi nos fondations, ce que nous sommes. Si bien que oui, on va en parler beaucoup aujourd’hui, du référendum et de ses conséquences, mais moi, si j’ai une seule chose à dire, c’est que le temps du référendum est passé. Le temps que nous avons devant nous maintenant, c’est le temps de nos choix collectifs et de la construction pour nous du Parti socialiste dont on a besoin pour les deux ans qui viennent.

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