Ne pas caricaturer le vote des Français

Henri Emmanuelli
Intervention de Henri Emmanuelli, député des Landes, lors du Conseil national du Parti socialiste du 4 juin 2005.


 
Mes chers camarades,

je voudrais évoquer trois points rapidement, puisque, si j’ai bien compris, nous allons avoir un congrès, encore que je souhaiterais quelques précisions, je n’ai pas bien compris la date, ni les modalités, mais enfin c’est un détail, nous aurons donc tout le loisir de faire des discours programmes.

Pour l’instant, je voudrais m’en tenir à trois points.

François Hollande a conclu tout à l’heure son intervention en disant : « Tout cela nous mène vers une conclusion qui est la nécessité d’un approfondissement de la démocratie. » Et j’en suis d’accord. Mais je voudrais dire tout de suite que l’approfondissement de la démocratie, ça ne peut pas commencer en disant que 15,5 millions de personnes dans ce pays, c’est une balle perdue de la colère. Cela me paraît grave, je le dis très tranquillement. Personne n’a dit cela ? Si, cela a même été écrit, cher(ère) ami(e), dans la semaine. Je lis tout, enfin j’essaie.

Le suffrage universel, c’est notre souverain, c’est celui à qui nous avons confié…

Entre 15 000 voix d’écart et 15 millions d’électeurs, c’est vrai que ce n’est pas tout à fait la même échelle, cher camarade, au cas où cela t’aurait échappé.

Et le suffrage universel, oui, c’est notre souverain. Et moi, je m’y suis plié à chaque fois qu’il y a eu dans ce Parti, lorsqu’il y a eu une confrontation. Parce que j’entends dire : « Si on commence à s’affranchir, que va-t-il advenir au moment de la désignation d’un candidat ? Mais c’est déjà venu, camarades, j’ai été battu, je me suis incliné, j’ai fait trente meetings pour le candidat, et en plus, alors que rien ne l’exigeait, alors que rien ne le demandait, j’ai estimé par dignité, et pour éviter au Parti de connaître des turbulences qui se produisaient en Allemagne, qui se produisaient en Espagne, de me retirer du premier secrétariat parce que je pense que, quand le suffrage universel parle, oui, cela a des conséquences.

Je ne me suis pas agrippé, j’ai remis les clés.

J’en reviens à l’approfondissement du suffrage universel, ou plutôt de la démocratie. C’est vrai que le rôle d’un parti politique n’est pas, comme je l’ai aussi entendu dire, de surfer sur le suffrage universel. Mais le rôle d’un parti politique n’est pas non plus de surfer sur l’air du temps. Et entre les deux formes de surf, je préfère le suffrage universel que l’air du temps car il me semble que, dans ce vote des Françaises et des Français, il n’y avait pas de la peur comme je l’entends, et pour ma part je ne laisserai pas caricaturer cette expression du peuple français. Il y avait des craintes comme toujours, et il y avait aussi des espérances. Et le rôle d’un parti politique, ce n’est pas de surfer sur le suffrage universel, mais c'est de porter ses craintes et de porter ses espérances. Ce n’est pas en tout cas, et j’en suis persuadé, d’être régulièrement à côté de ces craintes et de ces espérances. Car cela nous est déjà arrivé, et nous sommes ici un certain nombre à avoir dit, les responsabilités sont très partagées, qu’il fallait analyser ce qui s’était passé en 2002, bien regarder et essayer de comprendre. Cela n’a jamais vraiment été possible. Nous avons plutôt assisté à ce moment-là à des réactions d’autodéfense qu’à une véritable volonté d’explication. Et je pense que ce n’est pas sans conséquences, même s’il ne faut pas dramatiser ces choses-là à l’excès.

Dans ce vote des Françaises et des Français, il y avait des craintes, oui, Pas celle du plombier polonais parce que, le plombier polonais, il n’y a qu’un homme qui en a parlé à ma connaissance, c’est un M. Fritz Bolkestein qui l’a fait intelligemment en plus sur une télévision publique. Mais s’est développée derrière toute une théorie sur laquelle je reviendrai dans un instant, autour de l’internationalisme. Ce sera mon second point. Donc je ne laisserai pas caricaturer le vote des Françaises et des Français. Il est, comme cela a été déjà dit, je ne le répéterai pas, politiquement explicite, sociologiquement incontestablement de gauche.

À partir de là, on veut le voir ou on ne veut pas le voir, ceux qui ne veulent pas le voir ne le verront pas, mais moi, à aucun moment, on ne me coupera les paupières sur le sujet. Vous ne voulez pas voir, vous ne voulez pas voir.

Si les catégories sociales n’existent pas, elles n’existent pas, si cela vous fait plaisir, je ne vais pas passer ma matinée à vous convaincre.

Le deuxième point, c’est l'Europe. Je crois avoir, avec quelques-uns au départ, beaucoup contribué à ce que ce Parti devienne fédéraliste, je l’ai fait par défaut parce que je pensais, non pas en raison de l’espèce d’engouement pour le fédéralisme, mais que c’était le seul moyen d’avoir une gestion démocratique de cet énorme ensemble géopolitique de 450 millions de personnes aujourd’hui. Qu’en dehors d’une formule fédéraliste, nous serions dans une espèce de trou noir démocratique, ce qui est le cas aujourd’hui.

Donc à un moment ou un autre les opinions publiques ne voudraient pas, et c’est ce qui est en train d’arriver car nous avons toutes et tous mené le débat, et j’ai beaucoup entendu, comme vous toutes et vous tous, des points très précis. Rien que pour expliquer à quelqu’un le sort d’un amendement au Parlement européen, ce n’est pas un exercice facile. Et il est évident que face à la perte de protection et de contrôle des États, le sentiment que l'Europe, non seulement n’était plus protectrice, cela vient d’être dit par Arnaud, mais qu’en plus il n’y avait aucune transparence dans le processus de prise de décision, a entraîné à juste titre un rejet de l’existant.

Et nous n’avons pas la même analyse, mais nous en avons eu une commune, François, c’est celle qui nous a portés pendant les élections européennes, sur l'Europe. Lorsque nous sommes allés devant les Françaises et les Français au moment des élections européennes, nous avions à l’unanimité défini notre position sur l'Europe. C’était le traité plus sept exigences ou conditions qui se sont volatilisées par la suite, mais je pense que, pour l’avenir, et cela a déjà été dit à cette tribune, cela pourrait être une base de travail intéressante puisqu’il n’y a pas si longtemps, à l’unanimité, le Parti socialiste était rassemblé là-dessus.

Encore un petit mot sur l'Europe, et je reviens à Bolkestein.

Chers camarades, j’ai entendu dire, et cela a été blessant, qu’il y avait dans le discours de ceux qui mettaient le doigt sur le dumping social et ses conséquences de la xénophobie et que c’était une transgression de l’internationalisme. Alors, je voudrais rappeler humblement, mais avec force, que l’internationalisme, pour les socialistes, ça consiste à être solidaires des autres salariés contre le système qui les exploite, et non pas être solidaires du système qui les exploite en les jetant les uns contre les autres.

Si certains ne l’ont pas compris, c’est grave, c’est très grave. C’est le libéralisme qui, sciemment, jette la misère des pays de l'Europe de l’Est contre nos salariés les plus démunis. Et toutes les entreprises que j’ai vues, que j’ai rencontrées, j’ai trouvé cette situation insupportable qui est une sorte de retour au XIXème siècle lorsqu’on disait aux gens : « Tu n’es pas d’accord, ce n’est pas grave, il y a quelqu’un qui attend dehors et qui a davantage faim que toi. »

Eh bien non, les socialistes ne peuvent pas être en phase avec cela, et en tout cas, moi, je le dis très tranquillement, je ne le serai jamais.

C’est ça, l’internationalisme, cela ne consiste pas à déshabiller Pierre pour habiller Paul. C’est l’histoire de Saint-Martin de Tours, ce n’est pas l’histoire des socialistes. Et pour celles et ceux qui voudraient que je leur explique la différence entre Saint-Martin de Tours et le socialisme, je suis à leur disposition.

Vous pouvez huer, cela ne changera rien.

Je vais t’envoyer les coupures de presse, Ayrault… Mais qui t’a dit que je te parle, Ayrault ? Eh ben…, je sais que je suis un personnage très très important, mais je m’adressais à tout le monde. D’où mon incompréhension de voir que tu te sens personnellement interpellé.

Le troisième point que je voudrais aborder est un point qui, à la limite, ne concerne pas la minorité. Encore que je n’ai pas, au fil des interventions successives, très bien compris quelle allait être la suite de la journée.

J’ai lu des interviews cette semaine, j’ai écouté des interventions ce matin, cela ne correspondait pas vraiment, soit ce sont des oublis, soit ce sont des évolutions et, si ce sont des évolutions, je les salue.

Mais, s’il s’agit de la majorité, a priori, étant dans la minorité, nous ne sommes pas concernés. Nous devrions donc dire, logiquement, et nous le disons intellectuellement, ce ne sont pas nos affaires.

Sauf que, mes camarades, il y a un petit problème, c’est que depuis avant-hier nous avons un gouvernement de droite, un gouvernement de droite qui offre un spectre…

Nous avons un nouveau gouvernement de droite dans ce pays, oui. Oh, vous aviez très bien compris. Vous êtes vraiment très chatouilleux, ce matin, très fébriles en quelque sorte.

Nous avons donc vu hier soir un spectacle étonnant : nous avons vu le Président de la République rappeler les membres de son gouvernement à la cohérence et à l’unité le lendemain de leur nomination.

Je ne reprendrai pas là non plus tout le film qui a été déroulé sur la nature et l’historique de ce gouvernement, mais toujours est-il que la droite offre aujourd’hui à ce pays un triste spectacle.

Je me sens donc concerné avec mes amis et mes camarades parce que nous ne souhaitons pas que, face à ce triste spectacle que donne la droite, le Parti socialiste donne pour sa part un spectacle médiocre. Je ne pense pas que, compte tenu de la nature des événements, et je m’adresse au Premier secrétaire, de leur ampleur, de leurs difficultés d’ailleurs, peut-être, la réponse d’un grand parti comme le nôtre soit une réponse de crispation sur un appareil.

Donc je vous appelle à la majorité à un peu de sérénité. Si vous n’y parvenez pas, qu’il soit connu dans cette salle et hors de cette salle que nous ne nous associons pas à ce genre de manipulation.

Je crois qu’il faudra un congrès, peut-être, mais cela doit être un congrès d’ouverture, un congrès de rassemblement, un congrès qui a vocation à refonder la ligne politique du Parti socialiste, cela ne peut être en aucun cas une manœuvre d’appareil.

Merci, mes camarades.

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