La question de l'orientation du socialisme français est posée


Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Libération daté du 16 avril 2005
Propos recueillis par Didier Hassoux


 

Vous réunissez, ce dimanche, vos collectifs locaux pour le non, c'est l'embryon d'un autre PS ?
Il ne s'agit pas de cela. Nous voulons faire la démonstration que le non socialiste ne se résume pas à une juxtaposition de positions personnelles. Actuellement, plus de 80 collectifs sont présents dans autant de départements. Nous allons expliquer que, comme nous l'avions prévu, le oui de gauche a du mal à exister. Parce que voter oui, c'est accepter la nature libérale de l'Europe actuelle et contribuer à l'ancrer pour longtemps dans ce libéralisme. Comment peut-on oser dire que l'Europe sera plus sociale après avoir lu le document publié par le patronat européen sur le traité qui explique l'inverse ? Ou que le Parlement français pourra s'opposer à une directive ? Ou que la directive Bolkestein est derrière nous ?

François Hollande dit que voter non, c'est faire le jeu de l'extrême droite...
Plus qu'une erreur stratégique, assimiler plus de la moitié de l'électorat socialiste à l'extrême droite et confondre populaire et populisme est une faute. J'ai mis en garde mes camarades contre la gravité de ce contresens politique et psychologique. Je les appelle à se ressaisir. Car je pense, comme François Hollande, que, le 30 mai, il faudra chercher les moyens du rassemblement.

Votre obstination ne vous place-t-elle pas de fait à l'extérieur du PS ?
Non. Je suis et resterai socialiste, quelle que soit l'issue du référendum. Je demande simplement à la direction du parti de réfléchir. Elle doit comprendre que le contexte social est inacceptable et que M. Chirac ne recule devant aucun mensonge. Il y a un an, le premier secrétaire expliquait que si M. Chirac détournait le sens du référendum, il se réserverait la possibilité d'« aviser ». Je lui dis que le temps est venu d'« aviser ».

Plus on se rapproche de l'échéance du 29 mai, moins une réconciliation entre socialistes paraît possible...
Si le oui l'emporte, le PS ne pourra oublier que la moitié de la gauche, au moins, aura voté non. Si le non gagne, le problème se posera aussi, mais avec moins d'intensité. Dans tous les cas, la question de l'orientation du socialisme français est posée. Faudra-t-il passer par un congrès ? Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que trente-quatre ans après Epinay, une période s'achève. Il n'est pas imaginable que le PS soit, le 29 mai, à côté de son électorat comme il l'a été, le 21 avril 2002. Le PS a 100 000 adhérents mais comptabilise des millions d'électeurs. Il nous faut un nouvel Epinay.

Le rôle de la social-démocratie n'est pas d'être un avatar du libéralisme. Elle doit s'opposer à lui et constituer la colonne vertébrale du progressisme européen. Notamment en prenant en charge la défense de l'emploi et du salariat européen, lourdement menacés par les délocalisations dans le contexte d'un libre-échange sauvage voulu par le libéralisme. En ne le faisant pas, elle condamne au pessimisme et au désespoir les populations victimes de la régression sociale. Elle prend la lourde responsabilité d'un retour en force de l'extrême droite sur un continent qui a malheureusement des antécédents.

Vous visez qui ?
Ils se reconnaîtront. Il est triste d'entendre des dirigeants politiques s'adresser au peuple français en lui expliquant qu'il est condamné à voter oui parce qu'il ne compte plus, de les voir théoriser l'alignement et légitimer le renoncement. C'est la négation de l'état d'esprit qui a fondé la gauche, c'est-à-dire le refus du fatalisme et de l'ordre triomphant. C'est des chômeurs allemands et espagnols que devraient s'occuper Schultz et Borrel, plutôt que de venir expliquer que nous risquons d'être isolés.

Laurent Fabius peut-il incarner ce PS de l'après-29 mai ?
La présidentielle empoisonne tout. Ceux qui sont obsédés par cette échéance feraient mieux de se demander s'il y a de l'eau dans la mer censée les porter, plutôt que de peaufiner leur catamaran. On nous a pourri le référendum interne avec cette question et je vois que, faute d'arguments convaincants, ceux qui craignent la victoire du non aimeraient que ça recommence. Ils ne me trouveront pas sur ce terrain.

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