Ne pas installer entre nous de faux clivages

Gaëtan Gorce
Intervention de Gaëtan Gorce, député de la Nièvre, lors du Conseil national du Parti socialiste du 17 septembre 2005.


 
Mes chers camarades, nous avons le sentiment, dans le débat qui s’est engagé depuis le 21 avril, et qui s’est poursuivi tout au long de ces mois et relancé encore par le 29 mai, que ce Congrès pourrait se faire autour d’une question identitaire : qu’est-ce que la gauche ? Où va la gauche ? Qui est de gauche ? Bonne question. À la condition, naturellement que l’on ne cherche pas à y apporter des réponses trop simples, qu’on ne cherche pas à installer entre nous des faux clivages, mais qu’on fasse bien en sorte que ce Congrès soit consacré au vrai débat.

Les faux clivages, nous les voyons, nous les entendons, nous les avons parfois encore entendus ce matin. Il y aurait peut-être une opposition forte entre nous, entre ceux qui seraient résignés au capitalisme tel qu’il est et au mouvement du libéralisme, et ceux au contraire qui seraient prêts à s’y opposer, comme si entre nous la différence n’était pas de nature politique mais simplement affaire de caractère ou de tempérament.

Nous avons même entendu certains d’entre nous exprimer qu’il fallait que le socialisme, ce soit la résistance comme si, face aux changements du monde, nous n’avions d’autre solution que de nous replier sur nous-mêmes pour défendre ce à quoi nous sommes attachés sans pouvoir ouvrir de perspectives. Et enfin, autre clivage, que Jean-Luc a encore ranimé tout à l’heure, entre le oui et le non, c’est vrai que nous nous sommes exprimés dans ce parti différemment, qu’il y a eu une majorité dans le parti, il y a une majorité dans le pays, mais si nous organisons de manière définitive cette coupure, cette division, si nous constituons ce fossé comme fondateur, comme nous l’a dit Jean-Luc, alors comment pourrons-nous nous rassembler ?

Certes, il ne faut pas d’exclusive à gauche, mais alors pas d’exclusive d’abord entre les socialistes. Et c’est comme cela que nous pourrons nous rassembler.

Lorsque j’entends ces expressions, leur force, je me demande parfois si elles n’expriment pas finalement plus d’angoisse que de certitude car c’est vrai que nous, socialistes, nous sommes en train de nous interroger sur les changements et la manière de les aborder avec le plus de force, d’énergie et d’imagination.

C’est vrai que nous avons peut-être du mal à nous placer de plain-pied avec un monde qui bouge et qui s’ébranle depuis vingt ans. L’effondrement du communisme nous a privés d’une alternative globale, cette perspective s’est fermée et nous sommes dans l’économie de marché.

En même temps, la révolution technologique, les changements des méthodes de consommation, tout cela a également bousculé la manière dont nous pouvions concevoir la richesse et la croissance. La poussée de l’individualisme a même mis en cause notre conception de la société et parfois de la laïcité. Faut-il tirer la conclusion que serait posé désormais sur le monde un large manteau noir ? Ou faut-il au contraire considérer que nous pouvons placer notre action dans une perspective plus large d’un monde et d’une société qui bougent, mais pour lesquels, dans la recherche de nouveaux équilibres, les socialistes sont ceux qui peuvent apporter les éléments de réponse ? Il y a devant nous de vrais débats de vrais défis sur lesquels je souhaiterais plutôt que ce Congrès s’oriente, que les débats et les clivages que j’ai évoqués tout à l’heure. Comment faire accéder le plus grand nombre à la société de connaissance ?

Comment faire en sorte que dans un monde qui est aujourd’hui marqué par dans de peuples martyrisés par la faim, le sida ou l’oubli, ils puissent accéder au statut de citoyens du monde ?

Comment faire en sorte de redonner un élan à une croissance qui aujourd’hui si molle corrompt notre société parce qu’elle ne donne plus les ressources, les richesses, les revenus nécessaires pour arriver à financer la solidarité ?

Et toutes ces questions : comment adapter également notre modèle de développement aux enjeux d’un environnement et aux enjeux d’économies d’énergie. Toutes ces questions sont des questions centrales pour nous, Français, socialistes, et nous devons rechercher les solutions et les réponses. C’est vers cela que nous devons nous orienter, et non pas en permanence en ranimant les vieux débats qui opposeraient deux gauches comme s’il y avait un socialisme à deux vitesses, comme si nous pouvions nous rassembler ailleurs qu’à gauche, comme si le Parti socialiste pouvait avoir une politique qui soit autrement que socialiste, comme s’il ne pouvait chercher les alliances ailleurs qu’avec ceux qui sont à gauche et qui partagent avec des différences et des difficultés sa vision du monde, en tout cas des changements qui sont nécessaires.

Et c’est dans cette perspective que nous nous sommes réunis à quelques-uns pour tenter de défendre cette vision un peu décalée par rapport au débat que j’entends parfois et que nous allons maintenant l’exprimer au sein de la motion présentée par François Hollande tout en défendant notre spécificité. Nous aurons le souci de défendre dans ce débat, et après ce débat, une vision d’un projet socialiste qui doit être avant-gardiste sur les questions de société, en assumant complètement son choix de la liberté, dans le domaine des mœurs comme dans le domaine naturellement de la laïcité.

Un parti qui doit être progressiste sur le plan social pour imposer un nouveau compromis qui permette effectivement d’apporter aux salariés fragilisés les protections nouvelles dont ils ont besoin.

Un parti qui soit généreux, ouvert sur le monde et sur l'Europe et qui soit en situation d’offrir des perspectives et non pas simplement de parler d’une manière qui serait ou qui pourrait être interprétée comme un simple repliement.

D’un parti qui décide d’affronter également de plain-pied l’ensemble des enjeux qui nous sont posés, notamment par l’écologie, à travers l’affirmation d’une citoyenneté écologique.

Ce sont cela les enjeux que nous voulons défendre, comme ceux d’un parti qui doit être plus fort, car nous voyons bien qu’une des questions aussi qui a été sans cesse repoussée au-delà de la clarification de notre projet, c’est celle de la modernisation de notre Parti, faire en sorte que le débat et la délibération politique retrouve toute sa place dans nos instances et pas à l’extérieur.

Faire en sorte que nos règles collectives soient respectées, mais surtout qu’elles soient bien définies à travers ces débats. Faire en sorte que nous sachions nous adapter aux nouvelles pratiques militantes et aux attentes de nos concitoyens. Toutes ces questions restent posées et je ne crois pas qu’elles se résumeront, dans les réponses que nous pourrons leur apporter, aux clivages que je vois surgir de ce Conseil national et qui cherchent à stratifier, à boucher finalement la perspective d’un véritable changement puisqu’il nous oppose, comme je l’indiquais, sur les clivages qui ne sont plus aujourd’hui adaptés.

Je conclurai simplement en disant que je regrette au fond, à travers ce qui se passe aujourd’hui, qui va nous amener jusqu’au Congrès du Mans, que nous ayons tiré entre nous une sorte de rideau de fer comme si nous étions désormais séparés jusqu’au Congrès du Mans par les clivages que j’indiquais.

Puisque nous n’avons pas réussi à faire tomber ce mur qui nous sépare artificiellement, me semble-t-il, et peut-être pour de mauvaises raisons avant ce Congrès, alors il faudrait le faire tomber après. Et si nous nous battrons pour un projet clair, si nous nous battrons pour un parti plus fort, nous nous battrons aussi pour que la majorité, qui ne doit pas être reconduite mais qui doit franchir une nouvelle étape, car c’est comme cela qu’il faut la situer, cette majorité s’élargisse dès le Congrès pour nous permettre d’aborder les échéances nouvelles avec des idées renouvelées, avec une véritable ambition, avec une capacité à rassembler, d’abord les socialistes, puis la gauche tout entière et, naturellement, les Français car, bien sûr, nous nous adressons au peuple de gauche, mais nous nous adressons aussi et en particulier au peuple français auquel nous devons fournir les solutions que la droite, aujourd’hui, ne lui apporte pas.

Merci, mes camarades.

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