Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Mutualité - 1er février 2003



Discours de Benoît Hamon, ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS)


 
Cher(e)s camarades,

Nous revoilà réunis 3 mois après le lancement du Nouveau Parti Socialiste.

Un lien fondamental continue de nous rassembler.

Nous restons habités par la volonté de ne pas laisser le temps gommer, effacer, l'analyse des raisons profondes du traumatisme du 21 avril.

Bien sûr avec le temps, nous analysons la situation avec plus de lucidité moins de passion. Mais justement, maintenant que la raison vient au secours de notre émotion, elle souligne un peu plus encore, que ce soir d'avril 2002, la défaite que nous avons vécue était bien autre chose qu'un simple revers électoral.

Ca n'est pas une défaite comme une autre.

Pourquoi ?

Parce que il y a eu plus de français à voter Front national que socialiste au 1er tour des présidentielles. Souvenez-vous, quand le FN a dépassé le PC. On s'est d'abord ému et puis habitué. Puis le FN a représenté un français sur 10. On s'est à nouveau ému et finalement encore accommodés.Le 21 avril, un cap décisif a été franchi, ils sont devenus plus nombreux que nous.

Je ne sais pas comment d'autres font, mais nous, au NPS nous n'arrivons à remiser cette réalité au rang des considérations périphériques, accidentelles ou collatérales, comme on veut.

Pour nous, cela appelle la responsabilité, la gravité aussi.

Nous ne croyons pas que les 5 ans à venir doivent être consacrés à attendre tranquillement que la politique de la droite rassemble suffisamment de mécontents pour permettre mécaniquement, par défaut notre retour aux responsabilités.

Nous ne croyons pas que la posture efficace soit celle qui consiste à pratiquer une opposition constructive à la droite et à exprimer une crispation frileuse et autiste vis à vis du mouvement social et de la radicalité qu'il exprime parfois.

Je fais une parenthèse : il est quand même curieux que l'on ait davantage entendu de critiques et d‘envolées martiales contre Besancenot que Sarkozy. Nous ne croyons pas que la solution ni l'exemple soient à l'extrême gauche. Mais nous ne pensons non plus que notre adversaire politique soit là. L'adversaire c'est la droite, rien que la droite surtout, quand celle ci démantèle en 6 mois toutes nos lois sociales et sous prétexte de rétablir la sécurité, elle réhabilite un ordre moral insupportable.

Cet adversaire doit être d'autant plus combattu que sa politique - le désordre économique et le désordre social d'une part, l'ordre public de l'autre - préparent selon nous - tout simplement le terreau à l'arrivée un jour de l'extrême droite au pouvoir.

Cette progression électorale de l'extrême droite, inscrite dans le marbre des 20 dernières années devrait suffire à rendre indispensable l'inventaire collectif de nos responsabilités dans cet échec ;un échec qui réunit hélas toutes les caractéristiques d'une défaite politique, sociale et culturelle pour notre parti.

Et cette réalité peine à être assumée. On l'esquive, on s'en détourne, on la dissimule.

Certains veulent en finir au plus tôt avec cet examen désagréable. En finir avec le 21 avril, comme l'écrit François Hollande dans l'introduction de sa contribution à notre congrès.

Et bien nous, nous ne voulons en finir de sitôt. Nous, nous disons et assumons : nous avons notre part dans l'échec du 21 avril. En tant qu'élus, militants, parlementaires, syndicalistes, simples citoyens de gauche. La responsabilité de n'avoir pas suffisamment traduit dans l'action politique la demande sociale des classes populaires.

Et nous réclamons de la direction de notre parti, de tous ses dirigeants, élus, anciens ministres, qu'ils cessent de s'abriter derrière le départ de Lionel Jospin. Ce n'est pas parce qu'il a été digne pour nous tous, que cela exonère chacun d‘entre nous de l'inventaire individuel de sa responsabilité dans l'échec collectif. Voilà notre première exigence, celle des militants aussi.

Au-delà, quelque chose d'autre dans cette défaite nous a laissés à tous un goût amer.

Un malaise palpable qui n'était pas seulement la conséquence du choc lui-même de la défaite au soir du 21.

Quelque chose d'autre restait de la confrontation sur le terrain avec les français.

Nous avions eu l'impression, souvent, de ne même pas intéresser nos interlocuteurs, de susciter davantage l'indifférence que la défiance, d'être parfois plus ignoré que rejetés.

Que se passait-il ? Les réunions publiques et les diffusions de tracts s'enchaînaient. Le malentendu durait. Des candidats et des militants s'efforçant de convaincre. Des électeurs ne s'intéressant qu'à ce que leur vote pourrait leur rapporter à eux. Plus personne - à quelques rares exceptions - pour resituer ses difficultés dans un contexte global, pour se revendiquer d'un camp ou d'une classe.

Cet éclatement de la demande sociale, nous l'avions déjà analysé

Nous avons voulu lui prêter les vertus d'une autonomie synonyme d'émancipation individuelle.

Il s'agissait en réalité du produit venimeux de la libéralisation culturelle de la société : l'individualisation croissante des comportements.

Cette culture nouvelle s'alimente de la religion du « zéro conflit zéro risque » ; d'accord pour le progrès collectif, tant qu'il ne me nuit pas, et surtout qu'on ne me demande pas de me battre pour le faire avancer... tel est le nouveau mot d'ordre de ceux qui ne pensent leur rapport à la société que sur le mode de la consommation...

Le 21 avril sanctionne en fait la défaite de nos valeurs. Ce sont désormais la compétition individuelle, la mise en concurrence, la recherche de la rentabilité immédiate qui organisent non seulement le champ économique mais sont parvenues à s’insinuer dans les relations sociales, dans l’idée que chacun se fait de la meilleure manière de s’élever dans la société.

Et, au Nouveau parti socialiste, nous refusons la prédominance de ce modèle culturel là. Nous refusons sa fatalité et ne donnons pas à ce congrès la mission d’adapter l’orientation des socialistes à ce nouveau contexte mais plutôt, la mission d’en remettre en cause la logique.

Nous pensons le 21 avril doit avoir aussi ce mérite et ce rôle : lancer les socialistes dans la reconquête des valeurs, dans la recherche des conditions sociales et culturelles pour nous permettre de revenir aux responsabilités sans doute, le plus vite, certainement, mais mieux, de faire en sorte que la société toute entière soit l’alliée de nos objectifs de changement.

devra impérativement être la traduction dans les urnes de la victoire de nos valeurs, obtenue auparavant dans la société, le prolongement d’une hégémonie culturelle retrouvée.

Quel plus bel exemple que celui de Lula, nouvelle icône de la gauche devant lequel, les socialistes du monde s’affichent pour rehausser les couleurs de leurs convictions, faire croire à Porto Alegre qu’il demeure un peu de rouge dans leur engagement, quand ailleurs ils s’affichent rose très très pale.

Lula commentait ainsi sa victoire à Porto Alegre : « je n’ai pas été élu par une chaîne de télévision, ni par l’élite économique, ni même grâce à ma propre intelligence mais par la conscience politique du peuple brésilien ».

Et bien, chers camarades, voilà notre chemin.

Il faut redonner aux classes populaires, aux salariés, aux retraités, une conscience politique fondée sur la certitude que leur mal être, n’est pas le résultat de la concurrence de celui qui partage la même peine qu’eux mais bien la conséquence de l’inégalité centrale dans la redistribution des richesses entre le capital et la valeur travail, d’un recul de la démocratie au profit de la loi du marché, d’un reflux de la maîtrise collective de notre destin sous l’impact des nouvelles règles du jeu libérales. Il faudra aussi convaincre que seule la stratégie du rapport de force social et politique populaire est en mesure de transformer leurs espoirs en mobilisation d’abord et leur mobilisation en changement, enfin.

Cette reconquête des valeurs est pour nous, une condition indispensable pour permettre que : demain, lorsque le suffrage universel ramènera les socialistes aux responsabilités, il ne les y ramène pas seuls. Qu’il ramène ce jour là, avec eux, le peuple au pouvoir.

De cette perspective stratégique découle l’ambition de notre texte : il faut changer de, d’orientation, de pratiques, de visage. La lutte contre les inégalités doit être au cœur de cette métamorphose nécessaire

Notre contribution fait des outils de l’égalité, une pièce centrale de nos propositions aux militants socialistes.

Arrêtons-nous sur la nature du débat dans notre parti. Certains annoncent la fin du conflit capital/travail comme d’autres ont annoncé la fin de l’Histoire… Il faudrait désormais trouver le salut des salariés dans le développement de l’intéressement et de la participation qui leurs permettraient de bénéficier de l’amélioration de la rentabilité du capital puis l’essor des fonds de pension viendrait prolonger cette douce harmonie entre les intérêts du capital et ceux du travail au-delà de l’âge de l’activité...

Cette vision anesthésiante des rapports de force à l’œuvre dans la bataille pour la répartition de la richesse produite, cache une réalité beaucoup plus cru : sur les 20 dernières années, l’écart entre détenteurs de capitaux et salariés s’est considérablement accru. La richesse produite se répartissait dans les années 80 à 70 % en faveur du travail et à 30% en faveur du capital. 20 ans plus tard, dont une quinzaine sous gouvernement socialiste, ce partage s’équilibre à 60 % en faveur du travail et 40 % en faveur du capital. Malgré l’action du gouvernement de Lionel Jospin qui a réussi à stabiliser le recul de la rémunération du travail vis à vis de celle capital cette inégalité fondamentale illustre l’actualité du socialisme plutôt que la nécessité de son dépassement.

Nous restons fidèles au constat fondateur du combat socialiste : il y a conflit d’intérêt entre travailleurs et détenteurs du capital. Certes, le « nouvel âge du capitalisme » en brouille les frontières, tant il a entraîné un affaiblissement des identités de classe, la dissolution du sentiment d’appartenance à un groupe déterminé par sa condition sociale.

Face à cette dégradation, les discours résignés se suivent, faisant du social, la conséquence fâcheuse mais obligatoire des disciplines nobles de l’économie, destinant l’action sociale à la mise en œuvre des dispositifs qui installe une part croissante la population sous perfusion sociale pour éviter qu’elle ne se mettre en travers de la route du système qui la condamne pourtant à la relégation.

A l’inverse de cette logique, nous refusons de considérer l’économie comme un « champ interdit », amendable seulement dans ses marges.

Nous pensons qu’une juste répartition de la richesse entre travail et capital est bonne pour la croissance, bonne pour l’économie, et pas seulement pour les salariés.

Les exigences de taux de rentabilité du capital sont telles aujourd’hui, que le capitalisme en vient à vampiriser la vie des entreprises, tant il freine les investissements, les créations d’emplois, la recherche, toutes activités pourtant essentielles au bon fonctionnement de l’économie.

Que l’on songe à toutes les fermetures d’entreprises saines économiquement, aux carnets de commandes pleins, rayées d’un trait de plume par des investisseurs qui ont estimé que leurs capitaux pourraient mieux fructifier ailleurs…

Il faut cesser de croire que pour que l’économie fonctionne bien, les salaires doivent être bas, les horaires « souples », les embauches « flexibles » et les salariés « mobiles ». Il nous faut articuler notre vision du progrès social avec une ambition économique, pour une économie démocratisée, libérée des oukases de la BCE, une économie tournée vers la production de richesses justement réparties, une économie mise au service de la société, au lieu d’une société asservie par l’économie libérale.

La question des services publics et de leur avenir sera emblématique de notre degré de volonté à combattre les inégalités.

Pour cela nous devons, y compris auprès de certains de nos camarades reprendre quelques démonstrations simples et éclairantes.

Le service public est un des éléments fondamentaux de la cohésion nationale, sociale et territoriale dans notre pays.

Il est la traduction concrète d’une ambition collective, d’un projet de développement fondé sur l’égalité. Egalité d’accès à des biens et des services essentiels ; égalité des droits et devoirs de chaque citoyen sur un territoire donné.

Dans le monde dans lequel nous vivons, le service public fixe aussi le niveau de résistance qu’une Nation entend opposer à la marchandisation des biens et des services.

Cette double ambition de date pas d’hier, mes camarades, elle n’est pas le résultat théorique, éthéré, de la réflexion de quelques idéologues coupé des réalités du monde.

L’idée des services publics est née d’un constat et d’une volonté. Le constat, c’était que l’initiative privée ne parvenait pas à satisfaire les besoins de la population. Le transport, l’énergie mais aussi la protection sociale, tous ces éléments de vie quotidienne qui font qu’une société devient une collectivité et pas une addition d’individus isolés.

Car c’est bien-là l’ambition assignée aux services d’intérêt général. Des activités économiques au service d’un projet, d’une mission, de valeurs, mes camarades… De valeurs…

On nous dit depuis trop longtemps maintenant que ces valeurs du service public doivent être « adaptées » au monde d’aujourd’hui. Que c’est une vision dépassée, archaïque… Que ce qui fonctionne d’abord et avant tout dans l’économie comme dans la société, c’est la compétition, seule à même de stimuler les individus…

Il paraît que ça, ce n’est pas de l’idéologie, c’est du bon sens...

Et bien je pense que nous avons-nous aussi des arguments de bon sens à opposer à cette sentence.

Deux exemples :

L’exemple d’EDF-GDF d’abord : personne ne peut contester que c’est une entreprise économiquement performante. Mais EDF, c’est bien plus que cela. Sa création est la traduction de l’ambition de toute une nation, un projet industriel de développement au service de notre pays et des valeurs fondées sur l’égalité entre chaque citoyen sur le territoire.

Vouloir préserver l’avenir de ce formidable outil au service de la collectivité ne relève pas de la crispation idéologique ou de la raideur morale.

EDF doit son niveau actuel de performance économique et la motivation des femmes et des hommes qui y travaillent à la combinaison d’une stratégie de développement industrielle avec la recherche systématique de l’intérêt général.

Lorsqu’en 1999 la tempête a ravagé notre pays. La mobilisation des salariés a été exemplaire.

Cette motivation, leur mobilisation exemplaire n’était pas consécutive à la peur que le concurrent de leur entreprise soit présent avant eux sur le terrain et emporte, à terme des parts de marché... Non, leur engagement, était guidé par un seul objectif : remplir leur mission, être au service des citoyens...

Chers camarades, la compétition ne peut pas être l’axiome exclusif des rapports dans la société. La valeur qui régit tout, organise tout, justifie tout. Cet exemple pris à propos d’EDF nous permet d’opposer aux libéraux, y compris sur le terrain économique, qu’il existe d’autres moteurs pour agir et progresser que la concurrence et le marché.

La recherche de l’intérêt général est aussi un moteur pour la performance économique…

Je prends un deuxième exemple, la privatisation et la compétition peuvent produire l’effet inverse de ce qu’elles sont censées garantir, diversité et émulation.

Quel meilleur exemple que celui de l’audiovisuel, en France ?
 Uniformisation
 Service public tiré vers le bas

Nos propositions :
 3h00 par jour
 limite la participation des entreprises vivant de la commande publique au capital des entreprises audiovisuelles
 fin de la pub sur émission enfants
 Télé publique financement public

Ces propositions singularisent notre démarche.

Notre vision de l’avenir de services publics ne se limite pas à un appel à la résistance. Nous voulons être offensifs.

Au-delà du refus d’ouvrir le capital des entreprises publiques, il importe de clarifier ce que la Nation considère devoir relever aujourd’hui d’une mission de service public assurant l’égalité d’accès aux biens et services fondamentaux à ses citoyens.

Le développement des missions de service public peut amener la puissance publique à la prise ou à la reprise du contrôle sur des entreprises exerçant des missions fondamentales d’intérêt collectif.

C’est le cas de la distribution de l’eau.

L’autre instrument majeur de la lutte contre les inégalités c’est la fiscalité.

Que n’a t’on pas entendu de la part de la droite, sur la « compétitivité du site France ». Il a suffit qu’un groupe d’économiste issu de Davos, sorte un classement « bidon » sur le recul de la France pour que, sans retenue, ni précaution, le premier ministre Raffarin, se jette dessus pour justifier baisses d’impôts en tout genre, ISF, impôts sur le revenu, etc...

Le problème, mes camarades, c’est que cette vague libérale est venue éroder le fondement de nos propres convictions de socialistes.

Malheureusement mais c’est trop tard, il est maintenant acquis que ce n’est pas en baissant les impôts qu’on gagne une élection.

Il y a même des contre-exemples… Récents… En Europe… Nos camarades suédois ont, une fois de plus, gagné les élections. Ils l’ont fait cette fois d’une manière qui pourrait apparaître anachronique puisque, dans leur programme, figurait l’augmentation des impôts... Pour financer des investissements dans le secteur de la santé et de l’éducation.

En matière de fiscalité comme sur les autres sujets ce sont les valeurs qui doivent guider notre action. Un haut niveau de services collectifs performants, une juste contribution de chacun en fonction de ses moyens et de l’origine de ses revenus. Privilégier les revenus du travail sur les revenus de la rente, restaurer et amplifier la progressivité de l’impôt, simplifier les procédures pour permettre à chacun de vérifier que sa propre contribution est juste au regard de sa situation et de celle des autres.

Voilà ce qui pourra mobiliser les citoyens.

Nous déclinons ces valeurs en propositions concrètes. J’en cite seulement deux.

 la création d’un impôt universel et progressif dans lequel sont fusionnés, l’IR, La CSG et les impôts locaux.

 Ensuite, la mise en place d’un véritable impôt sur le capital car nous ne pouvons pas accepter que notre système d’imposition sur le patrimoine privé soit plus faible qu’aux USA ou en Grande-Bretagne.



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