Le rétablissement du calendrier électoral


Discours lors du débat relatif à l'avenir des institutions prononcé à l'Assemblée nationale en décembre 2000.
 

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,

L'année 2000, qui s'achève dans quelques jours, aura été une année importante pour nos institutions et pour la vie démocratique de notre pays. Le 24 septembre dernier, le peuple français a approuvé par referendum la révision constitutionnelle instaurant le quinquennat que le Parlement avait au préalable votée. Aujourd'hui, à l'initiative de plusieurs personnalités et de groupes politiques de l'Assemblée nationale, celle-ci a engagé une discussion plus large sur l'avenir des institutions avant d'examiner six propositions de loi visant à rétablir, en 2002, l'ordre logique des élections présidentielle et législatives. Comme vous l'avez souhaité en organisant ces questions orales avec débat, et après avoir écouté les positions exprimées par chacune des sensibilités présentes dans cet hémicycle, je voudrais apporter ma contribution à cette réflexion et à votre prise de décision.

En l'état actuel du calendrier, les élections législatives devraient sans doute se tenir les 10 et 17 mars, suivies de l'élection présidentielle les 21 avril et 5 mai 2002.

Ce calendrier est, on le sait, tout à fait fortuit. Il est l'effet conjugué de l'aléa d'une vie - la mort du Président Pompidou en 1974 - et d'une décision politique inattendue - la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat.

Si ce calendrier était maintenu, pour la première fois dans l'histoire de la Cinquième République, on verrait le Président élu juste après les députés. Nombreux sont ceux qui pensent, après avoir examiné cette situation, qu'une telle séquence, sans précédent, fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu'elle est contraire au bon sens. Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il en était encore temps. Je partage cette conviction.

Je voudrais d'abord répondre à l'objection - la seule en réalité que certains avancent, faute de s'exprimer sur le fond - selon laquelle une telle proposition serait de convenance. Il est aisé de montrer la faiblesse de cette objection.

Le premier argument est simple et il est politique. Nul ne peut quinze mois à l'avance prévoir le résultat de l'une ou l'autre élection, ni décider à qui tel ou tel ordre pourrait profiter. Ceux qui prétendent que les socialistes craignent les législatives ne font-ils pas penser qu'ils craignent eux-mêmes la présidentielle ? En réalité, la majorité actuelle n'a pas de raison de penser qu'elle perdrait les élections législatives. Elle ne saurait par ailleurs regarder l'élection présidentielle comme acquise. Dans chaque cas, c'est le peuple qui tranchera. Et l'on a vu à plusieurs reprises qu'il était imprudent d'anticiper sur son jugement.

C'est en tout cas le moment pour décider du calendrier. Nous sommes à seize mois de l'élection présidentielle. Aucune candidature n'est véritablement déclarée. La campagne est encore loin. Si le calendrier actuel est aberrant, le devoir des responsables politiques est de dire pourquoi et de le changer. Les Français n'ont peut-être pas, pour l'instant, pris toute la mesure des graves inconvénients de ce calendrier, mais ils les réaliseront, n'en doutons pas, au cours des prochains mois. Il sera alors trop tard pour rétablir un ordre normal entre les deux élections et les Français pourraient collectivement nous le reprocher. D'ailleurs, il n'y a pas si longtemps, moins de trois mois seulement, nous avons adopté le quinquennat qui s'appliquera dès la prochaine présidentielle et nous aurions pu, à cette occasion, débattre plus largement de l'avenir de nos institutions et même du calendrier, si le Président l'avait accepté.

La décision qui vous est proposée est si peu de convenance que plusieurs leaders politiques d'horizons différents, dont M. Valéry Giscard d'Estaing, ancien Président de la République, et deux anciens Premiers ministres issus de majorités politiques différentes, M. Raymond Barre et M. Michel Rocard, ont demandé parmi les premiers le rétablissement d'un calendrier plus logique. Cette approche est si peu circonstancielle, que les constitutionnalistes, au premier rang desquels le doyen Vedel, ont recommandé de replacer les élections législatives après l'élection présidentielle. En vérité, la seule surprise de ce débat est que la formation politique qui se réclame au premier chef de l'héritage gaulliste ne porte pas cette exigence.

Si le calendrier électoral est remis sur ses pieds :
 les Français choisiront leur Président de la République à la date prévue et sans que soit changé le mode de scrutin. Ils éliront le Président pour cinq ans, comme ils l'ont décidé.
 les Français éliront ensuite les députés selon un mode de scrutin et avec un découpage électoral inchangés. L'élection se fera simplement en juin au lieu de mars.

J'observe que la prolongation de mandats électifs pour quelques semaines a des précédents validés par le Conseil constitutionnel : celui-ci avait admis, en 1990, la prorogation d'une année de la moitié des conseillers généraux et, en 1994, celle de trois mois des conseillers municipaux.

La proposition de calendrier qui est faite par des groupes différents au sein de votre Assemblée est celle qui convient. Elle assure la cohérence de notre système politique, la clarté du processus électoral et l'égalité des candidats devant le scrutin.

La cohérence implique de rétablir l'ordre du calendrier républicain, puisque la dissolution de 1997 a inversé l'ordre normal des rendez-vous démocratiques.

Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel direct par les Français dans une circonscription unique où tous les citoyens et les citoyennes sont appelés à voter. C'est cette élection qui a structuré la vie politique nationale des dernières décennies. 1965, 69, 74, 81, 88, 95 : chacune de ces dates est pour vous tous significative.

Alors, on peut toujours proposer de supprimer l'élection du Président au suffrage universel - mais qui le ferait aujourd'hui ? -, mais on ne peut pas faire de cette élection majeure l'élection seconde. Or, personne n'avait imaginé que des élections législatives puissent se tenir cinq semaines avant l'élection présidentielle au risque d'en dénaturer le sens.

Par respect pour nos concitoyens et pour la dignité même de l'élection présidentielle, il ne saurait être question de la cacher, on pourrait presque dire de l'embusquer derrière les élections législatives. Elle ne peut pas être le solde des élections à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi, sur une question de cette importance, et au-delà des clivages partisans, chacun doit prendre ses responsabilités sans s'abriter derrière des arguments purement formalistes.

Il y va de la cohérence entre l'exécutif et le législatif. Puisque notre système institutionnel est à la fois présidentiel et parlementaire, il est bon qu'il y ait en général cohésion entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.

Quand nous arriverons en 2002, nous aurons sans doute connu cinq ans de cohabitation, autrement dit d'exécutif partagé. Certes, grâce aux précautions prises par le Président et le Gouvernement, ces cinq années auront sans doute été vécues sans drame. Mais elles n'auront pas favorisé l'unité et la simplicité que requiert l'action.

La cohérence entre la majorité des députés, le Gouvernement et le Président reste une garantie d'efficacité.

La cohabitation peut toujours survenir si les Français la provoquent par leurs votes. Mais elle doit être conçue comme une parenthèse. En politique comme en stylistique, les parenthèses sont faites pour être brèves. Or il est clair que la dynamique de la cohérence est la plus forte si l'élection présidentielle précède les législatives, rendant ainsi moins probable le risque de cohabitation.

En revanche, cette cohérence n'implique pas le sacrifice du pluralisme, qui doit et peut s'exprimer aussi bien lors du premier tour de l'élection présidentielle, où toutes les sensibilités sont portées par des personnalités fortes, qu'au moment des élections législatives.

Le choix du quinquennat procédait déjà de ce souci de cohérence. Bien entendu, aucun ordre d'élection ne permet de garantir celle-ci mécaniquement. Mais la séquence électorale doit contribuer à donner au débat la clarté dont les citoyens ont besoin pour forger leur opinion.

Je voudrais insister sur cette nécessaire clarté. Compte tenu du délai très bref entre les deux élections, le rendez-vous démocratique de 2002 formera un tout. La question est de savoir comment aborder ce tout, pour que chacune des deux élections puisse vraiment jouer son propre rôle.

Si l'élection du Président vient après les législatives, la question du moment et de la durée de la campagne présidentielle sera inévitablement posée. Ou la campagne présidentielle est précoce et elle noiera celle des législatives, empêchant l'expression des programmes des formations politiques et la valorisation des candidats députés dans leurs circonscriptions. Ou bien la campagne présidentielle est tardive et l'élection du Président sera éclipsée et abaissée. Il y a à l'évidence un risque d'interférence néfaste.

Au contraire, si l'élection présidentielle a lieu la première, elle peut se préparer et se dérouler dans la clarté, selon les règles habituelles, et porter sur les grandes orientations proposées au pays par les différents candidats.

Ensuite, la donne politique ayant été clarifiée, les élections législatives retrouvent toute leur place, les candidats et les partis menant pleinement campagne dans les circonscriptions. Ils disposent pour cela d'un temps qui n'appartient qu'à eux.

Le refus de la confusion entre les deux élections procède aussi d'une exigence, fondamentale en démocratie, celle de l'égalité entre les candidats.

Dans toute compétition régulière, les candidats sont placés à égalité sur la ligne de départ. Ce ne serait pas le cas si le calendrier actuel était maintenu.

Dans cette hypothèse, en effet, les candidats à l'élection présidentielle seraient en règle générale candidats aux élections législatives, ou en tout état de cause engagés dans la campagne nationale de leur formation politique.

Pour tous les candidats à l'élection présidentielle, sauf un - qu'ils soient de gauche ou de droite -, le dilemme sera le suivant : ou bien affaiblir leur campagne législative parce qu'ils auront déjà annoncé leur candidature à l'élection présidentielle ou bien retarder leur candidature à la Présidence jusqu'au terme des législatives, ce qui les placera en situation d'inégalité manifeste face au Président sortant, si celui-ci décidait d'être à nouveau candidat. C'est là où pourrait se retourner l'argument de la convenance.

A l'inverse, si le calendrier est remis sur ses pieds, chacun a les mêmes droits, dispose du même temps, peut se consacrer pleinement à sa ou ses campagnes. La compétition redevient équitable. Le rendez-vous présidentiel de 2002 mérite de voir se confronter devant les Français des hommes et des femmes en terrain découvert, avec leurs bilans, leurs convictions et leurs propositions, à égalité de chance.

Mesdames et Messieurs les députés,

Vous avez souhaité que ce débat sur le calendrier électoral soit inscrit dans une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions.

Ce débat, nous ne pourrons pas, aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi, justement en 2002, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions.

Mais il n'est pas interdit d'amorcer dès maintenant cette réflexion.

En votant pour le rétablissement du calendrier électoral, vous permettez aux Français de se prononcer en toute connaissance de cause lors des rendez-vous démocratiques de 2002. Vous servez l'intérêt de la Nation. Vous confortez la République.

Mais vous ne changez pas pour autant la nature du régime : il ne devient ni plus présidentiel ni plus parlementaire. Car ce n'est pas l'ordre des élections qui détermine la nature d'un régime.

Le rétablissement du calendrier électoral ne modifie en rien la conviction politique de chacun, ni son jugement sur les institutions de la Cinquième République.

Pour ma part, comme vous le savez, depuis trois ans et demi, j'ai contribué à faire vivre la dimension parlementaire de notre régime.

Dans le cadre constitutionnel existant, le Gouvernement " détermine et conduit la politique de la Nation ". Il le fait pleinement.

Avec le concours du Gouvernement tout entier, je respecte scrupuleusement les prérogatives du Parlement. J'ai toujours approuvé et accompagné les initiatives du Parlement, de l'Assemblée nationale et de son Président pour renforcer votre information. Nous l'avons fait chaque fois que l'actualité nationale, européenne ou internationale le justifiait, par l'organisation de débats spécifiques, mais aussi pour renforcer votre contrôle sur l'action du Gouvernement, par le concours apporté aux travaux de contrôle et d'enquête, en facilitant par des instructions précises l'examen de l'action des services de l'Etat. De manière générale, tous les grands projets du Gouvernement, ceux qui ont marqué cette législature depuis 1997, ont donné lieu à de vrais débats devant le Parlement.

Avec la majorité, le pacte de confiance a été constant. Jamais le Gouvernement n'a eu recours à l'article 49-3 pour faire adopter ses réformes. La majorité m'a accordé sa confiance par un vote que j'avais sollicité le 19 juin 1997. Elle l'a toujours maintenue depuis.

Pour l'avenir, je suis favorable à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement.

D'abord en confortant le statut des parlementaires. Une réforme devait permettre aux parlementaires de mieux se consacrer encore à leur mandat par la limitation du cumul des mandats électifs. Elle a été malheureusement limitée. Il faudra la poursuivre lorsque les conditions politiques auront été réunies.

Ensuite en renforçant la fonction parlementaire de contrôle.

 Elle doit être confortée grâce à des moyens d'expertise, des outils de recherche et d'analyse mis à la disposition des parlementaires.

 Elle doit tout particulièrement s'exercer sur les finances publiques. Le Gouvernement est prêt à inscrire rapidement dans son ordre du jour l'examen de la réforme de l'ordonnance de 1959.

 En matière internationale et de défense, depuis le mois de juin 1997, nous avons pu constater, à plusieurs reprises, que certaines procédures n'étaient pas satisfaisantes. Lors du conflit au Kosovo, nous avons relevé le caractère inadapté dans la pratique de l'article 35 de la Constitution, selon lequel " la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ". J'ai dit à l'époque que j'étais favorable à une réflexion sur l'évolution de ces dispositions. Je le reste. 

D'autres changements, plus importants, seront nécessaires, hors cohabitation, pour rééquilibrer nos institutions. Le débat de 2002 permettra d'en préciser les termes.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
En démocratie, le temps de l'élection est un temps décisif. Il est celui de la responsabilité : l'élu rend compte de ses engagements.

Il est celui du débat : chacun doit y prendre part à égalité.

Il est celui du choix : les citoyens doivent pouvoir dire clairement comment ils entendent que la France soit dirigée et gouvernée au cours des cinq années suivantes.

J'espère que vous serez convaincus que le rétablissement du calendrier électoral le plus logique, celui où l'élection présidentielle précède l'élection législative, loin d'obéir à une problématique partisane, est la condition pour que 2002 soit le moment démocratique de responsabilité, de débat et de choix que nos concitoyens attendent.


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