Rapport au nom de la commission des lois
sur le projet de loi relatif à la Corse

Bruno Le Roux
Bruno Le Roux, 35 ans, député d'Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), rapporteur du projet de loi gouvernemental sur la Corse.


 Document mis en distribution le 7 mai 2001
 N° 2995
 Extrait du rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles,
 de la législation et de l'administration générale de la République
 sur le projet de loi (N° 2931), relatif à la Corse


INTRODUCTION
I. - LA CORSE : UN ÉTAT DES LIEUX
A. Une histoire mouvementée
   1. La Corse : un carrefour très disputé
   2. La Corse et la France : un destin partagé
   3. L'émergence du mouvement nationaliste

B. Les hésitations des pouvoirs publics
   1. L'alternance du dialogue et de la fermeté
   2. Les difficultés de la politique de rétablissement de l'Etat de droit

C. Un développement insuffisant
   1. Des indicateurs inquiétants
   2. Une économie déséquilibrée et fragile
   3. Des obstacles à surmonter

II. - LE PROCESSUS EN COURS : UNE CHANCE HISTORIQUE
A. Les étapes du processus
   1. Une démarche transparente
   2. Un accord ambitieux
      a) Un dialogue constructif entre le Gouvernement et les élus de Corse
      b) Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000
   3. Un projet attendu
      a) Un texte largement approuvé par les élus de Corse
      b) Une importante responsabilité pour le Parlement

B. Le projet de loi : une décentralisation renforcé pour un développement durable de la Corse
   1. Un nouveau statut pour la Corse
      a) Une autonomie renforcée
      b) La reconnaissance des spécificités culturelles insulaires
      c) Un accroissement des compétences transférées
      d) La réaffirmation du principe d'égalité
   2. Un cadre propice au développement durable de l'île
      a) Une collectivité territoriale mieux à même d'orienter et de soutenir son développement
      b) Un dispositif d'incitation à l'investissement dans les secteurs prioritaires de l'île
      c) Un programme exceptionnel pour combler le retard d'équipements et de services collectifs



 

Mesdames, Messieurs,

Le 30 novembre 1999, le Premier ministre annonçait, devant l'Assemblée nationale, son intention de recevoir les élus de Corse afin de débattre de l'avenir de l'île. Cette réunion de travail devait constituer la première étape d'un long processus, qui a permis, tout au long de l'année 2000, de dégager les grands axes du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis. La méthode tranche avec les pratiques passées, qui ont trop longtemps privilégié la conduite de négociations officieuses. Elle a permis au Gouvernement d'aborder avec les élus insulaires les problèmes économiques, culturels et sociaux affectant l'île et d'y apporter des réponses précises.

Parallèlement à ce processus, la commission des Lois a mis en place une mission d'information, ouverte à l'ensemble de ses membres, en vue de préparer l'examen du projet de loi avant son dépôt à l'Assemblée nationale. Cette mission s'est rendue en Corse à deux reprises, en novembre 2000 et en mars dernier. Elle a pu rencontrer les principaux élus de l'île, les responsables des services de l'Etat et un nombre important de représentants de la société civile insulaire. Le rapporteur a, par ailleurs, assisté, en décembre dernier, à la séance de l'Assemblée de Corse consacrée à l'examen de l'avant projet de loi.

Ce travail, conduit dans la transparence, a permis de mieux cerner les enjeux du processus en cours : la reconnaissance des spécificités insulaires constitue un préalable au règlement d'une situation caractérisée par la persistance de la violence politique et par un retard économique important. Dans cette perspective, le renforcement des compétences de la collectivité territoriale de Corse lui permettra de disposer des outils nécessaires au développement de l'île. Puis une révision constitutionnelle doit intervenir en 2004, à l'issue du mandat actuel de l'assemblée territoriale. Cette nouvelle phase du processus vise à simplifier les structures administratives par la suppression des deux départements. Elle doit également consacrer la dévolution aux institutions insulaires d'un pouvoir normatif comparable à celui que détiennent les autres grandes îles méditerranéennes.

De nombreuses critiques se sont élevées contre le présent projet de loi, présenté par certains comme une remise en cause du pacte républicain. Les dispositions, pourtant très encadrées, relatives à l'adaptation des lois et des règlements par la collectivité territoriale ou celles concernant l'enseignement de la langue corse ont d'ailleurs focalisé l'essentiel des polémiques. Ces dernières sont excessives et font bon marché de l'histoire et des spécificités de la Corse.

Gageons que le débat parlementaire permettra d'apaiser ces inquiétudes : la mise en place d'une décentralisation renforcée en Corse et la reconnaissance de son identité culturelle ne constituent en rien une remise en cause du principe d'unité et d'indivisibilité de la République. Elles apportent, au contraire, une réponse politique claire aux problèmes de l'île et doivent permettre le retour à une situation de paix civile durable. La fin de la violence étant la condition incontournable du développement insulaire, la démarche engagée par le Gouvernement est porteuse d'espoir. Elle constitue le meilleur gage de la volonté des pouvoirs publics d'ancrer l'île dans un ensemble républicain, dont l'adaptation et la souplesse sont plus emblématiques de sa vitalité que de son déclin.

I. - LA CORSE :
UN ÉTAT DES LIEUX

A. Une histoire mouvementée

Rattachée à la France en 1768, la Corse a connu une histoire caractérisée par des occupations successives dues à sa position stratégique. Cette particularité historique permet de mieux comprendre les spécificités de la société corse : ses structures et son identité sont, en effet, le fruit d'une histoire marquée par l'existence de fortes tensions.

1. La Corse : un carrefour très disputé

Dès l'antiquité, la situation stratégique de la Corse, au cœur des routes maritimes du monde méditerranéen, va susciter d'importantes convoitises. Etape obligée entre l'Europe et l'Afrique, la péninsule ibérique et l'Italie, la Corse connaît une succession d'occupations par des peuples marins : Phéniciens, Phocéens, Carthaginois et Romains se succèdent pour contrôler l'île. Après la chute de l'Empire romain, la Corse subit, tour à tour, l'occupation des Vandales, des Goths, des Byzantins, des Lombards, des Sarrasins, des Pisans, des Aragonais et des Génois.

Les rivalités entre Aragonais et Génois vont avoir d'importantes répercussions dans l'île. Au début du quatorzième siècle, le pays de « l'Au-delà » (l'actuelle Corse-du-Sud), dominé par les seigneurs, s'appuie sur l'Aragon, tandis que le pays de « l'En deçà » (l'actuelle Haute-Corse), où se forme la « Terre du commun », devient libre de toute féodalité et se dote d'une organisation démocratique fondée sur les pièves, échelon territorial regroupant plusieurs paroisses. En conflit avec les seigneurs, les insurgés du pays de « l'En deçà » font appel à Gênes à compter de 1358, afin de sortir l'île de l'instabilité politique. Gênes s'est d'ailleurs longtemps prévalue de cet appel pour justifier sa domination sur l'île.

L'action des Génois a profondément marqué l'histoire de l'île en modifiant en profondeur le système social insulaire, notamment par la suppression définitive des structures féodales de « l'Au-delà » à compter de la fin du seizième siècle. Cette remise en cause du pouvoir traditionnel des seigneurs, conjuguée à l'opposition croissante de la population insulaire à la République génoise, va structurer l'île en fonction des réseaux de parentèle et contribuer au développement d'un système politique, caractérisé par le clanisme et les pratiques clientélistes.

Gênes, dont la venue avait été sollicitée à l'origine par une partie des Corses, est de plus en plus contestée du fait de son affaiblissement face aux tentatives françaises de prendre possession de l'île, à partir du milieu du seizième siècle. Cette situation va conduire les Génois à renforcer leur tutelle et leur mainmise sur les richesses de l'île : l'exclusion des Corses des centres de décision, l'exploitation économique et fiscale de l'île, l'exercice dévoyé de la justice entraînent une insurrection qui dure de 1729 à 1768, date de la prise de possession définitive de l'île par le royaume de France.

Dans ce contexte, marqué par le rôle central du patriote Pascal Paoli (1725-1807), la cause corse va susciter l'intérêt de l'Europe des Lumières. Montesquieu, dans L'Esprit des lois, considère ainsi qu'une « République d'Italie tenait des insulaires sous son obéissance ; mais son droit politique et civil à leur égard était vicieux » ; Rousseau, par ailleurs auteur d'un projet de Constitution pour la Corse, écrit dans le Contrat social qu'il « est encore en Europe un pays capable de législation ; c'est l'isle de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa Liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite isle étonnera l'Europe ».

Paoli, soutenu par l'Angleterre de George III, va tenter de fonder une république indépendante, dont la capitale est Corte, qui a pour institution centrale la Consulte, assemblée élue au suffrage universel. Ces institutions fonctionneront de 1755 à 1768, date à laquelle Gênes, incapable de rétablir sa domination sur l'île, cède par le traité de Versailles la Corse à la France, comme gage des dettes qu'elle a antérieurement contractées auprès d'elle. Cette cession, provisoire en droit, est définitive en fait, Gênes n'ayant jamais eu les moyens de procéder au remboursement. Paoli, écarté de la négociation du traité, en refuse les termes et entre en guerre avec la France : défait à Ponte-Novo le 8 mai 1769, il s'exile pour l'Angleterre.

2. La Corse et la France : un destin partagé

Connaissant un régime de forte autonomie sous le règne de Louis XV et de Louis XVI, la Corse est dotée, en 1775, du statut de pays d'Etat, ce qui lui permet de disposer d'un conseil souverain détenant des pouvoirs similaires à ceux des Parlements de France. Il faudra néanmoins attendre 1789 pour que la pérennité du rattachement de la Corse à la France soit établie : l'admission des quatre représentants de l'île aux Etats généraux n'ayant pas suffi à convaincre les partisans du rattachement définitif de la province, le député Salicetti obtient, avec le soutien de Paoli, la promulgation d'un « décret de l'Assemblée nationale portant que l'isle de Corse fait partie de l'Empire français et que ses habitants seront régis par la même Constitution que les autres français » (décret du 30 novembre 1789).

La Corse, devenue département français, reçoit ainsi la même administration que les autres départements. Paoli, de retour d'exil en juillet 1790, cumule les fonctions de président du conseil général et de commandant de la garde nationale. Son autorité est toutefois affaiblie du fait des rivalités entre les clans et de nombreux troubles éclatent dans l'île. L'évolution montagnarde du régime et la fin de la monarchie constitutionnelle vont, par ailleurs, éloigner Paoli de la République, tandis que ses adversaires, rappelant son séjour en Angleterre, le présentent à Paris comme un girondin prêt à trahir. L'échec de l'expédition contre la Sardaigne en janvier 1793 lui est imputée ; il entre dès lors en rupture avec la République, en convoquant à Corte une Consulte illégale. Bonaparte, resté fidèle à la France, est chassé par les paolistes et quitte l'île en juin 1793.

Paoli, condamné par la Convention, fait reconnaître à la Consulte la rupture avec la France et lui fait approuver une Constitution, entérinant l'alliance de l'île avec l'Angleterre. Il ne reçoit toutefois pas la charge de vice-roi, celle-ci étant confiée à un Anglais, Sir Gilbert Elliot. Dans l'île, les oppositions au nouveau régime se multiplient, d'autant qu'un Corse, Napoléon Bonaparte, emporte, au nom de la France, de nombreuses victoires. Dans ce contexte, les troupes anglaises quittent l'île en 1796.

L'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte consacre pleinement l'assimilation de la Corse au sein de l'ensemble français. L'action du Premier consul, puis de l'Empereur, est toutefois caractérisée par son ambivalence entre la reconnaissance d'avantages spécifiques à l'île et la conduite d'une politique de répression. C'est ainsi que le conseiller d'Etat Miot de Lélito, administrateur général des deux départements du Golo et du Liamone, consacre, par des arrêtés auxquels reste attaché son nom, des particularités fiscales destinées à tenir compte des spécificités de l'île mais qui, avec le temps, deviendront de véritables « privilèges » : la réduction des droits d'enregistrement pour les ventes, donations et mariages, celle des droits de timbre pour les infractions mineures, l'exemption de la patente pour les communes de moins de 1 800 habitants et pour les citoyens ouvrant un établissement nouveau en Corse, ainsi que la diminution des droits de douane pour les denrées venues de l'extérieur. Pour le reste, Miot s'intéressera surtout à la pacification de l'île et son successeur, le Général Morand, en poste de 1802 à 1811, conduit une action répressive implacable contre les paolistes et les anciens émigrés.

L'action de l'Empereur se fait également ressentir dans l'organisation administrative de l'île, puisqu'il décide en 1811 de regrouper les deux départements, institués en 1793, en choisissant comme chef-lieu sa ville natale, Ajaccio. Bastia devient, pour sa part, le siège de la Cour d'appel.

A compter de l'Empire, l'enracinement de la Corse au sein de la France ne fait plus de doute : l'administration, l'armée, les colonies vont devenir des lieux de promotion sociale et de carrière pour de nombreux insulaires, qui ne peuvent trouver dans l'île des débouchés en nombre suffisant. Cette situation a toutefois pour conséquence de vider l'île de sa substance et d'en freiner le développement. Celle-ci sera d'ailleurs, tout au long du dix-neuvième siècle, en proie à une violence endémique, due au développement du banditisme, au phénomène de la vendetta et à la rivalité entre les clans, exacerbée par les tensions politiques de l'époque. C'est à ce moment que la littérature, avec les ouvrages de Mérimée, Flaubert et Maupassant, va contribuer à figer l'image de l'île et alimenter les clichés des continentaux à son égard.

Le soutien massif apporté par la population corse au Prince-président, puis à l'Empereur Napoléon III, va également favoriser l'émergence d'un discours politique hostile à l'île dans son ensemble. Michel Vergé-Franceschi cite ainsi plusieurs exemples éclairants sur la virulence des discours tenus par certains continentaux à l'égard de l'île : « Le désastre de Sedan a entraîné pour la Corse des conséquences inattendues. En effet, au lendemain de la déchéance de Napoléon III, face à l'attitude des députés corses à l'Assemblée nationale et face à l'attitude des maires corses qui démissionnent en masse, la presse continentale et les républicains se déchaînèrent et se mirent à orchestrer une véritable campagne de dénigrement à l'égard des Corses présentés pour être les suppôts du bonapartisme déchu : dès 1870, un journal lyonnais envisage de donner l'île à la Prusse pour récupérer l'Alsace et la Lorraine ! A l'Assemblée, Clemenceau et le club positiviste de Paris "demandent que la Corse cesse immédiatement de faire partie de la République française" (8 février 1871). Dans le journal Le cri du peuple, Jules Vallès s'écrie : "La Corse n'a jamais été et ne sera jamais française !" (4 mars 1871). » Toujours d'après le même auteur, le voyage du Président Sadi Carnot en Corse en 1890 est relaté dans Le Petit Journal, quotidien tiré à un million d'exemplaires, par un article intitulé : « Le Président chez les sauvages ».

Malgré ce contexte de malentendu entre la Corse et le continent, le mouvement de fonctionnarisation et de participation des Corses à l'aventure coloniale va fortement s'accélérer sous la IIIe République. La politique d'expansion coloniale et la généralisation de l'instruction publique vont ainsi contribuer au déclin démographique constant de l'île à compter de 1880. La première guerre mondiale, en touchant durement l'île, qui perd environ 30 000 hommes, accélère son déclin démographique et économique.

LA PRÉSENCE CORSE DANS LES COLONIES AU MILIEU DU XXe SIÈCLE
Régions Nombre d'habitants Proportion pour 100 000 habitants
du département d'origine
Corse
268 000
281
Haute-Savoie
270 000
31
Charente
311 000
71
Deux-Sèvres
313 000
47
Hérault
461 000
77
Ensemble de la France
40 millions
56

Source : Xavier Crettiez, La Question corse, Editions complexe, 1999.

Dans ce contexte d'enlisement, l'Italie mussolinienne tente de jouer la carte de l'irrédentisme. La propagande fasciste, qui exacerbe l'italianité de l'île, a cependant peu d'échos et la présence de l'occupant se limite, entre 1940 et 1942, à l'installation d'une double commission d'armistice germano-italienne. A compter de l'occupation de la zone libre, la Corse est envahie conjointement par les forces allemandes et italiennes. La résistance s'amplifie et la Corse s'insurge, en 1943, avec le soutien de la France libre. Premier département français libéré, la Corse est également celui qui fournit les plus forts contingents à l'armée de débarquement en Provence.

Après la seconde guerre mondiale, l'île est profondément affectée par la décolonisation et principalement par les événements d'Algérie, où près de 100 000 Corses s'étaient établis. Après la création d'un Comité de salut public dans l'île à la suite des troubles d'Alger en mai 1958, elle doit accueillir un nombre important de rapatriés d'origine insulaire. Cette période affecte profondément l'équilibre de la société corse et entraîne d'importantes tensions, qui contribuent à expliquer l'émergence et la persistance d'une violence de caractère politique à partir des années soixante-dix.

3. L'émergence du mouvement nationaliste

Le retard accumulé par l'île dans les années cinquante et soixante, conjugué avec la décolonisation et les projets d'un développement touristique de masse vont cristalliser les mécontentements dans l'île et favoriser l'émergence d'un mouvement autonomiste, puis de courants nationalistes partagés entre vitrines légales et organisations clandestines.

Dans son ouvrage sur La Question corse, Xavier Crettiez rattache le développement du nationalisme au contexte économique particulier des années soixante : « Le nationalisme corse naît dans le sillage de l'agitation régionaliste qui s'attache à mettre en exergue la situation économique insulaire, dénoncée comme catastrophique. L'île serait oubliée de l'Etat et ses habitants, volontairement écartés de la brutale modernisation à l'œuvre dans les années soixante. En rationalisant à travers un discours anticolonialiste un sentiment diffus d'injustice, les leaders régionalistes cristallisent sur leur mouvement les mécontentements de nombreux Corses à l'égard de la politique d'aide économique de l'Etat et de certains projets de développement perçus comme fondamentalement contraires aux intérêts de l'île. »

L'arrivée en Corse de plus de 17 000 rapatriés d'Afrique du Nord entre 1957 et 1966 et la politique de redistribution des terres opérées par l'Etat à leur profit vont exacerber le mécontentement de la population insulaire. Edmond Siméoni, leader historique de l'Action régionaliste corse (ARC), conteste une politique jugée discriminatoire, car mise en œuvre par l'Etat au profit des seuls rapatriés. Le sentiment d'injustice et de spoliation qui se développe dans la population explique la multiplication concomitante des plasticages.

Dans ce contexte, les événements d'Aléria, survenus le 22 août 1975, constituent l'un des chocs les plus violents de l'histoire contemporaine de la Corse. En réponse à l'occupation de la propriété d'un viticulteur pied-noir, mêlé à un scandale d'enrichissement frauduleux, par huit militants armés de l'ARC dirigés par Edmond Siméoni, les pouvoirs publics opèrent une impressionnante démonstration de force : des blindés légers, des hélicoptères Pumas, plus de 2 000 gardes mobiles sont déployés sur place. Deux gendarmes sont tués au cours de l'opération. Le 27 août, l'ARC est dissoute et une manifestation de protestation à Bastia donne lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre, qui se soldent par un mort et seize blessés.

L'opération commando d'Aléria apparaît, bel et bien, comme l'acte fondateur de la violence politique en Corse. Le FLNC, créé en juillet 1976, s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de l'action d'Aléria. Mais, tout en reprenant une partie des thèmes développés par le mouvement autonomiste désormais incarné par l'Union du peuple corse (UPC), le FLNC passe de la revendication de l'autonomie à celle de l'indépendance et justifie l'action violente par le rejet de l'Etat colonialiste. Il développe, dans le même temps, un discours virulent contre le système clanique, accusé de collusion avec l'Etat.

Celui-ci n'aura de cesse d'hésiter face au mouvement nationaliste, tentant alternativement de réprimer les actions terroristes et de dialoguer avec leurs auteurs. Cette attitude fluctuante des pouvoirs publics va provoquer d'importantes dissensions au sein du mouvement nationaliste, qui se divise en raison de désaccords sur la stratégie à suivre vis-à-vis de l'Etat et du fait de conflits portant sur la répartition des fonds servant au financement du mouvement. Le FLNC, dissous le 5 janvier 1983, va se scinder en 1990 en deux blocs, s'articulant autour d'une organisation militaire clandestine et d'une vitrine légale : on distingue ainsi l'ex-FLNC - canal historique /  A Cuncolta Naziunalista et l'ex-FLNC - canal habituel / Mouvement pour l'autodétermination (MPA).

Cette division du mouvement nationaliste va entraîner la multiplication des groupes clandestins et une véritable surenchère dans l'action violente. Celle-ci s'exerce tout aussi bien à l'encontre de l'Etat, que de simples particuliers ou des nationalistes eux-mêmes. Elle change néanmoins de nature dans les années quatre-vingt-dix, les atteintes aux personnes devenant de plus en plus fréquentes, alors même que le mode opératoire traditionnel du terrorisme insulaire a longtemps tenu à l'exercice d'une « violence mesurée », principalement centrée sur les biens.

Dans la période récente le terrorisme insulaire s'est encore radicalisé : le conflit entre les deux branches de l'ex-FLNC s'est soldé par une vingtaine de morts entre 1994 et 1996 ; un attentat à la voiture piégée sur le vieux port de Bastia, en pleine journée, en juillet 1996, dans le cadre d'un règlement de comptes entre nationalistes, a blessé de nombreuses personnes de manière aveugle ; l'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, a profondément choqué l'ensemble du pays.

Le mouvement nationaliste ne saurait, toutefois, être réduit à sa seule expression clandestine et violente. Longtemps exclus du jeu politique, du fait du mode de scrutin en vigueur pour les élections municipales et cantonales, les nationalistes vont bénéficier, à compter de 1982, d'une représentation au sein de l'assemblée régionale. L'examen de leurs résultats aux différents scrutins souligne, d'ailleurs, leur progression électorale au sein de l'opinion insulaire, comme l'illustre le tableau ci-après.

Résultats électoraux du mouvement nationaliste aux élections régionales
 198219841986199219981999
Listes
PPC, UPC et liste de Charles Santoni
UPC et PPC
CN et MPA
Voix
14 502 (UPC)
3 287(Charles Santoni)
2 886 (PPC)
8 484 (PPC)
7 146 (UPC)
13 997
21 872 (CN)
10 360 (MPA)
12 233
20 076
%
10,61
2,40
2,11
6,19
5,21
8,97
16,85
7,98
9,86
16,77
Total %
16,13
11,41
8,97
24,84
9,86
16,77
Sièges
7 + 1 + 1
6
(3 UPC et 3 PPC)
3
13
(9 CN et 4 MPA)
5
8

1982 : élections régionales suite au statut de 1982
1984 : élections régionales suite à la dissolution de l'assemblée régionale par M. Deferre
1986 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national
1987 : élections régionales uniquement dans le département de la Haute-Corse suite à l'annulation des élections dans ce seul département (ne figure pas dans le tableau récapitulatif)
1992 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national
1998 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national
1999 : élections territoriales suite à l'annulation du vote de 1998

Alors que ce contexte politique spécifique met en lumière la nécessité pour l'Etat d'apporter une réponse politique cohérente adaptée aux préoccupations de l'opinion publique insulaire, l'attitude des pouvoirs publics a été, par le passé, caractérisée par le manque de continuité dans l'action et par une hésitation constante entre la conduite du dialogue et l'application ferme de la loi.

B. Les hésitations des pouvoirs publics

Face à la persistance de la violence politique dans l'île, les pouvoirs publics ont oscillé entre la reconnaissance des spécificités insulaires et la répression des infractions, qu'elles relèvent du terrorisme ou du droit commun. La récente décision d'appliquer une politique dite du « rétablissement de l'Etat de droit » s'est, pour sa part, heurtée à d'importantes difficultés.

1. L'alternance du dialogue et de la fermeté

Alors que la violence politique fait irruption en Corse dans les années soixante-dix, du fait du retard économique et des tensions induites par l'accueil des rapatriés d'Afrique du Nord, les pouvoirs publics refusent de reconnaître l'existence d'une spécificité insulaire.

En matière statutaire, l'île est soumise aux dispositions de la loi du 5 juillet 1972, qui a érigé les circonscriptions d'action régionale en établissements publics régionaux. La loi du 15 mai 1975 portant réorganisation de la Corse a, pour sa part, rétabli les deux départements institués en 1793 et supprimés en 1811, l'une des motivations de ce dispositif étant de « permettre une application rationnelle de la loi portant création des régions » en faisant en sorte que la Corse soit soumise au droit commun.

Parallèlement, la politique de répression des mouvements autonomistes va être privilégiée, que ce soit lors de l'affaire d'Aléria, en août 1975, ou en juin 1978, lorsque la visite du chef de l'Etat dans l'île est précédée d'une vague d'arrestations de dizaines de nationalistes, déférés par la suite à la Cour de sûreté de l'Etat.

François Mitterrand, nouvellement élu à la présidence de la République, décide de rompre avec cette politique, résumée par son prédécesseur en une formule restée célèbre : « il n'y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse ». L'amnistie présidentielle et la suppression de la Cour de sûreté de l'Etat constituent autant de signes de décrispations à l'égard des nationalistes. La reconnaissance des spécificités insulaires trouve, pour sa part, une première réponse avec les lois du 2 mars et du 30 juillet 1982 fixant respectivement l'organisation administrative et les compétences de la région corse : en dotant la Corse de compétences renforcées par rapport aux régions continentales et en prévoyant, dès 1982, l'élection de la première assemblée régionale dans le cadre d'une circonscription unique à la proportionnelle intégrale, elles constituent une première réponse politique aux revendications des mouvements nationalistes.

Ce statut particulier se heurte néanmoins à l'absence de majorité stable au sein de l'assemblée régionale, dissoute après un an d'existence. La loi du 10 juillet 1985, qui organise l'élection des conseils régionaux au suffrage universel direct, se substitue ensuite au régime spécifique à la Corse et une nouvelle assemblée régionale est élue dans le cadre départemental en 1986. Celle-ci connaît, du fait du grand nombre de formations politiques existant dans l'île et du mode de scrutin retenu, les mêmes problèmes de fonctionnement que les assemblées précédentes.

Par ailleurs, la recrudescence de la violence conduit l'Etat à opérer un changement de stratégie : l'année 1982, marquée par plusieurs « nuits bleues » et un total de près de 800 attentats, incite les pouvoirs publics à créer en janvier 1983 un poste de commissaire de la République délégué en charge de la police, compétent sur les deux départements. Le chef de la brigade antigang, M. Robert Broussard, est désigné pour occuper ce poste et diriger l'action de l'ensemble des forces de sécurité dans l'île. La même année, le FLNC et sa vitrine légale, les CCN, sont dissous, tandis que l'organe nationaliste U Ribombu fait l'objet de nombreuses saisies judiciaires. D'importantes missions d'inspection et de contrôle sont parallèlement diligentées dans l'île, pour mettre un terme à certaines infractions.

Cette politique de fermeté sera poursuivie entre 1986 et 1988, sous l'égide du ministre de l'intérieur, M. Charles Pasqua. Celui-ci fait procéder le 21 janvier 1987 à la dissolution du Mouvement corse pour l'autodétermination (MCA), qui avait succédé aux CCN. Des poursuites sont, par ailleurs, diligentées à l'encontre de la direction régionale de FR3, soupçonnée de collusion avec les nationalistes. Plusieurs dizaines de membres des mouvements nationalistes sont interpellés tout au long de l'année 1987. Ceux-ci sont, pour la plupart, soumis aux procédures particulières de la loi du 9 septembre 1986, qui a été adoptée pour répondre à la vague d'attentats commis en France par des terroristes du Moyen-Orient. Cette loi, qui allonge la durée de la garde à vue et prévoit la compétence de structures judiciaires spécialisées dans la lutte antiterroriste, rattachées au tribunal de Paris, a ainsi, dès l'origine, été mise en œuvre à l'encontre du terrorisme insulaire.

La réélection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1988 inaugure une nouvelle période de dialogue, conduite par le ministre de l'intérieur, M. Pierre Joxe. Après l'amnistie présidentielle, le climat s'apaise dans l'île, l'ex-FLNC ayant décrété une trêve. Pour sa part, l'assemblée régionale adopte, en octobre 1988, sur proposition des élus territoriaux de la Cuncolta, une motion demandant la reconnaissance du peuple corse. Après une période de négociations intenses, M. Pierre Joxe annonce le 12 mars 1990, à Ajaccio, l'intention du Gouvernement de mettre en œuvre un nouveau statut pour la Corse. Celui-ci, reconnaît, dans son article 1er, l'existence de « la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français », met en place une organisation institutionnelle spécifique, prévoit d'importants transferts de compétences de l'Etat vers la collectivité territoriale et impose, dans un souci de moralisation, une refonte complète des listes électorales de l'île.

Malgré la censure de l'article 1er de la loi portant statut de la collectivité territoriale par le Conseil constitutionnel, le statut de 1991 consacre la reconnaissance de la spécificité corse au sein de la République. L'île est ainsi dotée d'institutions caractérisées par la séparation des pouvoirs : le conseil exécutif est un organe collégial de six membres, responsable devant une assemblée élue dans le cadre d'une circonscription unique. Le mode de scrutin retenu vise à garantir la diversité de la représentation des formations politiques, en permettant de dégager des majorités stables : le scrutin proportionnel à la plus forte moyenne est tempéré par l'octroi d'une prime de cinq sièges à la liste arrivée en tête ainsi que par la mise en place d'un seuil de 5 % des voix pour participer à la répartition des sièges.

Par ailleurs, les transferts de compétence, dans des domaines aussi variés que l'éducation, la formation professionnelle, la communication, la culture, l'environnement, l'aménagement du territoire, le développement économique, la politique agricole, le logement, les transports et l'énergie, placent la collectivité territoriale de Corse dans un cadre de décentralisation renforcée, en lui conférant de nombreuses attributions qui la distinguent des conseils régionaux du continent.

Après cette réforme statutaire importante, le retour de M. Charles Pasqua au ministère de l'intérieur est marqué par la rupture avec la politique conduite sous la première cohabitation. Abandonnant la logique de la répression, le ministre de l'intérieur privilégie le dialogue avec la branche historique de l'ex-FLNC et met en œuvre un plan d'action économique dans l'île, en annonçant l'instauration d'un programme d'options spécifiques à l'éloignement et l'insularité pour la Corse (POSEICOR), ainsi que la mise en place d'un statut fiscal particulier. Son successeur, M. Jean-Louis Debré, poursuit cette politique, sans toutefois parvenir à enrayer la multiplication des attentats et des actions violentes.

Le rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement des services de sécurité en Corse, constituée par l'Assemblée nationale en juin 1999, a mis en lumière, à travers quelques exemples tirés de la période la plus récente, les conséquences néfastes des changements constants de stratégie des pouvoirs publics à l'égard du terrorisme insulaire :

-  l'arrestation, en flagrant délit, de quatorze membres d'un commando de l'ex-FLNC canal historique à Spérone, le 27 mars 1994, au moment où ce mouvement était en discussion avec le ministre de l'intérieur, a été suivie par la libération rapide des personnes arrêtées, provoquant le scepticisme des forces de l'ordre et de l'opinion publique insulaire sur l'impartialité de la justice ;

-  l'épisode de la conférence de Tralonca, survenu dans la nuit du 11 au 12 janvier 1996, censé conforter la politique de négociation conduite par M. Jean-Louis Debré, avec l'annonce d'une trêve de trois mois afin « d'ouvrir la voie à un règlement progressif de la question nationale corse », aboutit, tant par l'ampleur de la démonstration de force, que par l'importance de l'arsenal exhibé à cette occasion, à traumatiser l'opinion publique, en soulignant l'incapacité de l'Etat à faire régner l'ordre sur le territoire de la République ;

-  la circulaire du procureur général de Corse, en date du 1er février 1996, qui appelle à « la plus grande circonspection dans la conduite de l'action publique », dès lors que sont en cause des nationalistes, révèle l'instrumentalisation de la justice par les pouvoirs publics dans l'île et accrédite la thèse de l'impunité pour certains fauteurs de troubles.

2. Les difficultés de la politique de rétablissement de l'Etat de droit

Après l'épisode de Tralonca et l'attentat contre la mairie de Bordeaux le 5 octobre 1996, le Gouvernement dirigé par M. Alain Juppé va rompre avec la stratégie précédemment appliquée au profit d'une logique de fermeté. Celle-ci se traduit par l'arrêt des négociations officieuses avec les mouvements nationalistes et par la stricte application de la légalité dans l'île.

Ce changement de cap s'est d'abord manifesté par la nomination de trois nouveaux préfets dans l'île, dont M. Claude Erignac, nommé préfet de région le 12 décembre 1996. Celui-ci va renforcer les contrôles administratifs, notamment dans le but d'assainir les mécanismes de financement de l'agriculture insulaire. L'Assemblée nationale décide, pour sa part, de créer, le 22 octobre 1996, une mission d'information commune sur la Corse, présidée par M. Henri Cuq. Celle-ci, après un important travail d'audition, ne peut toutefois remettre son rapport, en raison de la dissolution intervenue en avril 1997.

L'alternance politique de 1997 devait conforter la politique de rétablissement de l'Etat de droit dans l'île. Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre définit ainsi clairement la stratégie de l'Etat en Corse : « En Corse - comme partout ailleurs sur le territoire national - le Gouvernement veillera au respect de la loi républicaine auquel la population aspire et sans lequel il n'y a pas de possible. Parallèlement, il fera en sorte que la solidarité nationale s'exerce pour rattraper le retard de développement dû à l'insularité. Le Gouvernement encouragera l'affirmation de l'identité culturelle de la Corse et l'enseignement de sa langue ». Dans ce cadre, le Premier ministre met en œuvre une gestion interministérielle du dossier corse, rompant avec les habitudes passées, consistant à confier la charge de l'île au seul ministre de l'intérieur.

Soulevant une intense émotion dans l'ensemble du pays, l'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, conduit la représentation nationale à se saisir une nouvelle fois de la question corse. C'est dans ce contexte que l'Assemblée approuve, en mars 1998, la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et le fonctionnement des services publics en Corse, présidée par M. Jean Glavany.

Le rapport de la commission d'enquête permet de cerner l'ampleur des problèmes affectant l'île : il pointe les défaillances des outils de financement de l'économie, tels la CADEC ou le Crédit agricole, souligne le laxisme de la gestion de la Mutualité sociale agricole, fait état du manque de rigueur dans la gestion de certaines collectivités locales, rend compte de l'importance des pratiques frauduleuses en matière de paiement des impôts et des cotisations sociales. Le rapport invite les pouvoirs publics à poursuivre l'application stricte de la loi dans l'île, en même temps qu'il appelle à une réflexion sur son évolution institutionnelle.

En effet, en dénonçant le « maquis institutionnel », le rapport de la commission d'enquête souligne l'existence d'une sur-administration de la Corse. Tout en approuvant la décentralisation renforcée mise en œuvre dans le statut de 1991, il met en exergue les effets pervers de la superposition sur un petit territoire d'un grand nombre de communes, de deux départements faiblement peuplés et d'une collectivité territoriale disposant d'attributions renforcées. Il analyse également les difficultés organisationnelles de la collectivité territoriale de Corse, qui résultent de l'exercice d'une partie importante de ses compétences par les offices et agences, établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat, créés par le statut de 1982 et rattachés à la collectivité territoriale par le statut de 1991.

Dans l'île, l'action du successeur de Claude Erignac, le préfet Bernard Bonnet, et du procureur général, M. Bernard Legras, installé en juin 1998, va se traduire par une stricte application de la loi : les missions d'inspection se multiplient, le contrôle de légalité des collectivités locales est strictement exercé, la justice est saisie par l'autorité préfectorale de nombreuses irrégularités dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Un pôle économique et financier est, parallèlement, installé au tribunal de Bastia, afin de lutter plus efficacement contre la délinquance financière, dénoncée par le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Jean Glavany.

Cette politique devait toutefois se heurter à l'affaire des paillotes, survenue dans la nuit du 19 au 20 avril 1999, qui aboutit à la mise en examen du commandant de la légion de gendarmerie de Corse le 26 avril, ainsi qu'à l'incarcération du préfet Bonnet et de son directeur de cabinet le 6 mai suivant. En discréditant l'action des services de l'Etat dans l'île, cette affaire allait susciter d'importantes interrogations dans l'ensemble du pays et motiver la création de deux commissions d'enquête parlementaires, l'une présidée par M. Raymond Forni à l'Assemblée nationale, l'autre, par M. Jean-Patrick Courtois au Sénat.

Ces deux rapports devaient pointer les dysfonctionnements des forces de sécurité dans l'île et souligner les conséquences de l'affaire des paillotes, auprès d'une opinion publique insulaire partagée face à la politique de rétablissement de l'Etat de droit mise en œuvre par les pouvoirs publics depuis 1996. Ils encouragent, dans le même temps, les pouvoirs publics à maintenir une politique d'application de la légalité républicaine en Corse. Le traitement judiciaire de l'affaire des paillotes, marqué par le respect de l'indépendance des magistrats dans un dossier mettant en cause le représentant de l'Etat dans l'île, devait, pour sa part, constituer la première illustration du maintien du cap du rétablissement de l'Etat de droit.

Le rappel des événements ayant frappé la Corse depuis l'affaire d'Aléria souligne la complexité des problèmes affectant l'île et la diversité des réponses qui leur ont été apportées par les pouvoirs publics. Cette histoire récente, conjuguée aux caractéristiques sociales et géographiques de la Corse, permettent de mieux comprendre les difficultés endémiques de développement auxquels l'île est confrontée. Dans le même temps, le retard économique conforte les blocages de la société insulaire et appelle une réponse spécifique de la part des pouvoirs publics.

C. Un développement insuffisant

Force est de constater que, trop longtemps, les pouvoirs publics se sont contentés de répondre au retard économique de l'île par des transferts massifs d'argent public. Sans doute depuis 1997, comme toutes les régions françaises, la Corse connaît-elle une embellie économique. Toutefois, cette amélioration demeure fragile et de nombreux efforts restent à accomplir pour gommer les handicaps structurels dont souffre l'économie insulaire.

1. Des indicateurs inquiétants

Le terme de « désastre » est parfois employé pour décrire la situation économique de la Corse. Cette qualification est sûrement excessive, mais plusieurs indicateurs objectifs témoignent d'un certain retard de développement.

 Le PIB par habitant de la Corse est très inférieur à la moyenne des régions de l'Union européenne comme à la moyenne nationale. Certes, pour la nouvelle période de programmation des fonds structurels communautaires, la Corse n'est plus classée parmi les régions en retard de développement, dites « régions de l'objectif 1 », son PIB par habitant étant devenu supérieur à 75 % de la moyenne communautaire. Toutefois, il représentait seulement 77 % du PIB par habitant de l'Union européenne en 1998, selon le deuxième rapport sur la cohésion économique et sociale de la Commission européenne du 31 janvier 2001.

Ainsi que le soulignait récemment une étude réalisée par l'INSEE, en 1998, le produit intérieur brut de la Corse s'élevait à 28 845 millions de francs et représentait 0,3 % du PIB national. La Corse se situait alors à l'avant-dernière place des régions françaises en termes de PIB par habitant et de PIB par emploi. Le PIB par habitant était inférieur de 21,5 % à la moyenne nationale, le PIB par emploi de 15,2 %.

Les écarts en termes de revenu sont heureusement moindres. Le revenu disponible des ménages corses (82 000 francs en 2000) se situe deux points en dessous de celui des autres ménages français. Cette relative homogénéisation par rapport au niveau national s'explique par l'importance des transferts sociaux dont bénéficie l'île en raison du vieillissement de la population résidente et du poids de la population exclue du marché du travail. Elle ne reflète en rien le dynamisme de l'économie.

 Le marché de l'emploi est plus dégradé en Corse que la moyenne nationale. Certes depuis 1997, le chômage connaît une baisse régulière, tant au niveau global que pour les chômeurs de longue durée et les jeunes, mais à des rythmes encore inférieurs à ceux observés sur l'ensemble du territoire national. Le taux de chômage régional a atteint, en septembre 2000, son niveau le plus bas depuis 1991, avec un taux de 10,1 % de la population active, mais il demeure supérieur d'un demi point à la moyenne nationale (9,5 %). Par ailleurs, comme le souligne l'INSEE, si la forte progression de l'emploi est en partie imputable à la croissance soutenue des effectifs dans le secteur tertiaire, elle s'explique aussi par de nombreuses créations d'emplois aidés. Enfin, les salaires sont inférieurs à la moyenne nationale. Les différentes organisations syndicales représentatives entendues par le rapporteur, le 24 novembre 2000, au cours du déplacement de la mission d'information en Corse, ont indiqué que les salaires du secteur privé demeurent de 12 % inférieurs à ceux versés au niveau national, tandis que les prix restent supérieurs de 6 % à ceux constatés au niveau national.

2. Une économie déséquilibrée et fragile

La structure de l'économie insulaire est déséquilibrée : elle se caractérise par la très forte prééminence du secteur tertiaire, la part de l'industrie et de l'agriculture demeurant très limitée. En outre, le tissu économique est très émietté. Ainsi le président de l'Agence de développement économique de Corse dresse un constat inquiétant de la situation de l'île en dépit des améliorations de la conjoncture : « Structurellement, les bases n'ont pas bougé : le tertiaire reste hypertrophié, l'outil productif est quasiment nul, les flux marchands sont uniquement liés au tourisme. Le modèle économique corse n'est pas compétitif. Sur 22 000 établissements, 80 % sont dans le tertiaire, 8 % seulement dans l'industrie, dont un quart dans l'agro-alimentaire. Plus de la moitié n'ont pas de salariés et 95 % en ont moins de dix. La Corse est la région française à plus forte densité artisanale et la moins industrialisée ».

 Soumise aux contraintes de l'insularité, la Corse n'a en effet jamais affiché de véritable vocation industrielle, ce qui explique que l'industrie soit quasiment inexistante sur l'île. Les entreprises présentes sont, pour la plupart, des micro-structures artisanales  ; le nombre de moyennes ou grandes entreprises est très faible. A ces caractéristiques s'ajoutent une extrême faiblesse de la représentation syndicale et un système de régulation interne défaillant.

 Après vingt ans de mutations, parfois difficiles, l'agriculture insulaire offre, pour sa part, un visage contrasté : moderne et intensive dans la plaine, et notamment sur la côte orientale, elle a connu des déboires dans la commercialisation de certaines productions fruitières et légumières et doit réorienter certaines de ses filières ; de type traditionnel et extensif sur les coteaux et dans la montagne, elle est centrée autour des activités pastorales et de transformations laitières et charcutières et souffre d'un manque d'organisation. En dépit de l'importance des aides publiques dont elle bénéficie, l'agriculture occupe une place réduite dans l'économie insulaire, puisqu'elle ne représente que 2 % de la valeur ajoutée de l'île. Elle doit relever des défis majeurs : assurer sa professionnalisation, affirmer son savoir-faire, face à la concurrence externe, et générer un revenu suffisant pour permettre l'installation et le maintien de nouveaux exploitants en zone difficile à l'intérieur de l'île.

 L'économie de la Corse est largement tributaire du secteur tertiaire : en 1997, il représentait 78 % de l'emploi total et couvrait à lui seul 80 % de la valeur ajoutée régionale, contre 70 % en moyenne nationale. Cette prédominance traduit le poids du secteur public, qui représente 38 % de l'emploi régional et un quart de la valeur ajoutée de l'île, et la place croissante du tourisme.

Si le tourisme est encore vécu par certains comme une agression, il constitue néanmoins le principal moteur de développement de l'île. De fait, les dirigeants d'entreprises et les membres des organismes consulaires, entendus par la mission d'information à Ajaccio, le 24 novembre 2000, ont insisté sur l'importance de cette activité, en forte croissance depuis 1997. Premier secteur économique privé de la région, il représente 10 % de son PIB. Il s'agit, bien sûr, d'un secteur fragile, extrêmement sensible aux fluctuations touristiques.

En outre, son développement se heurte à une saturation des capacités d'hébergement, qui expliquerait que la croissance de ce secteur en 2000 soit demeurée moindre que celle observée en 1999. Il souffre d'une trop forte concentration dans l'espace et dans la durée : l'essentiel des visiteurs se concentre sur le littoral et la saison touristique se limite à la période juillet-septembre, ce qui s'explique en partie par la faiblesse des structures d'accompagnement du tourisme susceptibles de retenir le visiteur sur une plus grande durée. Cette concentration de la saison touristique entraîne une sous-utilisation des structures d'accueil et une précarité de l'emploi lié au tourisme. Par ailleurs, les opérateurs touristiques sont souvent peu professionnalisés, ce qui nécessite une intensification de la formation dans le secteur de l'hôtellerie et la promotion d'une offre de qualité. Les hôtels de haut niveau et les grandes chaînes internationales de l'hôtellerie demeurent absentes des agglomérations corses. Enfin, l'offre est insuffisamment diversifiée et certaines formes de tourisme, telles que le tourisme d'affaires ou archéologique, sont pratiquement inexistantes.

3. Des obstacles à surmonter

Les handicaps naturels et géographiques, le climat politique et social ainsi que la faiblesse du secteur productif sont autant de freins au développement de l'île.

 Les handicaps naturels et géographiques dont souffre la Corse sont connus. Ile montagneuse peu peuplée et presque totalement dépourvue de ressources énergétiques et minières, elle constitue un marché étroit et morcelé, loin des grands flux économiques. L'insularité vient en tête de ces handicaps naturels ; son poids est économique, mais aussi psychologique. Au-delà du renchérissement des coûts qu'elle entraîne, que le mécanisme de la dotation territoriale s'est efforcé de pallier depuis 1976, elle complique les problèmes logistiques et accroît la dépendance des acteurs économiques.

Montagne dans la mer, la Corse est particulièrement cloisonnée, divisée en micro-régions qui ont développé leur particularisme. Les communications intérieures sont rendues particulièrement difficiles, mais la géographie n'est pas la seule responsable de cet état de fait : le réseau routier a été longtemps délaissé ; l'île est la seule région de l'Union européenne qui ne compte pas un kilomètre d'autoroute et la seule montagne qui ne soit pas traversée par un tunnel. De plus, les grands axes ne relient pas la moitié des communes. Toutefois, la géographie de l'île n'a pas pour seul effet de la desservir, puisqu'elle est dotée d'un patrimoine naturel exceptionnel, qui constitue un potentiel évident.

La démographie de l'île n'est, par ailleurs, pas favorable au développement. La Corse est la région la moins peuplée de la France métropolitaine, avec un peu plus de 260 000 habitants recensés en 1999 et la répartition spatiale de sa population est déséquilibrée. La croissance de sa population est supérieure à la moyenne nationale depuis 1990, principalement en raison du solde migratoire qui vient au secours d'une natalité en forte baisse, mais ne suffit pas cependant à enrayer le vieillissement de la population. Les personnes de moins de quarante ans sont désormais minoritaires ; la part des plus de soixante ans dans la population ne cesse de se rapprocher de celle des moins de vingt-cinq ans ; l'écart de 6,5 points en 1990 est seulement de 2,3 points en 1999. Parmi les plus de soixante ans, c'est plus particulièrement le nombre des plus de soixante-quinze ans qui augmente. Ils représentent aujourd'hui un résident sur onze. Les 20-25 ans se font plus rares en Corse-du-Sud qu'en Haute Corse, du fait de l'implantation de l'Université à Corte.

Lors du déplacement de la mission d'information, en mars dernier, à l'Université de Corte, il a été indiqué au rapporteur qu'un jeune diplômé sur deux quittait l'île. Il convient, par ailleurs, de préciser que beaucoup de jeunes sortent du système éducatif sans qualification. Selon les chiffres de l'INSEE, le taux de sortie sans qualification des formations du
secondaire s'élevait à 15 % en Corse en 1996 (8,4 % pour la moyenne nationale). Par ailleurs, si le nombre de bacheliers augmente, les résultats globaux du baccalauréat sont moyens. Dans les séries générales et technologiques, les scores sont mitigés avec respectivement 72,6 % et 71,2 % de reçus, soit 6 et 8 points de moins que les moyennes nationales en 1999.

 Au-delà de ces handicaps naturels, des facteurs politiques et sociaux peuvent être mis en avant pour expliquer les difficultés de l'économie corse. Incontestablement, comme l'ont souligné les dirigeants d'entreprises et les membres des organismes consulaires entendus par la mission d'information, l'image de violence politique et sociale associée à la Corse a un effet répulsif pour les opérateurs économiques. Entendu par la commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse, le directeur régional de la Banque de France déclarait sur ce point en février 1997 : « Il ne faut pas sous-estimer l'impact du contexte social défavorable de ces dernières années : grèves répétées des transports, grèves prolongées du secteur public, climat d'agitation politique et de violence ». Dans le secteur du tourisme, la corse pâtit de son image « d'île à problèmes ».

Par ailleurs, la Corse souffre encore du poids de son passé. Société paysanne jusqu'à la fin du XIXe siècle, elle n'est entrée dans la modernité que dans les années soixante. Les mutations psychologiques et sociales de cette évolution ne sont pas totalement achevées. Ainsi, certains observent que l'esprit d'entreprise et d'initiative fait parfois défaut. La motivation des créateurs d'entreprise est surtout sociale - il s'agit de créer son propre emploi - et les aspects économiques souvent sous-estimés. La disparition des entreprises non viables est mal acceptée et toute solution pour éviter le dépôt de bilan est recherchée. Il faut souligner, par ailleurs, que la Corse compte peu d'établissements de service aux entreprises (11 % du total des établissements contre 15 % pour la moyenne nationale en 1999).

Autre phénomène, l'économie corse est caractérisée par la persistance du régime de l'indivision en matière de propriété foncière et immobilière. Imputée à la culture locale reposant sur un grand attachement à la terre des ancêtres et à la famille et encouragée par l'absence de sanctions de déclaration en matière de succession, elle s'ajoute à l'absence fréquente de titres de propriété et freine le développement économique en bloquant les transactions et en accentuant la dégradation du patrimoine.

 Enfin, la faiblesse du système productif et la grande vulnérabilité des entreprises constituent un frein au développement de l'île.

Les entreprises corses sont principalement tournées vers le marché insulaire, qui est étroit compte tenu de la faiblesse de sa population. Elles se cantonnent parfois au cadre encore plus restreint de la micro-région dans laquelle elles sont implantées. En conséquence, elles conservent une structure familiale et une taille très modeste. Manquant le plus souvent d'envergure et de moyens financiers, elles sont extrêmement vulnérables à la concurrence externe. Peu de grandes entreprises se sont installées dans l'île.

Par ailleurs, les entreprises ont été confrontées à de graves problèmes d'endettement. La situation s'est améliorée depuis la mise en place de la zone franche fiscale, dans un contexte de reprise économique, et les défaillances ont connu un recul sensible. Au premier trimestre 2000, 69 défaillances étaient enregistrées contre 108 au premier trimestre 1999. Les entreprises ont poursuivi l'assainissement de leur bilan et la réduction de leur endettement. Selon les indicateurs de la Banque de France établis à partir des bilans de 1998, la proportion d'entreprises saines en Corse devient comparable à celle des autres régions, mais la proportion d'entreprises fortement détériorées reste très supérieure à la moyenne nationale. Le problème du financement des entreprises qui manquent de fonds propres demeure important.

II. - LE PROCESSUS EN COURS :
UNE CHANCE HISTORIQUE

A. Les étapes du processus

Face à la situation de blocage économique et social de la Corse, le Gouvernement a souhaité apporter une solution appropriée s'inscrivant dans le cadre de la politique de rétablissement de l'Etat de droit et de la reconnaissance de la spécificité insulaire, conformément aux orientations fixées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale de juin 1997. L'examen du projet de loi qui nous est soumis constitue une étape fondamentale du processus engagé le 13 décembre dernier, dont l'aboutissement est prévu en 2004 avec une éventuelle révision de la Constitution.

1. Une démarche transparente

Ce processus apparaît à bien des égards exemplaire. La démarche a été parfaitement transparente. Reposant sur un dialogue avec les élus de la Corse, elle a consacré la primauté du débat politique. A la différence des pratiques passées, les discussions entamées ont eu lieu au grand jour avec les seuls élus de la région, toutes tendances politiques confondues. Les nationalistes n'en ont pas été exclus, puisqu'ils représentent une part importante de l'électorat insulaire, mais ils n'ont pas non plus été privilégiés. Aucune tractation secrète n'a été engagée. Le « pari du Premier ministre » , l'appel à la responsabilité des élus insulaires, a fonctionné. Pour la première fois, toutes oppositions surmontées, les responsables politiques de l'île ont manifesté qu'ils étaient prêts à oublier leurs divergences et à engager leur responsabilité d'élus sur un projet d'ensemble pour la Corse.

Certes, le Premier ministre n'a pas attendu la fin des désordres pour engager ce processus et a levé le préalable de la condamnation de la violence par les nationalistes. Mais, subordonner l'engagement des discussions à la fin de la violence aurait fait de leurs auteurs les seuls maîtres du jeu. Ce processus ne constitue nullement un reniement de la politique de rétablissement de la légalité républicaine mise en œuvre par l'actuel Gouvernement ; il l'accompagne et y participe dans un but ultime : rétablir la paix civile. La prévention et la répression des activités illégales ont continué d'être poursuivies ; l'amnistie n'a jamais été à l'ordre du jour.

2. Un accord ambitieux 

  1. Un dialogue constructif entre le Gouvernement et les élus de Corse

    La première étape du processus en cours s'est d'abord limitée à un dialogue entre le Gouvernement et les élus de l'île et a abouti à un accord ambitieux.

    Conformément à l'annonce qu'il avait faite le 30 novembre 1999 devant notre Assemblée, le Premier ministre a reçu, le 13 décembre 1999, les élus de la Corse, parlementaires, présidents des conseils généraux, président du conseil exécutif et responsables des groupes représentés à l'Assemblée de Corse, et les a invités à dégager un certain nombre de points susceptibles de faire l'objet d'une discussion avec le Gouvernement.

    A l'initiative du président de l'Assemblée de Corse, M. José Rossi, les élus de l'assemblée, au sein des groupes politiques et en séance plénière, et avec la participation du conseil économique, social et culturel, ont travaillé sur un ensemble de propositions. L'Assemblée de Corse a adopté deux délibérations le 10 mars 2000 : la première a obtenu exactement la majorité des suffrages des membres de l'assemblée, soit 26 voix, la seconde en a recueilli 22.

    Le 6 avril 2000, le Premier ministre a, de nouveau, reçu les élus corses à Matignon pour leur faire part de ses observations sur les deux motions et fixer les modalités de déroulement des travaux ultérieurs. Un groupe de travail, composé des élus de Corse et de représentants du Gouvernement, a ensuite examiné les différents thèmes abordés par les délibérations de l'Assemblée afin de dessiner les bases d'un accord.

    Le 10 juillet 2000, le Gouvernement a retenu une première série d'orientations autour de huit points : l'organisation institutionnelle, le transfert des compétences, la fiscalité des successions, le financement de l'économie, l'Europe, l'enseignement de la langue corse et la loi de programmation d'investissements publics. Les présidents des groupes de l'Assemblée de Corse ont tenu une conférence deux jours plus tard pour définir leurs positions sur ces propositions. Le 20 juillet 2000, après une ultime réunion du groupe de travail constitué le 15 mai, le Gouvernement a présenté ses propositions de réforme aux élus de Corse dans un relevé de conclusions qui a été approuvé par l'Assemblée de Corse, à une très large majorité, le 28 du même mois.

  2. Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000

    Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 comporte une série de propositions de caractère institutionnel, économique et social. Ainsi, il prévoit d'augmenter les compétences de la collectivité territoriale de Corse, tout en simplifiant son organisation administrative, en supprimant les deux départements existants. Il envisage, par ailleurs, un nouveau statut fiscal, destiné à remplacer la zone franche, une loi de programmation d'investissements publics, des mesures de soutien au financement de l'économie et l'application progressive du droit commun de la fiscalité des successions. Il propose, enfin, la mise en place d'un dispositif permettant d'assurer un enseignement généralisé de la langue corse dans les écoles maternelles et primaires.

    Pour assurer la mise en œuvre de ces propositions, le Gouvernement s'est engagé à déposer un projet de loi, dans un délai compatible avec son adoption en 2001. Certaines des mesures prévues dans le texte
    - telles que la création d'une collectivité unique et la délégation à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir d'adaptation des normes nationales au-delà d'une phase d'expérimentation -, qui impliquent une révision de la Constitution, n'ont été envisagées que pour une deuxième étape, à l'expiration du mandat de l'Assemblée de Corse, en 2004. Elles nécessiteront l'accord des pouvoirs publics alors en fonction et sont conditionnées par le rétablissement préalable de la paix civile.


3. Un projet attendu

  1. Un texte largement approuvé par les élus de Corse

    Suivant ses engagements et conformément aux dispositions du statut de 1991 (article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales) qui imposent la consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets de loi ou de décret la concernant, le Gouvernement a soumis à l'Assemblée de Corse un avant-projet de loi modifiant et complétant le statut de la collectivité territoriale de Corse. Celle-ci l'a adopté à une large majorité (42 voix pour, 5 contre et 4 abstentions), le 9 décembre 2000. Le vote est intervenu après 24 heures de débats ininterrompus, au cours desquels ont été discutées plus de cent propositions de modifications du texte initial, dont la moitié ont été retenues. Le rapporteur, qui a assisté à ces débats, a pu apprécier la forte implication des membres de tous les groupes de l'Assemblée.

    Pour tenir compte de certaines des observations émises par les représentants de l'Assemblée de Corse, le Gouvernement a ensuite remanié son avant-projet et l'a soumis au Conseil d'Etat en décembre 2000. Dans son avis, rendu le 8 février 2000, la juridiction a estimé que les dispositions du texte ouvrant à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'adapter des lois et des décrets d'application dans les matières de sa compétence ne pouvaient être mises en œuvre dans le cadre constitutionnel actuel. Il a également considéré que les dispositions relatives à l'enseignement du Corse et les modalités retenues dans le projet de loi pour le retour au droit commun en matière de fiscalité des successions posaient des problèmes de constitutionnalité.

    Le Gouvernement a estimé qu'il appartiendrait au Parlement d'en débattre et a souhaité une inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour du conseil des ministres, afin que l'Assemblée nationale puisse en commencer l'examen. Se fondant sur l'article 9 de la Constitution, le Président de la République a, toutefois, retiré l'examen du projet de l'ordre du jour du conseil des ministres du 14 février 2001. Le texte a finalement été examiné en conseil des ministres le 21 février puis déposé le même jour sur le bureau de notre Assemblée.

  2. Une importante responsabilité pour le Parlement

    La discussion au Parlement doit permettre de poursuivre le débat démocratique et d'adopter un texte définitif, conforme à nos principes constitutionnels.

    Pour préparer l'examen de ce texte capital pour l'avenir de la Corse, la commission des Lois a mis en place, à l'initiative de son président, M. Bernard Roman, une mission d'information sur la Corse, le 9 novembre 2000. Ouverte à l'ensemble des membres de la Commission, elle a offert à notre Assemblée la possibilité de se saisir du dossier en amont et d'enrichir son information. La mission a ainsi effectué deux déplacements en Corse : les 22, 23 et 24 novembre 2000 et les 26 et 27 mars dernier. Elle a pu rencontrer un nombre important d'acteurs économiques et sociaux de l'île.

    La Commission a, par ailleurs, souhaité poursuivre l'examen du projet de loi dans la transparence. Elle a ainsi procédé à l'audition publique des élus corses. Recueillir leur avis était d'autant plus important que la compatibilité du projet avec la Constitution avait été mise en cause. Les différents groupes de l'Assemblée de Corse ont ainsi été entendus le mercredi 28 mars dernier ; le président du conseil exécutif de Corse et des deux présidents du conseil général se sont exprimés devant elle le 4 avril. La Commission a également procédé à l'audition publique du ministre de l'intérieur le 17 avril, avant d'engager la discussion du projet de loi.

    Les principales dates du processus
    -  1re réunion à Matignon : le 13 décembre 1999

    -  1res délibérations de l'Assemblée de Corse (vote de 2 motions) : le 10 mars 2000

    -  2e réunion à Matignon : le 6 avril 2000

    -  Réunions des groupes de travail : les 5, 22 et 29 mai ; 5, 15, 19 et 27 juin  et le 3 juillet 2000

    -  Remise des orientations du Gouvernement : le 10 juillet 2000

    -  Conférence des présidents des groupes de l'Assemblée de Corse : le 12 juillet 2000

    -  Ultime réunion du groupe de travail le 20 juillet 2000 et dépôt du « relevé de conclusions » du Gouvernement

    -  Délibération de l'Assemblée de Corse approuvant le relevé de conclusions : le 28 juillet 2000

    -  Délibération de l'Assemblée de Corse consultée par le Gouvernement sur un avant-projet de loi : le 8 décembre 2000

    -  Avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi remis par le Gouvernement en décembre : le 8 février 2001

    -  Approbation du projet de loi en conseil des ministres et dépôt du projet à l'Assemblée Nationale : le 21 février 2001

B. Le projet de loi : une décentralisation renforcé pour un développement durable de la Corse

1. Un nouveau statut pour la Corse

  1. Une autonomie renforcée

    La situation de l'île justifie pleinement qu'elle soit dotée d'un statut spécifique, afin de disposer des instruments juridiques lui permettant de prendre les mesures adaptées à sa situation particulière. Cette démarche a d'ores et déjà été partiellement mise en œuvre par le législateur dans le statut de 1991, puisqu'il a institué une collectivité territoriale sui generis, dotée d'une organisation institutionnelle fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, qui la distingue radicalement des autres institutions régionales françaises. En outre, la collectivité territoriale a été dotée, en plus des compétences attribuées aux conseils régionaux par les lois de décentralisation, d'attributions nouvelles relevant de l'Etat ou des conseils généraux (comme l'entretien des collèges).

    Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 mai 1991 (DC n° 91-290) a validé cette organisation particulière en confirmant sa jurisprudence du 25 février 1982 (DC n° 82-138) reconnaissant la possibilité pour le législateur de créer « une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu'une seule unité », de la doter « d'un statut spécifique » et de lui attribuer des compétences nouvelles à condition que ce transfert n'ait « pas pour conséquence d'affecter de façon substantielle les attributions des deux départements de Corse ».

    Ce statut original a, par ailleurs, institué une procédure de dialogue entre la collectivité territoriale et les pouvoirs publics, puisque l'article 26 de la loi du 13 mai 1991 prévoit la consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets de loi ou de décrets comportant des dispositions spécifiques à la Corse et lui reconnaît un pouvoir de proposition tendant à modifier ou à adapter les dispositions législatives ou réglementaires relatives au statut de l'île et à son développement économique, social et culturel. Cette disposition novatrice n'a, toutefois, pas eu les résultats escomptés, puisque les pouvoirs publics successifs n'ont pas donné de suite aux demandes et aux avis formulés par la collectivité territoriale de Corse.

    Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 a reconnu la nécessité pour la collectivité territoriale de disposer des outils juridiques lui permettant d'adapter les lois et les règlements en vigueur. L'exemple des lois dites littoral et montagne est, sur ce point, éclairant : les mesures de protection qu'elles instituent visent à concilier développement et sauvegarde des espaces naturels, mais elles s'opposent à tout développement de l'île du fait de sa faible densité et de sa géographie partagée entre côtes maritimes et massifs montagneux. Aussi, le projet de loi prévoit-il la possibilité pour la collectivité territoriale d'adapter les décrets d'application des lois intéressant ses compétences et d'adapter, à titre expérimental, les dispositions législatives, dès lors qu'elles présentent des difficultés d'application pour l'exercice de ses compétences (article 1er).

    Ce dispositif s'inscrit dans la perspective de la révision constitutionnelle de 2004 : il est en effet limité en raison du cadre constitutionnel actuel et le projet de loi se fonde sur la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993 (DC n° 93-322) pour reconnaître à la collectivité territoriale la possibilité d'expérimenter l'adaptation de mesures législatives dans le cadre défini par le législateur.

    Cette disposition ne constitue en rien une remise en cause du cadre républicain. Celui-ci admet en effet, d'ores et déjà, l'existence d'un régime différencié d'application des lois, que ce soit en Alsace-Moselle ou dans les collectivités territoriales de l'outre-mer. Certaines expérimentations, dans des domaines aussi variés que le RMI, les finances locales, la prestation dépendance ou la régionalisation des transports ferroviaires, ont par ailleurs été autorisées par le législateur et une récente proposition de loi constitutionnelle, déposée par M. Pierre Méhaignerie et adoptée par l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001, vise à généraliser la possibilité d'habiliter les collectivités locales à procéder à l'adaptation des lois et des règlements à des fins expérimentales.

    En tout état de cause, cette disposition répond à la demande des élus de la collectivité territoriale et permet d'ancrer la Corse dans un ensemble républicain, dans lequel unité et indivisibilité n'impliquent pas nécessairement uniformité.

  2. La reconnaissance des spécificités culturelles insulaires

    Revendication constante des élus nationalistes et d'une frange importante de l'opinion insulaire, la question de la reconnaissance des spécificités culturelles de la Corse est parmi les plus contestées du projet de loi.

    Il est vrai que l'article 1er de la loi du 13 mai 1991, qui disposait que « la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut », a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que la Constitution « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion. » Ce faisant, le Conseil a privilégié une lecture juridique d'une disposition déclarative, porteuse d'une forte valeur symbolique.

    Dans ce contexte, la revendication d'une reconnaissance de la spécificité culturelle insulaire devait logiquement se cristalliser sur la langue corse et sur les conditions de son enseignement. Si la co-officialité de cette langue avec le français, longtemps demandée par les nationalistes sur le modèle catalan, a été écartée en raison des problèmes de principe qu'un tel régime soulève, le Gouvernement et les élus des différents groupes de l'assemblée territoriale ont convenu d'inscrire dans la loi le principe de la généralisation de l'enseignement du corse à l'ensemble des élèves des écoles maternelles et primaires (article 7).

    Les polémiques suscitées par ce dispositif sont excessives : le régime de co-officialité étant écarté et l'enseignement de cette matière n'ayant pas de caractère obligatoire, du fait de la possibilité reconnue aux parents d'obtenir systématiquement une dispense pour leurs enfants, les inquiétudes manifestées par certains à ce sujet sont infondées. Non seulement, il serait absurde de penser que l'enseignement de la langue corse constituerait une menace pour le français, mais il serait dommage d'entériner la disparition de cette langue régionale, au même titre que toutes celles qui font partie de notre patrimoine national. C'est d'ailleurs pour préserver et transmettre cet élément de richesse de notre patrimoine culturel, que le ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang, a annoncé, le 25 avril dernier, qu'il souhaitait mettre en place un nouveau cadre réglementaire tendant à contribuer à la reconnaissance de la diversité des identités culturelles. Celui-ci doit notamment permettre, par un partenariat avec les collectivités territoriales concernées, que l'enseignement des langues régionales commencé à l'école primaire se poursuive sur l'ensemble des cycles de la scolarité.

    Les deux visites de la mission d'information dans l'île, que ce soit dans les écoles élémentaires, au rectorat ou à l'Université de Corte, ont d'ailleurs permis de constater sur place l'absence de crispation sur cette question. Les parents d'élèves rencontrés ont, dans leur immense majorité, fait part de leur intérêt pour l'apprentissage du corse, que ce soit pour favoriser les échanges entre les générations, pour ceux qui sont originaires de l'île, ou comme un facteur d'intégration, pour les autres. Les enseignants ont, pour leur part, rejeté tout risque de « corsisation » des emplois par le biais de la généralisation de l'enseignement du corse, en indiquant que le fait de dispenser cet enseignement dans le cadre de l'horaire normal permettait de procéder à des échanges d'élèves entre enseignants locuteurs et non locuteurs.

    Par ailleurs, le projet de loi envisage de renforcer les compétences de la collectivité territoriale en matière culturelle en lui transférant la charge des monuments historiques et des sites archéologiques et en lui reconnaissant le rôle de collectivité de référence pour la définition de la politique culturelle en Corse (article 8). Ce dispositif permettra ainsi à la collectivité territoriale de préserver et de promouvoir le patrimoine culturel insulaire en complément des actions relevant de la politique culturelle nationale.

  3. Un accroissement des compétences transférées

    Les élus de l'Assemblée de Corse et les membres du conseil exécutif ayant fait part de leurs difficultés à exercer les responsabilités qui leur ont été dévolues dans le cadre du statut de 1991, le projet de loi vise à clarifier les compétences précédemment transférées, qu'elles concernent l'aménagement de l'espace, le développement économique, la politique agricole, l'éducation, la formation professionnelle, le tourisme, la gestion des infrastructures de proximité ou les transports. Il confère, par ailleurs, à la collectivité territoriale, des compétences nouvelles en matière d'environnement en lui donnant la possibilité de mettre en œuvre des règles dérogatoires à la loi littoral. Il lui attribue également de nouvelles attributions en matière de politique sportive, de gestion des ressources en eau et forestières, de planification de l'élimination des déchets.

    Ces transferts de compétences sont opérés avec le souci de favoriser la constitution de blocs cohérents. L'Etat sera recentré sur ses missions régaliennes de mise en œuvre des politiques nationales et de contrôle administratif. Les services déconcentrés seront redéployés, après concertation avec les organisations syndicales, pour tenir compte de la nouvelle répartition des compétences avec la collectivité territoriale de Corse.

    S'agissant des autres collectivités locales, leurs compétences ne sont pas affectées par le présent projet de loi, qui s'inscrit dans le respect du principe de l'absence de tutelle d'une catégorie de collectivité territoriale sur une autre. Aussi, dans l'attente des mesures de simplification administrative demandées par les élus de l'Assemblée de Corse, qui ont marqué leur préférence pour la suppression des départements et le transfert de leurs compétences vers la collectivité territoriale, le projet de loi institue-t-il un mécanisme de coordination entre la collectivité territoriale, les conseils généraux et, le cas échéant, les communes et leurs groupements (article 47). En tout état de cause, la suppression des départements nécessite une révision de la Constitution et ne pourra avoir lieu avant 2004.

    Enfin, la mise en œuvre de certaines compétences de la collectivité territoriale de Corse étant exercée par les offices en application des dispositions du statut de 1991, le projet de loi vise à mettre un terme aux dysfonctionnements causés par cette situation. Il donne à la collectivité territoriale la possibilité d'exercer elle-même les missions confiées à ces offices, ce qui entraînerait leur dissolution de droit (articles 40 à 42). Cette rationalisation administrative est indispensable et nécessaire en vue du plein exercice de ses compétences nouvelles par la collectivité territoriale.

  4. La réaffirmation du principe d'égalité

    Alors que de nombreuses craintes se sont exprimées sur la mise en œuvre d'un processus conduisant à l'indépendance de la Corse, le présent projet de loi tend, au contraire, à inscrire pleinement cette région dans l'ensemble républicain en réaffirmant deux principes fondamentaux : l'égalité des citoyens devant la loi et leur égalité devant l'impôt.

    La condition d'un retour à la paix civile comme préalable à la révision constitutionnelle envisagée pour 2004, qui figure dans le relevé de conclusions du 20 juillet dernier, souligne la volonté de l'Etat de garantir la sécurité dans l'île et d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant la loi. La démarche de dialogue mise en œuvre par le Gouvernement a, en effet, été accompagnée d'une volonté de faire appliquer la loi par les services administratifs et judiciaires et de rompre avec certaines pratiques passées marquées par la compromission.

    En prévoyant, par ailleurs, un retour progressif au droit commun en matière de droits de succession, le projet de loi entend réaffirmer le principe de l'égalité devant l'impôt. Les règles existantes, conséquence des arrêtés Miot de 1801, conduisent à une exonération de fait des successions, faute de sanction en cas d'absence de déclaration et de base légale pour l'évaluation des biens immobiliers situés en Corse.

    Le projet propose de rendre obligatoire, à compter du 1er janvier 2002, le dépôt des déclarations de toutes les successions intervenues sur l'île ; le délai de dépôt des déclarations comportant des immeubles ou droits immobiliers situés en Corse serait de vingt-quatre mois, au lieu de six dans le droit commun, jusqu'au 31 décembre 2010.

    Ensuite, il prévoit les modalités de mise en œuvre des droits de succession en Corse à compter du 1er janvier 2002, dans une perspective de retour au droit commun :

    -  pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2002 et le 31 janvier 2010, les immeubles et droits immobiliers situés en Corse seront totalement exonérés ;

    -  pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, l'exonération ne sera plus que de 50 %.

    Cette période transitoire est destinée à favoriser la reconstitution des titres de propriété et la sortie de l'indivision. Les exonérations ne seront applicables qu'à la condition que les attestations notariées soient publiées dans les vingt-quatre mois suivant le décès s'agissant des successions pour lesquelles le droit de propriété du défunt n'a pas été constaté antérieurement par un acte régulièrement transcrit et publié. De même, l'exonération des droits de licitation et de partage ainsi que des droits sur les procurations et les attestations notariées après décès sera reconduite.

2. Un cadre propice au développement durable de l'île

Initier un développement économique durable est l'un des objectifs du processus engagé par le Premier ministre. Le retour à l'apaisement permettra aux mesures concrètes proposées de donner leur plein effet. Le projet de loi reprend l'ensemble des engagements du relevé de conclusions de juillet 2000 relevant de la loi ordinaire. Il permet à la collectivité territoriale de Corse de tracer les orientations de son développement, en la dotant des outils juridiques nécessaires. D'autre part, il propose des mesures permettant de favoriser l'investissement dans des secteurs d'activité prioritaires et de rattraper le retard en matière d'infrastructures.
  1. Une collectivité territoriale mieux à même d'orienter et de soutenir son développement

    L'Etat reste responsable de la mise en œuvre en Corse de la politique économique et sociale nationale, mais la collectivité territoriale se voit dotée des compétences pour orienter et soutenir son développement, en tenant compte des spécificités de son territoire.

      La maîtrise des grandes orientations de l'aménagement du territoire et du développement durable

    Le projet de loi prévoit l'élaboration par la collectivité territoriale de Corse d'un plan d'aménagement et de développement durable fixant ses orientations en matière d'aménagement du territoire et ses objectifs de développement économique, mais aussi social et culturel (article 12). Ce document, soumis à enquête publique et élaboré en associant les acteurs économiques et institutionnels de l'île, est appelé à se substituer aux documents de planification existants : plan de développement et schéma d'aménagement, qui reposent sur des procédures d'élaboration et d'adoption diverses et dont l'entrée en vigueur est parfois subordonnée à une approbation préalable de l'Etat. Cet effort de simplification s'imposait : la Corse n'est, en effet, jamais parvenue à adopter de schéma d'aménagement, le schéma actuellement en vigueur ayant été élaboré par les services de l'Etat en 1992. Le projet n'envisage pas de délai pour l'élaboration d'un plan d'aménagement et de développement durable, mais il lie la conclusion des futurs contrats de plan à son approbation par la collectivité territoriale.

    Le plan d'aménagement et de développement durable vaudra schéma de mise en valeur de la mer et directive territoriale d'aménagement : à ce titre il pourra préciser les modalités d'application des dispositions particulières relatives aux zones de montagne et du littoral. En outre, le projet de loi prévoit que la collectivité territoriale pourra, dans le cadre de ce plan, à titre expérimental, déroger à certaines dispositions de la loi littoral pour tenir compte des spécificités géographiques de l'île. Elle pourra ainsi autoriser des aménagements légers et des constructions non permanentes destinés à l'accueil non hôtelier du public dans la bande des cent mètres contiguë au rivage, alors que cette compétence relève du préfet selon le droit commun. Surtout, elle pourra définir des règles d'extension d'urbanisation dans la partie rétro-littorale, où l'urbanisation n'est en principe admise qu'en continuité ou groupée. Il s'agit, simplement, de lui permettre de trouver un meilleur équilibre entre une logique de développement nécessaire et le respect de son patrimoine naturel. D'ailleurs, si le projet de loi renforce les attributions de la collectivité territoriale en matière de développement économique, il lui confie également plus de compétences dans le domaine de l'environnement. En définitive, il lui appartiendra de concilier la défense de son patrimoine naturel avec sa logique de développement. Dégrader l'un pour favoriser l'autre serait contreproductif et les élus en sont bien conscients.

     Des compétences renforcées dans les secteurs clefs de l'économie

    Le projet de loi propose d'attribuer à la collectivité territoriale des capacités d'intervention accrues dans les secteurs clefs de l'économie insulaire.

    Ainsi, par exemple, il renforce ses attributions en matière de développement touristique (articles 18 et 19), en la chargeant notamment d'assurer le traitement et la diffusion des données relatives aux activités touristiques et de coordonner les initiatives publiques et privées menées dans ce domaine. Il prévoit aussi de lui confier le classement des stations touristiques.

    Dans le domaine des transports, la collectivité territoriale est déjà chargée de l'organisation des liaisons maritimes et aériennes entre la Corse et le continent, de l'exploitation des transports ferroviaires et des routes nationales. Le projet envisage de lui attribuer la propriété des grandes infrastructures de transports appartenant à l'Etat : les ports d'Ajaccio et de Bastia, les quatre aérodromes internationaux de l'île et le réseau ferré (article 15). Ainsi, elle aurait la maîtrise complète des moyens de lutter contre les contraintes de l'insularité. Dans cette même logique, le projet de loi prévoit de lui conférer une compétence nouvelle lui permettant de réaliser directement des infrastructures de télécommunication, en la dispensant de constater la carence de l'initiative privée (article 10).

    Le projet de loi propose également d'étendre les compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière d'aide au développement économique. Elle serait autorisée à définir des nouveaux régimes d'aides directes et indirectes aux entreprises, dans le respect du droit communautaire. Elle pourrait, en outre, participer, par le versement de dotations, à la constitution d'un fonds d'investissement auprès d'une société de capital-investissement ayant pour objet d'apporter des fonds propres aux entreprises (article 17).

    Enfin, le transfert de compétences à la collectivité territoriale de Corse en matière d'apprentissage et de formation professionnelle continue des jeunes et des adultes est envisagé (article 22). Ainsi, la collectivité pourrait déterminer l'ensemble du programme des formations et des opérations d'équipement de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) réalisées en Corse.

    Afin de lui permettre d'assumer pleinement ses nouvelles compétences, il faut souligner que le projet de loi prévoit de transférer à la collectivité les moyens matériels et humains nécessaires (titre II, des moyens et des ressources de la collectivité territoriale de Corse). Les nouvelles charges financières en résultant seront intégralement compensées (article 35) ; le transfert ou la mise à disposition des services et des personnels concernés est organisé (articles 30 à 33).

  2. Un dispositif d'incitation à l'investissement dans les secteurs prioritaires de l'île

    L'objectif du développement économique a guidé la définition d'un nouveau statut fiscal pour la Corse, appelé à succéder à la zone franche, à compter de janvier 2002.

    S'inscrivant dans une « logique de projet », en opposition avec la précédente « logique de guichet », le projet de loi propose d'instituer, sur une période de dix ans, un dispositif d'aides fiscales, destinées à encourager l'investissement des entreprises et, partant, la création d'activités et d'emplois dans les secteurs prioritaires de l'économie insulaire (articles 43 et 44). Ce dispositif doit se substituer à celui de la zone franche qui, venant à échéance le 31 décembre 2001, est loin d'avoir atteint tous ses objectifs. Afin de permettre une transition souple, une sortie progressive du régime de la zone franche pour l'exonération de taxe professionnelle et de cotisations sociales est organisée.

     Le bilan mitigé de la zone franche

    La loi n° 96-1143 du 26 décembre 1996 relative à la zone franche de Corse a mis en place un mécanisme d'exonération d'impôt sur les bénéfices et de taxe professionnelle, et prévu une majoration spécifique de la réduction de charges sociales sur les bas salaires instaurée par la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346 du 30 décembre 1995). L'exonération d'impôt sur les bénéfices, d'une durée de cinq ans, dans la limite d'un plafond annuel de 400 000 F, concerne les entreprises et les particuliers pour les activités exercées en Corse au 1er janvier 1997 ou créées avant le 31 décembre 2001 ; l'exonération de taxe professionnelle de plein droit, sauf délibération contraire des communes ou de leurs groupements, s'applique aux établissements existants en Corse au 1er janvier 1997 et à la création d'établissements réalisée en Corse jusqu'au 31 décembre 2001.

    Le bilan de la zone franche est mitigé. Destinée à donner un nouveau souffle à l'économie corse, elle a bénéficié à de nombreuses entreprises et a certainement contribué à la sauvegarde des sociétés existantes, dont la situation financière était critique ; mais elle n'a pas réussi à attirer des porteurs de projet et a vraisemblablement généré d'importants effets d'aubaine.

     Un dispositif recentré

    Le mécanisme proposé par le projet de loi s'articule autour d'une éaide fiscale à l'investissement », constituée d'un crédit d'impôt déductible de l'impôt sur les bénéfices et d'une exonération de taxe professionnelle.

    -  Le crédit d'impôt est réservé aux investissements réalisés en Corse par les petites et moyennes entreprises dans les secteurs jugés prioritaires pour le développement de l'île, conformément au relevé de conclusions du 20 juillet 2000, et dans le respect des exclusions imposées par le droit communautaire. Sont concernés les investissements réalisés dans le secteur de l'hôtellerie, compte tenu de l'importance du tourisme pour l'île, mais aussi dans les secteurs des nouvelles technologies, de l'énergie, à l'exception de la distribution, de l'industrie hors secteur exclu par la réglementation communautaire et de l'agro-alimentaire hors pêche.

    A cette logique sectorielle s'ajoute une autre dimension relevant de l'aménagement du territoire et de la nécessité d'assurer un développement équilibré de l'île. Les investissements réalisés dans les zones de revitalisation rurale par les entreprises commerciales, mais également artisanales, seront éligibles au crédit d'impôt.

    Le gain de cette mesure est subordonné, bien évidemment, à la réalisation de bénéfices, mais cette exigence est conforme à son esprit. Il s'agit de soutenir les projets viables, dont on attend un retour sur investissement, dans une logique de projet et non de guichet.

    -  L'exonération de taxe professionnelle proposée par le projet de loi est destinée à prendre le relais de celle qui était applicable au titre de la zone franche. Il existe une certaine ambiguïté sur son champ d'application. Selon l'étude d'impact et l'exposé des motifs du projet de loi, elle doit bénéficier à toutes les entreprises pour les investissements corporels effectués en Corse, mais l'article 43, dans sa rédaction actuelle, limite son champ d'application aux PME, intervenant, de surcroît, dans les secteurs prioritaires retenus pour le mécanisme du crédit d'impôt. Cette nouvelle exonération s'appliquera de droit, sauf délibération contraire des communes ou EPCI la percevant, pour une période de cinq ans au plus et jusqu'au 31 décembre 2012 au plus tard. Une dotation budgétaire devra compenser pour les collectivités concernées les pertes de recettes résultant de ce dispositif. Afin de faciliter la sortie de la zone franche, un dispositif de sortie en sifflet est prévu.

    Le coût du nouveau dispositif de crédit d'impôt et d'exonération de taxe professionnelle, ajouté à celui de la zone franche (390 millions de francs en 2001) qui continuera à peser sur les finances publiques durant plusieurs années, est estimé à 550 millions de francs en 2002, 390 millions de francs en 2003, 510 millions de francs en 2004, 450 millions de francs en 2005 et 510 millions de francs en 2006.

  3. Un programme exceptionnel pour combler le retard d'équipements et de services collectifs

    Conformément au relevé de conclusions du 20 juillet 2000, le projet de loi prévoit la conclusion d'une convention entre l'Etat et la collectivité territoriale de Corse pour mettre en place, sur quinze ans, un programme exceptionnel d'investissements publics, destiné à combler le retard d'équipement et de services collectifs dont souffre la Corse (article 46). Expression de l'effort exceptionnel de solidarité de la collectivité nationale envers la Corse, la contribution de l'Etat pourra aller jusqu'à 70 % du coût total de ce programme.

    Ce programme devra s'articuler avec les actions entreprises dans le cadre du contrat de plan Etat-région et du document unique de programmation communautaire (DOCUP), qui représentent 4,5 milliards de francs de 2000 à 2006, auxquels s'ajoutent les 2 milliards de francs non encore utilisés sur le précédent contrat de plan. Tenant compte de la capacité d'absorption de l'île, il privilégiera les opérations lourdes de long terme. A la demande du Premier ministre, le préfet de région a, d'ores et déjà, engagé les discussions avec la collectivité territoriale pour déterminer les axes prioritaires de ce programme. Il ne s'agit pas de définir a priori une somme à investir pour déterminer ensuite son affectation, mais de se fonder sur une évaluation des besoins à satisfaire.

    Selon le premier recensement effectué, le coût des réalisations à financer pourrait être de 13 milliards de francs. Le Gouvernement a, d'ores et déjà, retenu quelques orientations. Il est prévu de renforcer les infrastructures de base nécessaires au développement de la Corse. Dans le domaine des transports, par exemple, avec un soutien aux investissements routiers, mais aussi dans le secteur de la formation, avec l'achèvement des équipements universitaires de Corte. L'amélioration des services collectifs dans le domaine sanitaire ou dans celui des relations du travail est également envisagée.


– La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de :
M. Bernard Roman : président
M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes : vice-présidents
M.Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg : secrétaires
M.Léo Andy, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme. Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Jean-Claude Decagny, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roland Francisci, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme. Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme. Christine Lazerges, Mme. Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme. Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.



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