Feu sur les
quartiers généraux !
Argelès-sur-Mer - 29 septembre 2002



 Rassemblement d'Argelès-sur-Mer  : discours de Jean-Luc Mélenchon


 
Nous goûtons depuis trois jours le bonheur de se retrouver. Nous en avions besoin. Je passe les cyniques, les mi-chairs, mi-poissons, mi-bouillis, mi-frits. Nous, nous savons bien, quand bien même les observateurs extérieurs s'interrogent parfois sur le sens de ce qui s'est passé ici pendant trois jours, nous sentons bien dans nos cœurs, dans nos esprits, que nous avons repris notre place dans cette longue chaîne du temps qui nous lie à ceux qui nous ont précédé sur ce chemin, nos maîtres qui ont ouvert la voie socialiste que nous voulons maintenir ouverte. C'est cette immense ambition qui nous soulève et qui nous porte dans cette journée. Dans cette chaîne du temps, parlant pour Alain Vidalies et quelques autres, j'en suis sûr, j'ai une pensée à cet instant pour Jean Poperen, et pour tous ceux qui, quand cela allait mal, ne cédaient jamais. Nous en avons besoin parce que tel que nous sommes là nous portons la marque d'une blessure intime, celle du 21 avril.

Blessure personnelle parce que, quoi qu'on en dise, chacun d'entre nous, combien de fois s'est retourné sur lui-même se demandant : " qui ai-je oublié d'aller voir ? Que n'ai-je pas fait ? Qui, à deux voix près par bureau de vote a renvoyé la gauche en exil dans sa propre patrie et nous a condamné à ce deuxième tour pitoyable ? Flétrissure encore pour nous-mêmes qui n'avons pas su proposer à la France quelque chose qui lui permette d'éviter ce qu'a été ce deuxième tour. Flétrissure parce que chacun de nous aime cette patrie républicaine et pense à tous ceux dans ce monde qui attendaient notre victoire comme un point d'appui pour leur propre combat, à tous ceux pour qui la Marseillaise est un chant de liberté et à qui nous avons donné ce spectacle lamentable d'avoir à choisir entre Le Pen ou Chirac.

Une déchirure politique, chers camarades, parce que nous le savons tous, plus rien ne sera comme avant. Trop de tabous sont tombés avec cette présence au deuxième tour. Trop de haines se sont libérées et pour les faire rentrer dans leur boîte, il faudra une énergie, il faudra une volonté, il faudra un courage, sont comme une mesure avec l'eau tiède depuis que nous avons vu se déverser.

Une déchirure politique, enfin, le premier des risques que nous affrontons, c'est le risque de l'amnésie de ceux qui sont pressés d'oublier pour ne pas à avoir à tirer toutes les leçons. Le risque de frivolité de tous ceux pour qui l'engagement politique est soit une humeur de fin de banquet, soit un souci de carrière. Dans ce contexte, c'est au contraire au devoir de lucidité, au devoir de ténacité auquel appelle le rassemblement d'Argelès. Chaque socialiste, chaque conscience de gauche, chaque homme, chaque femme, à cet instant, préparant le congrès du premier, du grand parti de toute la gauche doit aller au bout de sa liberté, au bout de sa conscience et savoir que suivant comment il opinera dans son parti en définitive c'est à la France qu'il parle et qu'il va proposer un chemin.

Car un vent mauvais est levé sur le pays, un vent mauvais est levé sur le monde, fait de nationalisme, d'ethnicisme, d'impérialisme et la situation de l'Irak est un test de la volonté des peuples. Ni le nationalisme, ni l'ethnicisme, ni le communautarisme, ni l'impérialisme ne tombent du ciel. Il y a des acteurs, des stratégies, des moyens.

Et il y a aussi et surtout un terreau, ce terreau, se sont les dégâts du libéralisme qui nourrissent sans cesse ces maux qu'ensuite ils prétendent combattre. Et il y a aussi dans notre pays la résignation à front de bœuf qui avance. Cela s'appelle l'idéologie sécuritaire, cela s'appelle la dépolitisation, cela s'appelle la " proximité ".

Dès lors, Argelès, puisque la question a été posée, à qui parlons-nous et que disons-nous ? Nous parlons à la France, à ce pays que peut-être nous idéalisons, nous rêvons. A cette république née il y a 200 ans et 7 jours sur des collines pluvieuses de Valmy où le petit peuple affrontait la mondialisation de l'époque, la mondialisation féodale, et qui avait bien des raisons de se dire que la " contrainte extérieure " était drôlement forte, puisqu'elle venait armée. Et pourtant cela ne l'empêchait pas de vouloir un nouveau monde. Et qu'il l'a réalisé puisque comme l'a dit le poète Goethe : " De ce jour est né une ère nouvelle ", dont la dynamique n'est pas épuisée puisque nous voici, le cœur ardant, nous qui en sommes les héritiers.

Nous parlons à tous les Français, soûlés de raffarinades et de chiraqueries, de ses images pitoyables d'une France rabougrie dans des slogans de marchands de café, qui fournit une version de série B en traduction mal simultanée du vocabulaire anglo-saxon du libéralisme à toutes les sauces.

Et aux Français nous leur disons : " Français, occupez-vous de politique parce que la politique s'occupe de vous ! Dans quelle société voulez-vous vivre ? C'est de cela dont nous parlons, nous ne sommes pas en train de régler des comptes entre socialistes ! Nous vous parlons de la France ! De notre vie ! De nos gosses ! De l'avenir ! Qu'est-ce que vous voulez ? Une France sécuritaire où chacun est le suspect de tous et où tous sont suspects pour chacun. Une France faite de compétitions du matin jusqu'au soir, toute la vie, de la naissance à la mort ?

Où chacun est défini par sa fortune, par sa naissance, par ses moyens, plutôt que rapproché par la solidarité, la fraternité, le goût du bonheur commun ? Un monde où tout est marchandise ?

Une France vassalisée où le seul débat qu'il y ait à propos de son expression là où elle a le pouvoir, et où l'histoire lui a donné des moyens, par exemple le conseil de sécurité de l'ONU.

Il n'a rien à dire ? Et où on se préoccupe seulement de savoir pendant combien de temps les responsables feront semblant de ne pas être d'accord avec les états d'Amérique avant de se coucher ?

Voulez-vous faire vivre la patrie républicaine des Français comme terre d'espérance, qui n'accepte pas que l'on bâtisse une Europe, qu'elle a voulu de toutes ses forces, construite sur un modèle qui ne soit pas celui pour lequel l'ensemble des peuples d'Europe se sont battus au cours de deux derniers siècles, c'est-à-dire un modèle démocratique ? Comment ont-ils réussi cet aberration qu'avec seize pays démocratiques, on fasse une union qui ne le soit pas ? Et la France, celle dont j'ai parlé toute à l'heure, qui a commencé il y a 200 ans et 7 jours accepterait cela ? C'est de cela dont nous vous parlons, Français ! C'est de cela que parle Argelès. De rien d'autre. Enfin le reste vient après.

Nous parlons à toute la gauche ! Nous sommes en cela les héritiers du mitterrandisme, qui, après 1968, a su unir dans un même projet et souvent dans un même parti, la gauche radicale qui avait provoqué ce tremblement de terre des 10 millions de travailleurs en grève et la gauche du gouvernement. C'est cette coupure qui s'est manifestée le 21 avril que nous voulons résorber. Nous ne nous résignons pas, parce que nous savons que le projet alternatif de la gauche n'y a pas intérêt, à ce qu'il y ait qu'un côté une gauche de protestations, d'indignations, qui souvent la première montre les injustices, les inégalités, les scandales dans ce monde injuste et ensuite est renvoyé à la niche, tandis qu'une autre gauche arrive et gère. C'est cette coupure qu'il faut surmonter. C'est cette coupure que le " nouveau monde " propose de dépasser. Parce que c'est le prix qu'il faut acquitter si l'on veut que le projet socialiste ne soit pas seulement l'attente de l'échec de la droite, que le projet socialiste ne soit pas seulement une alternance mais qu'il soit une alternative ! Que le socialisme de la gauche marche la tête haute ! Qu'il cherche à convaincre qu'un autre monde est possible. que celui dans lequel nous vivons n'est pas la fin de l'histoire, que les normes sous lesquelles nous ployons souvent ne sont pas indépassables. Et qu'après tout, toute l'histoire humaine est humaine, elle dépend de l'énergie que l'on met à vouloir que les choses soient comme ceci ou comme cela, ou alors à ne rien vouloir du tout. Une alternative socialiste n'est pas seulement une alternance ! Notre initiative est d'abord le ferment d'une volonté fédératrice qui commence dans le " nouveau monde ", dans notre rassemblement à Argelès et dont nous voulons demain qu'elle soit l'orientation du premier parti de gauche qui se tournant vers tous, la propose à tous.

Au bout du compte, que le débat soit épuisé ou non pour savoir s'il faut un parti unique de toute la gauche, que la question soit épuisée de savoir si nos idéologies ont suffisamment convergé ou pas, qu'on renoue avec la seule méthode qui vaille, celle du front unique, celle du programme commun. Un programme commun ! Un programme commun ! Qui ne s'interdit aucun partenaire, qui ne méprise personne, qui n'est pas peur de son petit doigt, ni même de Besancenot. Il faut parler à tous les Français ! A toute la gauche ! A tous ceux qui veulent se battre. Il faut n'exclure personne et que ceux qui veulent s'exclure s'exclue bien sûr d'eux-mêmes. Mais alors, comme dans le passé, le peuple fera la différence ! N'attendons pas les états-majors ! Commençons tout de suite ! C'est ce que nous faisons à Argelès. C'est ce que nous allons continuer avec notre peuple ! La main est tendue à toutes celles et ceux, formations, groupes, rassemblements qui veulent participer à ce travail. Feu sur les quartiers généraux ! Rassemblement !

Alors évidemment tout commence par le PS, que voulez-vous ! Je ne vais pas être trop long, Henri Emmanuelli dira ce qu'il est juste de dire.

C'est qu'on soupçonne toujours ma nature de m'emporter plus loin qu'il n'ait convenable d'aller. On ne se refait pas qu'est-ce que vous voulez ! Les têtes de bois il en faut. Sinon on ne fait pas Argelès !

Notre mot d'ordre est simple : clarifier. Nous en avons par dessus la tête d'avoir une main sur deux, et des fois les deux, attachées dans le dos à chaque fois qu'il faut penser à riposter aux paires de gifles que l'on reçoit.

On ne peut pas être à la fois pour la privatisation partielle d'EDF et contre la privatisation d'EDF/GDF. On ne peut pas être dans la manif et au chaud dans le bureau. On ne peut pas être en train de distribuer des tracts et en train d'entendre un commentaire d'autres qui dit exactement le contraire.

Clarifier ! Clarifier par rapport à ceux de mes camarades qui ont l'honnêteté de proposer une autre cohérence politique et il faut saluer, au moins leur courage verbal, pour ce qui est du courage électoral dans le parti, c'est une autre paire de manches, vous l'avez remarqué ! Il est rare qu'on ait à en débattre vraiment dans le parti, en général, on débat, on vote et puis ensuite on apprend par un communiqué de presse autre chose. Bref, clarifier. Mais aussi clarifier avec les supplétifs, les troupes annexes, les champions du " ni-ni " qui, avant même que le débat ait commencé, ont déjà repeint tout le monde et que cela ne gêne pas d'insulter, eux. " Ni mollétisme, ni blairisme ", " ni archaïsme, ni modernisme ". Ni-ni ! Naf-naf ! Nouf-nouf ! Les trois petits cochons vont d'une cabane à l'autre à mesure que le grand méchant loup abat leur pauvre défense. Cela, c'est le ventre mou qui en toute circonstance fait prévaloir le juste milieu, le milieu comme c'est bien dit.

Pour agir, pour convaincre, pour pouvoir entraîner les Français là où nos croyons qu'il est juste qu'aille ce grand pays il faut être clair car au reste nul n'entend rien.

Un parti, mes amis, ce n'est pas qu'un programme, c'est une culture de références. La droite n'a pas besoin de culture de référence, elle est, ce qui va de soi, l'ordre des choses, tel qu'il est. Mais nous, nous sommes le rêve d'un autre monde, pas que le rêve, le projet positif, concret d'un nouveau monde. Et pour cela, il faut convaincre, et pour cela il faut entraîner à aller contre les routines du quotidien. On le fait au nom d'une parole claire, d'une pensée claire et pas dans la confusion !

C'est bien vers Machiavel qui faut se tourner pour savoir ce qu'il ne faut pas faire. " La meilleure forteresse des tyrans, dit Machiavel, c'est l'inertie des peuples ". La meilleure protection des demi-teintes et des amis de la mini clarté ou de la quasi-obscurité, c'est l'inertie des socialistes.

Ayons la fierté de nos idées, n'ayons pas peur de la mode, des critiques de ceux qui de toute façon vous trouverons toujours archaïques.

Il n'existe pas d'hypothèses où vos adversaires vous félicitent pour vos idées ou bien alors faites-vous du souci.

Les amis, suivant le mot du philosophe : " l'avenir ce n'est pas ce qui va arriver, c'est ce que nous allons faire ".

Vive le Nouveau Monde !



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