Prendre la tête d'un mouvement de renégociation

Arnaud Montebourg
Intervention de Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004.


 
Mes chers camarades,

je voudrais d'abord vous dire que je fais partie de ceux, dans le Parti, qui aurait voulu voter ce texte. Et je vous le dis avec sincérité, parce que lorsque nous avons réfléchi, après ce 21 avril, nous avons tous nos parcours, nos trajectoires, nos histoires. Et il y a eu entre nous, c'est notre patrimoine commun...

On peut ironiser, on peut affaiblir, moquer, mais revenons à cette soirée. Il y a beaucoup de camarades qui ont pleuré devant leur poste de télévision, dans nos permanences. Il y a beaucoup de camarades qui ont réfléchi aux erreurs que nous avions commises. Il y a des camarades qui ont décidé d'y réfléchir à travers une motion. D'autres, non, mais qui réfléchissent encore et qui se posent des questions par rapport à ce que nous avons fait et ce que nous devons faire. C'est notre point de départ ensemble, et ce point-là n'a pas disparu, même si nous avons été heureux dans le Parti rassemblé d'arriver vers la victoire des régionales, des cantonales, des européennes et des sénatoriales.

292 000 voix de plus pour le parti de Le Pen aux régionales. 9 % de néonazis (pensez donc !) en Saxe ? Non. En Brandebourg en Allemagne. Le Vlamsblock, Haider, tout cela n'a pas disparu parce que nous avons gagné les cantonales et les régionales. Et le 21 avril qui est pour moi, chers camarades, un point personnel de rupture, pour d'autres il a eu lieu avant, pour d'autres il aura lieu après.

Chers camarades, nous allons adresser à chaque militant, avant chaque Français, le document sur lequel nous avons à réfléchir, à méditer et à trancher. Les camarades qui vont recevoir, nos camarades militants, vont avoir entre les mains ce texte qui montre l'Europe tel qu'elle est et qui se soumet au référendum. On peut discuter : " On a voté si, on a voté ça, c'est notre œuvre collective ! " Mais aujourd'hui, nous serons jugés sur l'ensemble de cette œuvre pour laquelle, si le Parti appelle à voter oui, nous serons coresponsables, nous serons codébiteurs pour l'avenir. Et c'est dans ces circonstances politiques particulières que la question du traité doit s'apprécier, bien sûr.

D'abord le texte. Comment pouvons-nous n'avoir pas pensé... Excusez-moi, cela m'a fait sauter lorsque j'ai vu ce document, et je crois que des centaines, des millions d'Européens vont sursauter car ils ne le savent pas, qu'une partie entière, 342 articles, sur 465, contiennent des choix politiques. Pas des valeurs, pas l'organisation du pouvoir comme il est naturel dans toute constitution de tous les pays quasiment du monde, à l'exception de l'Iran. Et que cette troisième partie qui fait des choix et qui fait parler ceux qui s'y retrouvent, M. Seillières, comme un syndicaliste ou des syndicalistes européens. Et dans cette méditation, chacun va y trouver ce qu'il cherche et ce qu'il ne veut pas, et peut-être d'excellentes raisons multipliées par 450 millions d'Européens de retrouver dans ces 342 articles à chaque fois une occasion de dire non.

Parce qu'une constitution ne peut pas contenir des choix politiques. Et c'est là l'anomalie de ce texte. Et c'est la raison pour laquelle, chers camarades, j'ai toujours dit, et c'est la raison du non socialiste français et de la force d'espérance du non des socialistes français, que si cette partie-là avait été modifiable à la majorité qualifiée, peut-être même pas celle de la majorité du législateur européen futur dans le texte, cela pouvait suffire à construire le compromis dans lequel on pouvait se situer parfaitement. Mais, dès lors qu'il y a des choix, nous sommes en droit d'exiger les nôtres.

Croyez-vous que nous allons avoir grand succès sur ce texte en écoutant M. Seillières expliquer que : " la constitution (je le cite, c'était à l'Université d'été du MEDEF en 2004) est un progrès pour une économie plus flexible, plus productive, pour un État allégé. Elle bénéficiera aux entreprises ". Croyez-vous que ce n'est pas une publicité un peu encombrante qu'on puisse mettre un lien direct entre une constitution, des entreprises et la logique anti-fiscale et ultra-libérale du patron des patrons français ?

Et, le problème, à ce sujet-là, c'est que les syndicalistes s'apprêtent à dire exactement la même chose sur la même analyse. Un anglais, Bob Trow, patron des 800 000 adhérents du Syndicat des transports britanniques (il sait ce que c'est que la privatisation, lui) : " La constitution, dit-il, va institutionnaliser les privatisations et l'économie libérale ". Où a-t-on vu qu'une constitution institutionnalisait les privatisations et un certain type d'économie ? Et de ce point de vue, que ce soit vrai ou faux, les déclarations de Bob Trow font écho à celles de Seillières qui, en creux, dit exactement la même chose.

Chers camarades, rajoutez à cela que tous ces choix politiques sont aussi du droit, et du droit positif comme on dit, c'est-à-dire autant d'occasions pour que des juges puissent dire ce que seront des choix qui ne seront pas approuvés, ou s'ils le sont, dans les conditions que vous savez. Il y a peu, la Cour de justice qui se comporte en méga Conseil constitutionnel, a condamné la Finlande parce qu'elle n'autorisait pas ses ressortissants à déduire les cotisations à de fonds de pension à l'impôt sur le revenu.

De quoi se mêle-t-on donc ? Mais c'est le droit. Et tout à l'heure, lorsque qu'Élisabeth évoquait la Cour européenne des Droits de l'homme, mais je ne parle pas de la Cour européenne des Droits de l'homme qui est une extraordinaire avancée. Je parle de la Cour de justice des communautés européennes. C'en est une autre. Et d'ailleurs, c'en en est une autre beaucoup plus tatillonne, car on aimerait parfois que sur les Droits de l'homme, la Cour qui porte son nom soit aussi tatillonne que celle qui, en effet, a condamné le gouvernement Jospin parce que nous avions pris un dispositif qui permettait d'empêcher certains patrimoines d'échapper aux impôts sur les plus-values. Le savions-nous d'ailleurs ?

342 articles, 342 occasions de fabriquer du droit et de nous enfermer dans un carcan institutionnel. Cette affaire n'est pas neutre. Elle compte. Et je voudrais vous dire, car tout à l'heure François Hollande a évoqué la question de l'inventaire. Il a même employé un mot, un qualificatif qu'il a attaché à ce mot " inventaire " qui a maintenant un certain poids, une certaine force dans notre histoire politique commune. Il a dit : un inventaire douloureux. Il est vrai que lorsqu'on présente le texte comme étant la constitutionnalisation, en quelque sorte la codification des traités existants sur lesquels nous avons une histoire, c'est vrai, rectiligne mais néanmoins chaotique, rectiligne parce que nous les avons toujours approuvés, mais chaotique parce que, à chaque fois, nous avons eu des problèmes pour les approuver. Et que ces problèmes, on ne peut pas par enchantement les faire disparaître le jour où on constitutionnalise. Car quand on constitutionnalise les traités, on constitutionnalise les problèmes. Ils n'ont pas disparu. Le traité de Rome, Mendès ne l'a pas voté, Mollet l'a fait voter. Il y a eu un débat dans la gauche à l'époque. Je ne sais qui a eu raison ou tort. Je n'étais pas né.

Je ne veux pas savoir qui a raison ou a tort. Il y a eu, chers camarades, un débat dans la gauche. Ce débat n'a pas été tranché. Parce que le traité de Rome que Mendès a refusé de voter, c'est celui qui précisément a servi de base juridique pour démanteler les services publics, interprété quarante ans après.

Donc les débats fabriquent du droit et fabriquent des décisions. Et nous avons la responsabilité de le dire, de ne pas le dissimuler.

Le traité de Maastricht, tout à l'heure Vincent a dit que le non au non, ce n'était pas le oui. C'est qu'il y avait des raisons de dire non, quand même, lorsqu'on disait aussi : non, et non pas ce oui enthousiaste et formidable avec lequel nous nous dirigeons, en bandoulière, un oui frais et joyeux pour une conquête guerrière. Il y a quand même quelques problèmes dans le traité de Maastricht même si je l'ai approuvé comme la quasi ou l'ultra-totalité de ceux que mous sommes. Le traité d'Amsterdam, chers camarades, ce traité, Jack Lang (et lorsqu'il écrivait ceci, je dois vous dire que j'étais député depuis trois mois et lui avait été ministre pendant quinze ans, excusez du peu !) : " Traité croupion, traité moignon, traité cache-misère ".

Mais ce croupion, ce moignon et ce cache-misère, nous les constitutionnalisons. Ils n'ont pas disparu, ces moignons et ces croupions dont parle notre ami Jack. C'est une formule, pardonnez-moi, mais c'est une vérité. Ce que je veux dire, c'est que nous sommes arrivés là au moment historique où nous faisons l'inventaire. Et nous ouvrons deux colonnes : la colonne de l'actif (il existe, il est puissant, il est important, c'est la raison pour laquelle nous sommes Européens) et la colonne du passif où nous voyons apparaître tous les problèmes que la gauche a eus dans son histoire et qui s'accumulant, posent le problème de ce que la gauche doit faire aujourd'hui avec ces instruments-là par rapport à l'angoisse politique de l'impuissance politique par rapport aux enjeux de la mondialisation ultra libérale, destructrice et ravageuse.

Et nous sommes, là, confrontés à des niveaux d'exigence que le congrès de Dijon...

Je remercie Paul Quilès, ce n'est pas à moi d'être le gardien du temple de la motion A. Je ne l'ai pas signée même si je pense que les phrases qu'il a servies sont les phrases qui appartiennent à notre patrimoine commun sur ce qu'est notre engagement européen, et qui a fait qu'au congrès de Dijon, nous étions tous d'accord. Et le mot " réorientation " a été prononcé au congrès de Dijon. Il est même écrit. Et dans toutes les sections, ce n'est pas à moi de dire, de défendre la réorientation, même si moi je l'ai pensé au même moment dans un autre texte. Mais cette réorientation, c'est ça l'identité de notre Parti aujourd'hui par rapport à la situation du 21 avril et que le congrès de Dijon était.

Et chers camarades, si on sort de l'identité constituée du congrès de Dijon, il y a là un changement de ligne. Et de ce point de vue, vous me permettrez de vous dire que, malheureusement, en faisant l'inventaire, le compte n'y est pas parce que, non seulement (et tout à l'heure un certain nombre d'orateurs l'ont dit), il y a ce que nous n'avons pas obtenu par rapport à nos propres exigences. Et il était bien indiqué que c'était au regard de ces exigences que nous jugerions et non pas au regard de cet euro-réalisme de socialistes eux-mêmes qu'on ne saurait trop d'ailleurs qualifier pour les respecter. Mais je dois vous dire que c'est par rapport à ce que nous sommes et ce que nous voulons que nous devons décider.

Et de ce point de vue, chers camarades, il y a aussi les reculs : le recul sur la laïcité. Pour ceux qui ne sont pas avertis des ces questions sur le plan juridique, il y a dans les revues juridiques, en ce moment, un foisonnement d'articles, un foisonnement d'articles de constitutionnalistes très respectés et estimés qui expliquent que l'article 2.10 est absolument incompatible avec notre constitution.

Et d'ailleurs, je me souviens, pendant le débat sur la loi de toute façon " du voile ", inspirée par l'excellent Président Chirac, que j'avais lu cette phrase en groupe. Je me souviens encore le faire, en disant : " Attention, la constitution que certains ici préparent... " Nous ne savions pas où nous en étions sur les résultats de la négociation. A l'époque, nous étions encore avant les conférences intergouvernementales. Il n'y a pas eu à l'époque de réponse.

Eh bien maintenant, chers camarades, nous ne voulons pas faire l'inventaire. Ce sont les citoyens qui vont le faire. C'est eux qui vont dire : " Je me reconnais " ou " Je ne me reconnais pas ". Et tout le problème pour nous, c'est de signer, en quelque sorte, le sens du non. Car moi, je ne crois pas que cette constitution verra jamais le jour. Elle n'a pas de base politique dans l'espace politique européen. Sur les dix référendums, il y en a déjà au moins quatre dont nous savons qu'ils n'aboutiront pas. Et de ce point de vue, malgré le verrouillage de l'ensemble des appareils, c'est toujours comme cela quand on veut faire avancer un projet qui n'a pas l'accord profond des peuples et des citoyens, n'y changera rien. Nous aurons à rediscuter.

Mais moi, je voudrais vous dire une seule et dernière chose. La crise est là, il n'y a pas de théorie ni de théologie de la crise. La crise, c'est notre soirée dont je parlais tout à l'heure du 21 avril. Pour moi, c'est là qu'elle est, la crise. C'est d'ailleurs ce qui m'a amené à larguer certaines amarres par rapport aux erreurs que j'ai moi-même commise. J'ai voté le traité de Nice, Julien. Tu n'as pas vote celui d'Amsterdam. Je pense que j'ai commis une erreur en votant le traité de Nice. Mais, à Strasbourg, François a dit : " Si nous étions au pouvoir, nous trouverions ce traité formidable. " C'est un argument qui théorise finalement la lâcheté. Mais nous ne sommes pas au pouvoir. D'ailleurs cela renvoie à l'idée, finalement, que la cinquième République a bien servi les buts de nos adversaires. C'est qu'il est radicalement impossible, en effet, d'être autre chose que finalement peu courageux lorsqu'on est parlementaire. Et cela renvoie à un autre débat que nous allons bientôt avoir sur le projet des socialistes.

Et sur cette affaire qui est fondamentale, je n'ai qu'une chose à dire. Le non des socialistes français, c'est la réécriture de la charte de la renégociation. Je préfère que nous réécrivions nous, avec nos valeurs, notre force, et que nous guidions bien sûr qui ? Eh bien les socialistes européens plutôt que ce soit la lecture souverainiste qui l'emporte. Je préfère que nous prenions la tête de ce mouvement de renégociation. Il ne tient qu'en une ligne, notre revendication ne tiendrait qu'en une ligne : donnez-nous la majorité qualifiée sur la troisième partie et nous aurons un compromis acceptable. Cela, même Giscard avait oublié de demander leur avis aux conventionnels. Cela n'a même pas été discuté. De ce point de vue, l'inventaire, il aura lieu. Avant qu'il ait lieu à notre détriment, songeons à la porter devant la population pour précisément l'amener à emboîter notre pas, emboîter la social-démocratie européenne derrière nous, pour l'amener à une recomposition politique sur nos valeurs, nos exigences et éviter les dérives dans lesquelles nous sommes sensiblement engagés.

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