Constitution européenne :
le miroir de la France

Bernard Poignant

Point de vue signé par Bernard Poignant, député européen, président de la délégation socialiste française au Parlement européen
27 septembre 2004

 
Quelques semaines de débat sur le Traité constitutionnel en disent plus sur la France que sur l'Europe. La controverse engagée est un miroir de nous-même. De ce point de vue, le Parti socialiste occupe la totalité du spectre politique des Français. Il s'installe ainsi et à cette occasion comme le parti central de la Cinquième République comme le Parti Radical l'a été de la Troisième. Il couvre toutes les questions, il exprime toutes les angoisses, il dit tous les espoirs. Tout cela doit évidemment bien finir pour être efficace : adopter la Constitution pour repartir au combat sur les politiques.

En attendant, quelques expressions et points de vue suintent la nostalgie de notre histoire. Mon camarade Michel Vauzelle, Président de la Région Provence Alpes Côtes d'Azur, souhaite le rejet de la Constitution pour pouvoir ensuite rédiger des cahiers de doléances, convoquer des Etats Généraux, qui se transformeraient en assemblée constituante en attendant de proclamer la République européenne.

Mon camarade Laurent Fabius, au milieu de son argumentation, dit qu'il faut oser le non, dans un rappel inconscient ou subconscient du non gaullien de 1940. Mon camarade Henri Emmanuelli propose d'entrer en résistance face à un agresseur sans nom et sans visage.

Ces trois postures sont intéressantes et utiles à analyser. Car il n'y a pas de révolution en vue pour la gauche : la dernière remonte à 1871 et à la Commune de Paris. La pratique du suffrage Universel a mis un terme à cette utopie du Grand Soir. Comme il n'y a pas d'occupant à bouter hors de France : il n'y aura besoin ni de Londres ni du Vercors.

La Constitution de l'Union européenne a été élaborée à froid, en dehors des passions et de toute tragédie. C'est évidemment inhabituel dans l'histoire de nos propres constitutions : elles naissent dans les révolutions, suivent des défaites ou une libération, se conçoivent dans le drame de la décolonisation en pleine guerre d'Algérie. Le Traité qui est devant nous n'a pas ce contexte. Il a été conçu, précisément grâce à cette formidable promesse tenue qu'est l'Europe depuis le second conflit mondial : tout se fait dans la paix, tout se décide par la démocratie, tout se conclut par un compromis. Nous voulons régler les problèmes du monde par le droit, la négociation et la coopération. La moindre des choses est d'appliquer la méthode à notre propre Constitution. Les Français en général, les socialistes en particulier, ne peuvent pas se comporter de façon unilatérale ici et prôner le multilatéralisme ailleurs.

Il n'empêche : s'il faut donner un sens à l'Europe, il en faut aussi un à la France. Son histoire lui interdit de vivre sans cela. Son peuple a trop donné, trop souffert, trop fauté pour se voir privé d'un horizon.

La France doit s'habituer à vivre sans ennemi : elle a connu l'Anglais, l'Allemand, le Soviétique. Une nation se forge aussi dans le rapport à l'autre. Le 2 décembre prochain, nous fêterons les 200 ans du sacre de Napoléon Ier : eh bien, c'est fini ! Il n'y en aura pas d'autre. La France doit s'habituer à vivre sans révolution, surtout à prétendre les exporter chez les autres. La France doit s'habituer à vivre sans Empire : elle a perdu le sien dans trois défaites difficiles : l'Indochine et Dien Bien Phu en 1954, la guerre du Canal de Suez et le repli piteux en 1956, la fin de la guerre d'Algérie en 1962.

L'Europe ne peut pas être le substitut à tout cela. Bruxelles n'est pas un nouvel adversaire et pourtant on en fait souvent un bouc émissaire. Le socialisme français ne s'imposera pas aux autres socialistes européens comme les révolutions de 1789 et de 1848 ont été contagieuses. L'engagement européen ne peut pas être le substitut de notre Empire perdu. Sur ce dernier point, cela vaut aussi pour les Anglais.

Il y a comme un malaise identitaire français, au-delà des seuls problèmes économiques et sociaux. Il s'est accru depuis la chute du Mur de Berlin. La réunification de l'Allemagne, l'élargissement continu vers l'Est ont amoindri le poids de la France. Elle peut donc être tentée par un grand coup de gueule ou un gros coup de poing sur la table. Et Après ? et si le " non " était un " néant " ?

Adopter ce traité constitutionnel, continuer à partager notre souveraineté, accepter d'unifier notre continent pour qu'il soit à la hauteur des grands pays du 21ème siècle, conforter la paix, protéger nos démocraties… Il ne faut pas interrompre ce mouvement de l'histoire.

Mais c'est de la France qu'il faut aussi beaucoup parler, pour que les Français ne s'écartent pas de l'Europe. Ils ont été les moteurs de cette idée pour ne plus connaître de souffrances. Ils pourraient devenir des freins s'ils ne perçoivent plus le sens de leur engagement européen.


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